Encre d'Hécate.
« Pour échapper à l'oppression morne et terne de l'humidité et du froid, j'avais demandé une flambée de bois dans ma chambre.
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Féerie presque irréelle, évocation d'un monde d'où toutes les espèces terrestres sont absentes, inhabitable au végétal comme à l'animal et à l'homme, propice seulement à des créatures mythiques, les dragons et les salamandres. Les bûches s'effondraient en craquant, des bouquets d'étincelles jaillissaient, et de longues flammes dansaient avec une langueur sauvage, tantôt frénétiques de brutalité, tantôt lourdes de mièvres séductions. Elles ne semblaient guidées que par l'esprit fantasque et fastueux du jeu, enchaînées à la misérable agonie des morceaux de bois, et nerveuses comme des captives s'agitant avec toute la grâce d'une lutte inutile entre les mains calcinées de leur bourreau.
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La nuit était venue. Il n’y avait pas d’autre lumière dans la chambre que celle du foyer. J'entendais la pluie battre en lourdes rafales contre les vitres, comme si le monde ennemi du feu, celui de la lourdeur, de l'humidité, de la vulgarité molle et sans accent eût menacé et tenté d'étouffer la fragile magnificence du petit brasier. Comparé à ce qui l'entourait, ce feu hostile et inhumain me semblait alors doué de toutes les grâces de l'esprit. Je l'aimais pour sa beauté si brève, pour sa force réduite à l'essence même des choses, pour sa puissance à détruire, comme si une faim mystique l'animait, et un besoin d'absolue pureté le condamnait à effacer, de la terre, tout ce qui ne peut se résoudre en lumière, en énergie.
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A quoi bon écrire, d'ailleurs, quand il existe d'autres remèdes, plus efficaces, au malaise de vivre? Moi, j'ai tellement écrit que je n'ai plus eu le temps de faire autre chose, et j'ai tout transformé, passions, événements de flammes et de sang, désirs, remords, en une espèce d'herbier où tout se desséchait entre deux feuilles de papier. »
« LA FOLIE CÉLADON »
MARCEL BRION (21 novembre 1895 / 23 octobre 1984.)
EDITIONS ALBIN MICHEL