de
Robert Alexis
Ce dixième roman de Robert Alexis, prince noir des lettres lyonnaises, est préfacé par François Angelier qui présente l'émission Mauvais Genre sur France-Culture le samedi soir.
"J'avais rendez-vous avec Robert Alexis. Ce qui s'écrit si simplement, s'était espéré longtemps, fiévreusement attendu : l'écrivain vit de l'ombre, dans le secret, tel un requin dans l'onde...J'avais l'honneur d'une de ses très rares apparitions. Devant une porte, tout de sombre vêtu, haute silhouette vigilante, profil de gisant, l'homme attendait...L'entretien dura une heure, d'une densité souvent étouffante..."
Ceux et celles qui suivent mes chroniques littéraires sur mon blog savent que je connais toute l'œuvre de cet écrivain et que ses romans sont ceux de l'audace et de l'intranquillité où tout est mouvance, métamorphose, jeux érotiques, transgressions et ténébreux reflets d'identités déconstruites. Tout bascule hormis l'impeccable écriture si intemporelle qu'au détour d'une phrase une date fait sursauter...
Expériences du corps instrumentalisé, objet soumis à des forces obscures, tels sont les thèmes alexiens élaborés en une symphonie abyssale ; chaque chapitre scande le lent déroulement mélodique de l'intrigue conçue en narrations alternées...Mots ou notes noires sur la feuille blanche de la partition où tout va se jouer inexorablement.
"J'ai affaire à la nuit ." avait écrit Sébastien Judet le jeune géologue engagé dans un musée d'histoire naturelle. Après sa mystérieuse disparition, la jeune femme qui les trouve se met à écrire à son tour...
"La directrice ne se souciait pas de ce qui se passait dans son musée. Elle vivait ailleurs, dans un univers dont personne n'eût su quoi dire..."
Le Majestic n'est autre que le sous-sol de ce musée noir où s'était installé le géologue, et où il écrivait une sorte de Journal.
" Cette nouvelle nuit réclame ma nudité. La peau rugueuse des minéraux veut mon contact fragile, passif dans l'insistance de sa domination, une marque d'allégeance aux forces qui vont, bien au-delà de leur source et de ma présence, vers je ne sais quelle autorité tapie dans un recoin comme on peut guetter à travers un oeil-de-boeuf...Je suis nu, mes vêtements roulés en boule à un endroit qu'il me plait de vouloir oublier, offert à ces puissances qui ont généré les minéraux et leur écorce, le centre de la Terre, les astres qui l'unissent à l'infini. La nuit me demande sans artifice. Moitié par vice, moitié par obéissance, j'ai fini par m'y résoudre."
Dans les caves voûtées du Majestic un majestueux cérémonial nocturne envoûtant se déploie en de magnifiques stratagèmes étranges qui iront aux extrêmes limites de l'avilissement et de l'engloutissement.
" Mon travail de domestication des rats continue. Les animaux ont finis par s'accoutumer à ma présence... Hier, un mâle énorme s'est aventuré entre mes jambes. J'ai senti son poil caresser mes mollets, l'intérieur de mes cuisses...Une silhouette plongée dans l'obscurité m'observait. Elle était là , enfin ! La tête posée sur sa main en équerre, elle prenait l'attitude de ces voyeurs dont le plaisir dépend du temps distillé de leur guet."
" La part la plus vraie de l'existence, la plus intense, gît dans l'ombre comme un fauve tapi dans les buissons."
Je n'en dirais pas plus...Sinon que ce roman semble être le plus abouti que l'auteur ait écrit, il y livre sa pensée sur le monde des apparences, des pièges, des illusions de la diversité. Il interroge, il cherche, il mène un combat obstiné. Et c'est certainement pourquoi il fait écrire ceci à Sébastien Judet dans son Journal :
" La découverte dépendra d'une intelligence supérieure à la mienne. C'est pourquoi je veux laisser ces notes. Les prendra, les utilisera ou les transmettra celui ou celle qui aura le courage de les lire, car si je ne sais rien, si je n'ai qu'une vague intuition de ce à quoi nous sommes soumis, il y aura dans mes réflexions ce que fût le salpêtre pour la création du premier explosif, une poudre malodorante grattée de l'ongle sur un mur verdâtre."
Je laisse conclure François Angelier :
" La mort, sans fausse note, joue sa musique funèbre...Trop rares sont ceux qui font des signes sur un bûcher dont ils sont à la fois le bois, la flamme et les cris de l'immolé, pour qu'on ne lise et ne relise pas Robert Alexis." (Paris, le 6 mars 2016).
Aux Editions Le Tripode 6 mai 2016
Hécate