Elmut Berger
autoportrait
propos recueillis par
Holde Heuer
Helmut Berger fut considéré comme "le plus bel homme du monde". Luchino Visconti lui fit interpréter des rôles inoubliables aux côtés de Romy Schneider, Elisabeth Taylor, Charlotte Rampling ou Burt Lancaster, des prestations inscrites dans la légende du cinéma. Entre l'acteur et le cinéaste se noua une relation ô combien passionnelle. A la mort du metteur en scène italien en 1976, la carrière d'Helmut Berger décéléra brutalement ; personnalité cinématographique incontournable des années fastes, interprète de personnages sulfureux, fêtard invétéré, Berger finit par être victime de son image et de ses succès. Revenu de ses tourments, l'acteur autrichien se regarde dans un miroir autant que dans les souvenirs. Le résultat en est cette autobiographie épicée, sauvage, où Helmut transgresse tous les tabous.
Il ne cache rien des phases de sa vie extrême, un tourbillon d'anecdotes évoquées avec audace, une sincérité sans équivoque, tour à tour provocante, amusante, émouvante aussi et même pudique parfois.
Dès la première page c'est dit.
"J'ai besoin d'amour ! Avete capito ? Ma vie entière a tourné autour de ce désir d'être aimé.
Ceux qui me côtoient connaissent ma redoutable ambivalence : je peux être l'homme le plus gentil, comme le plus désagréable. Celui qui a fait l'expérience de ce dernier aspect de ma personnalité ne l'oubliera pas.
Je n'ai pas envie de décevoir mes amis à travers le monde avec ce livre, et c'est la raison pour laquelle je recule devant certaines révélations et j'espère sincèrement que je ne vais pas être condamné pour mes vérités. Parce que au risque de me répéter ce que je veux c'est être aimé. Au plus profond de moi-même je suis timide. C'est d'ailleurs pour combattre cette timidité, pour me sentir plus à l'aise que je prends parfois un verre, ou deux, ou trois. C'est dans ces moments-là qu'il peut m'arriver de réagir de façon excessive.
On pardonne à un homme sincère et qui n'embellit rien. J'y crois. Chacun a ses côtés obscurs, n'est-ce pas ?"
Helmut revient beaucoup sur cette timidité, la plaie de sa jeunesse, et le manque de confiance en lui qui l'amènera à consommer des drogues lui donnant une assurance trompeuse.
Il est né le 29 mai 1944 sous le nom de Helmut Steinberger à Bad Isch. Enfant désiré, son père avait toujours voulu un fils, mais...il n'existera pas de dialogue entre le père et le fils. Une mère qui l'adore, mais sous la coupe d'un mari qui n'écoutait que son ambition.
"Il se montrait extrêmement sévère avec lui-même et avec moi. Il frappait facilement et parfois avec un cintre. Pendant qu'il me battait, ma mère sur le seuil de la porte, pleurait et le suppliait en vain , de laisser son enfant tranquille."
De 7 à 17 ans, Helmut est dans des foyers éducatifs. Puis une année d'internat. Une école de commerce d'où il sera viré six mois plus tard. L'enseignement dans un établissement catholique prodigué par des prêtres eut un effet dévastateur sur sa future vie sexuelle.
"Pendant plusieurs années j'ai souffert de sentiments de culpabilité à cause de mes fantasmes...Il m'a fallu des années pour me débarrasser des effets de cette doctrine. C'était l'enfer."
"Je me fichais totalement de la comptabilité. Mon père insistait pour que je poursuive dans cette voie."
Il ne voulait rien entendre au souhait de son fils qui rêvait de devenir acteur et dont les jeux et les déguisements enfantins avec les habits de sa mère l'avaient toujours répugné.
"Alors, pour me faire passer le goût de la comédie il me battait ! Il voulait m'apprendre que le métier d'acteur était un métier de pauvre. C'est à cette époque que j'ai développé un certain je-m'en-foutisme...Il voulait être fier de moi. Nous étions si différents. C'était un travailleur, pas un fumeur ,ni un buveur.
Mes succès internationaux au cinéma ne changèrent en rien aux rapports que j'entretenais avec mon père. On s'ignorait. Mais mon enfance n'a jamais nourri aucun désir de vengeance en moi.
Ce n'est qu'avec Luchino Visconti que j'ai appris à avoir confiance en moi, malgré toutes mes contradictions.
La presse a toujours écrit que j'avais rencontré Luchino Visconti à Rome ou Ischia. Ce n'est pas vrai."
Au printemps 1964 Helmut s'inscrit à l'université de Pérouse, il travaille à côté comme barman ou serveur. Un examen à venir portait sur les civilisations historiques des alentours. Sur le siège arrière d'une vieille Vespa il part avec un ami visiter des vestiges d'édifices étrusques. Au retour, ils s'arrêtent dans une pizzeria.
"Sur la Piazza, nous tombâmes en plein milieu du chaos d'un tournage de film. Le prestigieux réalisateur Luchino Visconti tournait des scènes de "Sandra" avec Claudia Cardinale dans le rôle principal. Je restai planté là à observer le tournage que je trouvais passionnant. Je pensais à mon vieux rêve d'acteur et me voyais déjà jouer dans le film. Dans la soirée le vent se rafraîchit et j'eus froid dans mon tee-shirt à manches courtes, mais j'étais incapable de bouger, comme si on me retenait prisonnier. Comment aurais-je pu me douter que le destin avait déjà jeté les dès ?"
Fasciné par le tournage, il n'a pas remarqué que Luchino Visconti n'a guère cessé de le regarder, et il est aussi déconcerté que surpris quand un des assistants lui apporta une magnifique écharpe grise en cachemire avec de longues franges. Lors d'une pause, Visconti lui adressa la parole et l'invita avec son ami à déjeuner pour le lendemain.
" Durant le déjeuner copieux, le réalisateur ne me quitta pas d'une semelle et son comportement révélait une attirance extrême. En ce qui me concernait, la vanité flattée le disputait à la naïveté de la jeunesse. Ce fut finalement la peur de mes propres sentiments qui l'emporta. Ne voulant pas être un jouet pour Visconti, je pris la fuite non sans lui avoir laissé mes adresses à Pérouse et à Salzbourg...
J'acceptais les cadeaux et les invitations de Visconti qui suivirent en prenant garde de ne pas laisser mon cœur s'attendrir trop rapidement. Je voulais plus !Mes ambitions désormais étaient le cinéma ET l'amour. La tension monta. Le grand Italien de 32 ans mon aîné, me poursuivit pendant des semaines de ses faveurs. Mais j'étais bien conscient que je ne pouvais pas faire attendre Visconti éternellement. Il fut ma première vraie relation et je le lui dis de suite. Je lui avouai ma candeur timide et ma virginité en matière de relations homosexuelles, même si ce n'était pas tout à fait la vérité...Avec lui, je ne voulais pas être un coup d'une nuit. Nous devînmes un couple à l'automne 1964 et nous ne nous quittâmes plus jusqu'à sa mort , en 1976...
Une écharpe en cachemire grise finement tissée à longues franges fut à l'origine de ma carrière mondiale et de l'amour éternel qui existe entre mon maître de génie et moi-même, son élève avide d'apprendre, son amant et sa muse en même temps. C'est un amour qui nous lie comme un cordon ombilical invisible au-delà de la mort de Luchino.
Je dois au hasard, une des rares choses non expliquées de notre époque, le bonheur de mon existence."
Tout ne fut pas aussi simple, même si Helmut tenait à avoir une relation durable, à Paris il ne tient pas en place, et la nuit ce sont des escapades nocturnes vers Saint-Germain-des-Prés. Difficile de s'habituer à une vie ordonnée, aristocratique et artistique. Helmut ne tombera totalement amoureux de Visconti que plus tard.
" Ce fut alors moi qui me mis à le courtiser. L'éternel jeu de l'amour ....Moi , j'étais un gémeaux qui ne planifiait rien, n'aimait pas se fixer, et qui n'était mu que par ses désirs et ses rêves. J'étais totalement instable au plus profond de moi-même. Avec Luchino j'avais trouvé un équilibre. Son assurance devint la mienne et son amour me permit de m'aimer moi-même. Quand je pense à tout ce que je dois à Luchino...Avec lui j'ai vécu l'amour, l'adoration, la désinvolture, la peur, la discipline, les disputes, l'énergie, la force.
Je n'aurais réussi avec personne d'autre. Son exigence de perfection me demandait tout. J'ai dû travailler énormément...( Eh! bien, fixer mes pensées entre les deux pages d'un livre est plus difficile que je ne l'imaginais !...)
Avant que Luchino me donne ma première grande chance au cinéma avec "Les damnés" en 1968, j'avais déjà , Dieu merci eu une expérience avec la caméra. J'avais été choisi en 1967 pour jouer le premier rôle dans Le Portrait de Dorian Gray. Massimo Dellamano , le réalisateur avait vu des photos de moi."
Helmut s'exprime librement sur sa bisexualité. Marisa Berenson voulait se marier avec lui ,mais voulant faire pression sur lui en jouant à le rendre jaloux, il mit à mal ses plus belles robes du soir en les découpant en lamelles avec des ciseaux ! Les reproches principaux qu'il fait aux femmes c'est de vouloir se faire épouser et avoir des enfants .
Avec Visconti , le succès de ses films, le monde s'ouvre à lui..." Voir toutes ces choses, être entouré de tant de gens connus de toutes sortes me fascinait et me donnait l'impression d'être un Autrichien débarqué de sa province ."
L'amitié de Romy Schneider est aussi très présente dans ce livre. "Nous nous ressemblions beaucoup et étions très proches...j'ai beaucoup de messages d'elle affichés aux murs de mon appartement. Elle me consolait comme un petit frère adoré quand je craignais un réalisateur intimidant...je l'ai tellement aimée. Quand Luchino tomba gravement malade, elle fut tout de suite à mes côtés, me soutint et m'aida de ses conseils. Bien qu'elle fut en plein tournage, elle rendit immédiatement visite à Luchino à la clinique..."
Lors du tournage de Ludwig, il y eut des attentes interminables, les scènes étaient interrompues à cause des visites guidées des touristes qui passaient parfois dans les pièces où étaient les acteurs.
" Lors d'une de ces pauses, à Linderhof, je m'étais assis, l'air impassible, sur un fauteuil en velours qui ressemblait à un trône. Parfaitement maquillé et les cheveux stylisés, nous gardions nos costumes historiques pendant des heures. Craignant la colère de Luchino qu'enrageait le moindre pli, je restai immobile sur mon trône au Linderhof...Je forçais même mes yeux à ne pas ciller. Ma volonté peut être implacable. La discipline prussienne ! Pendant ce temps les touristes- des Américains- admiraient les pièces seigneuriales. Soudain une vieille dame apparut dans mon champ de vision...D'un seul coup, elle tira la manche de mon costume, probablement parce qu'elle aimait le velours et voulait vérifier sa qualité. et là , incapable de me retenir plus longtemps, je roulai des yeux et hurlai "ouaf". La pauvre femme faillit s'évanouir, tellement elle eut peur."
La mort de Visconti fut un choc terrible, une tragédie pour Helmut Berger qui un an plus tard, le 17 mars 1977 voulus le suivre dans la mort.
"Je croyais, j'espérais le retrouver dans son nouveau monde. Qu'est-ce que j'avais à faire ici sur terre sans lui ?"
Après le décès de Visconti ,parmi ceux qui l'avaient encensés, il y en eut qui le dénigrèrent." Viscontien ,devint une insulte. Alors que les films de Visconti étaient déjà devenus des classiques...Cela me blessa au dernier degré, quand bien même je vécus les années qui suivirent sa mort comme une cloche sans air. Sans Luchino, je n'étais que la moitié de moi-même...Toutes ses raisons expliquent aussi ma tentative de suicide et les pensées noires qui s'emparaient régulièrement de moi."
A propos de son rôle en 2014 dans le film de Bertrand Bonello sur la vie d'Yves Saint Laurent , il dit :
" Je suis allongé sur mon lit dans la peau d'Yves Saint Laurent âgé et je regarde un film de moi-même, du jeune Helmut Berger...mon jeu est le fruit d'une compréhension tacite entre Bertrand et moi. L'humeur fondamentale d'Yves correspondait absolument à la mienne. Je l'ai bien ressenti."
"Je crois au destin. Il y a des cercles qui se ferment, des expériences et des lieux qui doivent revenir...Je n'ai pas peur de la mort. Mais je crois que quelque chose de nous reste quand nous mourrons.
Comme le poète Novalis le formula jadis : Où allons-nous? Toujours chez nous ."
Hécate