Une ronde de nuit.
De
Raymond Penblanc
Placé sous le signe de Nerval, c'est une évidence, comme le dit la quatrième de couverture et aussi l'épigraphe qui ouvre le roman.
«Une ronde de nuit m'entourait; - j'avais alors l'idée que j'étais devenu très grand, - et que, tout inondé de forces électriques, j'allais renverser tout ce qui m'approchait.»
Gérard de Nerval, Aurélia
Le narrateur contrarié par une panne de voiture se trouve condamné à errer dans une ville où il avait autrefois effectué ses études une vingtaine d'années auparavant.
«Je me suis perdu. Que voulez-vous, la ville, à commencer par les quartiers suburbains, avait changé, s'était complètement métamorphosée, avait été rendue méconnaissable…
...les ruelles du centre, certaines plus étroites que d'autres, constituaient un écheveau où l'étranger que je redevenais risquait de se perdre à nouveau, mais je suis passé au travers là aussi, me surprenant moi-même à mesure que la mémoire me revenait...»
La configuration d'un passé enfui resurgit, comme si les pages d'un livre s'ouvraient...
Le présent se mêlant au souvenir.
Sur une placette faiblement éclairée, un bassin en forme de vieux puits va provoquer ce que Nerval définissait comme étant «l'épanchement du songe dans la vie réelle.»
Les souvenirs affluent, ceux de sa jeunesse, de ses camarades d'alors:
«Nous avions entre dix-sept et dix-huit ans Berg et moi, et nous aimions déambuler le long des rues jusque tard dans la nuit, en nous racontant des histoires et en déclamant des poèmes.»
Il y a la rencontre cette nuit là avec Simon étudiant aux Beaux-Arts qui pourrait être son double, quelques paroles échangées, d'autres peut-être inventées...
Roman d'errance, âpre, nostalgique, l'ami Berg le poète disparu, ivre, en état d'ivresse permanent, malade et en bonne santé, ivre de poésie.
«Il allait avoir vingt ans. Le bel âge. Que faire après sinon trahir? Il ne veut pas emprunter le chemin le plus étroit et escarpé de la vie... Alors il fait ce qu'il faut... il est seul, il marche le long des quais, dans deux secondes, le temps de compter jusqu'à trois, il aura disparu. Il fait noir depuis un moment déjà, il n'est pas loin de minuit, on entend sonner le premier des douze coups.»
Un soir il y avait eu cette dispute à propos de ses tentatives d'être poète, un autre Baudelaire, un coup de poing dans la figure.
«Nous ne nous sommes plus adressé la parole du reste de l'année, si bien que sa mort a produit l'effet d'une déflagration, dont j'ai commencé par le rendre entièrement responsable...il faisait chier la terre entière avec son caprice, et je l'avais vomi pour cela, avant de me mettre à vomir réellement et de faire rendre gorge à mon orgueil, sans verser la moindre larme.»
«Pourquoi ne pas voir en Simon une réincarnation de Berg, tout comme il pourrait en être une de moi au même âge, et comment dès lors, ne pas croire en une libre circulation des corps et des âmes?»
En une nuit un cortège défile, l'enfance , les échanges de sang , les bagarres, les amours, l'art picturale, l'orgue, l'illumination de la cathédrale, et toutes ses couleurs comme une alchimie Nervalienne, comme une scène de théâtre, on sait combien Nerval aimait aller à l'opéra... «Le rêve est une seconde vie .»
Ce roman singulier écarte toutes les limites alliant l'intemporel au réel, le souvenir à l'imaginaire.
Couverture: Peinture de Hugues Breton, En traversant la nuit.
Hécate