Jean Richepin
L’été invite à la paresse alors, cédant à l’humeur vacancière, voila que je m’en remets à Jean Richepin le plaisir de se présenter lui-même ; ce qui m’évitera trop d’effort.
Quelques petites choses tout de même : fils d’un médecin militaire, il est née à Médea en 1849 et mort en 1926.
Lors d’études à Lyon il se révèle doué pour les lettres et rétif à la discipline.
A Paris, invité à payer les frais de scolarité il ne se gène pas pour lancer au directeur : « Monsieur, on ne tond pas un œuf ». Il préfère n’en faire qu’a son idée et fréquente la bibliothèque plus que les cours de l’Ecole Normale.
Apres avoir combattu les Prussiens, le revoilà à Paris en pleine insurrection communale. Puis il file à Londres, à Bruxelles, revient à Paris.
En dépit d’une célébrité grandissante et l’ascendant autour des poètes, il attendra par force, trois ans avant qu’un éditeur courageux daigne publier « La Chanson des gueux ».
Ballade du Roi des Gueux
Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d'indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux.
Vous que la bise des matins,
Que la pluie aux âpres sagettes,
Que les gendarmes, les mâtins,
Les coups, les fièvres, les disettes
Prennent toujours pour amusettes,
Vous dont l'habit mince et fongueux
Paraît fait de vieilles gazettes,
Le poète est le Roi des Gueux.
Vous que le chaud soleil a teints,
Hurlubiers dont les peau bisettes
Ressemblent à l'or des gratins,
Gouges au front plein de frisettes,
Momignards nus sans chemisettes,
Vieux à l'oeil cave, au nez rugueux,
Au menton en casse-noisettes,
Le poète est le Roi des Gueux.
ENVOI
Ô Gueux, mes sujets, mes sujettes,
Je serai votre maître queux.
Tu vivras, monde qui végètes !
Le poète est le Roi des Gueux.
Je laisse donc la parole à Jean Richepin :
« Ce livre est non seulement un mauvais livre, mais encore une mauvaise action. Là maintenant, benoît lecteur, te voilà dûment averti ; et il ne faudra pas t’en prendre à moi, si tu échanges ton bon argent contre ces méchants vers et si tu emportes au sein de ta famille une semblable ordure. »
(Richepin est passé au banc de la correctionnelle, et s’est vu gratifié de cinquante francs d’amende et condamné à trente jours de prison.)
… « J’espère pour ta pudeur, ô lecteur honorable, père prudent, époux irréprochable, que tu vas fermer ce livre malsain, le reposer au bout des doigts dans la devanture où il étale cyniquement sa honte, et courir chez ta maîtresse pour te consoler un peu de la dépravation lamentable qui sévit sur les lettres françaises.
…Quand au critique, je te dirai qu’il m’est difficile d’en parler et d’apprécier sa valeur littéraire ou morale, vu qu’il était anonyme. Tout ce que je puis t’en apprendre, c’est qu’il était à cheval sur les principes, qu’il en profita pour pousser une charge à fond de train contre mon indignité que son encre de la grande vertu lui servit à débarbouiller de noires injures pendant deux colonnes, sous prétexte de me laver la tête, et qu’enfin cette austérité farouche florissait dans un journal comique, comme un chardon hérissé dans un champ d’herbes folles. »
(Richepin poursuit avec la même verve, des descriptions polissonnes du journal le « Charivari » avec grande saveur)
« Imagine toi des femmes en toilette négligée voire d’aucune chemise, prenant devant des messieurs des poses que souligne à l’occasion une légende gaillarde. Elles te plairont à coup sûr, ces coquines signées Grévin ; mais tu avoueras sans doute avec moi que leurs genoux provocants ne pouvaient manquer de rendre écarlate celui de notre respectable moraliste…
…Tu en tireras au moins cet enseignement profitable, à savoir puisque cela conduit à être vilipendé, traîné dans la boue, dénoncé comme un malfaiteur et transformé finalement en gibier de prison.
…Force brave gens ont passés par là, qui ne s’en portent pas plus mal. Moi-même, ainsi que tu peux le constater je n’en ai pas conservé la moindre peine. Je t’en parle sans fiel, sans me poser en martyr. Et de quoi diable me plaindrais-je ? Il y a de part le monde une assez grande quantité de personnes parfaitement honorables, qui me serrent la main sans être déshonoré. Il y en a aussi qui n’ont pas trouvé mon livre à ce point mauvais ; car il l’ont acheté, l’ont fait acheté à leurs amis et connaissances, m’en ont adressés des éloges, et j’en sais une demi-douzaine qui le mettent en bonne place dans leur bibliothèque, jusqu’à l’avoir orné d’une reluire riche, le traitant à la façon d’une belle créature que son amoureux croit digne d’une belle robe.
Donc toute réflexion faite ne défends pas à ton fils d’être poète, s’il le veut, et s’il le peut. Au besoin même, console-le d’avance des attaques de la critique par cette adage latin : « Censura perit, scriptum manet. »
Au cas où il ne saurait pas le latin, apprends-lui ce délicieux proverbe turc :
Le chien aboie, mais la caravane passe. »
(Ensuite Richepin enchaîne sur la gauloiserie, la bonne franquette, la gueulerie populacière, qui n’ont jamais dépravé personne.)
« Cela n’offre pas plus de danger que le nu de la peinture et de la statuaire, lequel ne paraît sale qu’aux chercheurs de saletés.
Ce qui trouble l’imagination, ce qui éveille les curiosités malsaines, ce qui peut corrompre, ce n’est pas le marbre, c’est la feuille de vigne qu’ont lui met, cette feuille de vigne qui raccroche les regards, cette feuille de vigne qui rend honteux et obscène ce que la nature a fait sacré.
Mon livre n’a point de feuille de vigne et je m’en flatte. »
(Et de renchérir sur la littérature encensée par la vertu bourgeoise, mais où le libertinage passe sa tête de serpent, avec un livre de messe à la main et où certains glissent des images… peu catholique !)
« Le Roi Salomon lui-même ne mâchait guère sa façon de dire, et dont le Cantique des Cantiques, si admirable, lui vaudrait aujourd’hui un jugement à huis clos. Immoral je suis donc, et immoral je resterai, me trouvant en trop noble compagnie pour chercher mieux.
…Plaisanterie à part, la question est grave ; et on me pardonnera d’entrer dans des considérations plus hautes, à propos de cette accusation d’immoralité que j’ai l’honneur d’avoir partagé en ce temps hypocrite avec des maîtres tels que Baudelaire et Flaubert.
…Je proteste de toutes mes forces contre cette absurdité… la Justice contrôlant la Littérature. L’Art est une chose, et la Morale en est une autre, et ces deux choses n’ont vraiment rien à voir ensemble. »
(Pierre Desproges a liquidé la littérature et ses auteurs d’une grande giclée de mots cinglants. Richepin n’aurait point dédaigné d’en rire.
J’ignore, si Desproges qui n’a pas épargné Flaubert a fait de même avec Richepin, mais les amateurs du dit Desproges ne manqueront pas d’éclairer ma lanterne.
Victor Hugo a fait pleurer les chaumières avec « Les Misérables », Mandrin a réjoui les mal nantis, Villon a traîné ses chausses comme il pouvait, Xavier de Montépin avec « La porteuse de pain », y a été de sa romance des pauvres avec ce feuilleton.
Ah ! J’allais oublier Zola et son naturalisme, Hector Malot et « Sans famille ». Pourquoi Richepin se serait-il privé de sa « Chanson des Gueux » ? )
« Toutes mon enfance a été bercée du chant du romantisme » écrit Desproges et « la littérature est à la civilisation ce que la queue est à la casserole : quand il n’y en a pas, l’homme à l’air con. » José Maria Téfal – Résistances.
(Quelque chose me murmure que Desproges n’aurait pas fait grand mal à Jean Richepin, une gouaillerie sans férocité tout au plus… Mais je puis me leurrer. Les illusions, n’est-ce pas ?)
« Et maintenant feuillette ce livre abominable, pour te bien convaincre que je ne suis pas si méprisable… tu y rencontreras des cantilènes de mendiant, des ballades de baladeurs, des paysages, des bouts de rue, des petits qui demandent l’aumône, des vieux, des marmiteux, de franches canailles qui ont la main leste et la parole encore plus, mais aussi le cœur sur la main ; tu y verras passer jusqu'à des bêtes, car il y a des gueux parmi elles comme parmi nous, tu y entendra de ces affreux gros mots qui offusquent si fort notre bégueulerie moderne, et parfois des refrains ou se joue gaiement un rayon de soleil, où flambe un verre de vin ; et tu te diras qu’en somme il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat, que la vertu de nos contemporains est diablement prompte à s’effaroucher, et qu’elle ressemble à ces vieilles dissolues qui poussent la pudeur et la crainte du sens obscène au point de dire le « séant » d’une bouteille et la « tige » d’un cheval.
…Ouf ! J’ai fini. Merci, ô suave, merveilleux, incomparable lecteur, si tu as l’extraordinaire bonté d’écouter jusqu’au bout les raisons du pauvre auteur qui tient à ton estime et à ton affection. »
Nativité
D'aucuns ont un pleur charitable
Pour Jésus né dans une étable.
Je sais un sort plus lamentable
Je sais un enfant ramassé,
Un jour de décembre glacé,
Nu comme un ver, dans un fossé.
Il est nuit. Pas une voisine
N'offre à sa grange ou sa cuisine
A la pauvre mère en gésine.
Malgré sa mine et son danger,
Qui donc voudrait se déranger ?
Elle est en pays étranger.
Donc, depuis l'étape dernière
Se traînant d'ornière en ornière,
Elle va, bête sans tanière,
Bête hagarde qui s'enfuit
Et cherche à tâtons un réduit,
Les yeux grands ouverts dans la nuit.
Ses reins lui pèsent. Ses mamelles
Que gonflent des cuissons jumelles
Sont pleines comme des gamelles.
Son ventre, où flambent des chardons,
Sent l'enfant, fils des vagabonds,
Qui veut sortir et fait des bonds.
Elle va quand même, plus lente,
Tirant ses pieds lourds dont la plante
Saigne. Elle va, folle, hurlante,
Soûle, et, boule, roule au fossé ,
Et maudit le mâle exaucé
Par qui son flanc fût engrossé.
La face au ciel, comme en extase,
Elle se tord. Son cou s'écrase
Sur les cailloux et dans la vase.
Elle accouche enfin, en crevant ;
Et le gueux nouvel arrivant
Grelotte et vagit en plein vent.
Le vent est dur, sa chair est nue.
Aucune étoile dans la nue
Ne vient saluer sa venue.
Pas de mages, pas de cadeaux,
De crèches, de bergers badauds !
Il est seul, couché sur le dos,
Comme un supplicié qui claime,
Tout noir près du cadavre blême,
Sans personne au monde qui l'aime ;
Et, par sa mère au ventre ouvert
Je jure, le front découvert,
Que l'autre n'a pas tant souffert !
Hécate
Œuvres de Jean Richepin, et pour en savoir plus...
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Richepin