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4 août 2009 2 04 /08 /août /2009 12:20


                Jean Richepin









            L’été invite à la paresse alors, cédant à l’humeur vacancière, voila que je m’en remets à Jean Richepin le plaisir de se présenter lui-même ; ce qui m’évitera trop d’effort.


            Quelques petites choses tout de même : fils d’un médecin militaire, il est née à Médea en 1849 et mort en 1926.

Lors d’études à Lyon il se révèle doué pour les lettres et rétif à la discipline.



            A Paris, invité à payer les frais de scolarité il ne se gène pas pour lancer au directeur : « Monsieur, on ne tond pas un œuf ». Il préfère n’en faire qu’a son idée et fréquente la bibliothèque plus que les cours de l’Ecole Normale.


            Apres avoir combattu les Prussiens, le revoilà à Paris en pleine insurrection communale. Puis il file à Londres, à Bruxelles, revient à Paris.


            En dépit d’une célébrité grandissante et l’ascendant autour des poètes, il attendra par force, trois ans avant qu’un éditeur courageux daigne publier « La Chanson des gueux ».

 

            Ballade du Roi des Gueux


Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d'indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux.

Vous que la bise des matins,
Que la pluie aux âpres sagettes,
Que les gendarmes, les mâtins,
Les coups, les fièvres, les disettes
Prennent toujours pour amusettes,
Vous dont l'habit mince et fongueux
Paraît fait de vieilles gazettes,
Le poète est le Roi des Gueux.

Vous que le chaud soleil a teints,
Hurlubiers dont les peau bisettes
Ressemblent à l'or des gratins,
Gouges au front plein de frisettes,
Momignards nus sans chemisettes,
Vieux à l'oeil cave, au nez rugueux,
Au menton en casse-noisettes,
Le poète est le Roi des Gueux.

ENVOI

Ô Gueux, mes sujets, mes sujettes,
Je serai votre maître queux.
Tu vivras, monde qui végètes !
Le poète est le Roi des Gueux.

 


            Je laisse donc la parole à Jean Richepin :

 

            « Ce livre est non seulement un mauvais livre, mais encore une mauvaise action. Là maintenant, benoît lecteur, te voilà dûment averti ; et il ne faudra pas t’en prendre à moi, si tu échanges ton bon argent contre ces méchants vers et si tu emportes au sein de ta famille une semblable ordure. »

 

            (Richepin est passé au banc de la correctionnelle, et s’est vu gratifié de cinquante francs d’amende et condamné à trente jours de prison.)

 

             … « J’espère pour ta pudeur, ô lecteur honorable, père prudent, époux irréprochable, que tu vas fermer ce livre malsain, le reposer au bout des doigts dans la devanture où il étale cyniquement sa honte, et courir chez ta maîtresse pour te consoler un peu de la dépravation lamentable qui sévit sur les lettres françaises.

            …Quand au critique, je te dirai qu’il m’est difficile d’en parler et d’apprécier sa valeur littéraire ou morale, vu qu’il était anonyme. Tout ce que je puis t’en apprendre, c’est qu’il était à cheval sur les principes, qu’il en profita pour pousser une charge à fond de train contre mon indignité que son encre de la grande vertu lui servit à débarbouiller de noires injures pendant deux colonnes, sous prétexte de me laver la tête,  et qu’enfin cette austérité farouche florissait dans un journal comique, comme un chardon hérissé dans un champ d’herbes folles. »

 

            (Richepin poursuit avec la même verve, des descriptions polissonnes du journal le « Charivari » avec grande saveur)

 

            « Imagine toi des femmes en toilette négligée voire d’aucune chemise, prenant devant des messieurs des poses que souligne à l’occasion une légende gaillarde. Elles te plairont à coup sûr, ces coquines signées Grévin ; mais tu avoueras sans doute avec moi que leurs genoux provocants ne pouvaient manquer de rendre écarlate celui de notre respectable moraliste…

            …Tu en tireras au moins cet enseignement profitable, à savoir puisque cela conduit à être vilipendé, traîné dans la boue, dénoncé comme un malfaiteur et transformé finalement en gibier de prison.

            …Force brave gens ont passés par là, qui ne s’en portent pas plus mal. Moi-même, ainsi que tu peux le constater je n’en ai pas conservé la moindre peine. Je t’en parle sans fiel, sans me poser en martyr. Et de quoi diable me plaindrais-je ? Il y a de part le monde une assez grande quantité de personnes parfaitement honorables, qui me serrent la main sans être déshonoré. Il y en a aussi qui n’ont pas trouvé mon livre à ce point mauvais ; car il l’ont acheté, l’ont fait acheté à leurs amis et connaissances, m’en ont adressés des éloges,  et j’en sais une demi-douzaine qui le mettent en bonne place dans leur bibliothèque,  jusqu’à l’avoir orné d’une reluire riche, le traitant à la façon d’une belle créature que son amoureux croit digne d’une belle robe.

            Donc toute réflexion faite ne défends pas à ton fils d’être poète, s’il le veut, et s’il le peut. Au besoin même, console-le d’avance des attaques de la critique par cette adage latin : « Censura perit, scriptum manet. »

Au cas où il ne saurait pas le latin, apprends-lui ce délicieux proverbe turc :

Le chien aboie, mais la caravane passe. »

 

            (Ensuite Richepin enchaîne sur la gauloiserie, la bonne franquette, la gueulerie populacière, qui n’ont jamais dépravé personne.)

 

            « Cela n’offre pas plus de danger que le nu de la peinture et de la statuaire, lequel ne paraît sale qu’aux chercheurs de saletés.

             Ce qui trouble l’imagination, ce qui éveille les curiosités malsaines, ce qui peut corrompre, ce n’est pas le marbre, c’est la feuille de vigne qu’ont lui met, cette feuille de vigne qui raccroche les regards, cette feuille de vigne qui rend honteux et obscène ce que la nature a fait sacré.

            Mon livre n’a point de feuille de vigne et je m’en flatte. »

 

            (Et de renchérir sur la littérature encensée  par la vertu bourgeoise, mais où le libertinage passe sa tête de serpent, avec un livre de messe à la main et où certains glissent des images… peu catholique !)

 

            « Le Roi Salomon lui-même ne mâchait guère sa façon de dire, et dont le Cantique des Cantiques, si admirable, lui vaudrait aujourd’hui un jugement à huis clos. Immoral je suis donc, et immoral je resterai, me trouvant en trop noble compagnie pour chercher mieux.

            …Plaisanterie à part, la question est grave ; et on me pardonnera d’entrer dans des considérations plus hautes, à propos de cette accusation d’immoralité que j’ai l’honneur d’avoir partagé en ce temps hypocrite avec des maîtres tels que Baudelaire et Flaubert.

            …Je proteste de toutes mes forces contre cette absurdité… la Justice contrôlant la Littérature. L’Art est une chose, et la Morale en est une autre, et ces deux choses n’ont vraiment rien à voir ensemble. »

 

            (Pierre Desproges a liquidé la littérature et ses auteurs d’une grande giclée de mots cinglants. Richepin n’aurait point dédaigné d’en rire.

            J’ignore, si Desproges qui n’a pas épargné Flaubert a fait de même avec Richepin, mais les amateurs du dit Desproges ne manqueront pas d’éclairer ma lanterne.

 

            Victor Hugo a fait pleurer les chaumières avec « Les Misérables », Mandrin a réjoui les mal nantis, Villon a traîné ses chausses comme il pouvait, Xavier de Montépin avec « La porteuse de pain », y a été de sa romance des pauvres avec ce feuilleton.

            Ah ! J’allais oublier Zola et son naturalisme, Hector Malot et « Sans  famille ».  Pourquoi Richepin se serait-il privé de sa « Chanson des Gueux » ? )

 

            « Toutes mon enfance a été bercée du chant du romantisme » écrit Desproges et « la littérature est à la civilisation ce que la queue est à la casserole : quand il n’y en a pas, l’homme à l’air con. » José  Maria Téfal – Résistances.

 

            (Quelque chose me murmure que Desproges n’aurait pas fait grand mal à Jean Richepin, une gouaillerie sans férocité tout au plus… Mais je puis me leurrer. Les illusions, n’est-ce pas ?)

 

            « Et maintenant feuillette ce livre abominable, pour te bien convaincre que je ne suis pas si méprisable… tu y rencontreras des cantilènes de mendiant, des ballades de baladeurs, des paysages, des bouts de rue, des petits qui demandent l’aumône, des vieux, des marmiteux, de franches canailles qui ont la main leste et la parole encore plus, mais aussi le cœur sur la main ; tu y verras passer jusqu'à des bêtes, car il y a des gueux parmi elles comme parmi nous, tu y entendra de ces affreux gros mots qui offusquent si fort notre bégueulerie moderne, et parfois des refrains ou se joue gaiement un rayon de soleil, où flambe un verre de vin ; et tu te diras qu’en somme il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat, que la vertu de nos contemporains est diablement prompte à s’effaroucher, et qu’elle ressemble à ces vieilles dissolues qui poussent la pudeur et la crainte du sens obscène au point de dire le « séant » d’une bouteille et la « tige » d’un cheval.

            …Ouf ! J’ai fini. Merci, ô suave, merveilleux, incomparable lecteur, si tu as l’extraordinaire bonté d’écouter jusqu’au bout les raisons du pauvre auteur qui tient à ton estime et à ton affection. » 

 

            Nativité

D'aucuns ont un pleur charitable
Pour Jésus né dans une étable.
Je sais un sort plus lamentable

Je sais un enfant ramassé,
Un jour de décembre glacé,
Nu comme un ver, dans un fossé.

Il est nuit. Pas une voisine
N'offre à sa grange ou sa cuisine
A la pauvre mère en gésine.

Malgré sa mine et son danger,
Qui donc voudrait se déranger ?
Elle est en pays étranger.

Donc, depuis l'étape dernière
Se traînant d'ornière en ornière,
Elle va, bête sans tanière,

Bête hagarde qui s'enfuit
Et cherche à tâtons un réduit,
Les yeux grands ouverts dans la nuit.

Ses reins lui pèsent. Ses mamelles
Que gonflent des cuissons jumelles
Sont pleines comme des gamelles.

Son ventre, où flambent des chardons,
Sent l'enfant, fils des vagabonds,
Qui veut sortir et fait des bonds.

Elle va quand même, plus lente,
Tirant ses pieds lourds dont la plante
Saigne. Elle va, folle, hurlante,

Soûle, et, boule, roule au fossé ,
Et maudit le mâle exaucé
Par qui son flanc fût engrossé.

La face au ciel, comme en extase,
Elle se tord. Son cou s'écrase
Sur les cailloux et dans la vase.

Elle accouche enfin, en crevant ;
Et le gueux nouvel arrivant
Grelotte et vagit en plein vent.

Le vent est dur, sa chair est nue.
Aucune étoile dans la nue
Ne vient saluer sa venue.

Pas de mages, pas de cadeaux,
De crèches, de bergers badauds !
Il est seul, couché sur le dos,

Comme un supplicié qui claime,
Tout noir près du cadavre blême,
Sans personne au monde qui l'aime ;

Et, par sa mère au ventre ouvert
Je jure, le front découvert,
Que l'autre n'a pas tant souffert !

 

                                                                                                                             Hécate

Œuvres de Jean Richepin, et pour en savoir plus...

  http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Richepin


                                                                                                                                                                                              

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21 juin 2009 7 21 /06 /juin /2009 09:11

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Les Brontë, Enfants du Vent

 

 

« Aux seuls hauts du Yorkshire  le vent s’est fait chair,

le vent a hurlé

le vent a battu… »

 




           
Que souffle le vent, qu’éclate le tonnerre et ses furieux éclairs, que ce soit l’haleine de l’hiver ou bien celle d’une chaleur lourde et vaguement oppressante, tous moments d’intensité de cette sorte renvoient à l’univers tourmenté, tour a tour glacé ou brûlant des Brontë.

                                  

« Oh ! puissé-je être le rideau cramoisi

            Sur ta couche de neige

Pour teindre cette joue si douce, si pâle,

Du reflet de ma lumière !

Oh ! puissé-je être la cordelière d’or

            Dont le gland serti de perles

Effleure le pli de la couverture de soie

            Et repose sur tes boucles… »

                                          Anne Brontë.

 

            Charlotte, Emily, Anne, Branwell réfugiés dans le monde imaginaire qui est le soir venu, la seule vie véritable, qu’ils poursuivront par-delà la mort sont transformés et transportés enfin dans cet ailleurs qu’ils s’acharnent à préserver coûte que coûte.


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La mort est en face qui les observe, le cimetière près du presbytère avec les tombes de leurs aînées Mary et Elysabeth et celle de leur mère, leur rappelle sans cesse la précarité de la vie.


         
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            Les journées commencent toutes par un coup de pistolet tiré par leur père le Révérend Patrick Brontë de la paroisse de Haworth. Dès le réveil, ils vivent dans le froid huit mois de l’année, car les deux seules pièces chauffées sont la chambre du pasteur et la cuisine.





           
Qu’importe, Charlotte et son frère commandent en Angria, l’empire tropical dont la capitale a un ciel inimaginable à force d’être bleu au-dessus de la splendeur de ses palais blancs. Mais Emily est fidèle au climat rude et austère, Verdopolis son royaume s’étend dans les pays du nord. La terre de Gondal est peuplée de fantômes que les cygnes dispersent dans le brouillard de leurs vastes ailes neigeuses avant de mourir, victimes des vagues gelées de la mer Calédonienne.

 

« Je rêve de bruyères, de brumeuses collines

Où le soir qui descend est opaque et glacé,

Car, seuls, environnés de ces froides montagnes,

Gisent, hélas, ceux que j’aimais,

Et mon cœur déchiré d’une indicible peine

S’épuise en plaintes combien vaines

Parce que jamais plus je ne les reverrais ! »

                                                        Emily Brontë.

 

           
Il n’est pas une poésie qui ne soit liée à ce monde inventé, ce monde parallèle où ils se meuvent, tour à tour empruntant le corps et l’esprit d’un homme, d’une femme, d’un héros légendaire ou historique. Ils lisent la Bible, Walter Scott, Byron et Shakespeare.


            Après les corvées du jour, lessives, épluchage des pommes de terre, couture pour les filles, ils se retrouvent. Branwell le préféré du pasteur a droit à tous les égards, car tous les espoirs lui sont permis. A huit ans, ne possède-t-il pas déjà un vocabulaire extraordinaire. Il lui suffit de lire une page une seule fois pour la connaître et la restituer de mémoire sans une seule erreur. Mais cette intelligence trop brillante alliée à une nervosité excessive fait craindre pour lui le risque de cette maladie appelée alors « fièvre cérébrale ».


Journal-d-Emyli.jpg         

            Le soir, quand la nuit enveloppe le presbytère, enfin réunis, munis de papiers, de calepins et de crayons, ils s’engloutissent dans cet univers que dirige Branwell, le roux, le solaire, qui porte en lui cette fureur des anges rebelles, dont la chute entraînera bientôt derrière lui, toute une cohorte d’illusions déçues. Pourtant dans le crépuscule, c’est lui la lampe qui dispense toute la lumière intérieure, l’aliment de la folle inspiration, lui qui nourrit l’imagination affamée de ses sœurs.




           
Lorsqu’elles seront plus ou moins dispensées dans des pensionnats, il se retrouvera face à lui-même, cherchant une carrière, y croyant de toutes ses forces. Il n’a pas dix-neuf ans quand il reçoit l’initiation qui fait de lui un membre de l’ordre franc-maçonnique. Une vague consolation pour oublier, si cela est possible, son échec poétique. Trêve de courte durée pour la douleur qui le harcèle.




           
Son existence ratée le déchire. L’échec est sur toute la ligne. Il ne sera pas le peintre, ni le portraitiste comme il pensa l’être. Il s’efface rageusement sur les tableaux où il s’était représenté auprès de ses sœurs. Il ne demeure pas précepteur auprès des enfants d’un pasteur marié à une femme qu’il séduit, tout en aimant la fille.
            Son renvoi mystérieux pour sa famille, le laisse hagard. Il hante les tavernes et s’enivre. Une frustration immense le taraude. Il est bien un temps employé des chemins de fer. Mais il se révèle finalement incapable de gagner sa vie malgré tous les dons qu’il croyait siens.


«  …Je le sais, je sens que je touche le fond,

Le dernier rayon attardé

S’est éteint dans mon triste Ciel.

Je sais, je sens que j’ai perdu pour toujours,

L’espoir, la paix, la puissance et l’orgueil… »

P. Branwell Brontë.

 

            Il revient sans cesse à l’écriture avec un acharnement exalté. Ses sœurs, qui ne peuvent vivre longtemps sans ce monde qu’ils ont qualifié « monde infernal », reprennent le dialogue que ce soit par lettres ou par des chroniques toujours rédigées en commun. Ils réinventent ensemble la fièvre de vivre et l’ivresse du péché. Tant ils sont chargés de tourments, ils ne trouvent de soulagement et de joie qu’en s’engloutissant dans la perversité des amours torturées et dépravées, illégitimes, incestueuses.


           
Depuis qu’ils ont vu le Satan du sculpteur Leyland lors d’une exposition à Leeds, Branwell a reconnu les traits de son héros. Il est Alexander Percy, il est cet être splendide portant sur son visage l’orgueil glacé d’une froide beauté marqué d’un souverain mépris. Dans ses veines coule un sang amer et glorieux comme un poison et son cœur fermé est digne d’une forteresse.


           
Charlotte entre dans le jeu et c’est ainsi qu’elle voit Branwell, alias Alexander dans le monde d’Angria, et les descriptions de ses charmes lucifériens sont loin de ce garçon malingre complexé par son physique.


           
Charlotte luttera longtemps contre l’attirance trouble et effrénée qu’elle voue en secret à ses deux amies de pension Helen Nussay et Mary Taylors qui sont loin de se douter que Charlotte dans sa saga impétueuse les séduit tour à tour, en la personne d’Arthur Wellesley, marquis de Douro, futur duc de Zamorna. Jeune fille timide et effacée dans la vie quotidienne, elle plonge avec délice dans les passions inavouables en se masculinisant. Branwell endiablé conduit le bal. Même séparés, ils poursuivront bien longtemps par courrier leurs folles aventures.


           
Le pasteur est déçu, meurtri de l’échec social de son fils. Il devient presque aveugle et la vieille servante se déplace à présent péniblement. Branwell rentre chaque aube l’injure à la bouche. Il se hait lui-même et semble haïr son entourage, même ces sœurs qui attendaient tout de lui.


           
Elles vont se détourner progressivement de lui. Charlotte est absorbée par ses tâches, sa ténacité à écrire, à réussir à publier ses œuvres et aussi par l’amour silencieux pour ce lointain monsieur Heger de Bruxelles où elle fut enseignante. Ce monsieur Heger est marié et son amour bien modeste est sans issue.


           
Seule Emily souffre pour lui,  à travers lui, en lui. Ce Heathcliff des « Hauts de Hurlevent », c’est peut-être déchaîné par la révolte et l’impuissance à réussir ce qu’il entreprend, qui délire et qui tremble de plus en plus. Lui qui a subi le moins les contraintes ne parvient plus à se contraindre pour quoi que ce soit.






           
Emily sera là jusqu’au bout, longue silhouette aux yeux grands comme des blessures, pour le redresser quand il rentre ivre, titubant parmi les tombes, quand il met le feu aux rideaux de son lit, en proie aux cauchemars, abruti par le laudanum.

 










« Haine et vengeance, mon lot éternel,

Supportant mal tout délai

Attendant, avec une frémissante impatience,

De se saisir de mon âme… »

P. Branwell Brontë.

 

            Emily, quand elle ne passe pas des heures à errer sur la lande battue par les vents et les pluies en compagnie de ses chiens (elle montre plus d’attention envers les animaux que pour ses semblables, sauf pour ce frère pareil à un animal sauvage qui mord et se cabre), écrit désormais ses poèmes en secret de sa sœur aînée.


           
Bientôt l’état de Branwell empire, il ne s’alimente plus. C’est Emily qui lui apporte des tisanes, réchauffe ses membres squelettiques quand il se tient alité des heures. Elle essuie sur son front la sueur des mourants. Ses boucles d’or sont brunies par la fièvre, l’or roux s’éteint comme sa vie. Il a juré de mourir debout autrefois. A l’instant fatal, il se redresse, prenant appui sur la frêle épaule d’Emily. Le pasteur entre et lit les prières pour les agonisants.


           
Elle attendra seulement trois mois pour le rejoindre dans la mort. C’est dans le parloir du presbytère qu’elle descendra le moment venu s’étendre et s’éteindre sur le vieux sofa où ils ont tant rêvé, joué et écrit, le matin du 20 décembre 1848.


           
Son âme va rejoindre celui qu’elle souhaitait être, celui à qui elle voulait ressembler, son double : un garçon libre de conquérir le monde.

 

                    

 « Pour moi ni sympathie, ni soupirs, ni regret

Que mon âme soit en partance ;

Puisque le cœur est mort dès sa première enfance,

Que le corps s’en aille impleuré. »

Emily Brontë.
       


            Charlotte de retour dans sa chambre écoute le vent hurler. Son cœur hurle à la mort. Anne erre dans le presbytère inconsolée de la mort du jeune vicaire dont elle fut amoureuse. Nostalgie qui ne passe point. En mai, elle meurt à son tour vaincue par la tuberculose, ce mal qui les emporte tous les uns après les autres. Charlotte va survivre six ans.

 



« Ce ne sont plus maintenant ses traits juvéniles

Ni ses doux yeux bleus
Qui raniment l’ombre de la tendresse perdue  

Avant qu’elle ne meure.

Ceux-là sont éteints, ceux-là sont froids

Clos et muets et enfouis.

N’ouvrez pas la plaque du tombeau

Ni le couvercle du cercueil. »

Charlotte Brontë.

 

            Six années d’apparent apaisement. A Londres, elle est choyée et bien reçue par ses éditeurs. Elle vient d’écrire « Shirley » et « Villette ». La gloire enfin, dérisoire. Lorsqu’elle épouse le vicaire adjoint du pasteur, qui l’aime depuis fort longtemps, c’est avec son passé qu’elle se marie. Enceinte, la tuberculose silencieuse se réveille. Même la pensée de son futur enfant la laisse sans courage. Elle regarde la neige tomber du lit où elle est couchée. Elle se revoit comme au temps jadis, par les jours blancs de février où ils étaient unis comme des conspirateurs, tous les quatre à travailler, à rêver…


            Le 17 février la vielle servante meurt. Charlotte sent l’appel des fantômes sur la lande. Elle veut rire avec eux. A minuit le 31 mars 1855 , elle renonce à vivre. Le petit enfant ne verra pas le jour… Elle avait 39 ans et une année de mariage.

 

 

« J’attends ici mes sœurs, au long de ce chemin

Jusqu’au château d’Arimane, car cette nuit

Est notre grande fête. C’est curieux, elles tardent. »

« Manfred » Byron.

 

            Par les soirs de pleine lune, quand le vent fait rage et pleure autour du presbytère de Haworth, peut-être qu’une petite main glacée cogne à la vitre, comme celle de Cathy et gémit : « Laissez-moi entrer. » Peut-être qu’une silhouette dans la brume, adossée à un arbre attend patiemment, l’âme de son âme. Heathcliff ou Branwell ? La lande s’étend infinie dans la nuit propice aux spectres…

 

« O, Homme qu’es-tu ? Une créature misérable

Ballottée sur les flot du temps,

Se meurtrissant aux rocs, happée par les remous,

Impuissante à se soustraire

Aux vagues et aux abîmes du malheur et du crime. »

 

P Branwell Brontë.

 

Hékate

 

 

Bibliographie : « La Hurlevent » de Jane Champion.

 « Le monde infernal de Branwell Brontë » de Daphné du Maurier.

« La vie passionnée des Brontë » de Jane Bluteau.

« Les Brontë » trois volumes collection : Bouquins .

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10 mai 2009 7 10 /05 /mai /2009 08:33

milosz5.jpgMilosz l'Enchanteur
Poète Européen
{ 2 ]

            Milosz l'enchanteur, le poète le mystique n'a rien d'un saint. Il a des colères, des rages, des dédains et ce don de l'insondable, cette intelligence qui combat avec l'amour ; sa nostalgie s'illumine et sa poésie enchante. Il dialogue avec ses souvenirs et sa solitude.

 







 

            (Symphonie de septembre)
                               II
Solitude, ma mère, redites-moi ma vie ! Voici

Le mur, sans crucifix et la table et le livre

Fermé. Si l'impossible attendu si longtemps

Frappait à la fenêtre, comme le rouge-gorge au cœur gelé

Qui donc se lèverait ici pour lui ouvrir ? Appel

Du chasseur attardé dans les marais livides,

Le dernier cri de la jeunesse faiblit et meurt : la chute d'une seule feuille

Remplit d'effroi le cœur muet de la forêt

Qu'es-tu donc triste cœur ? Une chambre assoupie

Où, les coudes sur le livre fermé, le fils prodigue

Ecoute sonner la vieille mouche bleue de l'enfance ?

Ou un miroir qui se souvient ? ou un tombeau que le voleur à réveillé ?

 

Lointains heureux portés par le soupir du soir, nuages d'or,

Beaux navires chargés de manne par les anges ! est-ce vrai

Que tous, vous tous avez cessé de m'aimer, que jamais

Jamais je ne vous verrai plus à travers le cristal

De l'enfance ?….

 

            Milosz - la - nostalgie (ainsi l'appelait Oscar Wilde) s'est levé pour les oiseaux. Il parle désormais leur langage mystérieux, et dans une allée forestière certains ont pu le voir, debout, immobile dans le froid, le bras tendu, tel un arbre, couvert et auréolé d'oiseaux. Salomon fut instruit dit-on dans la langue des oiseaux, les héros, les saints la comprennent.

La poésie est la langue des oiseaux, celle que Milosz a désiré pratiquer.

Très intuitif, il compose avec une grande spontanéité et toujours au crayon. Il met au net ensuite, à l'aide d'une plume d'oie.

 
mangeoire-de-fontainebleau.jpg        

            C'est à Fontainebleau, qu'à partir de 1926 Milosz fera alliance définitivement avec le peuple ailé. Au cours de sa vie, il a hébergé et sauvé d'innombrables bêtes. Il conte de merveilleuses histoires sur les pigeons, les pinsons, les corneilles. A Paris, il a en permanence sur sa fenêtre une provision de graines. A ses oiseaux, Milosz donne des noms héroïques : Agammemnon, Ulysse, Achille, Pénélope. La volière c'est Itaque, un arbuste le bois sacré et un corbeau violet lui paraît être coiffé comme un Atlante !

Quand il quitte son travail à la légation, chaque fin de journée, ses chers oiseaux accourent par centaines. Il apporte régulièrement une valise avec douze livres de grain et quatre sacs de friandises.

            En 1934 il fait installer à ses frais un "Nourrissoir officiel" et se surnomme avec humour "Monsieur de la Mangeoire

 


            C'est aux alentours de ce petit réfectoire qu'il se retire, trois ans plus tard.

Il vit désormais dans une mansarde et sa situation matérielle est très précaire. A son doigt, une bague chevalière souligne ses origines aristocratiques, ce passé jamais oublié, cette enfance en larmes.

            Son neveu Czeslav qui lui rend visite à l'hôtel de "l'Aigle noir" raconte :

 

            "La pièce était pleine de ramage et d'ailes chatoyantes. Je vis une multitude de cages contenant des oiseaux exotiques. Il avait d'épais sourcils en arc, un front haut couvert de cheveux grisonnants et en désordre… impérieux il imposait et témoignait à autrui du respect. Ses paupières, semblables à celles d'un oiseau de proie fatigué, découvraient une lave noire, ou plutôt des charbons ardents… il semblait sortir de la Bible. Comme dans un de ses poèmes il est usé par la pitié, la colère et la solitude."

 

            Il aime la France, sa patrie d'adoption, dans ses détails, dans son passé, dans le tissu de sa vie quotidienne.

            Alors qu'il marche avec son neveu en bordure du parc, ils croisent des hommes en combinaison bleue qui réparent des conduites de gaz et lui dit :

 

            " – Attention ! Chaque fois que tu porteras un jugement sur la France, rappelle-toi que dans chaque ouvrier français comme ceux-ci se trouvent deux mille ans de civilisation."

 

            Il demande sa naturalisation française en 1930.

 

            Le 1° mars 1931, Milosz est fait chevalier de la Légion d'honneur. Il décide d'être relevé de ses fonctions à la légation de Lithuanie, mais jusqu'à sa mort, il continuera à œuvrer pour sa patrie d'origine toujours présente dans son cœur.

 

J'étais seul et, je me souviens,

C'était la saison où le vent de nos pays

Souffle une odeur de loup, d'herbe de marécage et de lin pourrissant

Et chante de vieux airs de voleuse d'enfants dans les ruines de la nuit.

 

 

La berline arrêtée dans la nuit

 

En attendant les clefs

-          Il les cherchent sans doute

Parmi les vêtements

de Thècle morte il y a trente ans –

Ecoutez, Madame, écoutez le vieux, le sourd murmure

Nocturne de l'allée…

Si petite et si faible, deux fois enveloppée dans mon manteau

Je te porterai à travers les ronces et l'ortie des ruines jusqu'à la haute et noire porte

Du château.

C'est ainsi que l'aïeul, jadis, revint

De Vercelli avec la morte.

Quelle maison muette et méfiante et noire

Pour mon enfant !

Vous le savez déjà, Madame, c'est une triste histoire.

Ils dorment dispersés dans les pays lointains.

Depuis cent ans

Leur place les attend

Au cœur de la colline.

Avec moi leur race s'éteint.

Ô Dame de ces ruines !

Nous allons voir la belle chambre de l'enfance : là,

La profondeur surnaturelle du silence

Est la voix des portraits obscurs.

Ramassé sur ma couche, la nuit,

J'entendais comme au creux d'une armure,

Dans le bruit du dégel derrière le mur,

Battre leur cœur.

Pour mon enfant peureux quelle patrie sauvage !

La lanterne s'éteint, la lune s'est voilée,

L'effraie appelle ses filles dans le bocage.

En attendant les clefs

Dormez un peu, Madame. – Dors, mon pauvre enfant, dors

Tout pâle, la tête sur mon épaule.

Tu verras comme l'anxieuse forêt

Est belle dans les insomnies de juin, parée

De fleurs, ô mon enfant, comme la fille préférée

De la reine folle.

Enveloppez-vous dans mon manteau de voyage :

La grande neige d'automne fond sur votre visage

Et vous avez sommeil.

Dans le rayon de la lanterne elle tourne, tourne avec le vent

Comme dans mes songes d'enfant

-          La vieille, - vous savez, - la vieille.

Non, Madame, je n'entends rien.

Il est fort agé,

Sa tête est dérangée.

Je gage qu'il est allé boire.

Pour mon enfant craintive une maison si noire !

Tout au fond, tout au fond du pays lithuanien.

Non, Madame, je n'entends rien.

Maison noire, noire.

Serrures rouillées,

Sarment mort,

Portes verrouillées,

Volets clos,

Feuilles sur feuilles depuis cent ans dans les allées.

Tous les serviteurs sont morts.

Moi, j'ai perdu la mémoire.

Pour l'enfant confiant une maison si noire !

Je ne me souviens plus que de l'orangerie

Du trisaïeul et du théâtre :

Les petits du hibou y mangeaient dans ma main.

La lune regardait à travers le jasmin.

C'était jadis.

J'entends un pas au fond de l'allée,

Ombre. Voici Witold avec les clefs.

        

 

            A 62 ans le 2 mars 1939, Milosz est trouvé mort au pied d'une cage ouverte. Le canari s'est envolé.

Milosz n'est plus qu'une âme, partie sans doute vers sa pensive contrée, la Lithuanie de son enfance. Peut-être revoit-il alors comme dans un rêve, le domaine, ses ancêtres, sa nourrice, une berline arrêtée dans la nuit comme dans le poème.

 

"Il faut bien qu'on se sauve de soi

De telle ou d'autre sorte…"

 

            Le 7 mars, Milosz est inhumé au cimetière de Fontainebleau.

 

            René Bruyez, un vieil ami prononça un discours d'adieu sur sa tombe.

 

         -    "… Il y a quatre ou cinq ans, comme je lui demandais, au cours d'une brève rencontre, et alors que je ne l'avais pas vu depuis fort longtemps, ce qu'il s'apprêtait à nous donner, soit sur le plan de la poésie pur, soit dans le domaine dramatique, il déconcertait ma curiosité affectueuse par ces mots inattendus :"

 

 

          -   Que veux-tu, désormais, que je publie ?

Je n'ai plus rien à dire…

Milosz laisse derrière lui une œuvre importante : traductions de contes et de fables de la vieille Lithuanie, philosophie, poèmes, pièces de théâtre et un remarquable roman "L'amoureuse initiation", presque une autobiographie. L'action est située au 18 ° siècle à Venise, mais on sait combien Milosz affectionne le passé quand il rêve. Il dit de son héros :

 

-          Sa très haute naissance lui était un sujet de poétique rêverie, bien plus qu'un fait réel dont il jugeait possible de tirer vanité.

 

            Et c'est là, rien moins qu'une confession.

 

            A une époque ou il était d’usage de se montrer réservé sur les problèmes sexuels et leurs conséquences métaphysiques, au contraire, les penseurs slaves avaient approfondi ces aspects que Milosz dut connaître. Dans ce roman « L’amoureuse initiation » Milosz accumule une somme de pensées où l’Eros est essentiel. Il introduit le monde minéral, le végétal, l’eau, la lune. Le héros du roman ne s’épargne pas. Confondant la femme et la Cité Venise renferme une population hypocrite, canaille – une véritable fange.

            L’ensorceleuse héroïne Clarice – Annalena apparaît sous le nom de Manto, la dévoreuse. Manto dans la Divine Comédie, figure au chant XX de L’Enfer. C’est la fille de Tirésias (le devin grecque, l’initié – androgyne).

            Milosz désigne celle qu’il aime de ce nom, par ce qu’elle a su comme une magicienne susciter en lui un amour fou. Pour lui, elle est l’amante dont la chevelure recèle « des serpents effarouchés » réminiscence d’images symbolistes de l’Art Nouveau.

 

            Donc à Venise, un gentilhomme caricatural éprouva un amour vaste comme la mer pour une cantatrice morte, enterrée à Vercelli.

            L’histoire romanesque racontée au premier degré, est l’introduction d’une banale intrigue d’amour. L’amant à la luxure déréglée se plait et se déteste à la fois de consentir à cet avilissement. Un inconnu est le témoin de sa confession.

            Qui est cette  Clarice – Annalena de Mérone de Sulmerre ? « Hé oui, mon amour était terrestre impur : blé sauvage et lépreux, ravagé par la nielle du dégoût et de l’insanité. Qu’importe ! le ver s’attaque aux plus pures choses. Quand l’adoration est là, brûlante et profonde, n’est-ce point peccadille que la pire aberration ! »
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«  Je chuchotais  Clarice, comme on murmure reine des Anges, Annalena comme on soupire priez pour nous.»

         


   
            Je crus à son visage les larges yeux en flamme de parfum de celle qui avait été mon âme…

           
            Viens, enlace-moi, Amour ! Toi dont les pieds sont plus bas que toute l’abjection et dont la tête rayonne au-dessus de toute clarté.


            Je laissais souvent errer mon regard sur ma songeuse nue comme sur un charmant paysage de soir de mai ; j’interrogeais le grand silence de ses yeux plus beaux que le sommeil des eaux de l’été ; je m’enivrais des parfums de sa chevelure ; j’étanchais ma soif à la source fraîche et caillouteuse de sa bouche ; je humais le vin doux-amer de sa jeune volupté comme le Scythe boit la sève à même la blessure du saule. Cependant les plus secrètes possessions ne parvenaient à satisfaire mon mystique désir… O Clarice, qui donc est-tu comme amante ? Ton destin m’est aussi étranger que ton sexe ; je ne sais rien de ton existence dans l’univers, je ne connais que peu de choses de ta vie dans le temps. D’où viens-tu ? Qui es-tu ? Où vas-tu ?

             Le ciel était pur, Venise dormait : une grande tendresse palpitait dans le vent : - Tu n’es pas aimé, tu n’as pas su t’aimer ! et voici que l’amour fond sur ta vieillesse, ardent comme un reproche, terrible comme une vengeance. Tu le connais maintenant ! Eh oui ! oui, je le connaissais ! un être nouveau criait d’amour au plus ténébreux de mon être… »

 

            Puis vient le moment de l’horrible réalité :

 

            «  A la clarté dansante d’une chandelle unique, j’aperçus Clarice – Annalena  Mérone, comtesse de Sulmerre, dévêtue à la mode d’Arcadie et se prélassant  sur la plus voluptueuse des couches : son frêre Alessandro lui servait de coite, Zegollary de traversin et mylord Edward Gordon Colham de colifichet mignon pour le désoeuvrement de ses charmants mignons petit doigts. La vie faillit m’abandonner… Aucune des nudités convulsées du groupe mythologique et aviné ne se teinta du sang des vengeances. Personne ne mourut cette nuit là… non pour dire le vrai. Personne. Car ma jeunesse et mon illusion étaient déjà mortes, ah ! par la fourche et la queue du diable !…

            Passé le premier saisissement…il s’en fallut de peu que je ne me jetasse dans l’amoureuse mêlée… »

           

            Dépassant sa pernicieuse douleur, guéri à jamais, il fit ses adieux aux tripots, aux mauvais lieux de Venise…

 

            « Que pouvons-nous pénétrer d’une créature qui nous sait demeurer entièrement fidèle dans le moment même qu’elle essuie le feu d’un corps de garde au complet ?... au jour fixé pour le départ, je me présentai pour la dernière fois chez la douce maîtresse de ma vie. »

 

            Nicolas Baudoin a dévoilé quelques aspects secrets de Milosz il rapporte qu’un soir, lors d’une arrivée d’élégantes, Milosz pâlit, la tête entre les mains il fondit en larmes. Il venait de reconnaître sa  « Mante » semblable à celle de son héros, le comte de Pinamonte de son roman « L’amoureuse initiation ».

            Il pleurait les premiers soirs de la sensualité, à la fois de dégoût et d’amoureuse pitié, comme Baudelaire sans doute sur sa « Vénus noire ».

 

            « Ce qui me touche peut-être le plus dans L’Amoureuse initiation,  c’est la présence même de Milosz » a écrit Edmond Jaloux. On retrouve aussi Milosz dans certaines scènes de son "Don Juan" qui ont été écrites dans la période où il se réconcilie avec son père, au moment où celui-ci va mourir.

 

            C'est Milosz qui s'exprime à travers "Don Juan" :

 

-          Donnez-moi votre main mon père; ô pauvre main,

Que le battement de mon cœur te dise adieu.

 

….

 

-          Pleurez un peu ; pleurons tous deux, comme un aveugle

Et son petit garçon, quand tous deux ils grelottent

Les nuits d'hiver, sous quelque fenêtre de riche

Oublions tout, mon père, oublions les couronnes,

Les orgueils et la mort, soyons pour un instant perdus

Dans la nuit immense et sans demain pour vous père,

Comme pour moi !

 

….

 

-          On aime toujours ceux à qui l'on doit la vie…

 

 

            Les conflits qui les ont ravagés, sont dissous enfin dans la tendresse. Et c'est là, Milosz tout entier. Armand Godoy l'appelait le poète de l'amour.

 

                    A l’Amour

 

C’est à travers mes pleurs que j’ai vu ton visage

Beau comme un son, trop beau pour survivre à l’instant,

Amour ! Il m’apparut pâle comme le vent

Qui chasse vers la mer les cygnes de passage.

 

Sois béni cependant de cette âme malade

Ô toi qui m’as quitté pour ne plus revenir !

Le monde n’est réel que dans le souvenir

De ceux qui t’ont connu, magicien nomade.

 

Et c’est surtout, surtout ton Regret qui m’est cher !

Car si tes yeux, Amour, sont beaux comme la mer

Ils ont aussi des eaux la sauvage amertume

 

Et quiconque interroge ou leur ciel ou leur brume

Tôt ou tard voit décroître à l’horizon d’hiver

La voile de l’espoir sur l’océan désert !

 

          Natalie-Barney.jpg

            Le rapport de Milosz avec la femme demeure mystérieux. On sait qu’il devint un habitué des vendredis de Nathalie Clifford Barney une jeune et belle américaine qui tenait salon dans « Le temple de l’Amitié » situé dans son jardin ; elle était une lesbienne notoire qui eut de nombreuses liaisons féminines. Confidente de la vie littéraire et diplomatique de Milosz, elle fut « l’Amazone » sous la plume de Remy de Gourmont.


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             Milosz crut qu’il avait découvert sur le plan de l’esprit, l’épouse tant recherchée quand il fait la connaissance de Madame de Brimont arrière – petite – nièce de Lamartine et qui écrivait sous le nom de René de Prat. Elle appartenait au monde aristocratique, célèbre par sa beauté et sa féminité exceptionnelle.
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L'aquarelle du temple de l'amitié provient de www.ruevisconti.com.
















( Madame Renée de Brimont a été avec N. C. Barney une des amies les plus dévouées de O. V. de L. Milosz)






            Milosz avait 29 ans quand sa rencontre amoureuse avec une toute jeune fille petite-nièce du poète Heinrich Heine, à Venise sembla combler son cœur de ses souffrances et déceptions sentimentales. Il avait conté à Léon Vogt son histoire d’amour suspendue.


          

« Je ne vous ai jamais soufflé mot (et cela veut dire je n’en ai jamais soufflé mot à âme qui vive) d’une triste histoire qui a commencée il y a 4 ans à Venise et s’est terminée en Autriche, et grâce aux filtres malfaisants de ma Mère terminée « Abruptly » comme disent les Anglais, par le mariage de la Dame de mes pensées avec un gentilhomme moderne couronné de simili – or. »

 

 

 



            Milosz a commenté ainsi dans un poème, l’histoire de sa vie :

 

En moi l’obéissance envers moi-même

Etait plus forte que tout.

 

 Hécate.



Bibliographie:O-V-de-L-milosz-2.jpg

Le Poème des Décadences, 1899

Les Sept Solitudes, 1906

L'Amoureuse Initiation, roman1910

Les Éléments, 1911

Chefs d’œuvre lyriques du Nord, traductions, 1912

Miguel Mañara. Mystère en six tableaux. 1913

Mephiboseth, théâtre, 1914

Saul de Tarse, théâtre, 1914 (non publié)

Symphonies, Nihumim, 1915

Épître à Storge, 1917

Adramandoni, 1918

La Confession de Lemuel, 1922

Ars Magna, 1924

Les Arcanes, 1927

Les origines ibériques du peuple Juif, 1932

Les origines de la nation lituanienne, 1936

Psaume de l’Étoile du matin, 1936

La Clef de l’Apocalypse, 1938


Les Œuvres complètes d’Oscar Milosz sont publiées en 13 volumes aux éditions Silvaire/du Rocher, à Paris.
Tous les poèmes de Milosz sont réunis dans Poésies I et II.


Éditions récentes :

La Berline arrêtée dans la nuit, Anthologie poétique, Poésie/Gallimard, Paris, 1999

L’Amoureuse Initiation, collection de poche, Le serpent à plumes, 2004

Contes de Lituanie, transcrits par Milosz, illustrés par Marc Daniau, le Seuil, 2005


Ouvrages consultés:

Edmont Jaloux

Jean Rousselot, Poètes d'aujourd'hui chez Seghers

Alexandra Charbonnier:
O.V. Milosz Le poète Le métaphysicien Le Lituanien.
Milosz l'étoile au front.

Jean Bellemin-Noël.

 

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9 mai 2009 6 09 /05 /mai /2009 22:21

miloszportrait5.jpgMilosz l'Enchanteur

Poète Européen.

 { 1 }

 

            Milosz disait qu’il écrivait pour une génération future, car il eut à souffrir parfois, de l’incompréhension de ses contemporains.

 

            A travers la poésie,  il conçoit le sens mystérieux de l’existence, et l’Art est pour lui une délivrance, la lumière de son âme tourmentée.

Les vers de Milosz se colorent de mille feux éclatants. Mais la pensée du poète, toujours originale, vogue vers les régions les plus douloureuses de la vie.

 

            C’est en lisant Hölderlin que Milosz trouve ce qu’il appellera « l’Affirmation » opposée à « la Nécessité ».

            Il lit Novalis dans le texte. Il sait Goethe par cœur. Il aime en Nerval le rêveur éveillé, le noble voyageur et, dans « La fin de Satan » du Hugo, la profondeur ésotérique. 

 

            « La poésie est un état d’âme à la fois terrestre et supra-terrestre accompagnée d’un besoin d’extériorisation. » 

 
            A. Breton ne croit pas à la religion organisée socialement et juge le savoir absolu impossible, il pénètre l’art par la voie occulte, la cryptesthésie des bas-fonds, ce qui différencie l’expérience de Milosz de celle des surréalistes. Le surréel de Breton n’intéresse pas Milosz ; qui tenait  à rattacher ses expériences mystiques à la recherche scientifique. Il lisait maints ouvrages sur la physique et la chimie moderne.

            Pour Milosz le Rien est l’unique contenant intelligible d’un univers libre et pur qu’il ne faut pas confondre avec le vide. Goethe s’identifiait aussi à cette vision.

 

"Ce que nous pressentons, il ne faut pas le dire ;

Nos frères et nos sœurs ne le comprendraient pas.

Gardons-nous de mêler à leur danse, à leur rire

L'écho surnaturel des accents de Là-Bas…

Ce que nous pressentons, il ne faut pas le dire"

 

Il se tait et confie à la vague apaisée

De mon sein le sommeil de sa tête d'enfant,

Léger comme ces vents qu'à travers leur rosée

Baisent les jeunes filles. Sur mon sein maintenant

Il dort comme le ciel sur la vague apaisée.

 

                                Extrait du "Consolateur"

                                                     ( livre II )

 


            "Un jour, je m'éveillais tout hébété à mon destin véritable et je reconnus être une de ces âmes infortunées où les imaginations brûlantes de l'adolescence consument la réalité de toute une vie.

Néanmoins, secouant ma torpeur, je me composais du mieux que je pus, je fis mon entrée en scène – et le spectacle commença."

 

C'est en Biélorussie, sur un ancien territoire de Lithuanie qu'Oscar Vladislas de Lubicz – Milosz naît le 28 Mai 1877.

Lubicz signifie "volonté de Dieu". Son père, Vladislas, officier de la garde du Tzar abandonne tôt l'armée. C'est un original réputé pour ses excentricités. Il aime la nature à sa manière, interdit les coupes de bois, apprivoise les fauves, mais chasse les biches, tue les oiseaux, force les femmes.

Violent, romantique, ses paysans bénissent à distance ses bontés, tremblent de ses tempêtes.

Comme ses ancêtres, il s'intéresse à l'alchimie et possède d'antiques grimoires familiaux relatifs au grand Art ! Milosz se dira alchimiste par hérédité.

Sa mère Maria Rosenthal est une juive polonaise d'origine modeste, dont la famille appartient à une haute classe enseignante formatrice de rabbins.

           - "Je dois reconnaître, que le sang hébraïque apporté dans la famille par ma mère est pour quelque chose dans ma poésie et ma métaphysique." 

 

Enlevée sur la route – résiste – t – on  à un boyard, à un seigneur – cette jeune femme quitte son milieu et se convertit au catholicisme dans l'intérêt de son fils. Ils ne s'épouseront que lorsqu’ils seront à Paris. Milosz a seize ans. Cette union considérée comme une mésalliance l'affecte. Il est trop conscient du décalage social, entre ses parents.

Sur une photographie, madame Milosz apparaît comme un ange noir à la taille de guêpe, et elle a toute l'allure d'une reine gothique.

 

-   " Je dis : Ma Mère. Et c'est à vous que je pense ô maison ! …

Car je n'ai jamais eu, ô nourrice, ni père, ni mère.

Et la folie et la froideur erraient sans but dans la maison…"

 

            Milosz a fort peu séjourné dit-on, dans ses terres de Russie, mais le château de son enfance solitaire le hante. C'est au début du 19° siècle que les Milosz achètent leur propriété à un prince Commandeur de l'ordre de Malte.

            Tout le mystère de sa poésie a pris sa source dans la forêt mystérieuse du domaine et une nostalgie tourmentée le suivra jusqu'au bout de sa vie.



- "Les morts, les morts, sont au fond moins morts que moi ! " 

 

Cette pensée de la mort qui hante le poète, il l'appelle : "la saison du silence". Il affectionne le charme des choses qui ne sont plus dans la réalité, mais dans la vérité de sa pensée.

 

                        Chanson

 

Me voici, me voici, chère d'autrefois !

La tristesse de ton jardin m'a reconnu.

Me voici, me voici, très belle d'autrefois,

Très douce qui ne me reconnais pas…

 

Au clair des lampes d'il y a longtemps

Tu songeais sans doute à mon grand voyage.

Ton visage, Annie, oh ! qu'il est étrange

Au clair des lampes d'il y a longtemps

 

Les roues et les rouets ont tourné trente ans.

Voici mon retour, ô ma grande amie !

Les jours de jadis se sont endormis,

Au vieux bruit des roues, au vieux bruit des rouets…

 

-  C'est vous, c'est bien vous, ô mon très – aimé !

Vite, le beau miroir où le soir seul est vieux,

Vite, la belle robe aux couleurs d'adieu,

Pour fêter le retour de mon bien – aimé !

 

-  La robe est grise, ô chère de jadis;

Où sont les couleurs d'adieu ?

Le miroir est blanc, ô chère d'il y a longtemps ;

Ton visage y est vieux.

 

Ce que nous pleurons ne reviendra pas.

Adieu ! adieu ! ô ma pensive d'antan !

Que ferais-je ici, Annie, plus longtemps ?

Les roues et les rouets ont tourné trente ans…

 

                        (Le poème des décadences.)

 
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            Il rêve, vit avec les livres : Faust, Edgar Poe, la Bible, Homère, avec les grands magiciens des romans de chevalerie et ceux des contes. Il rêve aussi de voyages lointains, d'îles très vieilles et de voiliers perdus dans le grand silence du temps…





- "Jusqu'au jour où, m'apercevant que j'était arrêté devant un miroir je regardai derrière moi..." 

 

 

 



 


            Symphonie inachevée         (extrait)

 

Ecoute bien, ma sœur d’ici. C’était la vieille chambre bleue

De la maison de mon enfance.

J’étais né là

 

C’est là aussi

 

Que m’apparut jadis, dans le recueillement

de la vigile,

Mon premier arbre de Noël, cet arbre mort devenu ange

Qui sort de la profonde et amère forêt,

Qui sort tout allumé des vieilles profondeurs.

 

De la forêt glacée et chemine tout seul,

Roi des marais neigeux, avec ses feux follets

Repentis et sanctifiés, dans la belle campagne silencieuse et blanche :

 

Et voici les fenêtres d’or de la maison de l’enfant sage.

 

Vieux, très vieux jours ! Si beaux, si purs ! C’était la même chambre

Mais froide pour toujours, mais muette, mais grise.

Elle semblait avoir à jamais oublié

Le feu et le grillon des anciennes veillées.

 

Il n'y avait plus de parents, plus d'amis, plus de serviteurs !

Il n'y avait que la vieillesse, le silence et la lampe.

La vieillesse berçait mon cœur comme une folle un enfant mort,

Le silence ne m'aimait plus. La lampe s'éteignit.

 

Mais sous le poids de la Montagne des ténèbres

Je sentis que l’Amour comme un soleil intérieur

Se levait sur les vieux pays de la mémoire et que je m’envolais

Bien loin, bien loin comme jadis dans mes voyages de dormeur.

 

 

            Et il la revoit, cette enfance idéale que sa nostalgie recrée, une enfance pleine de chevauchées et de randonnées en traîneau, une enfance nourrie de contes de fées dans un logis seigneurial, parfois bourdonnant de chants, de rires, mais surtout de solitude…

          Autrefois, au début du 12° siècle, c'est un royaume de trente mille hectares de forêts et de marais, de villes et de villages ; sur ces vestiges, un père extravagant règne en maître…

 


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           -   "Venez, je vous conduirai en esprit vers une contrée étrange, vaporeuse, voilée, murmurante. Un coup d'aile, et nous survolerons un pays où toutes choses ont la couleur éteinte du souvenir. Une senteur de nymphéas, une vapeur de forêt moisissante nous enveloppe. C'est la Lithuanie… (…) Le ciel tiède et pâle de la pensive contrée qui s'ouvre devant nous a toutes les fraîcheur du regard des races primitives, il ignore la somptueuse tristesse de mûrir…

            Une lueur blafarde enveloppe la plaine, une brume de souffre se couche sur les forêts, la pâleur de l'idée fixe noie la force silencieuse du soleil…"

 




            Est-ce légende, cet enfant terrorisé par les colères de son père, ses emportements, ses coups de folie ?

            Ce père, un jour tente de se tuer et s'ouvre le ventre avec un vieux sabre. L'enfant n'a-t-il pas alors traversé des salles pleines de ténèbres en appelant des domestiques pour secourir celui dont il parlera ainsi :

                 -  "Mon père était un grand voyageur : ses chasses en Afrique et ses exploits d'aéronaute le tenaient, la plupart du temps, éloigné de la maison.

J'ai grandi dans une solitude morale presque absolu… c'est de là que me vient mon amour de la nature et la teinte plutôt sombre de mon caractère."

 

            Czeslaw, le neveu de Milosz raconte : " – Ce père, sur la fin de sa vie avait la manie de la persécution, les cheveux tombant jusqu'à la ceinture, il restait des jours entiers dans la cave en serrant sur ses genoux une hache affûtée."

            Fuyant un père malade, un logis morose, Milosz fréquente toute l'élite artistique de Paris. C'est un véritable prince noctambule. On le voit au café "Vachette", à la "Closerie des lilas", au bar américain. Il y a là Paul Fort, Stuart-Merril, Oscar Wilde, Jean Moréas.


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            Dans une soirée au "Rat mort" un cabaret de Pigalle, il admire Polaire aux côtés de Colette et Willy. Le poète Jean Lorrain est là aussi.

            Chez Tortoni il rencontre Vielé – Griffin, Henri de Regnier.

            Milosz dégage un charme à la fois slave et oriental. Il est la distinction même. Son visage est fin, couronné de cheveux naturellement ondulés, ses yeux sont couleur de feuille d'automne, sous de très épais sourcils mordorés.

            Sa bouche est amère et mince, sa voix gutturale avec un très léger accent. C'est un jeune homme de haute taille, d'apparence étrange, une sorte de grand seigneur sorti tout droit du 18° siècle ! Son vaste front pourrait se coiffer d'une perruque poudrée, son profil d'aigle se pencher sur un jabot de dentelle.

          

             

            Milosz n'oubliera jamais la leçon de ses aînés à la recherche d'une libération du vers. Pour "Les serres chaudes" de Maeterlinck il nourri une profonde admiration.


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             Au lycée Janson de Sailly il a Germain Nouveau (cet ami de Verlaine et de Rimbaud) comme professeur de dessin. Les crises mystiques de ce poète ne le laissent pas insensible.

            A l'école du Louvre il étudiera l'épigraphie hébraïque et assyrienne.

            A son arrivée à Paris, à douze ans il parle déjà trois langues : le français, l'allemand, le polonais. Plus tard ce sera l'anglais et le russe, puis un peu d'italien. (Sa grand-mère paternelle est une cantatrice issue d'une vieille famille génoise.)

           





            Il a 24 ans quand il tente de se suicider. Un léger différent avec son père est probablement la cause de ce geste désespéré. Dans une lettre datée de 1901 il s'explique à un ami américain rencontré 1 an auparavant :

 

-          « Vous savez combien la vie me répugne : c'est cette haine – raisonnable parce qu'elle est sans raison – qui m'a poussé à attenter à mon existence – si utile au monde et à l'humanité. Le premier janvier de cette année, vers onze heures de la nuit, – avec un calme parfait, cigarette aux lèvres – l'âme humaine est tout de même une chose bien bizarre, – je me donnai un coup de revolver dans la région du cœur. Comme vous voyez, je me suis manqué, – hélas – quand la vie s'attache à une proie elle ne la lâche pas facilement.

-          Mais l'indulgence du hasard est vraiment pire que toute mort ; j'ai horriblement souffert, – le lendemain le docteur – le premier chirurgien de Paris, Marchand, n'a pas voulu m'opérer, disant que j'étais trop faible et que je ne vivrais pas jusqu'au soir. Le cœur et le poumon gauche étaient tellement enflés et tellement noyés dans le sang de l'épanchement interne, que je n'avais plus de place pour respirer : j'allais d'un moment à l'autre, mourir étouffé. Un abbé est venu m'administrer. Mais le soir j'ai tout de même pris un peu le dessus, au grand étonnement des médecins. Je suis resté un mois et dix jours au lit. Je me lève depuis deux jours. »

 

Il se remet à écrire, commence à rédiger son "Don Juan". Cette même année il rencontre Guillaume Apollinaire, Claudel publie "L'arbre". "La volonté de Dieu" pèse déjà sur Milosz.

      En 1921 dans une lettre, il écrit :

 

" – Je vois la solitude devant moi comme une éternité. Je vis depuis quelque temps dans une atmosphère de suicide. Malheureusement pour moi, j'ai perdu ce droit là comme tous les autres, je ne m'appartiens plus – je suis à celui qui est le Lieu seul situé et où je reposerai ma tête."    

      Et dans une autre lettre du 22 septembre 1922, il constate :

 

 " – La Révolution bolchevik m'a jeté sur le pavé. Domaine de famille, capitaux, tout fut confisqué le même jour."

 

      Plus tard, avec humour, il évoquera sa situation de ci-devant dépouillé par les soviets (– qui ne sont pas, entre nous soit dit, si antipathiques que ça !)

 

Par ailleurs, il écrit cette même année :

 

-          Ainsi je vis – aussi peu surhomme que possible – mais avec le sentiment terrible que le jour approche où je me mettrai à parler à Dieu comme personne, pas même Dante, pas même Goethe ne lui a parlé encore".

 

Une nuit en 1914, il a été frappé d'une illumination mystique. Il traversait alors une crise tragique de santé et n'ouvrait sa porte qu'à de très rares intimes. Un matin de cet hiver là, il avait dit :

 

-  "J'ai vu le soleil spirituel…"

           

Milosz poète européen, romantique, symboliste, est plus que jamais visionnaire. Il est en quête de pureté et d'idéal, mais sa vie d'homme est très active. Il est rédacteur diplomatique et ministre de Lithuanie en France.

            Tourné vers le passé dans sa pensée la plus intime, il voyage pour lui, puis pour sa carrière. De 1896 à 1916, il sera en Russie, en Pologne, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en Espagne, en Afrique Française enfin.

 

 Il est l'intermédiaire entre le ciel et la terre, entre les hommes et les guerres.

           

De ces voyages et du séjour qu'il fait dans ses terres de 1902 à 1906, il rapporte des souvenirs à foison, mais presque exclusivement des souvenirs tristes, désenchantés.

 

-          …"Ah ! mélancolie et lassitude des arrivées, sentiment mélangé de vide et de regrets des départs ! Et cette accablante certitude que l'âme sera demain ce qu'elle est aujourd'hui, et ce qu'elle fut hier, et il y a dix ans, et de toute éternité."

"J'avais longtemps couru le monde avec mon frère

Sans repos : j'avais veillé avec l'angoisse

Dans toute les auberges du monde : Maintenant j'étais là,

Tête blanche déjà comme le frère nuage. Et il n'y avait plus personne."

 

            Sa vie est intense, riche d'actions politiques, de rencontres, de grandeur et d'humilité, de lascivité et de pureté ; la femme idéale, très haut placée, ne sera sa compagne et sa sœur qu'en des cimes où l'amour mortel n'a pas sa place.

 

L'Etrangère

 

Tu ne sais rien de ton passé. Tu l'as rêvé,

-          Oui, sûrement tu l'as rêvé.

Je vois ton visage dans la lumière grise de la pluie.

Novembre ensevelit le paysage et ma vie.

Je ne sais rien, je ne veux rien savoir de ton passé.

 

Tes yeux me parle de brumeuses villes lointaines

Que je ne verrai jamais

Et dont jamais je n'entendrai le nom dans ta voix.

Novembre est sur toute mon âme, novembre est sur toute la plaine

Je te vois inconnue à travers Autrefois.

 

Ce sont des choses depuis longtemps mortes

-          Mortes irrémédiablement –

Des musiques étouffées, des luxures flétries.

Je suis sûr que novembre est derrière la porte

Je vois vivre en ton cœur ce que ton cœur oublie.

 

Ton âme est loin, bien loin d'ici. Ton âme étrangère

Est une nuit de brume,

De brume et de bruine sale sur des faubourgs

Où la vie a la couleur froide de la terre,

Où des hommes mourront, sans avoir connu l'amour.

 

Tu m'as déjà rencontré jadis, t'en souvient-il,

Oui, jadis, tristement jadis,

Au pays des vieux livres et des vieilles musiques,

Dans le crépuscule bleu d'une maison tranquille

Aux fenêtres léthargiques.

 

Le fantôme des paroles dont tu ne te souviens pas

Ou que tu ne prononças pas,

Donne un sens si bizarre à ta lointaine présence.

Je déchiffre dans le livre de ton silence

Ton histoire morte à jamais, même pour toi.

 

Ma raison pâle est une illusion de clarté,

Un jour de soleil ancien

Sur la route où ta joie rencontra ta douleur.

Tout cela n'a peut-être jamais été

Mais si je te le disais, tu mourrais de peur.

C'est triste comme un jour d'hiver sur les banlieues

Où chemine la mort de la ville,

Comme la maladie et le deuil dans un mauvais lieu,

Comme un bruit de pas dans une maison étrangère

Comme le mot jadis quand l'ombre est sur la mer.

 

Je ne veux rien savoir de ton passé. Je vois

S'éteindre le jour,

Le dernier jour sur ton visage et sur tes mains.

Laisse-moi la douceur d'ignorer les chemins

Où le hasard a su te guider jusqu'à moi.

 

Je retrouve en tes yeux des réalités de rêves,

De rêves rêvés dans le vieux temps

Et des visions écloses au soleil de la vie.

Dans le demi-jour empoisonné de la pluie

On dirait que toute une éternité s'achève.

 

Je reconnais en toi des êtres mystérieux,

Des voyageurs au but secret

Rencontrés autrefois dans la brume des gares

Où tous les bruits ont des inflexions d'adieux.

Parfois aussi tu m'es une atmosphère de foire

 

Avec ses lumières en pleurs et ses relents

De moisissure et de vice,

Avec sa misère et la joie malade de ses musiques.

Des souvenirs de maisons de jeu nostalgiques

Se mêlent au chaos de mon énervement.

 

Si je sortais, si je fermais la porte, que ferais-tu ?

Ce serait peut-être

Comme si tes yeux ne m'avaient jamais connu.

Le bruit de mes pas mourrait sans écho dans la rue

Et je ne verrais que la nuit à tes fenêtres.

 

C'est comme si tu devais me quitter aujourd'hui

Tout de suite et pour toujours

Sans songer à me dire d'où tu viens, où tu vas.

Il pleut sur les grands jardins nus, ton âme a froid,

Novembre ensevelit le paysage et ma vie.


                                                                                       (Les sept solitudes)

miloszportrait1.jpg



Fin de la première partie...


Hécate.

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19 avril 2009 7 19 /04 /avril /2009 09:24

Gérard de Nerval

Gerad-je-suis-l-autre.jpgou

L’épanchement du songe…

 


     « Etre dans une histoire, un aussi indispensable chaînon et ne se sentir retenu ni du côté du passé, ni du côté de l’avenir… »

 








     Ce que cherche Gérard de Nerval dans les livres, comme dans la femme, c’est sa propre présence, lui que tourmente la peur d’être absent de soi. La recherche de sa propre identité est un élément plus révélateur de sa destinée profonde que la généalogie fantastique qu’il eut l’idée de se construire.

Un champ (propriété de famille) situé sur l’emplacement d’un ancien camp romain, le clos de Nerval lui vaudra son pseudonyme. (Nerva était un empereur.) Sensible à ses origines, il établit une foisonnante collection de notes manuscrites concernant sa généalogie.

 

Horoscope.jpg     A paris à vingt heures, le 22 mai 1808 naissance de Gérard Labrunie, jour de la Saint-Emile (il verra par la suite un signe favorable dans le prénom du Dr Emile Blanche qui le soignera avec dévouement) à cause de cette coïncidence. Il attachera une importance énorme à son horoscope, bien évidemment.

Le petit Gérard une fois baptisé est confié à une nourrice, car deux ans après sa naissance, il perd sa mère. La mort ne cessera de jalonner sa vie.

 



     Au château de Mortefontaine près d’Ermenonville dans le Valois, il grandit dans ce long bâtiment flanqué d’une tourelle où une pièce d’eau servait de miroir au ciel. 
 
      le-ch-teau-de-Mortefontaine.jpgSes rêveries commencèrent là ; replié  sur l’imaginaire dès qu’il comprendra qu’il ne reverra jamais sa mère morte en Silésie, il va recomposer sa destinée. Aucun portrait d’elle, tous disparus ou volés. Il sait qu’elle ressemblait à une gravure d’après Prud’hon ou Fragonard : « La Modestie ».

 

     Son père devient l’obscur ennemi qui l’a «perdue » quelque part en Allemagne, perdue jusqu’à ses lettres, ses bijoux. Malheurs de la guerre et de la fuite. Il pensera que cette fièvre qu’elle avait prise en traversant un pont chargé de cadavres est cette même fièvre qui s’empare de son esprit à intervalles périodiques.


     C’est à Mortefontaine que Sophie Dawes, la baronne de Feuchères lui apparaîtra, furtives visions…

Elle devint Adrienne dans ses récits, il la voit comme une Diane – Artémis déesse des chasses et des forêts.la-baronne-de-feuch-re.jpg











     Plus tard, lorsqu’il ira danser aux fêtes de la St Barthélemy au bal de Loisy, c’est avec une nommée Sylvie qui transparaîtra dans ses récits en prose.


     « Le rêve est une seconde vie » écrit-il.

     Mais la vie est un combat. Le poète des «chimères » s’épuisera une grande partie de sa vie à gagner de l’argent dans le monde littéraire. Il traduit «Faust » à l’âge de vingt ans, malgré une médiocre connaissance de l’allemand, mais Goethe est à la mode ; même si l’exercice est périlleux, il le tente. A cette époque, la méconnaissance des langues étrangères est assez courante.

 

     En 1830, au côté de Théophile Gautier et d’autres, dont Petrus Borel l’écrivain républicain surnommé le Lycanthrope, il assiste à la bataille d’Hernani et boit du punch dans des têtes de mort. Ils admirent Hugo et se souviennent de Napoléon fiévreusement. C’est l’effervescence gothique, la gaieté est putride. On va aux catacombes, on se promène au Père Lachaise,  on voit sous la parure des femmes, le squelette.

     Avec Gautier, il a sans doute en commun cette idéalité de la femme et de la mort, le goût de l’onirisme, voir de l’ésotérisme, du théâtre et celui des voyages. Gautier tombe amoureux de la danseuse Carlota Grisi et esquisse pour elle le thème du ballet «Gisèle » ; Nerval s’éprend d’une cantatrice. Amis leur vie durant, ils écriront, solidaires, des chapitres du feuilleton de la presse, se relayant l’un l’autre.

 

     Jenny-Colon.jpgLe blond, le doux Gérard court donc les théâtres et s’enflamme pour Jenny Colon, cantatrice aux variétés. Gérard rêve… Jenny devenue Aurélia… Pourtant, elle est dans la vie un peu lourde, soucieuse du sens pratique. Elle mettra de nombreux enfants au monde une fois devenue l’épouse du flûtiste Leplus. Transformée en héroïne romantique, il l’aima, l’imagina surtout, mais cette liaison où il demeure impuissant servira de point d’appui à sa mythologie, sera le lien et la chaîne de ses souvenirs chimériques. Il n’importe qu’elle le ruina.

     L’héritage paternel sera englouti, il avait fondé  pour elle, une revue luxueuse qui ne dura pas. « Le Monde Dramatique ».

 

     Par nécessité, le voilà obligé d’alimenter les journaux de chroniques, de feuilletons. Son œuvre devient une marchandise à placer. Nerval en proie à ses servitudes plus que d’autres encore, va voir son monde coupé en deux. L’asservissement au quotidien, la réalité brute a laquelle il se plie, et l’autre où il libère son esprit dans la fréquentation des illuminés : initiation à la franc-maçonnerie, plongée dans la culture ésotérique. Démarches, quêtes d’un perpétuel adolescent dans le monde moderne. Nerval n’est pas un génie à l’état sauvage, comme le furent Rimbaud ou même Lautréamont.

      Il est profondément humaniste, fidèle à sa vocation de se nourrir par pur plaisir à la lecture des classiques. Il s’enrichit sans cesse en sortant de lui-même pour se pencher sur l’expérience des autres. Sa culture est immense, mais ne réside pas qu’en des œuvres figées par le temps. Elle est un style de vie, un don d’observation aiguë, un échange de conversations, un sens du voyage. Pour lui, la connaissance est inséparable de l’action et du lien avec les hommes, car sans cela, elle serait imparfaite et stérile. Cet univers orienté par le rêve et les labyrinthes de la pensée, n’exclue pas une curiosité tendue vers les œuvres du langage dru.

     S’il lit Shakespeare, il puise dans Dickens l’exactitude et la sobriété descriptive. Il apprécie le concret chez Balzac. Le monde des comédiens (Molière, Racine, Théophile de Viau) significations symboliques à ses yeux.

     Il a lu Homère, Euripide, Sappho Virgile, Cicéron, Pétrone. Il se veut fils de la Grèce. La littérature médiévale lui est familière, et le moyen - âge est vivant et peu conventionnel dans sa pensée. Le XVI siècle lui est encore plus favori ; dans le XVIII siècle avec Rousseau il retrouve la contemplation des paysages qui le renvoie au monde de son enfance, à Mortefontaine.

 

     Son versant noir, nocturne, romantique, ésotérique est tout aussi important. Lumière et ombre, grandeur tragique de Dante, voie allemande du coté d’Hoffmann. Il cultive c’est évident une érudition bizarre entraîné par le plaisir d’étonner. Il est capable de dévorer des œuvres orientales en quelques jours. Toute cette science des mots, des livres, qui laissait pantois ses interlocuteurs et qui se bousculait dans sa tête, l’amusait. Il passe vite pour un prophète illuminé dont la raison s’est égarée en Allemagne, dans les sociétés secrètes et les symboles orientaux. Nerval en tire une méthode de connaissance du monde et de lui-même.

 

     Les voyages incessants pour trouver les sujets et les décors de ses feuilletons (toujours gagner sa vie pour mieux la rêver) malgré la maladie et l’inquiétude lui apportent des trêves.


     En 1838, il retrouve Alexandre Dumas en Allemagne, qui écrira parlant de lui «qu’il était un esprit charmant, distingué, chez lequel de temps en temps un certain phénomène se produisait qui par bonheur (ils l’espéraient tous) n’était pas inquiétant. Tantôt il est roi d’Orient il a retrouvé le sceau qui invoque les esprits, il attend la reine de Saba, et alors, il n’est nulle conte qui vaille ce qu’il raconte à ses amis… qui ne savent s’ils doivent le plaindre ou l’envier. Un jour, il se croit fou et raconte comment il l’est devenu et avec un si joyeux entrain, que chacun désire le devenir pour suivre ce guide… tantôt c’est la mélancolie qui devient sa muse, alors retenez vos larmes, si vous pouvez, car jamais Werther, jamais René, jamais Anthony n’ont eu plaintes plus poignantes, sanglots plus douloureux, paroles plus tendres, cris plus poétiques… »

 

     Prisonnier de son univers mental, Nerval promène son corps en bateaux, en coches, en diligences. Homme des missions poussé par la nécessité et l’impatience de ses propres limites, il aiguise sans cesse sa sensibilité et élargie sa capacité de connaissance et de création.


Marie-pleyel.jpg    


      En novembre 1839, au cours d’un long voyage qui le mène de la Suisse à l’Allemagne jusqu’en Autriche où il rencontre Liszt et Marie Pleyel. Il est sorti de sa crise sentimentale, mais la pianiste au visage de «pâle reflet de lune », véritable héroïne romantique aux yeux et aux cheveux sombres, le trouble. Elle l’aidera à dépasser sa passion et son angoisse à travers le mythe. Elle apparaîtra dans le récit «Pandora ».





    robert-le-diable.jpg  En 1840, il revoit Jenny Colon; femme d'un autre, elle est toujours Aurélia.
     En Belgique, un jour de Noël alors qu'elle interprète le rôle d'Isabelle dans "Robert le Diable" de Meyerber, cette représentation l'impressionne par son côté spectral; des nonnes sortent de leur tombe et errent des flambeaux à la main. Il puisera là encore des thèmes qui lui sont chers. 


    



      A son retour, il retrouve soucis et problèmes financiers. Le mois de décembre de cette même année marque profondément le poète, puisque Sophie Dawes s’éteint. La baronne de Feuchères, c’est toute son enfance, c’est Mortefontaine, c’est le domaine familial. C’est aussi la translation des cendres de l’empereur. Il s’est également incorporé dans le mythe Napoléonien, à cause du choix de ce pseudonyme rattaché à cet empereur romain Nerva, qui devint Nerval. Y voit-il de mystérieux signes ?
     « L’extraordinaire fait aussi partie de l’ordinaire » écrit Maurice Blanchot.


     Dès 1841, les premiers troubles mentaux apparaissent. Il a trente trois ans. En 1842, Jenny Colon épuisée par les maternités et les tournées provinciales meurt.

     En 1849, nouvelles crises et séjours en avril – mai chez les docteurs. En 1850 une période de dépression nerveuse l’assaille en juin. Il est soigné de nouveau. En 1851, en février il voyage en Touraine après avoir réglé l’édition définitive du «voyage en orient ». En 1853 il travaille à «Sylvie » il séjournera à la maison de santé municipale faubourg St Denis. Les frais seront pris en charge par le ministère de l’Instruction publique.

     Et en août après avoir été conduit à l’hôpital de la Charité, il entre à la clinique du Dr Emile Blanche à Passy. clinique_dr_blanche.jpg« Sylvie » est parue le 15 août dans la revue des deux mondes. Le Docteur Blanche lui conseille de mettre par écrit ses illuminations. « Diriger mon rêve éternel au lieu de le subir » écrit-il encore. Tout ce qui est dans «Aurélia » a d’abord été vu. Les visions sortent de l’ombre.

 

     Antonin Artaud note que les anciens écrivains alchimiques nourrissaient pour les termes de théâtre une affection particulière. Le symbole est théâtral. Nerval est fasciné par le théâtre ; La création de l’opéra les «Monténégrins » est crée six ans après la mort de Jenny Colon.

                       

                              « Les belles choses
                                N’ont qu’un printemps
                                Semons de roses
                                Les pas du temps »

 

  (un couplet de la chanson gothique de cet opéra.)

 

     Son monde intérieur est théâtre. Le symbole alchimique est comme le double spirituel d’une opération. C’est cela qui a attiré Nerval. Son livre de chevet, un ouvrage du religieux Bénédictin Dom Pernety présente le théâtre alchimique à travers les couleurs.

 

     Cette correspondance d’une couleur pour chaque divinité de la mythologie egypto – grecque séduit l’imagination de Nerval. En lisant Pernety, Nerval se rencontre lui-même. Il ne s’évade pas il se retrouve !

     Il écrit ironiquement à Dumas que ses sonnets perdraient du charme à être expliqués, si la chose était possible.

 

     « El Desdichado » parle toujours à celui qui, insatisfait de soi-même se cherche sans le savoir, il parle à qui rêve, à qui le mystère détient un charme qui transporte. Sans rien savoir, sans rien connaître, ni de l’alchimie, ni des tarots, ni du symbolisme, ni du poète lui-même, les vers de ce sonnet ont un écho.

     Nerval sollicite les visions, refuse de les recevoir passivement. Le mystère de la création poétique : aimanter les mots dont le poète doit régler l’ordonnance.


     « El Desdichado » et «Artémis » écrits à l’encre rouge, furent adressés à Alexandre Dumas le 14 novembre 1853. Le poète, ici est alchimiste. Le 15 novembre, il recopie à l’encre rouge le poème «A Victor Hugo qui m’avait donné son livre du Rhin ».    
     Nerval, lecteur de Pernety savait que rouge correspond au stade ultime de l’œuvre, celui de la fixation. Il écrit également à l’encre rouge, une lettre au Dr Emile Blanche… «mes épreuves sont terminées, et pour parler comme les initiés :  j’ai déposé la clef d’Osiris sur l’autel de la sagesse ».
     A ce moment, il semble vouloir indiquer qu’il a atteint son but, que sa carrière, son œuvre sont achevé. Il a à sa manière accompli le grand œuvre.

 

     Quand Julia Kristeva affirme que la mélancolie Nervalienne est une identification au Christ abandonné par le père, doublé d’un athéisme qui ne croit plus au mythe, elle suggère que sa philosophie est encore un christianisme immanent couvert d’ésotérisme. Un nihilisme secoue l’Europe, de Dostoïevsky à Nietzche : Dieu est mort ! Nerval substitue un dieu caché, une spiritualité diffuse. Mort de la mère, mort de la femme aimée, identification avec la mort même. Toutes apparitions féminines deviennent uniques et se fondent en un seul être, Isis, Marie, Aurélia, Sylvie, Sophie… Diane.

 

     Nerval a caché la clef des «Chimères » composées selon la symbolique alchimique, suivant une méthode de création qu’on pourrait nommer méthode d’imagination dirigée. Il veut peut-être faire croire qu’elles sont le fruit d’une imagination déréglée.  
     Nerval brouille les pistes ; il sait le prix de la folie, de ses crises. Il maîtrisera dans son art, ce qu’il ne maîtrisera plus dans sa vie. D’une poétique hermétique, il veut faire une source littéraire de rêve. Pari réussi ; Alain Fournier semble avoir été fortement influencé par l’univers Nervalien. Dans «le grand Meaulne », on retrouve cette recherche du temps perdu de l’adolescence féerique. La fête au château est bien dans la lignée et l’atmosphère du château nervalien… Le cinéaste Alain Resnais aurait-il filmé «L’année dernière à Marienbad » avec cet espace mental si particulier transcrit par l’image, sans la connaissance de son œuvre ?

 

Gerad-je-suis-l-autre.jpg                       Avant d’aborder «El Desdichado » plus en détail, je veux signaler une anecdote : dans une brochure qui lui était consacrée et où figurait un portrait de lui, il ajoute un dessin, un oiseau en cage, jouant avec les mots, d’abord la lettre G, puis Gérard (geai - rare) pour signifier que son âme est captive dans le tombeau de son corps. Sous le portrait initial, il ajoute la mention : « Je suis l’autre ».








     Mais la présence des oiseaux qui jalonnent toute son œuvre, cygne, perroquet etc. ne sont pas que des repères symboliques initiatiques. Quand on sait que dans son enfance, il pleura inconsolable la mort d’une tourterelle aux pieds roses, et qu’il eut un perroquet, on ne peut adhérer aux froides analyses du seul savoir. Gérard eut jusqu’au bout cette sensibilité merveilleuse, cette fraîcheur enchantée, même dans le désenchantement. « Nous sommes tous d’anciens perroquets prétendait-il et les perroquets étaient des hommes enchantés ».

 

 

 

El Desdichado

 

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l’Inconsolé,

Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :

Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé

Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

 

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui ma consolé,

Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,

La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,

Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

 

Suis-je Amour ou Phoebus ? … Lusignan ou Biron ?

Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;

J’ai rêvé dans la grotte où nage la Sirène…

 

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :

Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée

Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

 

     Bien des interprétations ont été écrites à propos d’El Desdichado, toutes plausibles ; avec le vrai poète toutes les facettes d’une même œuvre offrent des vérités différentes.

Je retiens ici, celle qui me semble initiale, celle de la composition des couleurs dans l’œuvre alchimique.

 

                                   Le règne du noir

                                   Le règne du blanc

                                   Le règne de la citrine safranée

                                   Le règne du rouge.

 

     Le Ténébreux c’est Pluton, ce qui explique le choix de Nerval au début du sonnet, c’est que de tous les Dieux, il fut le seul à garder le célibat, tant sa difformité effrayait les Déesses.
     Le Soleil noir (1° phase alchimique, à cause de sa couleur, il lui a été donné le nom de tête de corbeau) la Mélancolie, c’est la putréfaction de la matière noire ; (c’est parallèlement l’humeur du corps humain, regardée comme une bile noire.)

     Dans le 2° quatrain l’allégorie de la fleur fut une figure emblématique de Nicolas Flamel.
     La Fleur c’est le symbole du blanc. La couleur blanche succède à la noire, le souffre blanc étant le premier degré de perfection. Les philosophes emploient le mot tombeau pour des allégories de la putréfaction de la matière.
     Le pampre c’est la couleur de la rouille… celle de Mars (Mars que l’on retrouve avec Biron, nom d’un guerrier décapité. A noter, que Nerval se pendra ! ) Biron est un personnage de Shakespeare dans «Peines d’amour perdues», l’union du pampre et de la rose c’est donc l’union de Mars et de Venus ; c’est donc le passage du blanc au rouge à travers l’or safrané qui annonce le soleil. La blancheur s’altère, mais la rougeur foncée du soleil dure, parfaisant l’œuvre du souffre, que les philosophes appellent sperme masculin, couronne royale et fils du soleil.

     La rose désigne Vénus. La rougeur appelée mâle, cachée sous la blancheur de la matière nommée femelle, réunis comme deux sexes dans un même corps, font un composé hermaphrodite qui commence dès que la couleur safranée se manifeste.
     Nicolas Flamel, cité par Pernety, qui reprend les dires d’Orphée, disciple d’Hermès, affirme que Diane était Hermaphrodite.

 

     Le Pausilippe et la mer d’Italie représentent le mélange du souffre et du mercure dans l’œuf philosophique. (Pausilypon en grec signifie : cessation de la tristesse.)

     Phoebus c’est le Soleil ou Adonis, l’or philosophique. Phoebus, Amour, le front rouge symbolisent la phase du rouge. 
     Ce que les alchimistes appellent Reine, c’est l’eau mercurielle, ainsi nommée parce qu’ils ont appelé le souffre : Roi. Ils doivent être mariés ; l’eau est l’épouse naturelle et sa mère.


     Pour Nerval dans le poème, le baiser sur le front désigne ce mariage alchimique du Roi et de la Reine, de l’enfant philosophe avec sa mère.  Dans les écrits des philosophes, il est dit qu’il faut marier le Soleil et la Lune, le frère et la sœur, la mère avec le fils. Tout cela n’est que l’union du fixe avec le volatile qui se fait au moyen du feu.

 

    

     La Sirène c’est l’eau mercurielle purifié du souffre impur. C’est Mélusine avant cette purification elle est nommée la Femme prostituée. « Les soupirs de la Sainte », c’est Artémis, Diane, la vierge ailée pure qui accouche dans le «désert des cieux » (par symbolisme, Diane c’est Sophie Dawes la baronne de Feuchère). Nerval est amant et frère de la Femme. Une femme confondue en une seule image, qu’il idolâtre et vénère. Quand son âme retombe à la matière, ces femmes décevantes (hors du mythe) le quittent, le déçoivent où meurent. Et souvent le tout à la fois.
     L’alchimiste fait sortir le blanc du noir, la Sainte et la fée ont franchi l’Achéron, elles ont quitté le monde de la putréfaction, la couleur noire, qui est le monde de Pluton.

 

     Nerval identifié au Ténébreux à l’histoire de Pluton, le sonnet devient sa propre histoire, son malheur sien, sa transmutation en Phoebus sa métamorphose.

     Avec la fleur blanche, il revoit la femme aimée, perdue. Le drame alchimique est son propre drame.

« Ils est certains conteurs qui ne peuvent inventer sans s’identifier aux personnages de leur imagination (- confie Nerval à Alexandre Dumas). Ce qui n’eut été qu’un jeu pour vous … est devenu pour moi une obsession, un vertige. »


     Dans le poème suivant, «Artémis », Nerval affirme son choix définitif pour le nocturne. Le Ténébreux est à la fois le Diable du Tarot et le Diable alchimique, l’Anteros et la noire Hécate, la lune de l’enfer.

 

     Le poète à retraversé l’Achéron et la nuit se referme. Il retourne au monde enseveli de la mélancolie, c’est le refus de la transmutation intérieure.

     En 1853, il termine donc les «Filles du Feu » et les «Chimères ». En 1854, en août il entre chez le Dr Blanche, travaille à «Aurélia ». Il quitte la clinique le 19 octobre, menant une existence errante, difficile, sans domicile fixe.


     Rue-de-la-Vieille-Lanterne-par-gustave-d 

     Le 26 janvier 1855, il est trouvé pendu rue de la Vieille - Lanterne par moins 18° sous zéro.

     L’identité impossible et tellement cherchée se trouve résolue. Mis par la maladie, dans l’impossibilité d’écrire, de produire, de donner, il ne pouvait plus survivre.


     Ses dernières lignes écrites sur un billet laissé à une tante qui l’hébergeait sont un étrange adieu qui renvoient une ultime fois au règne alchimique : « - Ne m’attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche. »

 

 

     L’œuvre Nervalienne prend son sens dans la mesure où elle dépasse tout entendement réel, écartant toutes les limites.
     Ce langage unique alliant l’intemporel au réel, le souvenir et l’imaginaire, démarche pour comprendre ou devancer ce qui sera fuite, oubli, mort, touche cette part mystérieuse que chacun porte en soi.
     L’émotion dépasse le savoir.

 

 

Hécate.

 

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3 avril 2009 5 03 /04 /avril /2009 20:23

The-Annunciation.jpg







Les préraphaélites

 

Peintres et Poètes

 

UN ART DE VIE…

 




       Lorsque Pablo Picasso quitte l'Espagne pour la France, il s'arrête à Paris. L'Exposition Universelle de 1900 a choisi une de ses œuvres pour représenter son pays. Pour lui il s'agit seulement d'une étape; il veut aller en Angleterre attiré par la peinture des préraphaélites.

 

         S'il n'avait été arrêté par des amis espagnols retrouvés à Montmartre, sans doute, aurait-il poursuivi son voyage. Il a alors 19 ans.

       rossetti1.jpg 
        Les préraphaélites ont pratiquement le même âge quand ils décident de fonder ce mouvement qui va bouleverser l'Angleterre victorienne.

 

         L'une des figures les plus légendaires de ce nouvel Art de Vie est le peintre et poète Dante Gabriel Rossetti.


     En France l'un de ses fervents admirateurs est l'auteur du "Grand Meaulnes" Alain-Fournier; il vénère tout particulièrement le portrait "Béata Béatrix" avec lequel se confond le visage de son amour idéalisé, celui d'Yvonne de Galais, son héroïne.

 

     Si Rossetti à sa mort en 1882 est peu connu en France, Paul Bourget et Maurice Barrès lisent ses poésies. Un peu plus tard Pierre Louÿs en conseille la lecture à Paul Valéry. Un enthousiasme bientôt partagé ; en 1884 Claude Debussy composera une cantate d'après le poème "La damoiselle élue".

 

         La Confrérie Préraphaélite fondée à Londres en 1848 par des jeunes hommes idéalistes et révoltés durera peu.

         William Holman Hunt, Walter Deverell, John Everett Millais ont conclu un pacte avec Dante Gabriel Rossetti : signer leur tableaux en commun avec les initiales P.R.B. (Pre-Raphaelite Brotherhood ).

Plus tard se joindront à eux, Edward Burne-Jones, Walter Crane et William Morris.

         Ils sont d'abord poètes, écrivains mais aussi dessinateurs. Tournés vers Dante et Shakespeare, vers les peintres flamands et les italiens d'avant Raphaël, ils s'appuient sur le passé pour franchir l'impasse du conformisme de leur époque avec toute la fougueuse conviction de leur jeunesse.

         Ils ont entre 19 et 26 ans. Ils aborderont tous les genres: religieux, historiques, symboliques.

         Ils ne savent pas encore que leurs rêves de légendes, de paradis perdu, à travers leurs créations vont influencer toute l'Europe et préparer l'éclosion de l'Art Nouveau.

 

         En 1837 la reine Victoria monte sur le trône.

Enfant de l'Ancien Régime, elle est plus impulsive, plus humaine que la légende le prétend, mais sous l'influence de son mari Albert de Saxe-Cobourg-et-Gotha, Victoria devient l'incarnation de cette lourde respectabilité qu'on surnomme "victorienne": sens aigu de la famille, sentimentalité, respect absolu pour la religion, nécessité du devoir.

 

         Le Royaume-Uni devient le maître  des mers et le propriétaire du plus vaste empire que le monde ait jamais connu. La reine devient l'Impératrice des Indes. Les territoires s'étendent en Australie, aux Antilles, en Afrique et en Amérique du Sud.

        

         Paradoxalement, un doute profond s'installe, la peur de la sexualité s'amplifie, les maîtresses de maison couvrent par pudeur les pieds des meubles ! Et une popularité douteuse est accordée aux versions expurgées de Shakespeare…

         C'est le triomphe économique. Cet âge d'or a cependant son revers ; la civilisation industrielle entraîne laideur, égoïsme, cruauté et mépris envers l'art et l'architecture.

 

         Charles Dickens, le Balzac anglais, illustre magistralement dans ses romans, les coulisses de Londres.

         Il visite les bas-fonds, les prisons, les tripots. Lui-même, à douze ans a connu dans une fabrique de cirage ce que peut être l'humiliation, l'insécurité, la solitude d'une misère qui devait se taire et se cacher.

Chez Dickens tout est noir et blanc, la neige, la suie, la nuit, l'aube. Si le soleil luit, il n'est perçu que par le soupirail d'une cave, ou entre les planches d'un taudis.

Le romanesque et la sentimentalité de son œuvre enveloppent l'horreur. Il réussit à faire pleurer, à provoquer quelques scandales, quelques réformes, mais ne parvient pas à déplacer les tabous victoriens.

 

Les préraphaélites remettent tout en cause. Leur mouvement intriguera l'Angleterre pendant une cinquantaine d'années.

En plein cœur de Londres on voit des jeunes filles vêtues de costumes du Moyen-Âge, et dans certaines soirées des femmes osent porter des robes copiées d'après d'anciens tableaux, avec des lys dans les cheveux.

 

       -Morris-william.jpgWilliam Morris (1834 – 1896) architecte, dessinateur, peintre et écrivain a joué un rôle essentiel dans l'évolution de l'art décoratif en Angleterre, particulièrement dans le papier peint et le textile.

 

         En 1861, il fonde une société de production de meubles, de vitraux et de tapisseries avec Burne-Jones, Ford Madox Brown et Rossetti. 
         Opposé à la révolution industrielle, Morris propose une réforme du cadre de vie, fondé sur un retour à l'esthétique médiévale.

        


        Morris
fut l'un des premiers à s'efforcer de bâtir des liens entre le monde de l'art et celui du travail.

         Il refuse la fabrication mécanique et réhabilite le respect du matériaux, le goût du bel ouvrage et le travail manuel.

 

-         "J'ai essayé de faire de chacun de mes ouvriers un artiste, et quand je dis un artiste, je veux dire un homme".

 

        Militant convaincu, il fonde en 1884 la Ligue socialiste, publie des romans et diffuse ses idées politiques et artistiques.

 

        Mais il est d'abord le poète de la joie retrouvée à travers les légendes arthuriennes, idéalisant l'imagerie des châteaux et des vergers du Moyen-Âge qui représente un monde plus libre et plus serein que celui proposé par l'époque victorienne.

 

« Deux roses à la brune

Rouges sur fond de lune »

 

William MORRIS.

 

Il était une dame en un joli château,

souple comme une lame, aux grands yeux couleur d’eau,

qui chantait ce couplet

lorsque midi sonnait :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».

 

Vint à passer par là un jour du mois de mai,

sur la route poudreuse un galant chevalier

il entendit la dame

qui chantait avec âme :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».

 

Mais ne s’arrêta point malgré ce chant si beau,

sur son vaillant coursier disparut au galop,

laissant derrière lui

le refrain de midi :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».

 

Car le combat déjà réclamait tous les preux

qui devaient affronter les Rouges et les Bleus ;

en hâte il s’éloignait

du lancinant couplet :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».

 

Et le combat fit rage par monts et par vaux,

du sommet des coteaux jusqu’au bord du ruisseau,

mais quand sonna midi

il entonna pour lui :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».

 

Les Rouges et les Bleus perdus dans la mêlée

ne montraient que des heaumes et des souliers dorés ;

à pleine voix soudain

retentit ce refrain :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».

 

Et les heaumes dorés chargeant avec entrain

cette forêt d’épées dressées sur le terrain,

chantaient en tailladant,

haut et gaillardement :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».

 

Au retour s’arrêta près du château joli,

bien que las et défait et tout trempé de pluie,

pour cueillir à midi

un baiser en sursis :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».

 

Elle fut couronnée un jour du mois de mai.

Tout étincelait d’or, l’allégresse régnait,

quand les trompes d’airain

sonnèrent ce refrain :

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».                  

 

« Deux roses à la brune

rouges sur fond de lune ».                  

 

[« Two Red Roses across the Moon »].

 

 

Millais_-_Self-Portrait.jpgSir John Everett Millais (1829 – 1896) est le plus doué des préraphaélites, même s'il doit s'orienter par la suite vers des scènes de genres plus traditionnelles.

Portraitiste renommé, il s'installera avec bonheur dans le mariage et se spécialisera dans des scènes enfantines sentimentales dont l'une "Bubbles" (1855 – 1856) sera répandue partout pour une marque de savon. (Pears)

 

        En compagnie de William Hunt, l'été 1851 il commence d'après nature, le célèbre tableau "Ophélia", utilisant la technique du fond blanc humide et des couleurs pures. Il expose une description méticuleuse des fleurs : pensées, pavots, pâquerettes, myosotis, jacinthes sauvages, orties et lentilles d'eau.

 

   Chargé d'allusions au destin tragique de l'Ophélie de Shakespeare, ce tableau authentiquement préraphaélite contribua à la reconnaissance du mouvement.

 

   Théophile Gautier écrit que :                                                 

        "nul n'a poussé si courageusement son système jusqu'au bout"   

et que       

        "Millais étudie la nature avec l'âme et les yeux d'un artiste du quinzième siècle…"         

que  

        "ses tableaux sont assurément les plus singuliers de l'Exposition Universelle"         

même,      

        "si de loin Ophélie a un peu l'air d'une poupée qui se noie dans une cuvette, approchez et vous serez ravi par un monde prodigieux de détails".

 

        En mai 1870 Arthur Rimbaud écrit un poème sur la mort d'Ophélie.

 Oph-lia-de-millais.jpg


OPHELIE

Arthur RIMBAUD.


                                  I

 

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,

Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…

– On entend dans les bois lointains des hallalis.

 

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie

Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.

Voici plus de mille ans que sa douce folie

Murmure sa romance à la brise du soir.

 

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;

Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,

Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

 

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;

Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,

Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :

– Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

 

                                  II

 

Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !

Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !

– C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège

T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;

 

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,

A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;

Que ton cœur écoutait le chant de la Nature

Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;

 

C’est que la voix des mers folles, immense râle,

Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;

C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,

Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !

 

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !

Tu te fondais à lui comme une neige au feu ;

Tes grandes visions étranglaient ta parole

– Et l’Infini terrible effara ton œil bleu !

 

                                 III

 

– Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles

Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;

Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,

La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.                         

      E-Siddal.jpg  

Elle a vingt ans à peine et travaille douze heures par jour dans un magasin de mode pour femmes riches. Elle a une longue silhouette fragile, de mélancoliques yeux verts, une peau blanche, transparente, une bouche sensuelle et une somptueuse chevelure flamboyante.

 
         Elizabeth Siddal sera pour les préraphaélites un modèle fascinant qu'ils rendront immortel, chacun à leur manière.

 

         Pour Millais elle est Ophélie. L'extérieur du tableau peint durant tout un été d'après nature, sera terminé en atelier l'hiver suivant.

 

         Couchée dans une baignoire et revêtue d'une robe rebrodée d'argent, Elizabeth pose. Des chandelles allumées en permanence sous la baignoire maintiennent la chaleur de l'eau. Un soir, elles s'éteignent et Millais ne s'en n'aperçoit pas.

 

         Elizabeth tremble sans savoir si c'est le froid ou ses rêves qui l'engourdissent. De ce refroidissement, elle ne se remettra pas ; pas plus qu'elle ne se remettra de l'amour mystérieux qu'elle voue à Rossetti qui ne voit en elle que l'instrument de son art.

 

         Il la vénère, l'idolâtre à sa manière et finira même par l'épouser, mais il est alors devenu amoureux d'une autre, la femme de William Morris.

        

         Elizabeth peint, dessine, écrit des poèmes, de plus en plus belle, de plus en plus tourmentée.

         Un matin, elle est retrouvée morte au pied du tableau "Béata Béatrix" que Rossetti n'a pas encore achevé. Elle est allongée, un flacon de laudanum vide est tombé de sa main.

        

Dante-Gabriel-Rossetti.-Beata-Beatrix.jp   
      Epuisée physiquement et moralement, elle a choisi de hâter sa mort. Elle n'a même pas trente ans.

 

       Tout le symbolisme restera marqué par sa beauté de flamme consumée ! …


(1834 – 1862)

 



Exténuée

Elizabeth SIDDAL.

 

Tes bras robustes m’entourent,

        mon amour

        Ma tête posée est sur ta poitrine :

Bien que tu me prodigues des mots

        de réconfort,

        Mon âme ne connaît pas le repos :

 

Car je ne suis qu’une créature effrayée,

        Et ne peux d’ailleurs être

Autre qu’un oiseau dont l’aile brisée

        Doit l’emporter loin de toi.

 

Je ne peux te donner l’amour

        Que je te donnais il y a si longtemps,

L’amour qui se métamorphosa et

        me renversa

        Au milieu de la neige aveuglante.

 

Je ne peux t’offrir qu’un cœur naufragé

        Et des yeux languissants de douleur,

Une bouche fanée qui ne peut sourire

        Et qui ne doit plus sourire.

 

Laisse pourtant tes bras autour de moi

        mon amour

        Jusqu’à temps que je glisse dans

        le sommeil :

Laisse-moi alors, sans me dire au revoir,

        De crainte de provoquer mon déclin

        et mes pleurs.

 Sidal.jpg

       





   Peinture d'Elizabeth Siddal




        Emporté par la douleur, Rossetti jette dans le cercueil d'Elizabeth son cahier de poésie.

        Sept ans plus tard, tiraillé par le remords, tout au désir d'exhumer ses poèmes, il obtient une autorisation officielle.

 

         De nuit, dans le cimetière d'Highgate, la tombe est ouverte.  Ô stupeur, dans sa robe de velours, Elizabeth semble embaumée et sa chevelure de feu est déployée sur le capitonnage de soie. Près de la bible, il y a le recueil toilé de vert du poète.

        

         Dante Gabriel Rossetti né le 12 mai 1828 est le fils d'un émigré italien fou de Dante, d'où son prénom. Il réalise peu de tableau, mais c'est vers lui que convergent tous les regards lorsqu'il est question de préraphaélisme.

 

        C'est lui qui a donné le ton de cet imaginaire à la fois littéraire et plastique. Tout le symbolisme européen sera héritier de l'univers  de ce "grand italien tourmenté dans l'enfer de Londres" comme le dit Ruskin, grand critique d'art.

 

       La-Ghirlandatarossetti41.jpg

        Au-delà de l'amour, Rossetti devient l'image de l'angoisse, le fétichiste des lèvres, de la chevelure. Il joue avec l'ondoyante tombée d'un tissu, avec la lumière vive ou automnale. Et il y a les fleurs toujours les fleurs… et plus aucune différence entre la parole, l'écriture et l'image.

 

       

        Après la mort d'Elizabeth Siddal, il achève son tableau Béatrice. La fortune lui est venue soudainement. Il vit dans le domaine de Tudor House, une demeure mythique où la reine Elizabeth I ère  a séjourné, où Erasme a écrit "l'Eloge de la folie".

 

        Dans ce lieu historique la présence du bohème Rossetti a presque allure de scandale. L'habitation est sombre, la seule pièce lumineuse est l'atelier ; trois immenses fenêtres ouvrent sur le parc.  A l'intérieur, il y a des tentures de velours, des canapés, des porcelaines orientales et un mobilier renaissance.

 

        C'est là qu'il peint, identifié à Dante totalement. Elizabeth est Béatrice. A tout jamais transfigurée, sublimée… et lui, hanté par la pureté perdue de son premier rêve préraphaélite.

 

LA SAULAIE 

Dante Gabriel ROSSETTI.

(1828-1882)

 

J’étais assis avec l’Amour sur un puits, à l’orée d’un bois,

Nous nous penchions sur l’eau, moi et lui ;

Il ne me parlait, ni ne me regardait,

Mais touchait son luth qui exprimait

La certaine chose mystérieuse qu’il avait à dire :

Nos yeux seuls se rencontrèrent silencieusement réfléchis

Dans l’eau profonde ; et ce chant devint

La voix passionnée que je connaissais ; et mes larmes tombèrent.

 

Et sous leur chute, les yeux de l’Amour devinrent ceux de ma Bien-Aimée ;

Et de son pied et de son aile

Il fit disparaître la source qui arrosait la sécheresse de mon cœur.

Alors les sombres rides de l’eau se métamorphosèrent en une chevelure ondulée,

Et tandis que je me baissais, les lèvres de ma Bien-Aimée émergèrent

Et inondèrent mes lèvres d’un torrent de baisers.

 

Dante-20Gabriel-20ROSSETTInue.jpg


SYMPHONIE DE JEUNESSE

Dante Gabriel ROSSETTI.

– « Je t’aime, douce amie, comment pourrais-tu jamais savoir
     Combien je t’aime ? »

 

– « Je t’aime de même, et ainsi je le sais ! »

 

– « Chère, tu ne peux pas savoir combien tu es belle ! »

 

– « Si je le suis assez pour régner sur ton Cœur,

     Mon amour n’en demande pas davantage. »

 

– « Mon amour grandit d’heure en heure, chère. »

 

– « Le mien grandit aussi,

 Et pourtant depuis bien des heures l’amour me paraissait en pleine fleur ! »

 

Ainsi devisent les amants, puis les baisers réclament leur tour.

 

Ah ! bienheureux ceux pour qui de telles paroles

Ont servi de langage tout le jour de leur Jeunesse,

Heure après heure, loin de la cohue du monde,

De ses œuvres, de ses luttes, de sa gloire,

De cette ligue des exigences de la vie,

Tandis que l’amour soupirait en silence

Son chant extatique à travers deux âmes confondues.

 


(Fin de la première partie...)

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2 avril 2009 4 02 /04 /avril /2009 15:43

rossetti.jpg






Les préraphaélites

 

Peintres et Poètes

 

UN ART DE VIE…

                    { 2 }
















        L'ami de Rossetti, le poète Algernon Charles Swinburne   (1837 – 1909) est le dernier à avoir vu Elizabeth Siddal vivante.

Né à Londres en 1837, il déclenche un scandale lorsqu'il publie "Poèmes et Ballades" en 1866. La société anglaise se choque, la critique se fâche. Les insultes pleuvent sur le poète de 29 ans.

 

        Douleur, volupté, désir de fusion, panthéisme et fatalité sont les thèmes de sa poésie influencée par la forme de la ballade, du sonnet ou du rondeau. Mais les censeurs exagèrent ; le poids de l'orgueilleuse société victorienne est terrible !

 

        Le puritanisme règne, les ouvrages religieux dominent et eux seuls ont le droit de parler de l'amour mystique et de la mort. La haute bourgeoisie se cache pour lire des romans !

 

         Algernon-Swinburne.jpgSwinburne, c'est Riquet à la houppe sans princesse. Enfant pâle, petit, fluet, avec une tête disproportionnée surmontée d'une exubérante touffe de cheveux rouges, il passe les onze premières années de sa vie dans l'île de Wight.

 

        Ses relations avec son père sont médiocres, par contre, il éprouve pour sa mère une véritable fascination. Cultivée, elle lui enseigne le français et l'italien. Autoritaire elle interdit la lecture de Byron, et, celle de Shakespeare en version expurgée est la seule autorisée.

  

        Principalement entouré de femmes, en dehors de la lecture, ses occupations sont promenades et baignades. Il montre envers les vagues, une intrépidité qui lui vaut d'être surnommé "la mouette", et manque de se noyer de nombreuses fois.

 

        A Eton, il subit le traditionnel châtiment corporel de l'éducation anglaise. D'abord battu par le vent, puis battu par le fouet, humilié de ne pouvoir entrer dans l'armée, une étrange révolte le dévore.

 

        A 24 ans il découvre ce qu'il appelle ses lectures essentielles : Baudelaire, le Marquis de Sade. Il traduit Villon, lit Pétrarque et Boccace.

" –  Je défends l'art pour l'art contre la rigueur morale", dit-il.

 

        Il trouve refuge et amitié auprès des préraphaélites Rossetti, Millais, Hunt, qui sont eux aussi en rébellion contre l'académisme en vogue.

 

        L'alcool, les mauvais lieux où il cherche quelques parodies d'amour, errant la nuit avec un Rossetti devenu tourmenté et amer, altèrent sa santé. A 43 ans il est muré dans la surdité. Sauvé de justesse par un ami, il quitte Londres, la capitale de sa perdition.

 

        Lorsque ses derniers écrits paraissent, c'est dans l'indifférence générale, mais ils suscitent l'admiration de Verlaine, de Verhaeren. Maupassant préface ses poèmes  traduits en français, et Oscar Wilde proclame qu'il est le seul anglais à avoir lu Balzac.

 

 

 

                         ALLIANCE

 

Algernon Charles SWINBURNE.

(1837 / 1909)

 

Si l’amour était semblable à la rose,

    Et si j’étais comme une feuille,

Nos vies croîtraient ensemble,
Que le temps soit triste ou chantant,
Dans les prairies venteuses, dans les enclos fleuris,

    Que le plaisir soit vert, que le chagrin soit gris ;

Si l’amour était semblable à la rose,

    Et si j’étais comme la feuille.

  

Si j’étais semblable aux paroles,

    Et si l’amour était mélodie,

A deux voix, dans une seule

Félicité nos lèvres se mêleraient,

Et nos baisers seraient heureux comme les oiseaux

    Qui, à midi, jouissent d’une douce pluie,

Si j’étais semblable aux paroles,

    Et si l’amour était mélodie.

 
Si tu étais la vie, mon aimée,

    Et si moi, ton amour, j’étais la mort,

Ensemble nous serions neige et soleil,

Avant que mars n’offre au temps

Le narcisse, le sansonnet suaves

    Et le souffle fécond des heures,

Si tu étais la vie, mon aimée,

    Et si moi, ton amour, j’étais la mort.

  

Si tu étais serve du chagrin,

    Si j’étais page de la joie,

Nous jouerions des vies et des saisons durant

Avec regards amoureux et perfidies,

Larmes du soir et du matin,

    Ris de jeune fille, de jouvenceau,

Si tu étais serve du chagrin,

    Si j’étais page de la joie.

   

Si tu étais dame d’avril,

    Si j’étais seigneur en mai,

Nous déploierions des feuilles des heures durant

Et, des journées entières, ferions moissons de fleurs,

Jusqu’à ce que le jour s’enténèbre comme la nuit

    Et que la nuit resplendisse comme le jour,

Si tu étais dame d’avril,

    Et si j’étais seigneur en mai.

 

  Si tu étais reine du plaisir,

    Si j’étais roi de douleur,

Ensemble nous irions chasser l’amour,

Pour arracher les plumes de ses ailes,

Régler son pas,

    Et brider son bec,

Si tu étais reine du plaisir,

    Et si j’étais roi de douleur.

 

        Swinburne et Rossetti sont attaqués avec une virulence qui peut faire sourire aujourd'hui, par un poète écossais malchanceux et aigri, Buchanan.

 

        Avec dégoût il condamne Rossetti et les préraphaélites par deux adjectifs : "maladifs" et "efféminés".

 

        Sacrilège : les baisers qui prolifèrent dans les poèmes de Rossetti ! L’un de ses sonnets ne se termine-t-il pas ainsi :

-        "Et dans un baiser sa bouche devint son âme."

 

        Rodin très proche de la sensibilité de Rossetti, taillera dans le marbre la célèbre sculpture "Le Baiser". Beaucoup d'autres artistes suivront ce thème.

 

        Mais pour le puritain Buchanan, Rossetti "est pornographe, exhibitionniste et … esthétique ! " Ce qu'il estime la suprême insulte.

 

        Buchanan dans sa rage, dénonce les ravages causés par l'influence de Baudelaire, "ce véritable fils de Méphistophélès."

 

        Ce pervers n'a-t-il pas traduit Edgar Poe ! N’est-ce pas là le signe d'une nature malade.

 

        Et Gautier qui préface "Les Fleurs du Mal" est mis dans le même sac. Swinburne a voulu surpasser Baudelaire, Rossetti a illustré Poe. Ils appartiennent donc à la même race pernicieuse. Baudelaire est leur parrain ! (Miraculeusement William Morris est épargné).

 

        Au passage il déplore les répugnantes héroïnes des français : vampires, chattes ou femmes - chats qui ont contaminées les poètes anglais.

Le français est bien la source du chancre qui dévore la nation anglaise. Buchanan est persuadé de mener une campagne de salubrité publique. Il a pourtant pratiquement disparu de la plupart des dictionnaires.

 

        Rossetti néanmoins, sera profondément affecté par ses attaques dans la presse durant les dernières années de sa vie. Ses yeux faiblissent, il craint de perdre la vue et ne peint plus que des aquarelles.

 

        Avant de mourir, un soir d'avril, lors d'une belle journée, affaibli nerveusement et malade, il avait dit à sa sœur Christina :

- "c'est beau – le monde et la vie elle-même – je suis heureux d'avoir vécu."

 

 

        Oscar_Wilde.jpgDéterminé par l'univers préraphaélite, Oscar Wilde (1854 – 1900) dandy anglais, écrivain poète, conférencier, veut faire une place à la beauté dans le rigide monde victorien.

 

        Disciple de Morris, il dénonce la laideur industrielle qui détruit les paysages et produit des objets de laideur. Il va désormais  mettre son succès, son intelligence insolente, ses talents de conteur au service d'une réforme militante.

          Wilde se fait professeur de beauté ! 
Pour lui, la vie se doit d'imiter l'Art.

 

          A Paris, il découvre les décadents, le symbolisme et bien sûr les toile de Gustave Moreau. (1826 – 1898) 

          Ne voilà-t-il pas qu'on reproche à Gustave Moreau d'être trop littéraire pour un peintre ! Il se fait traiter d'illuminé avec les femmes fatales vêtues de gemmes et d'orfèvrerie qui hantent ses tableaux !

 

          Influencé par les miniatures persanes et les émaux du Moyen-Âge, son œuvre, à la fois mythologique et onirique est une révélation qui correspond aux fantasmes de l'époque.

         

          Chez Moreau qui vécut avec sa mère jusqu'à l'âge de 58 ans, la sexualité est sublimée par le rêve ; la chair n'est pas uniquement source de volupté, mais tristesse.

 

          Somnambulique, nue ou couverte de bijoux, comme chez Baudelaire, la femme apparaît dans une séduction de fatalité.

 

          Les critiques ont réussi à attirer les foules au salon de 1876 : plus de cinq cent mille visiteurs viennent voir "Salomé" et "l'Apparition". Il est le phénomène du moment.

 Gustave-Moreau-Salom-.jpg                                                                   




         Zola écrit :


        "Gustave Moreau a dédaigné la fièvre romantique, il s'est lancé dans le symbolisme. Après avoir regardé ses tableaux… vous vous en allez avec le désir invincible de peindre la première souillon venue que vous rencontrerez dans la rue".

         

          En cette fin de siècle "Salomé" symbole de  pulsion d'érotisme  et de mort, obsède tous les artistes tant en peinture qu'en littérature et poésie. (2789 poèmes seront recensés en 1912 !)




         

         

        Après Mallarmé, Oscar Wilde décide à son tour d'écrire une "Salomé" : elle danse depuis tant de siècles dans la peinture et les livres ! Celle de Moreau le comble et l'inspire.

        Il parcourt Paris, cherchant des idées, des détails ; rue de la Paix, il examine les vitrines pour y trouver les parures, les colliers :

-        "Il faut que les perles expirent sur sa peau" dit-il. Chaque passante lui apparaît comme une princesse de Judée.

 

          Un jour qu'il discute de tout cela, Rémy de Gourmont intervient : il confond deux Salomé, l'une est fille d'Hérode, l'autre une danseuse de la bible.

          Wilde écoute et dit :

-        "Ce pauvre Gourmont nous raconte-là la vérité d'un professeur. Je préfère l'autre vérité, la mienne qui est celle du rêve. Entre deux vérités, la plus fausse est la plus vraie."

 

          Un soir, en manque d'inspiration devant sa page blanche, il va au Grand Café, boulevard des Capucines : un orchestre tzigane joue. Il fait venir à sa table le chef d'orchestre :

-        "Je suis en train d'écrire une pièce sur une femme qui danse nu-pieds dans le sang d'un homme qu'elle désirait et qu'elle a tué. Je veux que vous me jouiez quelque chose en harmonie avec mes pensées."

 

          L'orchestre joua alors une musique si terrible et si sauvage, que tous se turent et se regardèrent le visage livide.

 

          Oscar Wilde rentra chez lui et se mit à écrire en français. La pièce sera interdite en Angleterre.

 

          Wilde vécut quelques années dans la solitude à Paris sous le pseudonyme de Sébastien Melmoth avant de succomber à une méningite le 30 novembre 1900.

 

 

 

Salomé           d'Oscar Wilde (extrait)

 

-        Salomé, dansez pour moi.

 

-        Je n'ai aucune envie de danser, tétrarque.

 

-        Salomé, Salomé, dansez pour moi. Ce soir, je suis si triste. Si vous dansez pour moi vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez et je vous le donnerai.

 

-        Vous me donnerez tout ce que je demanderai, tétrarque?

 

-        Tout, fût-ce la moitié de mon royaume. Comme reine, tu serais très belle Salomé.

 

-        Je danserai pour vous tétrarque. J'attends que mes esclaves m'apportent des parfums et les sept voiles et m'ôtent mes sandales.

 

-        Je te donnerai ce que tu voudras. Que veux-tu, dis ?

 

-        Je veux qu'on m'apporte présentement dans un bassin d'argent…

 

-        Qu'est-ce que vous voulez qu'on vous apporte dans un bassin d'argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée ? Quoi que cela puisse être, on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu'est-ce que c'est, Salomé ?

 

-        La tête d'Iokanaan.

 

-        Non, non Salomé. Vous ne me demanderez pas cela. N'écoutez pas votre mère. Elle vous donne toujours de mauvais conseils.

 

-        Je n'écoute pas ma mère. C'est pour mon propre plaisir que je demande la tête d'Iokanaan, dans un bassin d'argent. Vous avez juré, Hérode. N'oubliez pas que vous avez juré.

 

-        Je vous ai toujours aimée… Peut-être, je vous ai trop aimée.

La tête d'un homme décapité, c'est une chose laide, n'est-ce pas ? Ce n'est pas une chose qu'une vierge doit regarder. J'ai une grande émeraude ronde que le favori de César m'a envoyé… C'est la plus grande émeraude du monde. Demandez-moi cela et je vous le donnerai.

 

 

-        Je vous demande la tête d'Iokanaan.

 

-        Salomé, vous connaissez mes paons blancs… leurs becs sont dorés et les grains qu'ils mangent sont dorés aussi et leurs pieds sont teints de pourpre. Il n'y a aucun roi au monde qui possède des oiseaux aussi merveilleux. Eh ! bien, je vous donnerai cinquante de mes paons. Seulement il faut me délier de ma parole et ne pas me demander ce que vous m'avez demandé.

 

-        Donnez moi la tête d'Iokanaan.

 

-        Salomé, pensez à ce que vous faites. Cet homme vient peut-être de Dieu. C'est un saint homme. Je suis sûr qu'il vient de Dieu. Aussi peut-être que s'il mourrait, il m'arriverait un malheur…

 

-        Donnez-moi la tête d'Iokanaan.

 

-        J'ai des bijoux cachés ici que même votre mère n'a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J'ai un collier de perles à quatre rangs. On dirait des lunes enchaînées de rayons d'argent. On dirait cinquante lunes captives dans un filet d'or.                                  

 

J'ai des améthystes de deux espèces. Une qui est noire comme le vin. L'autre qui est rouge comme du vin qu'on a coloré avec de l'eau.

J'ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, et des topazes roses comme les yeux des pigeons, et des topazes vertes comme les yeux des chats. J'ai des opales qui brûlent toujours avec une flamme qui est très froide, des opales qui attristent les esprits et ont peur des ténèbres…

 

J'ai des chrysolithes et des béryls, j'ai des chrysoprases et des rubis, j'ai des sardonyx et des hyacinthes et des calcédoines, et je vous les donnerai tous, mais tous, et j'ajouterai d'autres choses… Je te donnerai tout ce que je possède, sauf une vie. Je te donnerai le manteau du grand prêtre. Je te donnerai le voile du sanctuaire.

 

-        Donnez-moi la tête d'Iokanaan.

 

 moreausalome.jpg



                          Salomé 

Oscar Vladislas de Lubicz-MILOSZ.

 

- Jette cet or de deuil où tes lèvres touchèrent,

Dans le miroir du sang, le reflet de leur fleur

Mélodieuse et douce à blesser !

 

La vie d'un Sage ne vaut pas, ma Salomé,

Ta danse d'Orient sauvage comme la chair,

Et ta bouche couleur de meurtre, et tes seins couleur de désert !

 

- Puis, secouant ta chevelure, dont les lumières

S'allongent vers mon cœur avec leurs têtes de lys rouges,

- Ta chevelure où la colère

Du soleil et des perles

Allume des lueurs d'épées-

 

Fais que ton rire ensanglanté sonne un glas de mépris,

O Beauté de la Chair, toi qui marches drapée

Dans l'incendie aveugle et froid des pierreries !

 

Salom--huile-sur-toile.jpg

                         Hérodiade
Théodore de BANVILLE

(1828-1891).

 

(…)

 

Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine !

Un petit page noir tient sa robe qui traîne

En flots voluptueux le long du corridor.

 

Sur ses doigts le rubis, le saphir, l’améthyste

Font resplendir leurs feux charmants : dans un plat d’or

Elle porte le chef sanglant de Jean-Baptiste.

 

« Les Princesses », Juin 1854.

 

 Salom-.jpg

 

 

 

                            Hérode
Albert SAMAIN

(1858-1900).

 

(…)

 

Et le roi sent, frisson d’or en ses chairs funèbres,

La vipère Luxure enlacer ses vertèbres ;

Et, tendant ses vieux bras de métaux oppressés,

 

D’une bouche repue, incurablement triste,

Pendant qu’à terre gît le chef de Jean-Baptiste,

Il boit le sang qui brûle au bout des seins dressés,

 

Et l’irritante horreur des grands yeux révulsés.

 
 

    
  Salom---Aubrey-Beardsley.jpg       Vincent Aubrey Beardsley illustre la Salomé d'Oscar Wilde dont il fait la connaissance par l'intermédiaire d'Edward Burne-Jones. Ce peintre anglais le plus renommé de la fin du 19° siècle en France, s'est donné pour mission de créer une sorte de contre – sortilège de la beauté pour un monde désenchanté.

 

        Beardsley a 18 ans. Comme Swinburne, il joue la carte de la provocation en imposant un style complètement nouveau et fracassant, utilisant surtout les noirs et les blancs. C'est l'événement le plus marquant depuis William Blake que chérissaient les préraphaélites.

 

        Prince du dandysme, il porte à sa boutonnière une rose fanée ; son cabinet de travail est tendu de noir, les fenêtres sont closent et, lorsqu'il se met au piano, il assoit un squelette à ses côtés. Son salon est tapissé d'estampes japonaises dont il s'inspire. A 26 ans Il mourra de tuberculose à Menton.

        L'univers décadent est en marche, le symbolisme s'impose.

 

       AubreyBeardsley-Hollyer1.jpg



        Beardsley est le premier artiste avec lequel l'œuvre d'art cesse d'être une pièce unique. Il reproduit ses œuvres par centaines, voir des milliers d'exemplaires grâce à des procédés photomécaniques.

 







        Si les préraphaélites peuvent apparaître aujourd'hui comme des esthètes  gorgés de littérature, dont les qualités picturales ne furent pas toujours à la hauteur de leurs intentions, ils ont apportés au milieu des conventions, de la confusion et de la laideur, une bouffée d'air pur.

 

      vitrail.jpg  Parmi leurs principaux emblèmes figurent le lis, l'iris, le volubilis, la fougère, le pavot et le paon, cet oiseau – fleur.

 

        La femme unie à la fleur, longs cheveux déployés en volute : l'Art Nouveau est né ; une porte ouverte toute grande sur le modernisme, une opposition au pessimisme par la passion, la lumière triomphante de l'ombre, l'utile et la beauté à travers la forme. Le rêve et la vie réconciliés.

 




        L'art au quotidien se répand dans toute l'Europe, Alphonse Mucha et ses affiches, les vitraux de l'école de Nancy, les fontes des balcons et du métro parisien d'Hector Guimard. Un quotidien métamorphosé, joyeux ou triste devenu un Art de Vie.

 

                                                     Hécate

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11 mars 2009 3 11 /03 /mars /2009 08:39

En hommage à Jean Genet le grand coup de cœur de mes 16 ans en entendant pour la première fois le superbe poème...

« Le condamné à mort »

 

      Jean Genet

 
     Ecrivain, dramaturge, poète, auteur célèbre pour la beauté violente et éblouissante de ses œuvres tel que «  Miracle de la Rose », « Notre Dame des fleurs », « Querelle de Brest », « Les Bonnes », « Les Paravents », « Les nègres » et d’autres encore, Jean Genet est connu pour ses liens avec d’autres grands noms du monde littéraire et artistique : Cocteau ; Marguerite Duras ; Sartre ; Giacometti.

 

 «  - Vous êtes un très mauvais voleur, mais un très bon écrivain » lui fût il dit, car nombreuses furent ses condamnations pour vols, et nombreux ses séjours en prison.



     Sa vie commence le 19 décembre 1910, dans un hôpital public. Enfant de l’assistance, il restera, jusqu’à l’âge de vingt et un ans pupille de l’état.

     C’est à cet âge qu’il obtient un acte de naissance et découvre le nom de sa mère. Quand il tente d’en s’avoir plus, on refuse de le renseigner. Il peut seulement découvrir que sa mère l’avait gardé pendant 7 mois avant de l’abandonner.

 

         Confié comme c’est la coutume à des parents nourriciers dans le Morvan, il passe auprès des autres enfants pour un citadin, voire un dandy. Il sait que parvenu à l’age de 13 ans, limite inéluctable, il devra quitter son foyer d’accueil.

         Très vite la lecture devient sa passion. Il emprunte des livres à la bibliothèque : Victor Hugo, George Sand. Il adore aussi les feuilletons de Paul Feval, et les romans populaires.

Soixante ans après, ses camarades de classe d’alors se souviennent qu’il chapardait déjà des plumiers, des crayons, de petites choses, mais ne gardait rien pour lui. Il était réservé, solitaire. Son plus grand plaisir, lire. Même pendant la récréation dans la cour, il lit accoudé à un muret.

 
     Ce qui marquera particulièrement Jean Genet, ce sera son séjour à la colonie pénitentiaire de Mettray. Après maintes péripéties, René de Buxeuil qui est aveugle, compositeur et chansonnier Parisien se trouve à le prendre à son service. Genet a 14 ans à ce moment. Un jour, il revient après avoir dilapidé l’argent des commissions. René de Buxeuil porte plainte. Ce sera la prison. Après 45 jours de détention, il arrive, menottes aux mains à Mettray.








                             Jean Genet à seize ans, 
                                    colon à Mettray en 1927
 

Pas de mur, des haies de laurier, des bordures de fleurs, mais une discipline de fer, terrible.

Lever à 5 heure du matin l’été, 6 heure en hiver. Tout est réglé, 8 fois par jour la prière, même l’heure pour aller aux toilettes est déterminée et limitée.

Un travail intense (13 heures par jour) aux champs l’été et l’hiver à la carrière de pierre ; d’autres sont aux ateliers : maçons, forgerons, cordonniers.

Une heure seulement pour l’étude. Ils sont nombreux à souffrir de faim, un garçon meurt pour s’être bourré d’avoine et de foin destinés aux vaches, certains se mutilent pour aller à l’infirmerie. Interdiction de parler pendant les repas.

 

Si un garçon est surpris à se masturber, il est condamné à huit jours de quartier de discipline. Vingt kilomètre par jour à tourner en rond dans la cour. Sur deux ans passés à Mettray, Bernard Coffler entré à la même période à Mettray que Jean Genet,  passera une année à tourner en rond ainsi ! pour faute d’obéissance.

 

Jean Genet dira que paradoxalement dans cet enfer, il était heureux. D’abord, jusqu’ici Genet s’est senti un marginal, un voleur, un rêveur, un liseur, un enfant trouvé. A Mettray, pour la première fois, il est accepté par les autres. Il n’est plus le garçon efféminé méprisé, mais une beauté convoitée par les colons. Sans un caïd, un protecteur, à la colonie pénitentiaire, impossible d’échapper aux sévices, aux viols collectifs même.

 

 Dans le journal du voleur il écrit :

 

     [ Quand j’étais à la colonie pénitentiaire de Mettray, on m’ordonna d’assister à l’enterrement d’un jeune colon, décédé à l’infirmerie. Les fossoyeurs étaient des enfants. Après qu’ils eurent descendu le cercueil, je jure que si un croque mort, comme à la ville, eut demandé : « La famille » je me serais avancé, minuscule, dans mon deuil. ]

 

         Genet tire une fierté sombre et ardente de son appartenance avec les hors-la-loi. Il est chez lui. Durant un an, à Mettray, sa conduite est exemplaire. Placé comme ouvrier agricole chez un cultivateur, il s’enfuit pour gagner Paris. Il fait très froid.

Le 8 décembre 1927, dans le journal local « La France du Centre » un entrefilet parait :

 « Jean G… 16 ans évadé de la colonie de Mettray a été arrêté, rue Nationale et inculpé de vol d’une couverture. Il a été déféré au parquet. »

Pour le punir de son évasion, à Mettray il est mis au cachot. Des murs noirs sur lesquels peints en blancs, ces mots sont là, sous ses yeux : « Dieu te voit .» Un grand nombre d’enfants enfermés dans cette cellule, glaciale, nus et aspergés d’eau froide, en mourraient.

 
     Genet s’évade à travers les rêves, nourris par la littérature. C’est à cette époque qu’il découvre Ronsard, dont presque tous connaissaient au moins un sonnet par cœur. Toute sa vie, toute son œuvre ne sera alimentée que par Chateaubriand, Racine, Dostoïevski ou des magazines comme « Détective » ou des romans d’aventures signés Gustave Le Rouge, Xavier de Montépin, Ponson du Terrail. Des classiques ou des fadaises, évitant la littérature ordinaire, volontairement.

Il revendique hautement ce qu’il est. C’est un révolté fier. Faible devant la beauté d’un regard, d’un geste, ému à en pleurer. L’écriture est en lui, fantasme inoculé à Mettray qui, plus tard idéalisé, transparaîtra dans ses livres ; et tout de lui sera transposé, entremêlé, les êtres rencontrés, son propre vécu, brouillant les pistes à loisir, mais jamais pour minimiser ses actes, par une sorte de farouche pudeur jusque dans l’impudeur même.

 

     Mettray fut si dur, qu’il n’hésita pas à contracter un engagement volontaire de deux ans à l’armée pour s’y soustraire. Il avait 19 ans.

 

      La colonie pénitentiaire de Mettray sera fermée 10 ans plus tard, dénoncée par la presse pour les souffrances physiques et la corruption morale qui sévissaient dans ces prisons d’enfants, ces maisons de supplices.

 Des noms de surveillants sadiques furent mentionnés. Le but majeur de ces colonies ; fournir à l’armée, les pensionnaires de Mettray ; et procurer à l’agriculture une main d’œuvre gratuite.


    

















 Jean Genet à 36 ans.

      Jean Genet écrivit son célèbre poème « Le condamné à mort », en prison à Fresnes et qui fût mis en musique et chanté par Hélène Martin par la suite.

 

     Il raconta, selon Sartre que parmi les détenus, l’un d’eux faisait des poèmes à sa sœur, poèmes pleurnichards idiots qu’ils admiraient beaucoup « - A la fin, agacé, je déclarai que je pourrais en faire autant, ils me mirent au défit et j’écrivis « Le condamné à mort ». Railleur, un des détenus lui dit après avoir entendu la lecture du poème  inspiré par Maurice Pilorge.

     « Des vers comme ça, j’en fais tous les matins ».

 

     Maurice Pilorge jeune assassin de 20 ans, mort la tête tranchée avec l’élégance d’un dandy.

Alors que le bourreau le bousculait, il répliqua :

     « Si vous êtes pressé, prenez ma place, voulez-vous ».

 

     Et juste avant d’être décapité, il avait donné sa montre à son avocat.

 « Vous pouvez la porter sans crainte d’être contaminé et merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. Vous méritiez un meilleur client ».

 
     Pendant le procès, Pilorge avait adressé des sourires et des grimaces à la foule, et déclaré en apprenant la sentence :

     « Enfin, maintenant on ne peut plus me refuser de cigarettes. La vie est belle. »

 

     « - J’ai dédié ce poème à la mémoire de mon ami Maurice Pilorge dont le corps et le visage radieux hantent mes nuits sans sommeil », déclare Genet dans la postface du « Condamné à mort ».

 

 

Le condamné à mort

(extrait)

 

SUR MON COU sans armure et sans haine, mon cou

Que ma main plus légère et grave qu’une veuve

Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,

Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

 

Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,

Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.

Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,

Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.

 

Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,

Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire

Accueillir la rosée où le matin va boire,

Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

 

O viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !

Visite dans sa nuit ton condamné à mort.

Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,

Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

 

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.

Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.

On peut se demander pourquoi les Cours condamnent

Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

 

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !

Traverse les couloirs, descends, marche léger,

Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,

Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.

 

O traverse les murs ; s’il le faut marche au bord

Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,

Use de la menace, use de la prière,

Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

 

 

 

PARDONNEZ-MOI mon Dieu parce que j’ai péché !

Les larmes de ma voix, ma fièvre, ma souffrance,

Le mal de m’envoler du beau pays de France,

N’est-ce assez, mon Seigneur, pour aller me coucher.

                   Trébuchant d’espérance

 

Dans vos bras embaumés, dans vos châteaux de neige !

Seigneur des lieux obscurs, je sais encore prier.

C’est moi mon père, un jour, qui me suis écrié :

Gloire au plus haut du ciel au dieu qui me protège,

                   Hermès au tendre pied !

 

Je demande à la mort la paix, les longs sommeils,

Le chant des séraphins, leurs parfums, leurs guirlandes,

Les angelots de laine en chaudes houppelandes,

Et j’espère des nuits sans lunes ni soleils

                   Sur d’immobiles landes.

 

Ce n’est pas ce matin que l’on me guillotine.

Je peux dormir tranquille. A l’étage au-dessus

Mon mignon paresseux, ma perle, mon Jésus

S’éveille. Il va cogner de sa dure bottine

                   A mon crâne tondu.

 


Hécate. 

 

 

 



      


    

 

 

   

 

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1 mars 2009 7 01 /03 /mars /2009 08:33

Iwan Gilkin
              Le mauvais jardinier 
                                     amoureux 
                                            des fleurs du mal…
















          



          « Leurs somptueux bouquets détruisent la santé.

            Et c’est pour en avoir trop aimé la beauté
            Qu’on voit dans les palais languir les blanches reines.

            Et moi, je vous ressemble, ô jardiniers pervers !

            Dans les cerveaux hâtifs où j’ai jeté mes graines,
            Je regarde fleurir les poisons de mes vers. »

                                                  ( Gilkin « Le mauvais jardinier » extrait)

 

         
      Il est mince, effilé, d’une nervosité presque maladive, ses yeux bleus de myope sont perçants. Raffiné, parfumé, il porte des cravates blanches, des gilets de velours multicolores et une immense cape à l’Espagnol. Il coiffe d’un chapeau à larges bords sa sombre chevelure ébouriffée et met ses bagues sur ses gants comme Baudelaire et Barbey d’Aurevilly. Il fascine par son intelligence et sa culture. Sa plume est un scalpel, il dissèque profondément, cherchant le mal, comme un chirurgien appliquant un méthodique savoir.

 


       
          « Coupant, fendant, creusant les chairs

          Avec des hâtes convulsives

          Et les repliant toutes vives

          Comme deux volets large ouverts,

 

          Et j’arrache en criant de joie,

          Rouges, fumants et bondissants,

          Les cœurs vierges, les cœurs puissants,

          Les cœurs d’amour, les cœurs de proie.»
                                     (Gilkin «Le sculpteur » - extrait)

 

     « Son œuvre est terrible entre toutes écrit Maurice Maeterlinck. L’horreur est exactement ici l’exaspération de la splendeur, le blasphème est le dépit de l’adoration inavouée, la cruauté est le spasme suprême de la pitié et la haine est la frénésie de l’amour… Il faut louer spécialement le «sadisme » de M. Gilkin… Le sadisme, au sens où je l’entends, est le trésor vivant et sans tache de la chasteté. »

 

      « Seul, je me connais. Seul, je sais ce que je suis.
         Seul, j’allume ma lampe en mes sinistres nuits.
         Et seul, je me contemple et, seul, je me possède.

        Je me couche, comme un chartreux, dans mon linceul,

                  Et, loin de tout désir qui me flatte ou m’obsède,
                  Je goûte, comme Dieu, le néant d'être seul. »

                                                 ( Gilkin «Le mensonge » extrait).

 

 

         Né le 7 janvier 1858 à Bruxelles, Iwan est un enfant protégé par une mère tendre, un père attentif. Ses tantes en raffolent et le bourrent de sucreries. Il s’amuse avec des boites de couleurs, joue des pièces dans son petit théâtre de carton ou gambade dans le jardin avec sa sœur.

         Il a une passion : les serrures. Il les bouche, les détraque ou les démonte, celles des buffets, des commodes ou des portes ; et toutes subissent un sort malheureux. Les punitions demeurent impuissantes ! A 4 ans il sait lire, et c’est alors pour lui un délice, la comtesse de Ségur l’enchante tout comme «les mille et une nuits », entrecoupée de quelques mièvreries pour la jeunesse…

         A six ans, il prend ses premières leçons de piano. Il est si doué, que plus tard il aura à choisir entre une carrière dans le droit ou celle de virtuose.

De cette enfance, il garde le souvenir ensoleillé, malgré de nombreuses maladies dont le croup (on en mourait à l’époque) et qui le laissera sujet à des pharyngites rebelles.

        Grandi en milieu fermé, il n’a aucun contact avec l’extérieur, les Gilkin se tenant à la vie de famille, hormis une relation avec un voisin vieux professeur de latin et de grec, et une autre avec un jeune ménage vivant à l’écart avec leur fille. Iwan découvre le «vert paradis des amours enfantines » à l’ombre d’une tendre amitié amoureuse.

 

           A dix ans, c’est le choc. Il est inscrit à l’Institut St Louis, et c’est la fin des années insouciantes. Mal préparé aux contacts, timide, il est d’abord la tête de turc de la classe. Jamais il n’avait approché d’autres enfants.

          A onze ans, touché par la fièvre typhoïde, on le croit perdu. Deux mois après alors qu’il se lève tout juste, il retombe atteint par la variole. Quatre semaines plus tard sa mère le coiffe et tous les cheveux restent sur la brosse ! Convalescent, le voilà avec une bronchite ! On est fin mars, pas question de retourner à l’école. Début août, la veille du départ rituel en vacances à Ostende, voilà qu’une rougeole le couche pour trois semaines !

          Entre dix et quinze ans Iwan traverse une  crise de mysticisme, classique certes, mais qui prend chez lui une ampleur exceptionnelle. Il répugne à la violence, même pour se défendre et un prêtre vient lui dire – «Si vous recevez un coup, il faut en rendre deux. C’est le seul moyen de vous faire respecter ».

         Il est profondément troublé. Quel est ce mystère ? Où est la vérité ? Où est le mensonge ? – « Dès ce jour, il y eut dans mon cœur si pur et si candide une petite fêlure. »

 

         Cependant, il est encore heureux. A dix-neuf ans sa santé se renforce, il marche beaucoup, pratique un peu l’escrime, mais les livres, la musique, la vie de l’esprit sont toute sa raison d’être.

         Lorsque sa sœur quitte l’Institut Heger – Parent, c’est là que Charlotte Brontë avait été sous – maîtresse autrefois, c’est l’adieu à sa première jeunesse. Il fait son inscription de première année de doctorat en Droit en octobre 1878 et très vite, il se mêle à la vie animée et joyeuse de Louvain. Un soir il rencontre un étudiant en lorgnon avec une grande tignasse blonde qui rugit des vers : Emile Verhaeren.

 

        « Nous n’avions pas la moindre retenue. On nous eût pris pour de jeunes peaux – rouges hurlant des chants sauvages. Tout un hiver nous portâmes des vestons de velours gorge de pigeon, queue de paon, nèfle écrasée. On écarquillait les yeux en nous voyant passer » écrira – t – il plus tard parlant des membres de la «Jeune Belgique » cette revue littéraire qui était le centre du renouveau de la littérature de langue française des années 1880.

         Fondée par Max Valler, adepte d’un esthétisme proche de celui d’Oscar Wilde, cette revue fait découvrir au public «Les chants de Maldoror » de Lautréamont. Max apporte un jour à ses amis attablés au café un volume jaunâtre écrit par un inconnu… un comte… de Lautréamont. Gilkin s’empare du volume, l’emporte chez lui et toute la nuit, il lit avec une passion désordonnée. Sans tarder, sur son conseil, ses amis courent se procurer un exemplaire de «cet étrange bouquin ».


          «Nous nous battrons disait Max Valler, contre les eunuques qui envient notre virilité, contre les vieux genoux qui convoitent nos crinières. »


         Hélas, Max Valler meurt à l’âge de vingt-neuf ans, les poumons ravagés. C’est une année sombre pour «La jeune Belgique ». Max était à l’origine de tout et il était un animateur sans égal, «fin, brillant, souple et hardi comme la lame d’un fleuret, charmant jeune homme, beau comme Raphaël adolescent, impertinent comme un page, adroit comme un diplomate, un jeune prince échappé d’une toile de Van Dyck » dira Gilkin qui reprit la revue plus tard avec Albert Giraud en 1893.

 

       «  Les queues de siècles se ressemblent, toutes vacillent et sont troubles » écrit Huysmans. C’est dans cette atmosphère de décadence de la fin du 19° siècle qui obsède aussi Maeterlinck, Verhaeren, Rodenbach et Giraud, que Gilkin éprouve un désarroi qui avive son inquiétude.

       Après une enfance surprotégée, la ruine de son père l’a ébranlé et il découvre la misère urbaine. Précoce dans ses lectures, fragilisé par les émotions qu’elles suscitent (par Shakespeare «il est saisi comme un homme qui entendrait tout à coup les étoiles parler. » « Le Paradis Perdu » de Milton lui révèle surtout la grandeur de Lucifer, et «L’enfer » de Dante le fascine par ses images terrifiantes – alors que Baudelaire ne le bouleversera que bien plus tard – et l’inquiétante beauté des poèmes de Swindburne l’enthousiasment, il les fait venir de Londres alors qu’il lit à peine l’anglais !) Gilkin ne résistera pas au pessimisme qui submerge l’époque.

      Sa bibliothèque contient des ouvrages souvent rares ayant trait à l’alchimie, la théosophie, l’occultisme (comme Gérard de Nerval) ; également des études sur le bouddhisme ou la magie des Chaldéens, des œuvres de Paracelse, Albert le grand, Fabre d’Olivet, Stanislas de Gaïta, Eliphas Lévi, (que Lautréamont lisait à Montevideo) des traités de Papus et bien évidemment « l’Amphithéâtre des sciences mortes » de Péladan.

 

       Gilkin écrit : « Ah ! je ne voudrais pas être le créateur. Les maux de l’univers me briseraient le cœur. »


       Dix-sept années d’une longue crise qui aboutit à «la Nuit », une crise qu’il a à peine sentit venir tout au feu de ses activités, de ses amitiés, et d’une exubérance étonnante. « La Nuit » est selon ses propos, une «poésie du désespoir de l’homme tenté, qui a cédé à la séduction du mal, qui a éprouvé la vanité de tout et qui, tout en aspirant à la mort, seul terme possible de son effroyable spleen, la redoute parce qu’elle s’ouvre sur le mystère terrible de l’au-delà. »

      Celui que l’on appelle ironiquement le «sosie » de Baudelaire, «l’imitateur forcené » est vigoureusement défendu par Albert Giraud : « La Nuit » est plus sombre et plus tragique, c’est le livre le plus pessimiste qu’un poète ait écrit, l’authentique livre du mal qui torture une conscience «les vraies fleurs du mal, les voilà. »

               

       « Tout, sentir et penser est artificiel

Pour l’esprit affaibli qu’un mal essentiel

Frappe incurablement de dégénérescence.

 

Mais, sans même y songer, nous rampons à genoux

Aux rayons du grand art chauffant notre impuissance :

Il a vécu pour nous ! Il a rêvé pour nous !  »

                 (Gilkin «Esthètes » extrait)

 

        Chez Gilkin pas trace de sensualité amoureuse, la femme, la nature sont des pièges. Henri de Régnier salue «une puissance de ténèbres et d’ébène dans l’imagination et le style ». Mallarmé goûte  «le ton incantateur solitaire aux mots comptés ». Verhaeren place Gilkin au premier rang des poètes belges. Il voit en lui le poète «de la race des artistes malades pour qui le monde ce n’est plus la création d’un Dieu, c’est l’univers d’un Satan ».


         Gilkin pourtant est joyeux par disposition naturelle ! Il a des gamineries d’âme, des étourderies pour les plaisirs qui passent. « L’aube » et «La lumière » qui devaient dissiper les vapeurs méphitiques de la «Nuit » ne verront pas le jour. Gilkin ne s’en est pas expliqué.

 

  « Les yeux ensanglantés de pourpre et de carmin,

    Cette nuit j’ai noyé le spleen qui me consume

    Dans les flots cramoisis d’un océan de vin.

 

    J’ai bu. Pour me saouler j’ai bu jusqu’au matin

    Le bourgogne entêtant dont la vapeur embrume

                           Les yeux ensanglantés de pourpre et de carmin. »

                               (Gilkin «Mer rouge » extrait)

 

         La dualité est en lui, et il ne s’en cache pas. Il aime la compagnie, la plaisanterie. Il mange copieusement, franc buveur avec ses amis, il n'a rien d’un ascète se couvrant la tête de cendres.

        Particulièrement discret sur sa vie privée, la quarantaine atteinte, toujours célibataire, jamais une allusion à quelque femme. L’amitié tient une place passionnée.

         C’est donc la surprise totale lorsqu’en juillet 1898 il se marie. Après sa douloureuse crise spirituelle et une appendicite qui le met entre la vie et la mort, Gilkin a rencontré Jeanne Cortuyvels la sœur d’un ami. L’année suivante il publie «Le cerisier fleuri ». Où était le Gilkin qui se délectait «du monstrueux plaisir de souiller l’idéal » ?

         On ricane sur ses états d’âme de rechange. Gilkin se tourne vers le théâtre, écrit des pièces, lit Dostoïevski.

         Malade, prématurément vieilli, il garde le goût des longues conversations, des réunions d’amis, parfois jusqu'à cinq heures du matin. Son charme, sa vivacité d’esprit, son sens critique sont toujours là, toujours en éveil.

         En 1924, il meurt d’une angine de poitrine. La mort lui épargne une longue agonie et il entre rapidement dans la nuit avec tous les honneurs.

 

                   « Rien ne s’anéantit. Tout ce qui fut, persiste.

                     Les crimes d’ici-bas renaissent dans les cieux. »

                           ( Gilkin «Symbole. » extrait.)

 

         A quinze ans, je recopiais sur un cahier à la couverture rouge, les poèmes que le hasard me prêtait, d’une écriture minuscule. L’encre a pâli. Il y a parmi eux, deux poèmes d’Iwan Gilkin : « Le mauvais jardinier » et «Le sculpteur ». Je peux dire que durant quarante ans, je n’ai cessé d’être à la recherche de ce Gilkin mystérieux dont je ne connaissais rien… Quête inlassable… Pas tout à fait vaine… Quelques poèmes apparaissent à travers des anthologies et qui sait, un jour, peut-être un peu plus...

 

 

                                                                                                                Hécate.

 

Principales œuvres d’Iwan Gilkin ( 1858 – 1924 ) :

 



La damnation de l’artiste 1890.     

Ténèbres 1892.

Stances dorées 1893.

La Nuit 1897.

Le cerisier fleuri 1899.

Prométhée 1899.

Jonas 1900.

Savonarole (théâtre) 1906.

Le sphinx 1923.

Egmont (théâtre) 1926.

 

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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 10:12


En amoureux de la foule il ne conçoit la solitude que dans la rue, parmi la multitude. Flâneur, bohémien, non seulement dans le sens où on l’entend au 19° siècle, mais par ce regard acéré et sans pitié qu’il jette sur l’autre, reflet de ce lui-même qu’il fustige et condamne au travail sans relâche. Il connaît ce côté nonchalant de sa personnalité pareil au manouche errant, au chiffonnier, qu’il compare au poète.

 

          « … On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête,

                 Buttant, et se cognant aux murs comme un poète,

                 Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,

                 Epanche tout son cœur en glorieux projets… »

                                      Le Vin des Chiffonniers (Les Fleurs du Mal)

 

«  Glorifier le vagabondage, écrit-il dans «Mon cœur mis à nu », est ce qu’on peut appeler le Bohémianisme, culte de la sensation multipliée, s’exprimant par la musique. »

 

         Bohémien des villes et non de la nature, car la ville est sa nourriture. Les vitrines permettent à son regard de voler au passage quelque objet utile seulement au luxe, à la volupté d’un instant, jouissance comparable à celle du crime. Son butin, c’est la rime. Son renoncement forcé à la possession des éléments de la vie bourgeoise, ses vêtements déchirés, son absence d’appartement fixe, forcent sa mémoire à se concentrer un maximum sur ce qu’il ne possédera plus que dans le souvenir, ou temporairement.

         Il faut admettre qu’entre 1842 et 1858, on ne compte pas moins de 14 adresses de Baudelaire à Paris. En mars 1855, il changera six fois d’hôtel. Chaque lit est un «lit hasardeux ».

Poursuivi par les créanciers, il a parfois deux domiciles, mais il passe la nuit ailleurs, fort souvent, les jours de loyer.

         Si pour Jeanne Duval, il dévalise un moment les brocanteurs pour meubler les combles de l’hôtel Pimodan qu’il occupe quai d’Anjou, il ne fait qu’agir comme un bohémien qui dilapide son or pour les beaux yeux d’une femme. En deux ans Baudelaire dilapide la moitié de son héritage. Il va jusqu’à installer Jeanne à quelques mètres, rue de la Femme – Sans – Tête.

         Son attachement farouche et sacralisé pour sa mère, son attrait pour les femmes de bas étage, ses fantasmes de voyage, ses goûts pour le théâtre misérabiliste, permettent cette comparaison qui semble osée.

         Il rencontre Jeanne Duval dans un théâtre. Elle est actrice, plutôt figurante. Enfant, son rêve fut d’être comédien. Il aura d’ailleurs quelques toquades pour d’autres actrices, entre autre Marie Daubrin qui lui préférera Banville.

         Jeanne, la mulâtresse boit. Il prend avec elle l’habitude de l’alcool. L’hommage qu’il rend au vin dans ses poèmes et qu’on juge encore maintenant, d’un réalisme outrancier et comme étant seulement une partie mineure dans son œuvre, reflète pourtant ce qui est la vie de leur ménage : beuveries, empoignades, les coups succèdent aux injures, parfois jusqu’au sang.

         Les divans profonds sont les coussins de n’importe laquelle des roulottes de saltimbanques ; c’est aussi le galetas des masures de Paris où les ouvriers s’endorment après s’être enivrés. Ils n’ont que le vin de possible.

         « Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme » écrit Benjamin Walter. Quelque part la poésie de Baudelaire prend fait et cause pour les opprimés, elle adopte leurs illusions.

                   « Pour avoir des souliers, elle a vendu son âme ;

                     Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme,

                     Je tranchais du Tartufe et singeais la hauteur,

                     Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur. »

(Poésie de jeunesse : Je n’ai pas pour maîtresse une lionne illustre.)

 

         Le dandysme pour Baudelaire s’il est une pose, un masque, est avant tout un acte héroïque, le dernier éclat dans la décadence. Le bohémien est un prince fier de venir d’Egypte et de l’Inde et qui avec ses règles et sa dignité dégage une noblesse renforcée d’un mépris mêlé d’indifférence et d’arrogance, comparable à celle du dandy.

         Baudelaire avec ses cheveux noirs très brillants, ses cravates rouges intrigue Paris, et on murmure qu’il revient des Indes. Il ne dément rien.

         Mais dans le dandysme Baudelaire est déçu. Il n’avait pas le don de plaire (élément indispensable au dandy) il choisit donc de déplaire. Le bohémien ne plaît guère sinon par sa singularité, son particularisme exotique aux yeux de la société. Flâneur, chiffonnier, même apache, voilà des rôles tous héroïques et séduisants pour le poète mythomane.

         Lui, qui en sa courte période faste, répandait du parfum sur les tapis de Perse de son salon, en 1853,  écrit à sa mère : « Je sais si bien ajuster deux chemises sous un pantalon et un habit déchiré que le vent traverse ; je sais si adroitement adapter des semelles de paille où même de papier dans des souliers troués que je ne sens presque que les douleurs morales. »

        

Baudelaire a donc eu fort peu de matériel traditionnel, ni bibliothèque, guère d’appartement. Il renonce souvent. Théodore de Banville remarque «que même lorsqu’il habite à l’hôtel Pimodan, il n’y a ni lexique, ni table pour écrire, pas plus de buffets, de salle à manger, rien qui rappelât le décor à compartiments des appartements bourgeois. » Sa chambre tapissée de rouge et noir n’a qu‘une fenêtre, dont la majeure partie est en verre dépoli, il ne voit que le ciel. Le plus étrange est le lit en chêne brun, sans pieds, une sorte de cercueil sculpté.

 

         Il ressent la modernité de son époque comme une fatalité. Le destin est fatalité pour le bohémien et la tribu «prophétique aux prunelles ardentes ».

« Les hommes vont à pieds sous leurs armes luisantes

                     Le long des chariots où les leurs sont blottis,

                     Promenant sur le ciel des yeux appesantis

                     Par le morne regret des chimères absentes… »

                                               Bohémiens en voyage. (Les Fleurs du Mal)

 

         Pour lui, les grands voyages sont du passé. Passé le long voyage sur le «Paquebot des Mers du Sud » et le séjour à l’Ile Maurice puis à l’Ile Bourbon.

Un châtiment corporel infligé à une femme de couleur l’obsède. Huit mois de sa vingtième année, où il sombre dans une torpeur nostalgique qui lui vaudra d’être rapatrié…

 

         Il n’y a plus guère en lui que le goût de l’errance, une référence à un passé de voyageur qu’il veut glorieux, comme tout bohémien qui se respecte.

         Son goût du voyage, n’est qu’un goût de spleen. Il répugne à s’exiler, se réfugie dans la contemplation, s’exclut de la quiétude, devient visionnaire.

 

         Baudelaire désormais voyage dans l’image, les tableaux, les estampes de son enfance, visite inlassablement le Louvre. Son monde est un monde élargi plus réel que le réel. Il est devenu rôdeur.

         Dans le «Goût du Néant », il emprunte aux nomades quelques images.

 

                                « … Couche - toi sans pudeur,

                      Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.

 

                      Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute.

 

                      Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur,

                      L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ;

                     Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte ! »

                                                                        ( Les Fleurs du Mal)

 

         Quand il rôde la nuit, il retrouve Privat d’Anglemont connu à Paris bien plus chez les chiffonniers et les clochards que dans la littérature. Il connaît tout des tire-laines, des fabricants de boites d’allumettes, des laveuses et des nourrisseurs en chambre, qui dans le 12° arrondissement élèvent même des chèvres dans les étages.

Ce créole est le pourvoyeur des plaisirs de Baudelaire. Michel Manoll écrit : « ils se rencontraient à la face de Notre – Dame – la – Lune. »

 

Fasciné par les chats, dans le «Spleen de Paris » il affirme cependant : « Je chante le chien crotté, le chien pauvre, le chien sans domicile, le chien flâneur, le chien saltimbanque, le chien dont l’instinct, comme celui du pauvre, du bohémien et de l’histrion, est merveilleusement aiguillonné par la nécessité, cette si bonne mère, cette vraie patronne des intelligences. »

 

         En Belgique lorsqu’il ira de conférence en conférence, ce sera comme se servir d’un violon, d’une guitare. Ses vers, sa prose, ses mots ont en eux la beauté âpre et violente de l’art inné du bohémien en proie au spleen.

Si la Belgique ne lui plaît point, c’est qu’elle manque de rues pavées, de boutiques, de passages où flâner. Le bohémien, s’il voyage se nourrit de la cité où vivent les hommes, les travailleurs, les riches, les oisifs.

         Mais il est déçu, ses conférences sur Delacroix, Gautier et sur les paradis artificiels sont un échec.

         Le dandy glorieux est amer. Nul oubli, ni le haschich ni le laudanum, ni la belladone ou la quinine ne soulagent ses violentes douleurs physiques et morales.

Le dandy bohémien mourra comme un saltimbanque.

 

« Il ne riait pas, le misérable ! Il ne pleurait pas, il ne dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas ; il ne chantait aucune chanson, ni gaie, ni lamentable, il n’implorait pas. Il était muet et immobile. Il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite…

Et m’en retournant, obsédé par cette vision, je cherchai à analyser ma soudaine douleur, et je me dis : Je viens de voir l’image du vieil homme de lettres qui a survécu à la génération dont il fût le brillant amuseur ; du vieux poëte sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par sa misère et l’ingratitude publique, et dans la baraque de qui le monde oublieux ne veut plus entrer ! »   

Le Vieux Saltimbanque (Le Spleen de Paris)

 

         Au printemps 1866, Baudelaire devient muet et à moitié paralysé. Il fait encore quelques promenades en voiture avec sa mère aux environs de Bruxelles.

         Il meurt le 31 août 1867, après une longue agonie. Il est 11 heures du matin. Treize mois de mutisme et de paralysie totale. Il a 46 ans.

         A l’étage sur le piano de la clinique du quartier de Chaillot, quelqu’un joue les premières mesures de Tannhauser pour son entrée dans les «rayonnantes ténèbres ».

 

Hécate.

 

Bibliographie :

 

Les Fleurs du Mal / Le Spleen de Paris / Les Paradis Artificiels   Journaux Intimes / Fusées / Mon cœur mis à nu

L’Art Romantique / Curiosités esthétiques.

 

Michel Manoll : La vie passionnée de Charles Baudelaire

Jean-Paul Sartre : Baudelaire

Walter Benjamin : Charles Baudelaire

Pierre Emmanuel : Baudelaire

Collection Génies et Réalités : Baudelaire

Pierre Jean Jouve : Tombeau de Baudelaire

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