En hommage à Jean Genet le grand coup de cœur de mes 16 ans en entendant pour la première fois le superbe poème...
« Le condamné à mort »
Jean Genet
Ecrivain, dramaturge, poète, auteur célèbre pour la beauté violente et éblouissante de ses œuvres tel que « Miracle de la Rose », « Notre Dame des fleurs », « Querelle de Brest », « Les Bonnes », « Les Paravents », « Les nègres » et d’autres encore, Jean Genet est connu pour ses liens avec d’autres grands noms du monde littéraire et artistique : Cocteau ; Marguerite Duras ; Sartre ; Giacometti.
« - Vous êtes un très mauvais voleur, mais un très bon écrivain » lui fût il dit, car nombreuses furent ses condamnations pour vols, et nombreux ses séjours en prison.
Sa vie commence le 19 décembre 1910, dans un hôpital public. Enfant de l’assistance, il restera, jusqu’à l’âge de vingt et un ans pupille de l’état.
C’est à cet âge qu’il obtient un acte de naissance et découvre le nom de sa mère. Quand il tente d’en s’avoir plus, on refuse de le renseigner. Il peut seulement découvrir que sa mère l’avait gardé pendant 7 mois avant de l’abandonner.
Confié comme c’est la coutume à des parents nourriciers dans le Morvan, il passe auprès des autres enfants pour un citadin, voire un dandy. Il sait que parvenu à l’age de 13 ans, limite inéluctable, il devra quitter son foyer d’accueil.
Très vite la lecture devient sa passion. Il emprunte des livres à la bibliothèque : Victor Hugo, George Sand. Il adore aussi les feuilletons de Paul Feval, et les romans populaires.
Soixante ans après, ses camarades de classe d’alors se souviennent qu’il chapardait déjà des plumiers, des crayons, de petites choses, mais ne gardait rien pour lui. Il était réservé, solitaire. Son plus grand plaisir, lire. Même pendant la récréation dans la cour, il lit accoudé à un muret.
Ce qui marquera particulièrement Jean Genet, ce sera son séjour à la colonie pénitentiaire de Mettray. Après maintes péripéties, René de Buxeuil qui est aveugle, compositeur et chansonnier Parisien se trouve à le prendre à son service. Genet a 14 ans à ce moment. Un jour, il revient après avoir dilapidé l’argent des commissions. René de Buxeuil porte plainte. Ce sera la prison. Après 45 jours de détention, il arrive, menottes aux mains à Mettray.
Jean Genet à seize ans,
colon à Mettray en 1927
Pas de mur, des haies de laurier, des bordures de fleurs, mais une discipline de fer, terrible.
Lever à 5 heure du matin l’été, 6 heure en hiver. Tout est réglé, 8 fois par jour la prière, même l’heure pour aller aux toilettes est déterminée et limitée.
Un travail intense (13 heures par jour) aux champs l’été et l’hiver à la carrière de pierre ; d’autres sont aux ateliers : maçons, forgerons, cordonniers.
Une heure seulement pour l’étude. Ils sont nombreux à souffrir de faim, un garçon meurt pour s’être bourré d’avoine et de foin destinés aux vaches, certains se mutilent pour aller à l’infirmerie. Interdiction de parler pendant les repas.
Si un garçon est surpris à se masturber, il est condamné à huit jours de quartier de discipline. Vingt kilomètre par jour à tourner en rond dans la cour. Sur deux ans passés à Mettray, Bernard Coffler entré à la même période à Mettray que Jean Genet, passera une année à tourner en rond ainsi ! pour faute d’obéissance.
Jean Genet dira que paradoxalement dans cet enfer, il était heureux. D’abord, jusqu’ici Genet s’est senti un marginal, un voleur, un rêveur, un liseur, un enfant trouvé. A Mettray, pour la première fois, il est accepté par les autres. Il n’est plus le garçon efféminé méprisé, mais une beauté convoitée par les colons. Sans un caïd, un protecteur, à la colonie pénitentiaire, impossible d’échapper aux sévices, aux viols collectifs même.
Dans le journal du voleur il écrit :
[ Quand j’étais à la colonie pénitentiaire de Mettray, on m’ordonna d’assister à l’enterrement d’un jeune colon, décédé à l’infirmerie. Les fossoyeurs étaient des enfants. Après qu’ils eurent descendu le cercueil, je jure que si un croque mort, comme à la ville, eut demandé : « La famille » je me serais avancé, minuscule, dans mon deuil. ]
Genet tire une fierté sombre et ardente de son appartenance avec les hors-la-loi. Il est chez lui. Durant un an, à Mettray, sa conduite est exemplaire. Placé comme ouvrier agricole chez un cultivateur, il s’enfuit pour gagner Paris. Il fait très froid.
Le 8 décembre 1927, dans le journal local « La France du Centre » un entrefilet parait :
« Jean G… 16 ans évadé de la colonie de Mettray a été arrêté, rue Nationale et inculpé de vol d’une couverture. Il a été déféré au parquet. »
Pour le punir de son évasion, à Mettray il est mis au cachot. Des murs noirs sur lesquels peints en blancs, ces mots sont là, sous ses yeux : « Dieu te voit .» Un grand nombre d’enfants enfermés dans cette cellule, glaciale, nus et aspergés d’eau froide, en mourraient.
Genet s’évade à travers les rêves, nourris par la littérature. C’est à cette époque qu’il découvre Ronsard, dont presque tous connaissaient au moins un sonnet par cœur. Toute sa vie, toute son œuvre ne sera alimentée que par Chateaubriand, Racine, Dostoïevski ou des magazines comme « Détective » ou des romans d’aventures signés Gustave Le Rouge, Xavier de Montépin, Ponson du Terrail. Des classiques ou des fadaises, évitant la littérature ordinaire, volontairement.
Il revendique hautement ce qu’il est. C’est un révolté fier. Faible devant la beauté d’un regard, d’un geste, ému à en pleurer. L’écriture est en lui, fantasme inoculé à Mettray qui, plus tard idéalisé, transparaîtra dans ses livres ; et tout de lui sera transposé, entremêlé, les êtres rencontrés, son propre vécu, brouillant les pistes à loisir, mais jamais pour minimiser ses actes, par une sorte de farouche pudeur jusque dans l’impudeur même.
Mettray fut si dur, qu’il n’hésita pas à contracter un engagement volontaire de deux ans à l’armée pour s’y soustraire. Il avait 19 ans.
La colonie pénitentiaire de Mettray sera fermée 10 ans plus tard, dénoncée par la presse pour les souffrances physiques et la corruption morale qui sévissaient dans ces prisons d’enfants, ces maisons de supplices.
Des noms de surveillants sadiques furent mentionnés. Le but majeur de ces colonies ; fournir à l’armée, les pensionnaires de Mettray ; et procurer à l’agriculture une main d’œuvre gratuite.
Jean Genet à 36 ans.
Jean Genet écrivit son célèbre poème « Le condamné à mort », en prison à Fresnes et qui fût mis en musique et chanté par Hélène Martin par la suite.
Il raconta, selon Sartre que parmi les détenus, l’un d’eux faisait des poèmes à sa sœur, poèmes pleurnichards idiots qu’ils admiraient beaucoup « - A la fin, agacé, je déclarai que je pourrais en faire autant, ils me mirent au défit et j’écrivis « Le condamné à mort ». Railleur, un des détenus lui dit après avoir entendu la lecture du poème inspiré par Maurice Pilorge.
« Des vers comme ça, j’en fais tous les matins ».
Maurice Pilorge jeune assassin de 20 ans, mort la tête tranchée avec l’élégance d’un dandy.
Alors que le bourreau le bousculait, il répliqua :
« Si vous êtes pressé, prenez ma place, voulez-vous ».
Et juste avant d’être décapité, il avait donné sa montre à son avocat.
« Vous pouvez la porter sans crainte d’être contaminé et merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. Vous méritiez un meilleur client ».
Pendant le procès, Pilorge avait adressé des sourires et des grimaces à la foule, et déclaré en apprenant la sentence :
« Enfin, maintenant on ne peut plus me refuser de cigarettes. La vie est belle. »
« - J’ai dédié ce poème à la mémoire de mon ami Maurice Pilorge dont le corps et le visage radieux hantent mes nuits sans sommeil », déclare Genet dans la postface du « Condamné à mort ».
Le condamné à mort
(extrait)
SUR MON COU sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
O viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.
O traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
PARDONNEZ-MOI mon Dieu parce que j’ai péché !
Les larmes de ma voix, ma fièvre, ma souffrance,
Le mal de m’envoler du beau pays de France,
N’est-ce assez, mon Seigneur, pour aller me coucher.
Trébuchant d’espérance
Dans vos bras embaumés, dans vos châteaux de neige !
Seigneur des lieux obscurs, je sais encore prier.
C’est moi mon père, un jour, qui me suis écrié :
Gloire au plus haut du ciel au dieu qui me protège,
Hermès au tendre pied !
Je demande à la mort la paix, les longs sommeils,
Le chant des séraphins, leurs parfums, leurs guirlandes,
Les angelots de laine en chaudes houppelandes,
Et j’espère des nuits sans lunes ni soleils
Sur d’immobiles landes.
Ce n’est pas ce matin que l’on me guillotine.
Je peux dormir tranquille. A l’étage au-dessus
Mon mignon paresseux, ma perle, mon Jésus
S’éveille. Il va cogner de sa dure bottine
A mon crâne tondu.
Hécate.