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26 août 2014 2 26 /08 /août /2014 16:38

l'homme qui s'aime de Robert Alexis

 

 

 

 

    

L'Homme qui s'aime

de

Robert Alexis

 

 

 

 

 

 

          Depuis son premier roman ( La Robe, éd. Corti, 2006), Robert Alexis explore dans ses livres les infinis du désir : "Nul espoir à celui qui se contente de ce qu'il est, ou de ce qu'il estime pouvoir désirer. La lumière vient de ce qui nous déchire, de ce qui est à l'opposé de ce que l'on estime être "soi" ".

 

          Début des années 1890, à Paris. Au cours d'une soirée mondaine, un jeune dandy fait une expérience qui le révèle à ses désirs les plus secrets. Décidé à rester fidèle à ce qu'il comprend alors de lui-même, il va entrer pleinement dans la vie."

 

          Dans La Robe chatoyait déjà l'incarnat des fantasmes, la transgression révélée par une obsédante parure défiant les interdits imposés à l'homme.

          Robert Alexis depuis ce premier roman n'a jamais cessé de sonder les profondeurs de l'être. Archéologue de l'intime, il fouille sans répit l'identité froissée toute entière dans l'étroitesse du corps.

 

          "L'homme qui s'aime " commence un soir d'été dans un de ces salons fin de siècle où l'on imagine entendre un orchestre jouant une valse languissante.

          "Mon amie se savait l'une des plus belles femmes de Paris et s'amusait, sans donner suite, de la cohorte de soupirants qui, où qu'elle allât, se battaient pour une danse ou une conversation privée. Nous n'avions tous les deux guère plus de vingt ans. Elle préférait, je dois le dire avec orgueil, ma présence à toute les autres... Je devais sans doute une telle faveur au fait que je ne me mêlais pas aux nombres des courtisans, que l'insoutenable beauté dont la nature m'avait gratifié (j'ose répéter un qualificatif fréquemment employé lorsqu'on me désignait) ne me donnait aucun droit à chercher auprès d'elle une préférence que tant de belles m'avaient accordée et que détail , qui s'expliquera par la suite, je montrais auprès de mon amie un peu de cette froideur dont les femmes raffolent, une réserve que je manifestais sans même y prêter attention."

 

          "M'étais-je déjà réellement vu ?

 

          Un miroir n'avait jamais été utile pour moi que pour arranger une coiffure ou le nœud d'une cravate. Je fuyais d'ordinaire le visage qui voulait s'y graver, ne retenant que ce qui lui était nécessaire à la toilette.

          Je craignais ce que les autres estimaient en moi comme si mon âme, saisie par une apparence qui la dépassait, avait couru quelque danger à se savoir ainsi parée de perfection."

 

          L'époque où se déroule la première partie de ce roman est celle où dans la littérature l'androgynie liée à la transgression bousculait le conformisme.

 

          "Aucun voile ne cache tant la chair que la beauté ; être beau c'est appartenir à un troisième sexe, impossible, intangible." ( Péladan .Lyon, 1859-Neuilly, 1918 )

 

          Dans son essai "Masculin singulier" Marylène Delbourg-Delphis écrit : " Aussi arrogant soit-il, le dandy ne laisse pas de sentir sa fragilité, sa solitude en face des normes- et son narcissisme se double toujours d'une inquiétude sur son identité...Ces miroirs qui racontent aux femmes qu'elles seront belles éternellement, regardent les hommes comme une menace."

 

          Entraîné à l'étage dans une chambre par la Comtesse maîtresse des lieux, le narrateur se voit placé et obligé de se regarder dans le haut miroir d'une chambre. Ce miroir sera le révélateur.

 

          "-Vous vous aimez c'est incontestable...Vous vous aimez furieusement, aveuglément... Vous cherchez chez les autres ce que vous ne pouvez trouver seul, la confirmation que vous êtes la seule figure aimable, le seul être capable d'embraser votre cœur, chose tellement impossible, n'est-ce pas ?... Vous êtes enfermé dans vos délicieuses limites... Les femmes, non vous ne les aimez pas. Vous n'en aimez qu'une et vous savez laquelle."

 

          "Le soleil se couchait à l'horizon de mon être et je savais qu'il ne reviendrait pas, qu'il n' y aurait plus d'aube lumineuse pour moi."

 

          Il ne s'agit pas de raconter ce roman, il s'agit de découvrir l'expérience du narrateur à travers les étapes de sa vie. L'élégance de l'écriture de Robert Alexis plonge dans les abîmes de l'être, descend dans les trivialités humaines, interroge l'univers aux confins du déséquilibre tout comme dans un de ses autres romans "Les figures".

 

          "On me dirigeait là où je savais qui j'allais rencontrer, car les rêves ont cela en commun avec la folie que le plaisir de les vivre ne tient pas à ce qu'ils révèlent mais au fait de leur absolue présence."

 

          "En dehors du projet que le rêve de soi adresse au monde, les choses demeurent étrangères, insondables, trompeuses dans l'existence qu'on leur accorde à défaut de se les approprier.

          Je parvenais à ce paradoxe : il n'est d'existence distincte de la nôtre que dans la négation de ce qu'elle pourrait être sans nous et, sans en être parfaitement conscients, nous manœuvrons des fils que nous savons être tendus par nos désirs."

 

          "Il n'est d'humanité qu'en marge du bon sens. Le bon sens nous aveugle, les connaissances nous égarent. Vous-même ne pourrez être que ce que vous devez-être qu'après avoir plongé dans l'excès où se tissent toutes choses."

 

          De Paris aux Pouilles, Naples, son volcan et ses quartiers infâmes, du 19ème siècle au 18ème siècle les pages  tournent..

 

          "Plus tard, toi aussi je te retrouverai. Rien ne disparaît. Le cœur peut aimer tant de gens, nos vies peuvent comprendre tant d'êtres ! Est-ce bien vrai ce que disaient mes songes ? Est-ce vrai que tu m'as bien aimée? Je me suis aimée aussi, plus que tout. En t'écrivant, j'adore cette main qui porte la plume. Un quart de tour sur le côté, je vois mon visage dans un miroir. Des ombres l'entourent que je crois reconnaître, qui me ramènent à moi. Vraiment, vraiment ! Qui d'autre que moi aurait pu me faire autant souffrir ?"

 

          La couverture de L'homme qui s'aime reproduit une œuvre de l'artiste néerlandaise Desiree Dolron extraite de la série Xteriors.

Editions Le Tripode.

 

A paraître le 4 septembre 2014 .

 

Œuvres de Robert Alexis:

La robe

La véranda

Flowerbone

Les Figures

U-Boot

Nora

Mammon

Les Contes d'Orsanne

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15 août 2014 5 15 /08 /août /2014 19:20

Ederlezi cover

 

 

  

Ederlezi

de

Velibor Čolić  

Comédie pessimiste 

                        

Ederlezi retrace l'histoire, à travers le XXe siècle, d'un fameux orchestre tzigane composé de musiciens virtuoses, buveurs, conteurs invétérés, séducteurs et bagarreurs incorrigibles. Ils colportent leurs blagues paillardes, leurs aphorismes douteux et leurs chansons lacrymogènes de village en village. L'orchestre sombrera dans les grands remous de l'histoire : englouti en 1943 dans un des camps d'extermination où périrent des milliers d'autres Tziganes, il renaîtra pour être de nouveau broyé par la guerre d'ex-Yougoslavie en 1993. Chaque fois, le meneur de l'orchestre, Azlan, semble se réincarner. On le retrouve finalement dans la «Jungle» de Calais en 2009, parmi les sans-papiers et les traîne-misère qui cherchent un destin aux franges de la modernité.
Le roman de Velibor Čolić restitue merveilleusement la folie de la musique tzigane, nourrie de mélopées yiddish, de sevdah bosniaque, de fanfares serbes ou autrichiennes, une musique et une écriture pleines d'insolence, au charme sinueux et imprévisible. Les réincarnations successives d'Azlan font vivre avec bonheur la figure du Rom errant éternellement, porté par un vent de musique et d'alcool, chargé des douleurs et des joies d'un peuple comparable à nul autre.

 

            Avant d'aborder la rentrée littéraire, je voulais écrire cette petite chronique sur un livre dont le thème est cher à mon cœur, où la satire est émouvante, où  tragédie et  sourire se mêlent avec les larmes, parce que la musique tzigane touche mon âme et que j'écoute souvent ce chant Ederlezi. J'ai vu presque tous les films de Tony Gatlif, et celui d'Aleksandar Petrović tourné en six mois "J'ai même rencontré des tziganes heureux " et présenté à Cannes en 1966. ( Il est cité dans ce livre ! ...)

 

          "Ederlezi : fête de la Saint-Georges ( le 6 mai) , où le peuple tzigane célèbre l'arrivée du printemps. Le nom Ederlezi vient du turc Hidirellez, célébration du début du printemps qui avaient lieu environ quarante jours après l'équinoxe. Les Slaves des Balkans y ont ajouté une dimension chrétienne avec la fête de la Saint-Georges."

 

          D'abord l'épigraphe : " Ne succombez jamais au désespoir, il ne tient pas ses promesses." ( Stanislaw Jerzy Lec )

 

Et puis, le préambule :

          "...je m'appelle Azlan Baïramovitch et je suis mort ce matin. Hier encore j'étais un homme, un Rom et un parrain, mari, oncle et frère - maintenant je suis juste un corps, long et froid, avec quelques taches gris cendre sur mon visage. Hier encore j'étais chanteur, arnaqueur, ange noir, maître du couteau et bourlingueur, aujourd'hui je me trouve sur une table en métal, déposé quelque part dans un hôpital à Calais.

...La mort m'a entièrement transformé en un beau costume à l'ancienne, mon bel habit aux rayures fines et bleues, ma chemise rouge à jabot...la mort cette dame brune, ne sait pas encore qui je suis, qui j'étais avant dans la vraie vie. Mais bon, maintenant, plus rien n'a aucune  d'importance...

 

          Et nous sur scène , brillants, jeunes et forts...Et nous, les ivrognes et les métèques, nous jouons la musique à la tzigane...Les plus belles mélodies, drôles et tristes à la fois...Où est parti, sur quelle route erre mon peuple? Qui a effacé mon pays ? Où ont disparu toutes mes berceuses et mes rêves? Rien, plus rien...

...toute ma vie j'ai voyagé. L'Europe de l'est et à l'ouest, New Delhi et Paris, Berlin coupé en deux et les moroses fêtes des petites villes de province. J'ai prescrit l'ordonnance pour soigner l'âme et j'ai inventé le son du silence à l'heure du Diable.

 

...Tant de fois j'étais un valet ivre, voleur de poule et mangeur de feu que j'oubliais que j'étais un homme. Tant de fois on m'a craché à la figure que je n'avais plus besoin d'aller me baigner dans le Gange. J'étais l'autre pour tout le monde y compris pour mon peuple. J'étais trop blond pour un tzigane et trop basané pour être un gadjo...

 

...je ne peux plus, je m'arrête là. Aucune âme, mes amis , ne peut résister à tant de tristesse. Nul homme ne peut survivre à tant de haine, tant de froid et de supplices. Aucun ne vous ne sait rien sur la froideur d'un casque allemand sous la demi-lune en Croatie, le museau d'un loup en Bulgarie ou d'un couteau qui déchire la peau...

 

          Longtemps j'ai cherché l'accord idéal et la mélodie, la chanson vraie et les spirales du temps. Jusqu'à mon dernier souffle j'ai cherché la note parfaite, j'ai rêvé chaque ton et chaque intervalle, tout en sachant que la plus belle musique est toujours épurée et simple. De mon vivant, j'étais de partout et de nulle part, j'étais tout le monde mais aussi personne.

 

          Compteur et conteur, poète et chanteur. J'étais celui qui porte le violon sur son épaule ; celui qui rendait vos rêves possibles. J'étais voyageur, fou du roi, paysan sans terre et apôtre, témoin et traître. J'ai fait mille fois l'amour et jamais la guerre.

 

          Une chose est sûre :mon nom est Azlan Tchorelo, Azlan Bahtalo et Azlan Chavoro Baïramovitch et je suis mort ce matin.

 

          Voici mon histoire."

 velibor colic

 

 

 

 Velibor Čolić est né en 1964 en Bosnie. réfugié en France en 1992, il vit aujourd'hui en Bretagne.

 

 

   

 

 

 


 

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28 juin 2014 6 28 /06 /juin /2014 16:55

cover Galveston

   

Galveston

de

Nic Pizzolatto

 

 

          1987, La Nouvelle-Orléans. Les temps sont durs pour les petits gangsters comme Roy Cady. Non seulement il apprend que ses poumons sont troués par un cancer, mais son boss l'envoie tout droit dans un traquenard. Il n'a plus qu'un horizon : la cavale. En compagnie d'une jeune prostituée écorchée par la vie, il fuit les représailles sur les routes brûlantes du golfe du Mexique, là où chaque heure conquise porte le goût de la poussière et du sang...

 

   

 

 

 

          A quoi tient la fascination d'une histoire, à la meurtrissure des personnages, à la beauté poisseuse de son ambiance, aux paysages traversés, au quotidien d'un avenir déjà perdu pour Roy qui semble murmurer pour lui-même dans les pages de ce roman où l'émotion affleure au détour d'une phrase, de mots simples qui en disent long sur quelques êtres égarés au cœur  de l'Amérique des déshérités ?...

 

          Plus que narrer le déroulement des événements, je préfère citer quelques extraits de ce singulier roman qui par sa tonalité particulière et sa finesse intimiste laisse entrevoir la trame des pensées qui surgissent quand les souvenirs  viennent hanter naturellement comme une impossible consolation.

 

          "Un médecin a pris des photos de mes poumons. Ils étaient plein de rafales de neige.

Quand je suis sorti du cabinet, les gens dans la salle d'attente ont tous parus soulagés de ne pas être à ma place. Il y a des trucs qu'on peut lire sur les visages.

 

          J'ai essayé de concevoir ce que signifierait ne pas exister, mais, je n'avais pas l'imagination nécessaire.

          J'avais la même sensation d'étouffer, d'être sans espoir, que lorsque j'avais douze ou treize ans et que je regardais les longs champs de coton... L'idée atroce de l'infini dans le travail. Cette sensation de ne jamais pouvoir gagner.

 

          J'ai pensé à la maison de Sienkciewcz, aux hommes dans l'entrée, au crâne d'Angelo - mais surtout à la vitesse avec laquelle j'avais réagi, à la fluidité sans faille de mes pensées et de mes gestes. Comme si la certitude de la mort avait brûlé tout le superflu, m'avait rendu plus rapide et plus pur - ce qu'elle faisait pour les cow-boys et les bretteurs dans les films que je préférais.

 

          Comme le plus pur des assassins, j'étais déjà mort.

 

          Je me souviens qu'un de mes potes m'a dit un jour que chaque femme qu'on aime est à la fois une mère et une sœur qu'on n'a pas eues; et que ce que nous cherchons toujours, en réalité, c'est notre côté féminin, l'animal femelle en nous ou un truc comme ça. Ce garçon-là pouvait dire ce genre de chose parce que non seulement c'était un junkie, mais qu'en plus il lisait des livres.

 

          J'ai lu un écrivain qui prétendait que les histoires nous sauvent, mais, évidemment, c'est de la bêtise. Elles ne nous sauvent pas.

          Les histoires, pourtant, sauvent quelque chose.

          Et elles m'ont permis de tuer pas mal de temps au cours des vingt dernières années. Passées, pour plus de la moitié, en prison.

 

Quant à la leçon de l'histoire, je crois que c'est la suivante = jusqu'à notre mort, on est fondamentalement dans l'inauthenticité.

          Mais je suis encore en vie.

 

          Il y a des expériences auxquelles on ne peut survivre ; après elles, on n'existe plus entièrement, même si on n'a pas réussi à mourir. Tout ce qui s'est passé en mai 1987 ne cessera jamais de s'être produit, sauf qu'on est maintenant vingt ans plus tard et que tout s'est déroulé à ce moment-là n'est qu'une histoire. En 2008, je promène ma chienne sur la plage. Ou plutôt j'essaye. Je ne peux pas marcher vite, ni bien.

 

          Quelle année impossible.

 

          L'aube met le feu au brouillard tandis que les cris des oiseaux et la plainte profonde des sirènes des bateaux mobilisent le monde. En septembre, au milieu de la saison des ouragans, les ciels ne sont plus que des rouleaux de plomb qui ressemblent à du sucre filé.

 

          Mon pied gauche se tord vers l'extérieur comme s'il essayait de me quitter... Le bandeau que j'ai sur l'œil gauche me donne une vague ressemblance avec les pirates qui ont jadis régné sur cette côte.

 

          Quand je lisais, je me plongeais tellement dans les mots et ce qu'ils disaient que je ne sentais plus le temps passer comme d'habitude. J'étais étonné d'apprendre qu'existait une liberté qui n'était constituée que de mots.

 

          Tous les soirs, quand je me couchais, j'attendais que le cancer s'étende, mais il restait là sans évoluer, il prenait son temps. J'ai passé presque douze ans comme ça.

 

          Le sable de Gavelston est gros et gris, parsemé de particules oranges et jaunes, et, tôt le matin, les plages sont en général désertes... Quand on marche le matin sur ces plages brumeuses, dans un air épaissi par le sel et par les choses en décomposition, on a l'impression que ces lieux soignent encore la gueule de bois que leur a laissé toute leur histoire."

 

          Quand on a achevé de lire ce roman, on y repense, on revient quelques pages en arrière, rien que pour la délectation délicieusement amère du plaisir d'une émotion à peine perçue, on est toujours plus ou moins en décalage avec nos émotions, que ce soient celles d'un livre, d'un film ou de notre propre vie. Il y a le présent, mais il y a avant, et on y revient quand tout va bien ou ne va plus aussi bien... C'est peut-être la nostalgie, à moins que ce ne soit l'illusion d'une espérance... Il y aurait tant à dire encore sur ce livre profondément bouleversant. Il y a du sang, de la sueur, des larmes, de la pudeur... Mais cela suffit bien ainsi... Il faut le lire, ce sera ma conclusion.

                                                                                                                 Hécate

 nic pizzolatto

           

            Nic Pizzolatto est le scénariste et auteur de "True  Detective" chez HBO. C'est un peu son second roman . Le véritable sujet  de cette série envoûtante tournée en Louisiane est une intrigue narrée par deux collègues policiers : "Nous vivons et nous mourrons par les histoires que nous racontons." a dit Nic Pizzolatto.

"Gavelston" aux éditions Belfond a été récompensé en France par le prix du premier roman étranger en 2011. Il est disponible en collection  de poche 10/18 depuis décembre 2013.

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1 mai 2014 4 01 /05 /mai /2014 13:39

Lily de Daniel ArsandLily

de

Daniel Arsand

 

 

          « Épouse et mère, voyageuse parfois, extravagante à ses heures, maman mourut à la clinique Bonvallet, le corps depuis trop longtemps harassé de maux. La pauvre chose qu’elle était rendit l’âme en me parlant de l’amour. Ce lieu où vous êtes raconte une existence tour à tour insignifiante et magnifique, qui couvrit plus de sept décennies de notre siècle. » C’est ainsi que Simon, fils unique de la défunte, inaugure un musée dédié à la mémoire de sa mère. Il sera le propriétaire et le guide des lieux, le gardien des mystères d’une famille qui, de génération en génération, répète les mêmes maux. Témoin d’un siècle frappé du sceau de l’intranquillité, ce fils évoque un univers marqué par les passions, les exils et la Première Guerre mondiale.

 

          Lily est le troisième roman de Daniel Arsand qui reparaît aux Editions Libretto cette année.

 

          "On l'avait accueillie comme un don du ciel, elle se comportait en personne à peine tolérée...Insensiblement se forgeait en elle la certitude que sa seule personne avait le pouvoir de briser l'ordre des choses, d'enclencher des désastres, comme elle se persuadait que même en terre promise elle se sentirait toujours en exil. Lily forgeait là une des assises de sa personnalité future : sous une apparence de grande humilité ,la certitude d'être un être différent du lot - et le pas est facile à sauter, qui vous fait ressentir cette différence tantôt comme une infirmité, tantôt comme une suprématie...Et lorsqu'elle acquit enfin un semblant d'assurance, on aurait dit que l'anxiété avait  cautérisé ses plaies intimes ou que son désespoir la ravageait désormais en douceur."

 

          "Un talent singulier de prosateur baroque, comme on en croise rarement dans les allées bien peignées du roman à la française."  Bernard Le Saux / Le Figaro.

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19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 17:43

magnolia

Printemps

 

 

Chaque printemps je meurs,

Alors que renaissent les fleurs,

Chaque fois, c’est la même chose,

Chaque fois le renouveau

M’enlève pour toujours

Une illusion, une amitié, un amour .

 

Chaque printemps, l’hiver meurt toujours,

Mon cœur est un tison

Que le bleu du ciel va éteindre.

Le feu sera loin, très haut de moi

Dans les rayons du soleil,

Mes pas, sur le chemin où vivent les pierres,

Seront comme une danse de douleur,

Mon silence, le fantôme muet d’une clameur !

 

Absence, chaque printemps, je meurs,

L’été est une prison où je ne chante plus.

Que s’éteigne la glycine sur le mur

Comme une larme parfumée,

Que se rouille le lilas dans mes yeux

Comme une grille qui ne s’ouvre plus !

 

Chaque printemps enterre les châteaux

Dans les saisons à jamais disparues,

Dans un autre renouveau, après une autre mort

Si Dieu le permet, je les habiterais peut-être encore

Jusqu’à épuisement de mon âme fatiguée,

Jusqu’à écroulement de toutes leurs murailles,

De toutes leurs barrières, de toutes leurs portes,

Afin que le véritable printemps m’emporte !

 

 

                                                                                                                                        Hécate

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1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 14:30

affiche

 

 

 

  

Only Lovers

Left Alive

 

film de

 

JIM JARMUSCH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 detroit

 

          Adam (Tom Hiddleston ) pâle et fragile, Eve (Tilda Swinton ) longue silhouette éthérée au visage sans âge, sont des vampires qui étincellent dans l'obscurité...

          Adam réfugié dans une demeure labyrinthique à Détroit collectionne des guitares électriques mythiques dont une Supro blanche de 1959, compose des musiques obsédantes et atmosphériques...

 intérieur livres

          Eve à Tanger va au café des Milles et Une Nuit, dévore des livres, vit à la page en quelque sorte ! L'humour est subtil, mais n'est pas absent loin de là sans pour autant briser le charme ensorcelant.

 

          Dès les premières images, les premiers sons... l'emprise est absolue !!!...

            J'ai vu ce film le premier jour de sa projection en salles (en sortant, la nuit était là, une chance, car comment affronter la lumière diurne après deux heures d'errances nocturnes si envoutantes, je n'ose y penser !) et j'en suis toute hantée encore d'un bonheur indicible, assoiffée, intensément...cover

 

          La bande son est hypnotique, puissante, lente, des notes cristallines planent, mystérieuses, baroques... signée  par le luthiste Joseph Van Wissem  &  le groupe Sqürt de Jarmusch.

 

          Dix huit ans après Dead Man (Jim Jarmusch a mis sept ans pour récolter les fonds nécessaires à la réalisation de Only Lovers Left Live), une histoire d'amour, de vampires ,et de vague à l'âme d'une beauté somptueuse et crépusculaire.

 

          " Jim Jarmusch s'amuse à renverser les rôles de la lutte ente le Bien et le Mal. Ce sont des vampires qui se sentent vampirisés par la société actuelle. Avec leur recul, vivant depuis des siècles, ce sont eux les derniers remparts contre la décadence et le déclin. Ce sont eux qui croient à la science, à la technologie, à la musique, à la littérature et à l'importance de la culture."  (Siegfried Forster)

 

          " Un film fin de siècle comme une renaissance." (Damien Aubel )

 

          "Il émane de ce film planant, délicieusement gothique, un romantisme fou ." ( Marc-André Lussier )

 

          "Jamais le style si particulier de Jarmusch ne s'était déployé avec autant d'élégance que lors des sublimes balades nocturnes dans Détroit et Tanger." ( Yannick Vely. Paris-Match )

 

                  

    

      Le film fourmille de références multiples qui ajoutent une saveur supplémentaire, Adam arbore le nom de docteur Faustus lorsqu'il va s'approvisionner de sang frais...Quand il improvise sur un violon, c'est Paganini selon Delacroix dont il prend la pose ! Bien évidemment il a connu Mary Shelley (l'auteur de Frankenstein ) et le poète Byron qui avec son médecin le fameux Polidori a écrit un cours roman Le Vampire). La tapisserie des murs disparaît sous les photos de tous ceux rencontrés dans ses vies antérieures, Baudelaire, Kafka, Edgar Poe....et d'autres encore !

 

          Eve a pour ami à Tanger Christopher Marlowe...qui œuvrait dans l'ombre de Shakespeare...

          Et, lorsque Adam et Eve voyagent, ils ne prennent que des vols de nuit !!!...

 

                                                                                                       Hécate.

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29 janvier 2014 3 29 /01 /janvier /2014 12:18

hecate bigHécate

de

Frédéric Jaccaud

 

          «Le fait divers déverse, divertit, met en branle l’imagination mauvaise de tout un chacun. Sa nécessité ne fait pourtant aucun doute, parce qu’il agite les sentiments de pitié et de mépris sans aucune implication morale ; on ne ressent aucun remords en s’y projetant. Il commence et se termine dans l’impersonnel. Les acteurs de ces petites pièces décadentes n’incarnent personne en particulier ; ils évoluent à l’état brut de caractères théâtraux.»

          Le 2 février 2010, Sacha X., médecin de Ljubljana, est retrouvé sans vie à son domicile, le corps déchiqueté par ses trois bullmastiffs. Là s’arrêtent les faits chroniqués en leur temps par la presse internationale. Entre alors en scène un jeune flic, Anton Pavlov, témoin imaginaire de cette scène indescriptible. Cet amoureux secret de littérature se laisse dès lors entraîner dans une quête du sens qui le mènera au-delà de l’obscène : comprendre l’histoire de cette mort étrange, trancher le voile et découvrir derrière celui-ci la beauté, la vérité ou la folie.

 

 

          Frédéric Jaccaud a dédié son roman à Paul Morand l'auteur de Hécate et ses chiens.

          Evidemment ! Deuxième élément irrésistible. Je ne pouvais pas  passer devant le présentoir sans être accrochée par ce titre flamboyant ! Je savais déjà que j'allais l'emporter ; quelques lignes parcourues rapidement, l'intuition que je tiens là un texte puissant écrit avec maîtrise et talent.

 

          C'est un roman noir. Un roman dévorant. Un polar très noir qui va au-delà du sordide fait divers et qui est une descende dans l'origine de l'obscène et de la violence, de la limite entre la raison et la folie.

 

          " Un excès d'informations, un excès de réalité rendrait fou n'importe qui..."

 

          Somptueusement écrit, un roman qui par-delà l'intolérable touche la conscience de la transgression.

 

          "D'une certaine manière, l'ignorance est plus obscène que la démonstration de l'ordure."

 

          Un homme s'est fait bouffer par ses chiens. Un godemiché attaché autour de la taille.

 

          "Il ne s'agit pas ici d'un homme assassiné, d'un homme torturé, mais d'un corps meurtri par des dents et des griffes, un cadavre primal, premier, non pas mangé, mais déchiqueté, tel qu'on pourrait en rencontrer dans les forêts obscures de cette humanité qui tremblait en entendant hurler les loups, grogner les meutes affamées des chiens, effrayée de pouvoir être pourchassée."

 

          "La présence du cadavre rappelle la nécessaire carnation de l'âme, sa fragilité."

 

          Un carnage intolérable...Une descente dans l'origine de l'obscène, de la souffrance...Une petite fille pleure de désespoir...

 

          "Ne regarde pas...C'est trop loin pour toi ."

 

          Par-delà les trames incompréhensibles des lumières qui tapissent le drap nocturne...la petite fille voit "cette lune rouge qui n'a pas de nom mais que les Anciens surnommaient Hécate."

 

          Dans la pièce où est retrouvé le corps déchiqueté de Sacha X, un tableau de William Blake : Hécate ou La Nuit de joie d'Enitharmon.

William Blake Hécate

          "Hécate ou les trois destins, surveille le Tartare région infernale où se terrent les plus grands criminels de la mythologie. Deux femmes tournent la tête et se cachent, la troisième se tient à côté d'un livre ouvert, c'est celle qui sait alors que les autres se voilent la face. Elle est brune, cheveux de nuit, les deux autres blondes, cheveux de jour."

 

          Hécate, déesse de la lune rouge et des chiens errants est la force virile dans les mains de la femme.

 

          Les chiens n'étaient pas dans le tableau de Blake...Ils étaient dans la chambre du médecin Sacha X.

          Mais pour Anton toute l'histoire de Sacha X est contenue dans le carnage de son corps. C'est une mise en scène qui raconte une histoire oubliée. La mémoire du corps est terrible. Elle n'oublie rien des sévices. Elle dévore la raison et la chair...

 

          "On pense  ne jamais oublier tout à fait un fait divers et pourtant le lendemain déjà, il a disparu des mémoires...Les questions disparaissent au moment où l'on referme les pages du journal."

 

          Anton n'a pas pu oublier ce qu'il a vu. Ni les vidéos des scènes ultimes visionnées ensuite. Il cherche un sens à toute cette tragique horreur.

          La grande force du livre ( qui se dévore en une soirée) est dans la réflexion qui habite les pages.

 

          "Dans un grain de sable voir un monde." ( William Blake )

 

          Et cette petite fille qui pleurait et, qui devenue femme a quitté le territoire d'Europe de l'Est  de son enfance " on ne vit pas sur un territoire, on subsiste entre deux eaux...lieu de nulle part qui offre un cadre parfait pour y concevoir un conte inversé noir, un terreau suffisamment boueux pour y planter une graine de souffrance" a-t-elle réussi à oublier ses affreuses terreurs ?...

 

frederic-jaccaudHécate.

 

 

Né en 1977, Frédéric Jaccaud est l'auteur de deux romans noirs, Monstre (une enfance) et La nuit. Avec Hécate, il continue d'explorer la cruauté tapie derrière les mots.

 

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 15:29

vampire 4

 

LE VAMPIRE

 

 

Il s’éveille quand tout du jour s’évapore

Comme un silence né des vapeurs de l’horizon

A contre-temps, à contre-jour, à contre aurore,

Aux mortels, il va livrer la litanie de ses oraisons.

 

Telle une lance dressée dans le pourpre du soleil

Sa devise est de mourir à chacun des jours

De cette mort assumée dont il s’éveille

Délirant de beauté, paré de tous ses atours.

 

Son manteau de sang est une œuvre d’art

Jusqu'à la note perçante de ses dents pointues,

Voluptueux amoureux de la gorge élue,

De ses pâleurs de nacre, de sa saveur rare.

 

Le cimetière est sa frontière

L’immortalité son espace

 

La croix de Dieu sur son cœur d’ébène s’est glacée,

Le capiteux pavot coule pourpre dans ses veines,

Une vie sous son étreinte vient de s’effacer

Le destin s’appelle hasard, lui l’appelle aubaine !

 

Ses yeux d’eau sombre

Ont vu des paysages

Sans limite d’amertume

 

Vieux loup maraudeur des hameaux du désespoir

Errant sous la lune, fanal de sa non-vie,

Sa faim est un labyrinthe où il suit son envie,

Il joue à ensorceler le vent, à souffler sur les mémoires

Les oiseaux compatissants sont en pleurs

Eblouis par cette beauté qui froisse l’ombre

Ses mains ont désappris depuis longtemps la chaleur,

De ses ongles il griffe le ruissellement sombre

 

De ces invisibles torrents d’énergie, feu de cette vie

Qui n’est plus que vitrine où choisir ses proies

Envers du désir, désert de l’endroit

Ô merveille de la phosphorescente jeunesse impie !

 

L’équateur est franchi

Brume et cinéraire pour parure

Remugle de pourriture et de terre

Pour parfum...

 

Il va s’emprisonner toutes les aubes

Derrière les grilles du cimetière

Et s’en va reposer sous la robe de pierre

Entre poussière et cendre sous le vent qui rôde.

 

Le vampire maquille son visage

Pour tromper la vermine...

 

 

                                                           Hécate.

 

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30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 16:24

VS Zsuzsa Rakovszky

 

 

 

  

 

VS

de

Zsuzsa Rakovszky

 

          1889, prison de Klagenfurt, Autriche-Hongrie. Un Hongrois, Sándor Vay, inculpé pour escroquerie, se retrouve dans une cellule pour femmes : une fois ses habits retirés, cet écrivain talentueux, grand séducteur et voyageur, s'avère être une femme... VS est basé sur la vie de la comtesse hongroise Sarolta Vay (1859-1918), qui vécut en homme, mena une carrière littéraire et consomma deux mariages avant que le scandale éclate.
       Nourri des journaux de prison de Vay, de son autobiographie, de ses poèmes et de ses lettres d'amour adressées depuis sa cellule à la femme de sa vie, ce roman retrace un parcours hors du commun dans le cadre haut en couleur de la monarchie austro-hongroise en déclin. V S se défendra, opposant l'identité à laquelle il se sent appartenir à celle que l'on voudrait lui imposer de force. Ce roman profond et marquant qui pose la question de la construction de l'être face à la "normalité", révèle l'une des plus importantes romancières hongroises, traduite ici pour la première fois en français.

 

          Une écriture intense et fiévreuse qui semble être celle-là même qui fût celle de Sándor Vay, un être hors du commun dès l'enfance, doté d'une nature aussi tourmentée que passionnée. Un roman qui est le roman d'une vie bouleversée et bouleversante.

 

          "Ma chère, mon unique !

        Je sais que je ne te reverrai plus-oui, je sais avec ma raison qu'il en est ainsi, mais mon cœur n'a jamais accepté cette vérité et ne l'acceptera jamais- et pourtant, quand viendra le moment où je devrai lâcher ce dernier fétu de paille auquel je m'agrippe de toutes mes forces, ballotté sur la mer du désespoir, je sais alors que mon cœur torturé s'arrêtera de battre dans ma poitrine, tel un mécanisme sans âme, si toute ma joie de vivre - Toi ! Toi ! m'est ôtée pour toujours ?

       ...Un jour, alors que nous nous connaissions depuis peu, tu m'avais dit que tu aimais tant le conte Les Cygnes sauvages quand tu étais petite. T'en souviens-tu? Cette nouvelle preuve de parenté d'esprit m'avait alors littéralement foudroyé, car moi aussi j'aimais ce conte autrefois - je m'étais si souvent vu à la place des pauvres princes ensorcelés, me demandant ce qu'ils avaient pu éprouver en se voyant pour la première fois sous la forme d'un oiseau, quand ils avaient vu pour la première fois dans le miroir du lac des yeux ronds d'oiseau et non des yeux humains, qu'ils avaient poussé un cri rauque de désespoir et que de leur gorge était sorti un cri rauque d'animal et non d'humain!..."

 

          Séparé de celle qu'il aime, Sándor Vay dans sa cellule a obtenu plume et papier et, dans l'attente de l'issue de son jugement il écrit lettres, poèmes et aussi le récit de sa vie à la demande du DR Birnbacher en vue d'une expertise pour le tribunal impérial et royal de Flagenfurt.

 

   Vay Sandor       "L'accusée va sur ses trente ans, elle est de petite taille (environ 1m.50). Les traits du visage sont fins, son regard est vif et méfiant, elle porte les cheveux coupés courts, lors de son arrestation elle était vêtue d'une chemise d'homme, d'un pantalon et d'un manteau. Ses mouvements sont rapides et sans grâce, dépourvus de la douceur caractéristique des gestes féminins.

- Je n'ai trompé ni induit en erreur personne! Surtout pas ma chère...Melle Engelhardt et sa famille! Depuis le premier instant, mes sentiments étaient les plus sincères qui fussent...et même maintenant, ils demeurent inchangés à son endroit, et je ne comprends pas pourquoi...

- Oui, sauf que vous êtes habillée en homme et vous efforcez d'apparaître en tant qu'homme en toutes circonstances. Pourquoi faites-vous cela si vous ne voulez induire personne en erreur?

- Pourquoi ? Parce que je suis un homme et que je veux l'être! Nul ne saurait me l'interdire! Je veux signifier à travers ma tenue qui je suis et pour qui j'entends qu'on me prenne!"

 

          Dans les souvenirs de son enfance qui sont remis au DR Birnbacher étonné de l'épaisse liasse, on apprend que pour éviter d'être incorporé l'âge venu, dans l'armée du gouvernement honni de Vienne, que ce fût sous le nom de Sarolta que portait la sœur  jumelle de S.Vay décédée prématurément, nom qui a été enregistré à l'état civil par le père de l'enfant.

 

          D'une intelligence et d'une imagination vive qu'enflammait la lecture de Jókai , Heine, Byron, Walter Scott, S.Vay aimait par-dessus tout la poésie.

          "Seule la poésie exprimait les sentiments ineffables et insaisissables qui troublaient mon cœur durant mon adolescence."

 

          Les déchirements commencèrent lors d'une confrontation avec la grand-mère de S.Vay qui ne comprit guère son refus de porter une jolie robe.

- Nous ferons de toi une jeune fille  très convenable.

- Il n'en est pas question! rétorquai-je avec passion. Donnez-moi à manger : vous m'avez promis de me donner à manger si je revêtais ce déguisement. Le reste ne m'intéresse pas.

- Pourquoi un déguisement ? Une jolie robe à la mode : toute autre fille serait heureuse de l'avoir ?

- Sauf que je ne suis pas une fille! déclarai-je d'une voix farouche.

Forcé par l'aïeule à se regarder dans un miroir, S.Vay dans un état de colère désespérée ouvrit les yeux.

 

          "Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais ce que je vis dépassa mes pires appréhensions. Une personne inconnue, pâle, menue, aux traits fins, plus laide que belle se tenait devant moi et me regardait, et je sentais que chacune de ses fibres m'était étrangère. D'ailleurs elle ne me ressemblait même pas, ou plutôt, elle ne me rappelait point l'être qui était moi dans mes rêves...Je levai le poing et l'abattis de toutes mes forces sur le miroir. La glace se fendit en toile d'araignée - durant un moment rien ne bougea  puis les tessons de verre tombèrent sans bruit sur l'épais tapis tandis que le sang jaillissait de ma main."

 

          Ce sera alors ce qui décida que S.Vay soit placée dans un pensionnat de jeunes filles.

 

          "...je savais désormais avec une certitude indéniable que ma grand-mère avait commis une faute monstrueuse à mon encontre en me forçant à revêtir des habits de fille et en m'enfermant dans un institut de jeunes filles : en effet, comment pouvais-je être une jeune fille, puisque je ressentais un désir aussi fort, aussi impérieux? Car je n'étais pas celle qui est désirée, j'étais celui qui désire! Celui qui se prépare à ravir l'objet de son désir et non celle qui est ravie - comment dès lors pouvais-je être une fille ?"

 

                    "J'erre parmi les arbres comme un revenant,

                    Cherchant la trace des chers instants révolus.

                    Derrière les rideaux, dans les appartements,

                    La vie continue sans moi, je suis superflu.

 

                    Le feu dans l'âtre répand  lumière et chaleur,

                    Se reflétant sur les visages assoupis.

                    Allons, vivez heureux, goûtez votre bonheur!

                    J'ai toujours été un étranger dans vos vies.

 

                    Le firmament rougeoie au-dessus du sommet,

                    Mais sur l'autre rive, le ciel est déjà noir.

                    Qui étais-je? Rien que l'être qui t'a aimée.

                    Et tout le reste n'était qu'un jeu de miroirs..."

 

Hécate.

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10 novembre 2013 7 10 /11 /novembre /2013 18:48

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LES POËTES

  

Ils sont là rassemblés, siècles confondus, vaguement irrités

Ceux qui trempèrent autrefois une plume infatigable

Dans l'encre embaumée d'une nuit délétère et inspirée

Hagards et défaits, somptueusement misérables.

 

L'église vertueuse accueille en son désert ces spectres.

En cette heure mauvaise où l'ombre pèse sur le jour

Baudelaire rêva d'être pape, ne fut que fils de prêtre,

Il dépose sur l'autel, l'infâme charogne de son poème d'amour.

 

Satan qui depuis ce temps prit pitié de sa longue misère

Ailes déchiquetées, offre la fiole réclamée, de ses doigts crochus

Au poète maniaque qui traque d'une main évanescente la poussière

Dandy parfaitement austère qui soigne avant tout sa tenue.

 

Derrière un pilier, aussi noir que les ténèbres et plus irréel

Nerval, veuf inconsolé contemple tristement son étoile morte,

Invoquant cet épanchement du songe dans la vie réelle

Avec Aurélia, Pandora, Sylvie, Artémis pour ultime escorte.

 

De longs souffles plaintifs se glissent, battant les cartes

Arcanes du tarot que l'ombre enveloppe comme une nuit d'octobre

Le château du Diable l'attend : Espagne, Bohème ou Karpathes

Qu'importe les chemins à ce voyageur devant qui le destin se dérobe.

 

Qui donc rôde par ici en compagnie de chers corbeaux délicieux

Ayant délaissé l'orgie parisienne, le front de blondeur illuminé

Et le pauvre Lélian tombé dans la fange des garnis peu glorieux

Il tire de l'enfer son regard de voyant au mystique condamné.

 

Fuyant l'hallucination des mots sur un bateau ivre remontant

Vers un ailleurs qui tourne le dos à sa jeunesse brûlée

Rimbaud s'est achevé sous l'exil des soleils ardents

Il erre hanté d'ombre, de lumière et de douleur à son corps arrachées.

 

Dehors la pluie déverse ses ruisseaux de larmes gargouillantes

Des soupirs s'exhalent, une touche de piano tinte assourdie

Les nerfs aux lèvres, le ténébreux Lautréamont et sa voix déclamante

A la nuit profane ressuscite son hermaphrodite assoupi.

 

L'église est comme une tombe, cimetière d'où il s'éveille

Couché trop tôt en sa jeunesse fauchée, lui qui rêvait de naître

Un peu chacal, un peu vautour, scande avec ses chants vermeils,

L'histoire de Maldoror appelant les anges dans son sommeil.

 

Ce bouillonnement de sang se fige sur Edgar Poe et son entrée

Le bruit des cercueils dont les couvercles claquent ou s'ouvrent

Accompagne son exquise beauté de pâle malade, singulière étrangeté

Chantre de la femme lumineuse promise aux affres du gouffre.

 

La blancheur d'une dentition entrevue le renvoie aux pâleurs des linceuls

Lui que la mort poursuit et confond dans l'étreinte malheureuse

Renouvelle la volupté dans cette horreur où il est seul

Avide d'une lueur dans le regard éteint de ses amoureuses.

 

Hécate

 

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