Gérard de Nerval
L’épanchement du songe…
« Etre dans une histoire, un aussi indispensable chaînon et ne se sentir retenu ni du côté du passé, ni du côté de l’avenir… »
Ce que cherche Gérard de Nerval dans les livres, comme dans la femme, c’est sa propre présence, lui que tourmente la peur d’être absent de soi. La recherche de sa propre identité est un élément plus révélateur de sa destinée profonde que la généalogie fantastique qu’il eut l’idée de se construire.
Un champ (propriété de famille) situé sur l’emplacement d’un ancien camp romain, le clos de Nerval lui vaudra son pseudonyme. (Nerva était un empereur.) Sensible à ses origines, il établit une foisonnante collection de notes manuscrites concernant sa généalogie.
A paris à vingt heures, le 22 mai 1808 naissance de Gérard Labrunie, jour de la Saint-Emile (il verra par la suite un signe favorable dans le prénom du Dr Emile Blanche qui le soignera avec dévouement) à cause de cette coïncidence. Il attachera une importance énorme à son horoscope, bien évidemment.
Le petit Gérard une fois baptisé est confié à une nourrice, car deux ans après sa naissance, il perd sa mère. La mort ne cessera de jalonner sa vie.
Au château de Mortefontaine près d’Ermenonville dans le Valois, il grandit dans ce long bâtiment flanqué d’une tourelle où une pièce d’eau servait de miroir au ciel.
Ses rêveries commencèrent là ; replié sur l’imaginaire dès qu’il comprendra qu’il ne reverra jamais sa mère morte en Silésie, il va recomposer sa destinée. Aucun portrait d’elle, tous disparus ou volés. Il sait qu’elle ressemblait à une gravure d’après Prud’hon ou Fragonard : « La Modestie ».
Son père devient l’obscur ennemi qui l’a «perdue » quelque part en Allemagne, perdue jusqu’à ses lettres, ses bijoux. Malheurs de la guerre et de la fuite. Il pensera que cette fièvre qu’elle avait prise en traversant un pont chargé de cadavres est cette même fièvre qui s’empare de son esprit à intervalles périodiques.
C’est à Mortefontaine que Sophie Dawes, la baronne de Feuchères lui apparaîtra, furtives visions…
Elle devint Adrienne dans ses récits, il la voit comme une Diane – Artémis déesse des chasses et des forêts.
Plus tard, lorsqu’il ira danser aux fêtes de la St Barthélemy au bal de Loisy, c’est avec une nommée Sylvie qui transparaîtra dans ses récits en prose.
« Le rêve est une seconde vie » écrit-il.
Mais la vie est un combat. Le poète des «chimères » s’épuisera une grande partie de sa vie à gagner de l’argent dans le monde littéraire. Il traduit «Faust » à l’âge de vingt ans, malgré une médiocre connaissance de l’allemand, mais Goethe est à la mode ; même si l’exercice est périlleux, il le tente. A cette époque, la méconnaissance des langues étrangères est assez courante.
En 1830, au côté de Théophile Gautier et d’autres, dont Petrus Borel l’écrivain républicain surnommé le Lycanthrope, il assiste à la bataille d’Hernani et boit du punch dans des têtes de mort. Ils admirent Hugo et se souviennent de Napoléon fiévreusement. C’est l’effervescence gothique, la gaieté est putride. On va aux catacombes, on se promène au Père Lachaise, on voit sous la parure des femmes, le squelette.
Avec Gautier, il a sans doute en commun cette idéalité de la femme et de la mort, le goût de l’onirisme, voir de l’ésotérisme, du théâtre et celui des voyages. Gautier tombe amoureux de la danseuse Carlota Grisi et esquisse pour elle le thème du ballet «Gisèle » ; Nerval s’éprend d’une cantatrice. Amis leur vie durant, ils écriront, solidaires, des chapitres du feuilleton de la presse, se relayant l’un l’autre.
Le blond, le doux Gérard court donc les théâtres et s’enflamme pour Jenny Colon, cantatrice aux variétés. Gérard rêve… Jenny devenue Aurélia… Pourtant, elle est dans la vie un peu lourde, soucieuse du sens pratique. Elle mettra de nombreux enfants au monde une fois devenue l’épouse du flûtiste Leplus. Transformée en héroïne romantique, il l’aima, l’imagina surtout, mais cette liaison où il demeure impuissant servira de point d’appui à sa mythologie, sera le lien et la chaîne de ses souvenirs chimériques. Il n’importe qu’elle le ruina.
L’héritage paternel sera englouti, il avait fondé pour elle, une revue luxueuse qui ne dura pas. « Le Monde Dramatique ».
Par nécessité, le voilà obligé d’alimenter les journaux de chroniques, de feuilletons. Son œuvre devient une marchandise à placer. Nerval en proie à ses servitudes plus que d’autres encore, va voir son monde coupé en deux. L’asservissement au quotidien, la réalité brute a laquelle il se plie, et l’autre où il libère son esprit dans la fréquentation des illuminés : initiation à la franc-maçonnerie, plongée dans la culture ésotérique. Démarches, quêtes d’un perpétuel adolescent dans le monde moderne. Nerval n’est pas un génie à l’état sauvage, comme le furent Rimbaud ou même Lautréamont.
Il est profondément humaniste, fidèle à sa vocation de se nourrir par pur plaisir à la lecture des classiques. Il s’enrichit sans cesse en sortant de lui-même pour se pencher sur l’expérience des autres. Sa culture est immense, mais ne réside pas qu’en des œuvres figées par le temps. Elle est un style de vie, un don d’observation aiguë, un échange de conversations, un sens du voyage. Pour lui, la connaissance est inséparable de l’action et du lien avec les hommes, car sans cela, elle serait imparfaite et stérile. Cet univers orienté par le rêve et les labyrinthes de la pensée, n’exclue pas une curiosité tendue vers les œuvres du langage dru.
S’il lit Shakespeare, il puise dans Dickens l’exactitude et la sobriété descriptive. Il apprécie le concret chez Balzac. Le monde des comédiens (Molière, Racine, Théophile de Viau) significations symboliques à ses yeux.
Il a lu Homère, Euripide, Sappho Virgile, Cicéron, Pétrone. Il se veut fils de la Grèce. La littérature médiévale lui est familière, et le moyen - âge est vivant et peu conventionnel dans sa pensée. Le XVI siècle lui est encore plus favori ; dans le XVIII siècle avec Rousseau il retrouve la contemplation des paysages qui le renvoie au monde de son enfance, à Mortefontaine.
Son versant noir, nocturne, romantique, ésotérique est tout aussi important. Lumière et ombre, grandeur tragique de Dante, voie allemande du coté d’Hoffmann. Il cultive c’est évident une érudition bizarre entraîné par le plaisir d’étonner. Il est capable de dévorer des œuvres orientales en quelques jours. Toute cette science des mots, des livres, qui laissait pantois ses interlocuteurs et qui se bousculait dans sa tête, l’amusait. Il passe vite pour un prophète illuminé dont la raison s’est égarée en Allemagne, dans les sociétés secrètes et les symboles orientaux. Nerval en tire une méthode de connaissance du monde et de lui-même.
Les voyages incessants pour trouver les sujets et les décors de ses feuilletons (toujours gagner sa vie pour mieux la rêver) malgré la maladie et l’inquiétude lui apportent des trêves.
En 1838, il retrouve Alexandre Dumas en Allemagne, qui écrira parlant de lui «qu’il était un esprit charmant, distingué, chez lequel de temps en temps un certain phénomène se produisait qui par bonheur (ils l’espéraient tous) n’était pas inquiétant. Tantôt il est roi d’Orient il a retrouvé le sceau qui invoque les esprits, il attend la reine de Saba, et alors, il n’est nulle conte qui vaille ce qu’il raconte à ses amis… qui ne savent s’ils doivent le plaindre ou l’envier. Un jour, il se croit fou et raconte comment il l’est devenu et avec un si joyeux entrain, que chacun désire le devenir pour suivre ce guide… tantôt c’est la mélancolie qui devient sa muse, alors retenez vos larmes, si vous pouvez, car jamais Werther, jamais René, jamais Anthony n’ont eu plaintes plus poignantes, sanglots plus douloureux, paroles plus tendres, cris plus poétiques… »
Prisonnier de son univers mental, Nerval promène son corps en bateaux, en coches, en diligences. Homme des missions poussé par la nécessité et l’impatience de ses propres limites, il aiguise sans cesse sa sensibilité et élargie sa capacité de connaissance et de création.
En novembre 1839, au cours d’un long voyage qui le mène de la Suisse à l’Allemagne jusqu’en Autriche où il rencontre Liszt et Marie Pleyel. Il est sorti de sa crise sentimentale, mais la pianiste au visage de «pâle reflet de lune », véritable héroïne romantique aux yeux et aux cheveux sombres, le trouble. Elle l’aidera à dépasser sa passion et son angoisse à travers le mythe. Elle apparaîtra dans le récit «Pandora ».
En 1840, il revoit Jenny Colon; femme d'un autre, elle est toujours Aurélia.
En Belgique, un jour de Noël alors qu'elle interprète le rôle d'Isabelle dans "Robert le Diable" de Meyerber, cette représentation l'impressionne par son côté spectral; des nonnes sortent de leur tombe et errent des flambeaux à la main. Il puisera là encore des thèmes qui lui sont chers.
A son retour, il retrouve soucis et problèmes financiers. Le mois de décembre de cette même année marque profondément le poète, puisque Sophie Dawes s’éteint. La baronne de Feuchères, c’est toute son enfance, c’est Mortefontaine, c’est le domaine familial. C’est aussi la translation des cendres de l’empereur. Il s’est également incorporé dans le mythe Napoléonien, à cause du choix de ce pseudonyme rattaché à cet empereur romain Nerva, qui devint Nerval. Y voit-il de mystérieux signes ?
« L’extraordinaire fait aussi partie de l’ordinaire » écrit Maurice Blanchot.
Dès 1841, les premiers troubles mentaux apparaissent. Il a trente trois ans. En 1842, Jenny Colon épuisée par les maternités et les tournées provinciales meurt.
En 1849, nouvelles crises et séjours en avril – mai chez les docteurs. En 1850 une période de dépression nerveuse l’assaille en juin. Il est soigné de nouveau. En 1851, en février il voyage en Touraine après avoir réglé l’édition définitive du «voyage en orient ». En 1853 il travaille à «Sylvie » il séjournera à la maison de santé municipale faubourg St Denis. Les frais seront pris en charge par le ministère de l’Instruction publique.
Et en août après avoir été conduit à l’hôpital de la Charité, il entre à la clinique du Dr Emile Blanche à Passy. « Sylvie » est parue le 15 août dans la revue des deux mondes. Le Docteur Blanche lui conseille de mettre par écrit ses illuminations. « Diriger mon rêve éternel au lieu de le subir » écrit-il encore. Tout ce qui est dans «Aurélia » a d’abord été vu. Les visions sortent de l’ombre.
Antonin Artaud note que les anciens écrivains alchimiques nourrissaient pour les termes de théâtre une affection particulière. Le symbole est théâtral. Nerval est fasciné par le théâtre ; La création de l’opéra les «Monténégrins » est crée six ans après la mort de Jenny Colon.
« Les belles choses
N’ont qu’un printemps
Semons de roses
Les pas du temps »
(un couplet de la chanson gothique de cet opéra.)
Son monde intérieur est théâtre. Le symbole alchimique est comme le double spirituel d’une opération. C’est cela qui a attiré Nerval. Son livre de chevet, un ouvrage du religieux Bénédictin Dom Pernety présente le théâtre alchimique à travers les couleurs.
Cette correspondance d’une couleur pour chaque divinité de la mythologie egypto – grecque séduit l’imagination de Nerval. En lisant Pernety, Nerval se rencontre lui-même. Il ne s’évade pas il se retrouve !
Il écrit ironiquement à Dumas que ses sonnets perdraient du charme à être expliqués, si la chose était possible.
« El Desdichado » parle toujours à celui qui, insatisfait de soi-même se cherche sans le savoir, il parle à qui rêve, à qui le mystère détient un charme qui transporte. Sans rien savoir, sans rien connaître, ni de l’alchimie, ni des tarots, ni du symbolisme, ni du poète lui-même, les vers de ce sonnet ont un écho.
Nerval sollicite les visions, refuse de les recevoir passivement. Le mystère de la création poétique : aimanter les mots dont le poète doit régler l’ordonnance.
« El Desdichado » et «Artémis » écrits à l’encre rouge, furent adressés à Alexandre Dumas le 14 novembre 1853. Le poète, ici est alchimiste. Le 15 novembre, il recopie à l’encre rouge le poème «A Victor Hugo qui m’avait donné son livre du Rhin ».
Nerval, lecteur de Pernety savait que rouge correspond au stade ultime de l’œuvre, celui de la fixation. Il écrit également à l’encre rouge, une lettre au Dr Emile Blanche… «mes épreuves sont terminées, et pour parler comme les initiés : j’ai déposé la clef d’Osiris sur l’autel de la sagesse ».
A ce moment, il semble vouloir indiquer qu’il a atteint son but, que sa carrière, son œuvre sont achevé. Il a à sa manière accompli le grand œuvre.
Quand Julia Kristeva affirme que la mélancolie Nervalienne est une identification au Christ abandonné par le père, doublé d’un athéisme qui ne croit plus au mythe, elle suggère que sa philosophie est encore un christianisme immanent couvert d’ésotérisme. Un nihilisme secoue l’Europe, de Dostoïevsky à Nietzche : Dieu est mort ! Nerval substitue un dieu caché, une spiritualité diffuse. Mort de la mère, mort de la femme aimée, identification avec la mort même. Toutes apparitions féminines deviennent uniques et se fondent en un seul être, Isis, Marie, Aurélia, Sylvie, Sophie… Diane.
Nerval a caché la clef des «Chimères » composées selon la symbolique alchimique, suivant une méthode de création qu’on pourrait nommer méthode d’imagination dirigée. Il veut peut-être faire croire qu’elles sont le fruit d’une imagination déréglée.
Nerval brouille les pistes ; il sait le prix de la folie, de ses crises. Il maîtrisera dans son art, ce qu’il ne maîtrisera plus dans sa vie. D’une poétique hermétique, il veut faire une source littéraire de rêve. Pari réussi ; Alain Fournier semble avoir été fortement influencé par l’univers Nervalien. Dans «le grand Meaulne », on retrouve cette recherche du temps perdu de l’adolescence féerique. La fête au château est bien dans la lignée et l’atmosphère du château nervalien… Le cinéaste Alain Resnais aurait-il filmé «L’année dernière à Marienbad » avec cet espace mental si particulier transcrit par l’image, sans la connaissance de son œuvre ?
Avant d’aborder «El Desdichado » plus en détail, je veux signaler une anecdote : dans une brochure qui lui était consacrée et où figurait un portrait de lui, il ajoute un dessin, un oiseau en cage, jouant avec les mots, d’abord la lettre G, puis Gérard (geai - rare) pour signifier que son âme est captive dans le tombeau de son corps. Sous le portrait initial, il ajoute la mention : « Je suis l’autre ».
Mais la présence des oiseaux qui jalonnent toute son œuvre, cygne, perroquet etc. ne sont pas que des repères symboliques initiatiques. Quand on sait que dans son enfance, il pleura inconsolable la mort d’une tourterelle aux pieds roses, et qu’il eut un perroquet, on ne peut adhérer aux froides analyses du seul savoir. Gérard eut jusqu’au bout cette sensibilité merveilleuse, cette fraîcheur enchantée, même dans le désenchantement. « Nous sommes tous d’anciens perroquets prétendait-il et les perroquets étaient des hommes enchantés ».
Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui ma consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phoebus ? … Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la Sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Bien des interprétations ont été écrites à propos d’El Desdichado, toutes plausibles ; avec le vrai poète toutes les facettes d’une même œuvre offrent des vérités différentes.
Je retiens ici, celle qui me semble initiale, celle de la composition des couleurs dans l’œuvre alchimique.
Le règne du noir
Le règne du blanc
Le règne de la citrine safranée
Le règne du rouge.
Le Ténébreux c’est Pluton, ce qui explique le choix de Nerval au début du sonnet, c’est que de tous les Dieux, il fut le seul à garder le célibat, tant sa difformité effrayait les Déesses.
Le Soleil noir (1° phase alchimique, à cause de sa couleur, il lui a été donné le nom de tête de corbeau) la Mélancolie, c’est la putréfaction de la matière noire ; (c’est parallèlement l’humeur du corps humain, regardée comme une bile noire.)
Dans le 2° quatrain l’allégorie de la fleur fut une figure emblématique de Nicolas Flamel.
La Fleur c’est le symbole du blanc. La couleur blanche succède à la noire, le souffre blanc étant le premier degré de perfection. Les philosophes emploient le mot tombeau pour des allégories de la putréfaction de la matière.
Le pampre c’est la couleur de la rouille… celle de Mars (Mars que l’on retrouve avec Biron, nom d’un guerrier décapité. A noter, que Nerval se pendra ! ) Biron est un personnage de Shakespeare dans «Peines d’amour perdues», l’union du pampre et de la rose c’est donc l’union de Mars et de Venus ; c’est donc le passage du blanc au rouge à travers l’or safrané qui annonce le soleil. La blancheur s’altère, mais la rougeur foncée du soleil dure, parfaisant l’œuvre du souffre, que les philosophes appellent sperme masculin, couronne royale et fils du soleil.
La rose désigne Vénus. La rougeur appelée mâle, cachée sous la blancheur de la matière nommée femelle, réunis comme deux sexes dans un même corps, font un composé hermaphrodite qui commence dès que la couleur safranée se manifeste.
Nicolas Flamel, cité par Pernety, qui reprend les dires d’Orphée, disciple d’Hermès, affirme que Diane était Hermaphrodite.
Le Pausilippe et la mer d’Italie représentent le mélange du souffre et du mercure dans l’œuf philosophique. (Pausilypon en grec signifie : cessation de la tristesse.)
Phoebus c’est le Soleil ou Adonis, l’or philosophique. Phoebus, Amour, le front rouge symbolisent la phase du rouge.
Ce que les alchimistes appellent Reine, c’est l’eau mercurielle, ainsi nommée parce qu’ils ont appelé le souffre : Roi. Ils doivent être mariés ; l’eau est l’épouse naturelle et sa mère.
Pour Nerval dans le poème, le baiser sur le front désigne ce mariage alchimique du Roi et de la Reine, de l’enfant philosophe avec sa mère. Dans les écrits des philosophes, il est dit qu’il faut marier le Soleil et la Lune, le frère et la sœur, la mère avec le fils. Tout cela n’est que l’union du fixe avec le volatile qui se fait au moyen du feu.
La Sirène c’est l’eau mercurielle purifié du souffre impur. C’est Mélusine avant cette purification elle est nommée la Femme prostituée. « Les soupirs de la Sainte », c’est Artémis, Diane, la vierge ailée pure qui accouche dans le «désert des cieux » (par symbolisme, Diane c’est Sophie Dawes la baronne de Feuchère). Nerval est amant et frère de la Femme. Une femme confondue en une seule image, qu’il idolâtre et vénère. Quand son âme retombe à la matière, ces femmes décevantes (hors du mythe) le quittent, le déçoivent où meurent. Et souvent le tout à la fois.
L’alchimiste fait sortir le blanc du noir, la Sainte et la fée ont franchi l’Achéron, elles ont quitté le monde de la putréfaction, la couleur noire, qui est le monde de Pluton.
Nerval identifié au Ténébreux à l’histoire de Pluton, le sonnet devient sa propre histoire, son malheur sien, sa transmutation en Phoebus sa métamorphose.
Avec la fleur blanche, il revoit la femme aimée, perdue. Le drame alchimique est son propre drame.
« Ils est certains conteurs qui ne peuvent inventer sans s’identifier aux personnages de leur imagination (- confie Nerval à Alexandre Dumas). Ce qui n’eut été qu’un jeu pour vous … est devenu pour moi une obsession, un vertige. »
Dans le poème suivant, «Artémis », Nerval affirme son choix définitif pour le nocturne. Le Ténébreux est à la fois le Diable du Tarot et le Diable alchimique, l’Anteros et la noire Hécate, la lune de l’enfer.
Le poète à retraversé l’Achéron et la nuit se referme. Il retourne au monde enseveli de la mélancolie, c’est le refus de la transmutation intérieure.
En 1853, il termine donc les «Filles du Feu » et les «Chimères ». En 1854, en août il entre chez le Dr Blanche, travaille à «Aurélia ». Il quitte la clinique le 19 octobre, menant une existence errante, difficile, sans domicile fixe.
Le 26 janvier 1855, il est trouvé pendu rue de la Vieille - Lanterne par moins 18° sous zéro.
L’identité impossible et tellement cherchée se trouve résolue. Mis par la maladie, dans l’impossibilité d’écrire, de produire, de donner, il ne pouvait plus survivre.
Ses dernières lignes écrites sur un billet laissé à une tante qui l’hébergeait sont un étrange adieu qui renvoient une ultime fois au règne alchimique : « - Ne m’attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche. »
L’œuvre Nervalienne prend son sens dans la mesure où elle dépasse tout entendement réel, écartant toutes les limites.
Ce langage unique alliant l’intemporel au réel, le souvenir et l’imaginaire, démarche pour comprendre ou devancer ce qui sera fuite, oubli, mort, touche cette part mystérieuse que chacun porte en soi.
L’émotion dépasse le savoir.
Hécate.