Dylan Thomas
(1914 - 1953)
"Dylan Thomas était un clown merveilleux et un merveilleux poète."
(Lawrence Durrel)
Moi, le premier né
je suis le fantôme de cet
ami anonyme, sans prénom
qui écrit les mots que j'écris
dans une chambre tranquille,
dans une maison imbibée d'envoûtements.
Je suis le fantôme de cette maison
remplie des langues et des yeux
d'un fantôme sans tête
que je crains pour toujours
jusqu'à la fin anonyme.
"J'ai voulu écrire de la poésie parce que j'étais tombé amoureux des mots. Les premiers poèmes que j'ai connus, avant de savoir lire, étaient des comptines, j'ai aimé leurs mots, leurs mots seuls. Ce que les mots représentaient, voulaient dire ou symbolisaient, n'avait qu'une importance secondaire. Ce qui importait c'était leur son, tel que je l'entendais la première fois sur les lèvres de lointains adultes incompréhensibles...C'était le temps de l'innocence, les mots me sautaient à la figure...Les mots jaillissaient à la source, humides de la rosée de l'Eden, en giclant dans l'air...J'aimais la forme et l'ombre et la taille des mots qui fredonnaient, pianotaient, dansaient la gigue, galopaient."
On dit que l'œuvre de Dylan Thomas est l'une des aventures les plus singulières de la poésie anglaise, l'une des plus fertiles interrogations de l'aventure singulière d'exister.
Né le 27 octobre 1914, il remplace le premier enfant mort et son père le prénomme Dylan comme le Prince des Ténèbres du Mabinogion. C'est un enfant précoce fasciné par les mots et les images poétiques. C'est toute l'ivresse de son monde intérieur que cet Orphée gallois ne cessera de nous offrir !
"Le monde que Dylan Thomas reconstruit pour nous, c'est celui que nous avons déserté peu après notre entrée dans l'humaine condition...Il nous parle de ce vertige fondamental que nous portons tous au fond de nous : c'est le manque de l'Autre qui nous constitue." (Alain Suied)
Qui
Es-tu, toi
Qui nais dans
La chambre à côté
Si fort près de la mienne
Que je peux entendre la matrice
S'ouvrir et l'obscur soudain courir
Au-dessus du fantôme et de l'enfant délivré
Derrière le mur aussi fin qu'un os de roitelet ?...
Il n'a pas encore seize ans et il écrit des poèmes qu'il récite en se promenant quand vient le crépuscule :
Mon âme est façonnée
sur des modes intra-charnels :
secrètes et passionnées
jaillissent mes pensées
du puits de furtives luxure
ivres des ruines de l'Enfer.
"Si je regardais dans une vitrine l'image reflétée de la rue, je voyais un gamin coiffé d'une casquette écarlate avec de grosses galoches aux pieds déambuler au milieu de la chaussée et je me demandais qui c'était."
Lorsque, répandues au fond de la tombe,
mes cendres seront
poussière et muette provocation
d'étoile menaçante...
"Je déclamais. Un jeune couple, bras dessus bras dessous apparut soudain entre les maisons , sortant d'une ruelle en arrière de la rue. Je cessai de déclamer et fredonnai un air en les croisant. Ils devaient ricaner stupidement tous deux, serrés l'un contre l'autre, abjects. Va donc, cheveux à l'artiste, loufoque, lope ! Je poussai un vigoureux coup de sifflet, cognai du pied dans une porte...
Et voici Warmley, la maison de Dan où j'entends un grand tapage de musique. il était compositeur et aussi poète ; à l'âge de douze ans il avait écrit sept romans historiques et il jouait du piano et du violon...Il me montre ses livres et ses sept romans. Dans ces derniers il n'étaient question que de batailles, de sièges et de rois." Des œuvres de jeunesse, sans plus " précise-t-il. Il me permit de sortir son violon et de le faire miauler...
Je lui lu tout un cahier de poèmes. Il écoutait d'un air grave, comme un gamin centenaire, la tête inclinée de côté et ses lunettes tremblotaient sur son nez tuméfié." Celui-ci s'appelle Perversion, annonçai-je..." ("Jeux de mains " extrait de Portrait de l'artiste en jeune chien.)
"Toutes les biographies sont absurdes. Avec la mienne on pourrait faire rire un chat."
Il a dix sept ans, il a quitté l'école et fait du journalisme, il correspond avec une jeune poétesse londonienne et se décrit ainsi :
" Taille : un mètre soixante-quinze. ( environ ).
Poids : quarante-cinq kilos.( environ ).
Cheveux : d'un brun de rat.
Yeux : grands, bruns et vert ( comme si l'un était brun et l'autre vert, les couleurs sont mêlées).
Signes particuliers : trois grains de beauté sur la joue droite, une cicatrice au bras, une autre à la cheville qu'on ne voit pas car je porte généralement des chaussettes.
Sexe : masculin, je pense.
Voix : de baryton, il me semble, mais elle monte parfois jusqu'au ténor et descend parfois vers la basse. Sauf dans les moments d'hilarité, je crois que je parle sans accent."
Son ami, le poète Vernon Watkins dit qu'il est beau comme un ange avec un visage de chérubin ; Pamela Johnson dit : "Il était petit et très frêle. Sous son imperméable aux larges poches, dont l'une contenait une flasque de brandy et l'autre une masse informe de poèmes et d'histoires, il portait un col roulé gris et un pantalon qui paraissait trop grand pour lui. Il avait le corps d'un enfant de quatorze ans, une tête remarquablement grosse, mais couverte d'une toison d'or mat dont les mèches et les boucles se séparaient à partir d'une raie médiane."
Insouciant sous les pommiers en fleurs
Jadis, Je fus un enfant
Auprès de la maison joyeuse
Heureux car l'herbe était verte
Et la nuit recouvrait le vallon étoilé...
Ô temps, laisse-moi regrimper pour saluer toutes choses
Et recouvrer, glorieux, l'âge d'or de mon regard
Quand les charriots étaient carrosses
Et les pommeraies ville dont j'étais prince
Et que jadis, avant le commencement du temps,
Je gouvernais les arbres et les feuilles
Et suivais, dans les rivières de la clarté,
Le sillage des épis et des marguerites."
"J'étais un noctambule solitaire et un habitué des coins de rue. J'aimais errer après minuit dans la ville, sous la pluie, quand les rues étaient désertes et les lumières éteintes aux fenêtres, seul être vivant sur les rails luisants du tram dans la Grande-Rue morte et vide sous la lune, une tristesse gigantesque dans l'âme, longeant les chaussées humides près de la spectrale chapelle d' Eben - Ezer. Et jamais je ne me sentais plus profondément intégré dans ce monde lointain et écrasant ou débordant d'amour, d'arrogance, de pitié et d'humilité, non seulement pour moi, mais pour les créatures de cette terre où mes tourments étaient sans fin et pour les astres impassibles des sphères célestes, Mars, Vénus, Brazell, Skully, les habitants de Chine, saint Thomas, les femmes hautaines et les femmes faciles, les soldats, les marlous, les agents de police, les rats soupçonneux des librairies d'occasion, les putains en guenilles qui vous donnaient la secousse contre le mur du musée pour une tasse de thé et les femmes distinguées et inabordables dont la silhouette se découpait sur sept pieds de haut dans les journaux de mode et qui défilaient lentement dans leurs fourreaux glacés parmi le verre, l'acier et le velours..." (extrait de Portrait de l'artiste en jeune chien)
En novembre 1936, il écrit à Caitlin MacNamara qui sera la femme de sa vie :
"Je ne veux pas te voir un seul jour (même si je vendrais mes doigts de pieds pour te voir dès maintenant, mon amour, pour une seule minute et une seule petite grimace : un jour- c'est la durée de vie d'un moustique : je te veux pour la durée d'une vie d'un grand animal fou, un éléphant par exemple...) Je t'aime tant qu'il ne me sera jamais possible de te l'exprimer entièrement ; je suis effrayé d'avoir à te le révéler...Les refrains des chansons sont toujours exacts :"je t'aime corps et âme" ; et je suppose que "corps" signifie que je veux te toucher, être avec toi dans un lit, et je suppose que "âme" signifie que je peux t'entendre et te voir et t'aimer dans toute chose dans notre monde, que je sois endormi ou éveillé."
En juillet 1937 Dylan Thomas épouse Caitlin de la flamboyante famille des MacNamara, célèbre dans le comté de Clare en Irlande ; ils auront trois enfants. Mais l'angoisse du monde revient dans l'angoisse du couple merveilleusement non préparés , au niveau social et domestique aux rigueurs conjugales. Caitlin est danseuse, Dylan hante les pubs. Le chérubin est devenu le chien parmi les fées.
"Dans un poème, la part magique est toujours accidentelle." Faire l'acteur, faire le bouffon...
Ni pour le prétentieux, ignorant
la lune qui fait rage, j'écris
sur ces pages mouillées d'embruns,
ni pour les morts trop hauts
avec leurs rossignols et leurs psaumes
mais pour les amants, leurs bras
enlaçant les chagrins du Temps
qui n'accordent ni attention, ni salaire
ni éloge à mon métier, mon art morose.
Dylan Thomas ivre de mots, ivre de paradis réinventés, d'innocence à jamais perdue se regarde sous les masques dont il joue jusqu'à la dérision, lucide et titubant dans les flammes de l'éthylisme." - Pourquoi buvez-vous ? - Parce que c'est ce qu'on attend de moi."
Sa poésie puissante, fougueuse, lyrique et romantique murmure, chuchote, s'envole et crie !
O puisse la vérité de mon cœur
Se chanter Toujours
Sur cette colline où tournent les Saisons !
N'étant que des hommes, nous marchons dans les arbres
Effrayés, abandonnant nos syllabes à leur douceur
De peur d'éveiller les freux,
De peur d'arriver
sans bruit dans un monde d'ailes et de cris.
Enfants nous nous serions penchés
Pour attraper les freux endormis, sans briser de brindilles,
Et après une douce ascension,
Elevant nos têtes au-dessus des branches
Nous nous serions émerveillés des étoiles inaltérables.
En 1953 au cours de sa tournée promotionnelle à New-York, il perd connaissance après avoir trop bu. Dylan Thomas meurt au St Vincent Hôpital , d' une pneumonie et d'une faiblesse du foie. "Après 39 ans, c'est tout ce que j'ai fait.". Son corps rapatrié au Pays de Galles sera enterré à Laugharme qu'il aimait tant.
Hors des soupirs quelque chose naît
Qui n'est pas le chagrin, car je l'ai abattu
Avant l'agonie. L'esprit pousse
Oublie et pleure.
Autant ne pas aimer si on n'aime pas à la folie.
Cela reste vrai après une défaite perpétuelle.
En 1954 Igor Stravinski qui avait rencontré le poète peu avant sa mort et désirait travailler avec lui sur un projet d' opéra, pendant les mois qui suivirent sa disparition pensa à composer quelque chose à la mémoire de D. Thomas . Ce sera un chant funèbre pour ténor, quatre trombones et quatuor à cordes .
" Aucun poème de lui ne pouvait mieux s'adapter à mon projet qu'un poème qu'il avait composé à la mémoire de son père."
(I. Stravinski )
N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s'emporter à la chute du jour,
Rager, s'enrager contre la mort de la lumière.
Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l'obscur
est mérité,
Parce que leurs paroles n'ont fourché nul éclair ils
N'entrent pas sans violence dans cette bonne nuit...
Cette création de Stravinski In Memoriam Dylan Thomas d'une durée de 8 minutes a eu lieu le 20 septembre 1954 à Los Angeles.
Et la mort n'aura pas d'empire.
Les morts nus ne feront plus qu'un
Avec l'homme dans le vent et la lune d'ouest.
Quand leurs os becquetés seront propres, à leur place
Ils auront des étoiles au coude et au pied.
Même si les amants se perdent, l'amour ne se perdra pas,
Et la mort n'aura pas d'empire.
Dylan Thomas est dans les dédales de ses poèmes, ses paysages de mer et d'orties, tous les élans ensorcelés de sa voix vibrante nous feront longtemps dériver sous un vent de feu où ses images ont rugi et fusé sur les pentes du ciel, et si Dylan Thomas est ce démon incarné en serpent phraseur et Dieu le violoneux de garde qui d'un coup d'archer fait descendre le pardon, alors...
Y eut-il un temps où les danseurs et leurs violons
Dans les cirques d'enfants pouvaient calmer
leurs chagrins ?...
Mieux vaut ne jamais savoir de quoi la vie est faite...
Dylan Thomas publia des poèmes, récits, nouvelles et romans, des pièces radiophoniques et des scenarii. Il est désormais considéré comme un des plus grands poètes lyriques du XXème siècle.
"The Edge of Love" de John Maybury est un film britannique de 2008 inspiré de la biographie de David.N.Thomas "Dylan : A farm, Two Mansions and a Bungalow.