L'Eau-forte
de
Robert Alexis.
« Quand l'amour et la haine du monde se rencontrent, ça donne une eau-forte, de l'acide qui mord le cuivre protégé par un vernis, ou des mots qui s'en prennent au vernis des apparences.»
« Si l'on ne sait plus trop quoi penser de Robert Alexis et de ses univers, c'est sans doute parce que le monde lui-même est impensable.»
Pierre Roccanges n'a que quatorze ans quand son père disparaît dans la nature ne laissant qu'une enveloppe contenant une feuille blanche…
Pierre ne retourna pas à l'école;quel intérêt trouver aux camarades de son âge, des gamins avec des joies et des soucis de gamins ?
Il possédait un territoire dont la majesté, la grandeur s'ajoutaient au flot de sentiments que son cœur, sans y parvenir, tâchait de canaliser. Il était seul, double orphelin, à la tête d'un royaume dont il ignorait à peu près tout; il était malheureux, plein de rage et de pleurs à la nuit tombée, mais fier comme l'héritier précoce d'un domaine.
Roman âpre et sauvage où la nature est une présence obsédante aussi belle qu' inquiétante, profonde et mystérieuse.
Roman d'apprentissage, odyssée à travers le temps, les légendes , les superstitions où rôde encore la bestia, celle du Gévaudan.
Qu'en était-il exactement des cinquante hectares du domaine de Pierre ? Des friches et des donjons érigés sous le ciel clair des nuits de l'été, ce royaume sans clôture où il va rencontrer une fillette errante accompagnée d'un animal, une sorte de loup sans en être un, un chien croisé, mâtiné de ce genre de monstre que les forêts recèlent et qui ressortent de temps à autre, au détour de l'histoire, comme ce fut le cas, trois siècles auparavant, quand la Bestia s'en était prise au Gévaudan.
« -il s'appelle Baal ! un seigneur qui a daigné me suivre ici par amitié pour moi, dit Charlaine non sans fierté.»
Le père de Pierre travaillait l'osier, les champs, connaissait les plantes, était rebouteur à ses heures, composait des fromages, des vins, des liqueurs, s'occupait toujours de tout, il avait laissé un cahier. Le mémento était pour Pierre le principal support, hormis des rares échanges avec son père...
« Tu es Pierre, ta mère et moi ne t'avons pas donné ce prénom au hasard. Les pierres sont les relais entre les esprits et les vivants. Les pierres sont magiques. Tu apprendras plus tard ce que tu partages avec elles.»
Il y avait donc plusieurs vies à vivre, celle qu'on imaginait, et celles qui étaient immédiatement offertes.
Les cauchemars, de même que les rêves, résident au-delà de ce qui advient, ils sont le rappel d'une vie autre, aussi fortes que le réel, mais privés du semblant de certitude que l'on accole à ce qui appartient au domaine des sens.
Pierre va tout faire pour reprendre le château des Roccanges dont il ne reste presque plus rien, des travaux avec pour seul repère une gravure de 1770...
Le château ne semblait avoir été construit que pour cela, cette forge d'idées sous le ciel tiède des nuits d'été, cette moisson de mots qu'on aurait , le lendemain, à ramasser en phrases courtes, en intuitions féroces, un combat qui durait de père en fils, que la mort interrompait, qu'un enfant refaisait renaître avec la même violence.
Il y a une fascination lente qui emporte dans ce roman dont je ne veux pas dire plus, Robert Alexis encore une fois encore écrit comme un envoûteur, un sorcier !
(Hécate)
PhB éditions , février 2020
Tableau en couverture , Jean-Marc Rochette, Les Crêtes, 2010