LITANIE D’UNE FOLLE
C’est l’histoire d’une pauvre fille qui est devenue folle et qui attachée sur son lit parle avec des ombres, mais surtout à une amie qu’elle a beaucoup aimée, tandis qu’une autre amie, Marie, veille sur elle.
Marie, pourquoi tout ce gris
Au creux de mon âme qui s’ennuie ?
Marie, qu’as-tu fait du bleu
De mes grands jours merveilleux ?
Je ne vois plus autour de moi que flétrissures.
Oh ! Marie ! vois-tu dans mon cœur cette béante blessure,
Marie !… pourquoi cette interminable pluie
Et dans le jardin toutes ces fleurs pourries ?
Pourquoi tout ce noir, tout ce noir
Où se noie mon incertain désespoir ?
Marie, pourquoi fermes tu les volets ?
J’aime tant sur mon lit, du soleil la clarté !
Donne-moi un morceau de beau ciel
Donne-moi un rayon couleur de miel
Marie, donne-moi… oh ! Marie…
Que fais-tu ? Je ne suis pas folle Marie !
Je veux partir à la recherche du bleu,
Tu sais, ce bleu couleur de ses tendres yeux.
Tu ris, Marie et moi je pleure…
Ne ris pas de mon incompréhensible douleur…
Ecoute, Marie. Ecoute… N’entends-tu pas une chanson ?
Oh ! écoute… Non, c’est toi qui es folle, j’ai toute ma raison !
Ecoute donc ! C’est sa voix… sa voix, oh ! Marie !…
Tu vois, elle me sourit… Marie ! elle me tend les bras !
Laisse-moi Marie, laisse-moi ! Ne la renvoie pas !
Marie, qu’as-tu fait ? Je ne la vois plus…
Pourquoi as-tu refermé la porte de la rue ?
Pourquoi as-tu tiré tous les rideaux, Marie ?
Il fait noir ! Donne-moi du bleu et renvoie tout ce gris !
Mais ne t’en va pas ! ne t’en va pas ! reste là !
Tu me dis que tu es toujours là…
Mais je ne te vois plus Marie ! J’ai peur !
Marie, je sens que se brise mon cœur !
Marie tout est noir, tout est sombre !
Marie ! ouvre les rideaux, renvoie ces ombres !
N’entends-tu pas mes sanglots qui t’implorent…
Laisse-moi partir laisse-moi la revoir encore.
Pourquoi as-tu attaché mes mains, Marie !
Je ne pourrais plus caresser ses cheveux chéris.
Mes mains ! elle aimait mes mains… Marie !
Enlève-moi cette corde, elle me fait mal. Oh ! Je t’en supplie.
Marie, aie pitié de moi ! Dis Marie, tu te souviens
Nous nous promenions avec ton petit chien,
Elle riait !… Oh ! Marie elle riait si bien…
Marie, tu n’as rien oublié, tu te souviens ?
Mais parle ! Dis-moi quelque chose ! Marie ! Marie !
Regarde ce sang sur mes mains : enlève cette corde rougie
Je serai sage Marie, je te le promets, je t’en prie…
Je n’en puis plus ; j’étouffe avec tout ce gris
Oh ! le bleu de ces yeux, c’était ma Vie !…
Elle me prenait dans ses bras, Marie
Et là, j’étais bien… Oh ! elle me sourit…
Elle revient ! Je suis si bien Marie !…
Oh ! ma tête, Marie, elle me fait si mal soudain
Je ne vois plus…Je ne vois plus rien…
Tout s’endort… il me semble sombrer dans un gouffre.
Je ne me souviens plus… Oh ! Marie, je souffre !…
Je souffre… oui, et sans savoir pourquoi…
J’ai besoin Marie, de fouler l’herbe des prés. Et toi ?
Je voudrais respirer l’air pur ! Oh ! l’air pur…
Et me noyer dans le bleu du ciel, le bleu si pur…
Marie, laisse-moi partir… Marie, partir…
Il n’y a plus qu’une porte à ouvrir !
Mais mes mains sont liées !
Marie, je t’en prie aie pitié !…
Oui je sais !… cela t’est bien égal
Que je souffre d’une douleur infernale…
Tous les humains sont ainsi…
Tous de la souffrance des autres ils rient !
Et c’est pour cela que je ne t’en veux pas, Marie…
Mais enlève-moi tout ce gris…
Je sais Marie que j’étais folle ! Mais c’est fini !
J’ai retrouvé ma raison et je sais qu’un jour
Je la retrouverai là-bas pour toujours.
N’entends-tu pas la douce musique ?
Oh ! mon Dieu, il me semble respirer ces sons angéliques.
Oui, je la retrouverai dans le paradis !
Oh ! tu peux rire ! je sais que je la retrouverai Marie !…
Je suis heureuse, si heureuse… je la vois !
Ne dis rien, elle repartirait sans moi.
Car, Marie, je vais partir, partir
Et il n’y aura pas de porte à ouvrir.
Pas de mains à délier.
Mon corps que tu retiens prisonnier.
Je t’en fait cadeau,
Car là-haut il y a bien plus beau…
Je sens mon âme qui danse
Et c’est le bonheur qui donne la cadence.
Oh ! toutes ces âmes Marie !
Si tu savais combien elles sont jolies !
Elles ont des reflets bleus comme le ciel radieux
Des reflets bleus comme ses doux yeux.
Comme c’est étrange, je te vois dédoublée…
Chut !… ne dis rien, je vais tout te raconter :
Tu es debout derrière d’énormes grilles
Et tu pleures ta liberté avec d’autres filles.
Voilà qui est bien ! tu seras punie
De m’avoir tenue toujours attachée sur mon lit !
Tiens, il fait sombre, quelle heure est-il, est-ce la nuit ?
Tu me dis qu’il est midi !
Pourtant on se croirait au soir, tout est si noir.
Je ne te vois plus, mais je sens ta main, c’est bizarre…
Je ne sais plus ce que je t’ai dit…
T’en souviens-tu, toi, Marie ?
Je vois des choses, oh ! tant de choses !
Dans la chambre se promènent des guirlandes roses.
Tu dis que je rêve ! oh ! Marie, c’est toi qui dors !
Cela me fait de la peine pour toi encore
Car tu perds à nouveau la tête
Et tu ne pourras pas aller à la fête.
Tiens ! voilà le médecin en blouse blanche
C’est pour toi qu’il vient, c’est étrange.
- Oui docteur, je lui ai attaché les mains
Car elle veut sortir tous les matins.
Elle dit qu’elle veut du bleu.
Elle soupire que tout ce gris l’ennuie
Ah ! quelle misère ma pauvre Marie !..
De plus en plus elle déraisonne.
Oui, c’est midi qui sonne.
Dites-moi Docteur est-ce vraiment de la folie ?
Oui, je soignerai ma chère Marie.
Mais que faites-vous ! Ce n’est pas pour moi la camisole !
Non, Docteur, je ne suis pas folle !
Dis-lui que je ne suis pas folle Marie !
Dis-lui que je ne veux pas de l’hôpital Marie !
Marie !… Je ne suis pas folle, je ne suis pas folle !
Marie, pourquoi tous ces bruits ?
Pourquoi tous ces cris ?
Marie, pourquoi tout ce gris
Au creux de mon âme à l’agonie ?
Marie, qu’as-tu fait du bleu
Du bleu de mon rêve merveilleux…
Hécate.