Ederlezi
de
Velibor Čolić
Comédie pessimiste
Ederlezi retrace l'histoire, à travers le XXe siècle, d'un fameux orchestre tzigane composé de musiciens virtuoses, buveurs, conteurs invétérés, séducteurs et bagarreurs incorrigibles. Ils colportent leurs blagues paillardes, leurs aphorismes douteux et leurs chansons lacrymogènes de village en village. L'orchestre sombrera dans les grands remous de l'histoire : englouti en 1943 dans un des camps d'extermination où périrent des milliers d'autres Tziganes, il renaîtra pour être de nouveau broyé par la guerre d'ex-Yougoslavie en 1993. Chaque fois, le meneur de l'orchestre, Azlan, semble se réincarner. On le retrouve finalement dans la «Jungle» de Calais en 2009, parmi les sans-papiers et les traîne-misère qui cherchent un destin aux franges de la modernité.
Le roman de Velibor Čolić restitue merveilleusement la folie de la musique tzigane, nourrie de mélopées yiddish, de sevdah bosniaque, de fanfares serbes ou autrichiennes, une musique et une écriture pleines d'insolence, au charme sinueux et imprévisible. Les réincarnations successives d'Azlan font vivre avec bonheur la figure du Rom errant éternellement, porté par un vent de musique et d'alcool, chargé des douleurs et des joies d'un peuple comparable à nul autre.
Avant d'aborder la rentrée littéraire, je voulais écrire cette petite chronique sur un livre dont le thème est cher à mon cœur, où la satire est émouvante, où tragédie et sourire se mêlent avec les larmes, parce que la musique tzigane touche mon âme et que j'écoute souvent ce chant Ederlezi. J'ai vu presque tous les films de Tony Gatlif, et celui d'Aleksandar Petrović tourné en six mois "J'ai même rencontré des tziganes heureux " et présenté à Cannes en 1966. ( Il est cité dans ce livre ! ...)
"Ederlezi : fête de la Saint-Georges ( le 6 mai) , où le peuple tzigane célèbre l'arrivée du printemps. Le nom Ederlezi vient du turc Hidirellez, célébration du début du printemps qui avaient lieu environ quarante jours après l'équinoxe. Les Slaves des Balkans y ont ajouté une dimension chrétienne avec la fête de la Saint-Georges."
D'abord l'épigraphe : " Ne succombez jamais au désespoir, il ne tient pas ses promesses." ( Stanislaw Jerzy Lec )
Et puis, le préambule :
"...je m'appelle Azlan Baïramovitch et je suis mort ce matin. Hier encore j'étais un homme, un Rom et un parrain, mari, oncle et frère - maintenant je suis juste un corps, long et froid, avec quelques taches gris cendre sur mon visage. Hier encore j'étais chanteur, arnaqueur, ange noir, maître du couteau et bourlingueur, aujourd'hui je me trouve sur une table en métal, déposé quelque part dans un hôpital à Calais.
...La mort m'a entièrement transformé en un beau costume à l'ancienne, mon bel habit aux rayures fines et bleues, ma chemise rouge à jabot...la mort cette dame brune, ne sait pas encore qui je suis, qui j'étais avant dans la vraie vie. Mais bon, maintenant, plus rien n'a aucune d'importance...
Et nous sur scène , brillants, jeunes et forts...Et nous, les ivrognes et les métèques, nous jouons la musique à la tzigane...Les plus belles mélodies, drôles et tristes à la fois...Où est parti, sur quelle route erre mon peuple? Qui a effacé mon pays ? Où ont disparu toutes mes berceuses et mes rêves? Rien, plus rien...
...toute ma vie j'ai voyagé. L'Europe de l'est et à l'ouest, New Delhi et Paris, Berlin coupé en deux et les moroses fêtes des petites villes de province. J'ai prescrit l'ordonnance pour soigner l'âme et j'ai inventé le son du silence à l'heure du Diable.
...Tant de fois j'étais un valet ivre, voleur de poule et mangeur de feu que j'oubliais que j'étais un homme. Tant de fois on m'a craché à la figure que je n'avais plus besoin d'aller me baigner dans le Gange. J'étais l'autre pour tout le monde y compris pour mon peuple. J'étais trop blond pour un tzigane et trop basané pour être un gadjo...
...je ne peux plus, je m'arrête là. Aucune âme, mes amis , ne peut résister à tant de tristesse. Nul homme ne peut survivre à tant de haine, tant de froid et de supplices. Aucun ne vous ne sait rien sur la froideur d'un casque allemand sous la demi-lune en Croatie, le museau d'un loup en Bulgarie ou d'un couteau qui déchire la peau...
Longtemps j'ai cherché l'accord idéal et la mélodie, la chanson vraie et les spirales du temps. Jusqu'à mon dernier souffle j'ai cherché la note parfaite, j'ai rêvé chaque ton et chaque intervalle, tout en sachant que la plus belle musique est toujours épurée et simple. De mon vivant, j'étais de partout et de nulle part, j'étais tout le monde mais aussi personne.
Compteur et conteur, poète et chanteur. J'étais celui qui porte le violon sur son épaule ; celui qui rendait vos rêves possibles. J'étais voyageur, fou du roi, paysan sans terre et apôtre, témoin et traître. J'ai fait mille fois l'amour et jamais la guerre.
Une chose est sûre :mon nom est Azlan Tchorelo, Azlan Bahtalo et Azlan Chavoro Baïramovitch et je suis mort ce matin.
Voici mon histoire."
Velibor Čolić est né en 1964 en Bosnie. réfugié en France en 1992, il vit aujourd'hui en Bretagne.