La femme dans le miroir
de
Thanh-Van Tran-Nhut
Il y a des jours où l’incertitude et la mollesse du cerveau se liguent à vous attirer vers le premier livre qui titille un de vos vices…
Après avoir ouvert et refermé quantités d’ouvrages sans conviction, un mot accroche, fait appel à une vague réminiscence. Le nom d’un poète, en l’occurrence, Hâfez, quelques phrases teintées d’onirisme et le tout niché sous la première de couverture représentant une vanité, et un titre qui réfléchit…
Autant d’atouts que de pièges !...
Aussi ne faut-il pas compter sur moi pour vous dire si ce roman est bon ou s’il ne l’est pas. Je n’ai cédé qu’a l’attrait de l’intrigue et des ingrédients.
Une première remarque, le chagrin du héros ne communique pas chez le lecteur un état d’âme démoralisant. Inconsolable ? C’est écrit, de là à ce que ce soit contagieux !...
Tout veuvage n’est pas deuil éternel, soit !... Cela dérive tout naturellement vers le réjouissant Mémento Mori !
Il y a des histoires d’amour qui commence bien et qui finissent mal, et inversement…
Ce roman m’est tombé comme une fatalité : une vanité, après « Le dernier crâne de M. de Sade » c’était écrit quasiment, dans ma trajectoire louvoyante entre les rayons des présentoirs.
Dénigrer un livre n’est pas mon but ici. Le dilemme est terrible….
Il y a des romans qui envoûtent et que tous les critiques assassinent à coup de plume venimeuse. A moins qu’ils ne les encensent excessivement…
Le héros un veuf, prénommé Adrien se trouve embarqué dans une étrange aventure. Attiré par un tableau contemporain où il croit reconnaître le visage reflété dans le miroir d’une vanité datant de plusieurs siècles.
« Certes, il ne présentait pas cette atmosphère inquiétante et ambiguë des deux vanités du Hollandais, dans lesquelles chaque objet revêtait un rôle symbolique qui rappelait l’imminence de la mort et la vanité de la vie. Les couleurs sombres avaient fait place à une palette hardie qui jouait volontiers sur les contrastes pour faire ressortir les volumes.
…Ici le pinceau était énergique, donnant d’avantage l’impression de vitalité, malgré la pose alanguie du modèle.
Pourtant c’était la même femme ! Le sourire énigmatique sur la toile hollandaise s’était transformé en une expression mi-moqueuse, mi-triomphante, moins visible sur ses lèvres que dans les profondeurs de ses yeux »
Thanh-Van Tran-Nhut affirme avoir voulu aborder un thème fantastique où s’imbriquent le passé et le présent en un récit d’obsession et de manipulations. Si le lecteur s’amusait à faire les mêmes requêtes sur Internet, il trouverait les mêmes réponses. Les liens que le narrateur consulte existent bel et bien dit-elle dans une interview.
Au cours de ma lecture, mon cœur fut saisi d’angoisse, car ma conscience me murmurait :
- « Tu t’égare Hécate…là, tu es le jouet d’un coup de lune désorientée. »
Oui désorientée je l’étais. Hâfez ? Car oui Hâfez est là, partout, entre les lignes, les mots, poète fantomatique et perçant les pages, par le miel, le ciel, les dômes de lapis-lazuli, l’orient de ses roses, mais pourquoi, pourquoi donc cet échanson du vers n’est-il point enfin convoqué ?
Ah ! Le talent de Hâfez avait survécu à sa mort (l’auteur insiste) alors n’y allait-il pas avoir au détour d’un chapitre, quelques bribes de sa Poésie, cette bible Persane ?
Goethe en fut inspiré pour son « Divan », et aussi le peintre iranien contemporain Mahmoud Farschian, (l’auteur insiste vraiment…)
L’espoir persiste, car le roman fourmille de citations et d’énumérations des plus hétéroclites : cinabre, poudre d’or, sang de dragon.
« - Mais où trouve-t-on encore du sang de dragon de nos jours ? murmure Adrien dans son sommeil. Sur le sable de mes songes des fossiles et des coquillages. Cadavres de murex, nautile, porcelaines, cornes d’Ammon avaient fait naufrage près d’un hippocampe mis à nu. »
Il ne manque presque rien, il y a même l’apparition d’un thanatopracteur et des comparaisons d’embaumement selon les Egyptiens et les Chinois.
Memento Mori . Rappelle-toi que tu vas mourir.
« J’ai commencé à sortir mes travaux en attente, ce qui me permettait de reprendre pied dans le monde réel. Ainsi devant mon ordinateur ; j’ai fait le tri entre messages personnels et des mails commerciaux, courriers verbaux ou salaces qui promettaient des miracles en tout genre avant d’aller garnir le fond de ma poubelle électroniques. J’ai repris des lectures interrompue, réveillant les monstres momentanément endormis d’un conte fantastique, enterrant enfin le corps raide depuis des mois d’un roman policier. »
Nous sommes à Paris, au XXI° siècle, l’ère de l’investigation des pigments, de l’infrarouge qui permet la visualisation fouillée d’une œuvre.
- « Voila ce qui m’étonne : cette silhouette se trouvant sous la femme vue de dos. Elle représente non les contours d’une femme, mais son squelette.
Je me penchais en avant, les yeux écarquillés… On voyait bien que le dessin sous-jacent figurait l’ossature humaine, avec les omoplates, les cervicales, alors que la peinture finale montrait le dos droit et ferme d’une toute jeune femme. Chose étrange, l’annulaire de la main qui tenait le miroir semblait inachevé, trop court… Je jetai un coup d’œil sur la toile adossé au mur : le visage se reflétait dans un cadre d’argent vieilli…
Sous des dehors ordinaires, ces vanités recelaient des secrets que personne n’avait détectés. »
Un peintre peut-il s’être affranchi de ces poussières virevoltantes qui mélangées aux choses du monde et les propulser vers un autre palier de réalité où tout deviendrait possible ? Tel est le thème qui hante ce roman.
Vanitas vanitum et omnia vanitas !
Hécate.