"Orphée" sort des enfers,
annonçaient les Editions La Différence au printemps 2012.
« Le mythe raconte que la tête d’Orphée, tranchée par les ménades chantait toujours dans le courant du fleuve l’emportant… C’est d’une certaine manière, cette voix indestructible qui se fait entendre contre vents et marées de la sauvagerie marchande… »
Le retour de la collection de poésies "Orphée" fondée en 1989 par Claude-Michel Cluny est un événement.
En 1998, face aux difficultés financières l’éditeur ne voulant pas pilonner les livres, les soldait chez les bouquinistes. Après des mois passés à racheter les exemplaires disséminés, la collection de poche "Orphée" revient au grand jour en librairie.
« Pour ceux qui la connaissaient, il n’y aurait presque rien à ajouter puisqu’ils la regrettent depuis déjà quatorze ans. Pour les autres, que cette nouvelle laissera sans doute de marbre, on serait tenté de croire que son originalité et l’engouement qu’elle a suscité éveilleront leur curiosité. » (Louise Bastard de Crisnay / Libération 24 mai 2012.)
Un nouveau dessin signé de l’artiste serbe Milos Sobaïc figure sur les couvertures qui obéissent à un code couleurs précis : la couleur du fond correspond au continent dont est originaire l’auteur ; celle du titre, la langue dans laquelle il écrit.
« …l’essentiel est de trouver des traducteurs et des préfaciers qui soient de véritables passeurs et de permettre au lecteur, grâce à l’édition bilingue, de s’interroger sur l’origine des choses. Car elle nous oblige à penser qu’un poème, même si on n’en comprend pas la langue, vient d’une culture et d’une histoire qui n’est pas la nôtre. 36 titres étaient publiées chaque année, édités à 5000 exemplaires ; désormais six nouveaux recueils par ans, et la réédition des titres épuisés. » (Claude-Michel Cluny)
En avril j’avais écrit une chronique autour du poète Adonis né en 1930 et dont la vie s’est partagée entre la Syrie, son pays natal, le Liban et la France. Dans « Chronique des branches », les textes arabes ont été calligraphiés par l’auteur. Le recueil s’ouvre sur le poème :
Miroir Pour Orphée
Ta lyre mélancolique, Orphée,
Ne peut changer notre levain.
Elle ne sait façonner pour la bien-aimée captive
Dans la cage des morts
Un lit d’amour alangui,
Ni bras, ni tresses.
Orphée, il meurt, celui qui doit mourir,
Le temps qui court dans tes yeux
Trébuche, et entre tes mains
Se brise la lyre.
Je te vois maintenant, tête qui glisse
Entre les rives. Toute fleur est chant
Et l’eau une voix.
Je l’entends maintenant, je t’aperçois,
Ombre libérée de son orbite
Inaugurant l’errance.
« La poésie est la première parole. Mythes, épopées, oracles, voix des mystères et des mystiques, puis de l’amour, de la révolte, de l’espoir ou de l’humour, de la vie quotidienne et de la solitude.
Introuvables ou retraduites, classiques ou contemporaines, familières ou méconnues, ce sont ces voix innombrables que la collection Orphée souhaite faire entendre parce que plus que jamais elles sont nôtres. »
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4458557
Hécate.
Federico Garcia Lorca
Ma rencontre avec la poésie de Lorca, je n’en sais plus ni l’année ni la saison… mais jamais je n’ai oublié cette voix obsédante qui scandait…
Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verde ramas
El barco sobre la mar
y el caballo en la montaña.
Verde, verde… comme un refrain toujours, verde…
"Romance Somnambule"
Vert comme je t’aime vert.
Vert le vent. Vertes les branches.
Le bateau sur la mer
et le cheval dans la montagne.
L’ombre lui barrant la taille
elle rêve à sa balustrade,
verte la chair, chevelure verte,
avec des yeux d’argent froid.
Vert comme je t’aime vert.
Sous la lune gitane,
les choses la regardent
et elle ne peut les regarder.
Traversée de couleurs, de parfums, de fièvres de fleurs et de vent est la poésie de Lorca assassiné à trente huit ans par les franquistes.
« Les émotions de l’enfance sont en moi. Je n’en suis pas sorti. »
Ne vois-tu pas ma blessure
de la poitrine à la gorge ?
trois cents roses brunes
à ton plastron blanc.
Ton sang s’égoutte et s’exhale
tout autour de ta taille.
Mais déjà je ne suis plus moi,
et ma maison n’est plus ma maison.
Laissez-moi monter au moins
jusqu’aux hautes balustrades,
laissez-moi monter ! laissez-moi
jusqu’aux vertes balustrades.
Balustrade de la lune
par où l’eau retentit.
Mille petits tambours de cristal
blessaient le petit matin
… …
Le grand vent laissait
dans leur bouche un étrange goût
de miel, de menthe et de basilic.
Lorca tombé sous les balles franquistes à la « Fontaine aux larmes ».
Né à Fuente Vaqueros, petit village silencieux et odorant de la Vega de Grenade : « C’est dans ce village que je serai terre et fleurs. » écrit-il à dix sept ans se voyant déjà devenu poussière donnant naissance à une profusion de fleurs dont déborde sa poésie, de l’œillet viril à la giroflée, la peau est d’olive et de
jasmin, et le sombre magnolia est au ventre de plâtre ou de neige.
Moins d’un an avant sa mort, alors qu’on lui pose cette insolente question : qu’est-ce que la poésie ?
Lorca répond :
« L’homme approche le plus rapidement par la grâce de la poésie du bord où le philosophe et la mathématicien tournent le dos au silence. »
Lorca emploie le mot « grâce » et non pas « force » ou « mystère » par exemple. La grâce ! est-il écrit dans la préface de Yves Vequaud. Editions Orphée La Différence, deuxième édition parue en mai 2012 consacrée à Lorca. (1899 – 1936.)
« Sa conversation étincelait comme un diamant fou. » (Dali)
« Sa clarté était enrichissante. » (Jorge Guillen)
Paré de talents, il est marionnettiste, dramaturge, dessinateur, pianiste et guitariste.
Telle fut sa destinée et d’entrer sans purgatoire, dans la légende.
Noces de sang, son entrée dans la mort. Il avait écrit le chant funèbre pour Ignatio Sanchez Mejias.
A cinq heures du soir
Il était juste cinq heures du soir
Un enfant apporta le drap blanc.
a las cinco de las tarde…
« Cinq heures du soir est-il plus heureux que cinq heures de l’après-midi ? Nous nous sommes prononcés, en tenant compte aussi de l’euphonie ou du rythme. Choisir, c’est renoncer, n’est-ce pas ? C’est se priver d’un double sens, d’une allusion ou d’une musique. Nous en demandons merci. Lorca est mort sans avoir pu revoir ses manuscrits. Nous avons décidé pour lui. Et priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! » (Yves Véquaud)
C’est à cinq heures du matin, que Lorca va mourir… Son corps jeté dans la fosse sera mêlé à d’autres corps, à la terre, à la poussière… dans le murmure ininterrompu des sanglots de la « Source des larmes. »
Le jour n’est pas encore levé…
"Mort d’amour"
Mère quand je mourrai,
qu’on informe les messieurs.
Envoie des télégrammes bleus
qui aillent du sud au nord.
Sept cris, sept sangs
sept pavots doubles
brisèrent des vitres opaques
dans les salons obscurs.
Pleines de mains coupées
et de petites couronnes de fleurs,
la mer des serments
résonnait, je ne sais où…
Et mon front est place baigné de lune, et mon cœur un tambour de nacre, quand les mille petits chevaux perses de Lorca galopent dans ma chevelure, son Romancero gitan me traverse de mille parfums de fleurs de couteaux encore et ce, depuis le premier jour.
Des émeraudes lyriques pour des questions au ciel suspendu :
« Combien d’enfants la mort a-t-elle ?
Ils sont tous en mon sein ! »
« Les roses du soir seront
Comme celles du matin. »
La griffe des années n’a pas desserré son étreinte de mon amour pour les chansons de Lorca l’andalou.
« Le soir a dit : Je suis altéré d’ombre !
La lune a dit : Moi, d’étoiles brillantes.
La source cristalline veut des lèvres
Et des soupirs le vent. »
« Vent du Sud
brun, ardent,
ton souffle sur ma chair
apporte un semis
de brillants
regards et le parfum
des orangers. »
D’une sensualité à fleur de peau, le vent dans son œuvre est un personnage violent et érotique; Lorca est un être traversé de frôlements et d’effluves, la nature le trouble et il veut en traduire les sortilèges.
« Je voudrais faire une œuvre mystérieuse et claire, qui serait comme une fleur : tout en parfum… je ferai une œuvre populaire et tout à fait andalouse. »
« Je compte construire plusieurs romances avec étangs, romances avec montagnes, romances avec étoiles.
Evocation de bruits d’ongles sur le tissu, de chuchotis de lèvres amoureuses. »
« Je suis un pauvre garçon passionné et silencieux qui, à peu près comme le merveilleux Verlaine porte en lui un lys impossible à arroser, et j’offre aux yeux stupides de ceux qui me regardent une rose très rouge à la nuance sexuelle de pivoine d’avril qui n’est pas la vérité de mon cœur. » (Lorca)
Déjà, lorsque j’écoutais « L’amour sorcier » et « Nuit dans les jardin d’Espagne » de Manuel de Falla, mon cœur s’emplissait d’indicible nostalgie ardente. Je ne savais pas que Federico Garcia Lorca était un ami du compositeur, ni qu’il jouait aussi du piano. Pas davantage que les quatrains d’Omar Khayyâm enchantaient la sensualité de Lorca qui lisait aussi Hâfez de Chiraz, les deux poètes persans célébraient les belles femmes, le vin, les roses, les pierres mystérieuses, la nuit bleue infinie et les échansons. « Gacelas » et « Casidas » leur empreintent beaucoup… parfums, nard, et se vêtent d’amour obscur, d’amour désespéré ou imprévu. Casida de la main impossible...
...Casida de la rose…
La rose
ne cherchait pas l’aurore :
presque éternelle sur sa branche
elle cherchait autre chose.
La rose
ne cherchait ni science ni ombre :
confins de chair et de songe,
elle cherchait autre chose.
« Lorca se définissait non comme homme, ou même poète, mais comme pulsation blessée qui sonde les choses de l’autre côté » (A. Bensoussan)
"Thamar y Amnon"
Thamar rêvait,
des oiseaux dans la gorge,
au son de froids tambourins
et de cithares baignées de lune.
Sa nudité dessous l’auvent,
nard coupant de palme,
appelle des flocons pour son ventre
et de la grêle pour ses épaules.
Thamar chantait
dénudée sur la terrasse.
Autour de ses pieds,
cinq colombes de glace.
Amnon, mince déterminé,
de la tour la regardait,
l’aine pleine d’écume
et la barbe d’oscillations.
… …
La lymphe d’un puits, oppressée
fait naître le silence des jarres.
Dans la mousse des troncs
chante étendu le cobra.
Amnon gémit sur la toile
très fraîche du lit.
… …
Thamar, efface-moi les yeux
avec ton aube immuable.
Mes fils de sang tissent
des volants sur ta jupe.
Laisse-moi tranquille, frère.
Tes baisers sur mon épaule
sont des guêpes et des brises
en un double essaim de flûtes.
Déjà, il lui saisit les cheveux
déjà, il lui déchire la chemise.
Ah ! quels cris on entendait
par-dessus les maisons !
Quelle épaisseur de poignards
et de tuniques déchirées !
Autour de Thamar
crient des vierges gitanes
et d’autres recueillent les gouttes
de sa fleur martyrisée.
Des linges blancs s’empourprent
dans les alcôves fermées.
Le Duende est en Federico Garcia Lorca, force mystérieuse qui s’empare de l’être en certaines circonstances, dans les ultimes demeures du sang. Il en fait la condition même de l’émotion. Avec le Duende le corps est habité par les dieux, - Dionysos ou Méduse -, et parcouru de frissons.
« Un mort en Espagne est plus vivant en tant que mort que nulle part au monde : son profil blesse comme le fil d’un rasoir. » (Lorca)
« L’annonce de sa mort fut un choc terrible. De tous les êtres vivants que j’ai rencontrés, Federico est le premier. Le chef d’œuvre c’était lui, il me semble même difficile d’imaginer quelqu’un de comparable. Il pouvait lire n’importe quoi, la beauté jaillissait toujours entre ses lèvres. Il avait la passion, la joie, la jeunesse. Il était comme une flamme. » (Luis Buñuel)
« Qui a fauché la tige
de la lune ?
(Mais l’eau
nous laisse ses racines)
Comme il nous serait facile de couper les fleurs
de l’éternel acacia ! »
Tous mes chaleureux remerciements à la générosité d’Aiolos dont le regard de photographe inspiré s’est fait complice de cette chronique poétique.
Hécate
Rafael Alberti
Si ma voix à terre mourait
Portez-là au bord de la mer
Et sur la rive laissez-là
Rafael Alberti poète de l’exil, des tribulations de l’aventure sociale politique et littéraire né le 16 décembre 1902 au port de Santa Maria fut très tôt arraché à l’arc bleuté de la baie de Cadix, par les vicissitudes familiales. Lors de son exil sans retour, lorsqu’il quitta la vie à l’âge de 96 ans, c’est à quelques encablures de sa petite ville natale que ses cendres furent dispersées.
Petit fils d’émigrés italiens venus cultiver la vigne andalouse, adolescent madrilène il pensait devenir peintre. Ami de Salvator Dali, au musée du Prado, il apprit à copier les tableaux de Goya, de Zurbaran.
Mais un soir d’automne 1920, son mouchoir se teignit de sang. Le début d’un mauvais mal. Une radiographie et une analyse de salive précisèrent ce dont il souffrait : adénopathie hilaire avec infiltration dans le lobe supérieur du poumon droit.
Exilé encore par plusieurs mois de réclusion, de silence, de crainte, d’ennui. Et comme la fièvre montait à la moindre conversation, il refusa tout contact et élimina les visites amicales.
Pour se distraire il lisait. Beaucoup. Il n’avait pu finir ses études secondaires. Et il se mit à écrire :
« Mon terrible, mon féroce et angoissant combat pour être poète avait commencé. Je constatais à chaque instant avec plus d’évidence, que la peinture en tant que moyen d’expression me laissait complètement insatisfait, car je n’arrivais pas à faire entrer dans mon tableau tout ce qui bouillonnait dans mon imagination. En revanche, sur le papier j’y parvenais. Je voulais seulement être poète. Et je le voulais avec ferveur. »
De sa chambre de malade, il envoya quelques vers à la revue Ultra qui ne les publia pas. Déception de Rafael Alberti mais non découragement.
« Mes nostalgies maritimes du Port commencèrent à se présenter à moi sous une forme différente, je les voyais en lignes et en couleurs, mais estompées par une multitude de sensations désormais impossible à rendre avec des pinceaux. Je voulais être poète. Et je le voulais avec fureur… »
Rêve de marin
« Mon rêve arborant médailles des mers
va sur son vaisseau, ferme et assuré,
tout amour pour une verte sirène,
coquille des fonds de l’eau ténébreuse.
Matelot, rends-moi au creux des ondes :
- Sirène jolie, ah ! je t’en supplie !
De ta grotte sors, je veux t’adorer,
de ta grotte sors, viens vierge semeuse,
semer sur mon cœur ton étoile vive.
…. … …
Laisse le cristal de ta main se fondre
dans la nivéenne urne de mon front,
algue de nacre qui chante en vain
Sous le verger indigo du courant.
Noces glaciales noces sous-marines
avec pour témoins la lune et l’eau
et l’ange nautonier de la rosée !
Mer et terre et vent je vais sillonner,
ma sirène, noué à tes cheveux fins,
lié à tes cheveux algides et verts… »
En mai 1921, allongé sur une chaise longue, il passa l’été dans la Sierra de San Rafael. Parmi les pins et les peupliers, il écrivit comme un fou des poèmes.
Dans une chambre mortuaire, celle de son père il avait écrit son premier poème.
« …ton corps
long et drapé
comme les statues de la Renaissance
et quelques fleurs tristes
d’une maladive blancheur. »
Chaque année, dès le printemps, Rafael Alberti dont la convalescence s’éternisait repartait vers la Sierra de San Rafael où il séjournait jusqu’à l’automne.
Lectures et promenades. Sa poésie s’envolait. La nostalgie d’une enfance encore proche emplie d’océan, de châteaux de salines, de parfum d’orangers. Obsédante nostalgie ! et puis il y eut la lecture du premier recueil d’un jeune poète dont on commençait beaucoup à parler à Madrid. Federico Garcia Lorca. En automne 1924, il écrivit ce poème.
A Federico Garcia Lorca
Poète de Grenade.
Cette nuit où le vent et son stylet
poignardent le cadavre de l’été,
j’ai vu, dans ma chambre, se dessiner
ton visage brun au profil gitan.
La vega fleurie. Les fleuves, alfanges
rougies par le sang virginal des fleurs.
Lauriers-roses. Chaumines et prairies.
Et dans la sierra, quarante voleurs.
Tu t’es réveillé sous un olivier,
avec près de toi la fleur des comptines.
Ton âme de terre et brise, captive…
Lors abandonnant, très doux, ses autels,
l’ange des chansons est venu brûler
devant toi une anémone votive.
Une amitié que l’assassinat de Lorca par les franquistes interrompra !
« Je m’imaginais pirate, voleur d’aurores boréales sur des mers inconnues… la fiancée à peine entrevue du haut d’une terrasse de ma lointaine enfance au Port se métamorphosa peu à peu en sirène jardinière, en fiancée cultivant des vergers et des potagers sous-marins… je pavoisai les mâts frêles de mes chansons de flammes et de fanions aux couleurs les plus variées. Mon livre commençait à être une fête, une régate scintillante poussée par les soleils du Sud. »
« Mon cœur écartelé
entre ville et campagne.
Luminaires nocturnes !
Mes verts saules pleureurs ! »
« Hier promise du pin vert,
promise aujourd’hui du pin mort.
Cheveux fous hier pour le vent,
pour l’air aujourd’hui solitude. »
Rafael Alberti avaient vingt trois ans quand il publia son premier livre : Marin à terre. La poésie n’était pas rentable. Il avait sur les conseils d’un ami envoyé son œuvre naissante au Concours Nationale de Poésie. Du jour au lendemain il devint célèbre en remportant le premier prix. Il ne commencera à être vraiment considéré que quelques années plus tard avec le recueil de poèmes « Sur les anges ».
« Ange mort, réveille-toi
Où te tiens-tu ? Illumine
de ton regard le retour.
… …
Habillé comme ici-bas,
mes ailes, on ne les voit plus.
On ne me reconnait pas
Dans les rues qui se souvient ?
Alberti a perdu son paradis de l’innocence et de l’amour. Une intensité visionnaire d’un esprit imaginatif des sombres états de l’âme, la confiance et le soutien des choses de l’existence qui l’avaient jusqu’alors guidé et gardé chavirent.
A la même époque Neruda écrit « Résidence sur terre ». Le poète chilien sera son ami jusqu’à la mort. Tous deux pressentent le délitement à venir d’une société ou plane la menace de la guerre.
« Rafael et moi nous sommes ce que j’appellerai simplement des frères. La vie a enchevêtré nos existences, bouleversés nos poésies et nos destinées. » (Neruda)
Le lyrisme optimiste n’est plus, la poésie le consume et l’histoire va l’embraser.
Mais avant il écrivit « L’aube de la giroflée ».
Tout ce que j’ai vu grâce à toi
- l’étoile sur la bergerie,
le charriot de foin en été
et l’aube de la giroflée –
si tu me regardes est à toi.
Tout ce qui t’a plu grâce à moi
- le sucre doux de la guimauve,
la menthe de la mer sereine
et la fumée bleue du benjoin –
si tu me regardes est à toi »
Dans la Giroflée Blanche, l’ange est confiseur, il y a un orfèvre, un savetier, un pécheur…et une bohémienne.
« Toi si propre, si bien coiffée,
avec sur tes temps plantés
deux petits peignes assassins,
dis-moi, dis-moi : d’où viens-tu donc ?
Avec cette jupe carmin
et là, ces deux roses de lin
sur tes deux petits souliers verts,
dis-moi, dis-moi : d’où viens-tu donc ?
Il y a des estampes, des annonces publiques, des fleurs, des chansonnettes… et même l’Allumeur de Lune et sa fiancée.
- Tu peux bien me chérir ici :
N’ai-je pas allumé la lune
pour toi, mais oui, pour toi, mais oui !
- oui, pour moi, oui
- tu peux bien m’embrasser ici,
phare, farouche fanal, femme
algide comme autre ne vis.
- Allons, c’est oui.
- Et tu peux bien me tuer ici,
lunaire et froide fiancée
du phare fari-faribole.
- Tiens. Voila. Oui.
Dans la Giroflée Noire, le chant poétique d’Alberti s’assombrit…
… « Et puisque tu voles mes yeux
et que mes lèvres assassines,
redeviens donc lézard noir
sur lequel crachent les crapauds !
Et puisque mon cœur tu piétines
et puisque tu suces mon sang,
redeviens donc rouge vipère
ou corbeau tout noir dans le vent !
Et puis tu t’es faite clou
et que tu es marteau et dague,
Redeviens donc crabe tout noir
et que l’eau t’avale d’un coup ! »
De la Maudite à la Séquestrés, des accents douloureux…
« Seul à mourir, sur cette marche
me voici pour la nuit entière.
Je sais que tu es printanière
Des ombres venues de la rue
grimpent, maintenant silencieuses,
à l’escalier vert de ton lierre.
… … …
Et c’est pourquoi, sur cette marche,
seul à mourir, veillant sur toi,
Me voici pour la nuit entière. »
La Giroflée Verte c’est à nouveau la poésie des ritournelles andalouses et le retour à la mer.
« Le soleil dans les dunes.
Et le sable brûlant.
Je cherche sur la plage
un coquillage vert.
Sur les vagues, la lune,
Et le sable, mouillé.
je cherche sur la rive
Un coquillage blanc. »
… … …
Je suis capable de me tuer.
si vivant, je ne peux te voir,
t’avoir enfin pour épousée.
Je suis capable de me tuer,
sirène, pour t’avoir à moi. »
Rafael Alberti rencontra Maria Teresa León, celle sans qui « il se serait tu ». Ils se marièrent en 1930. Et puis commença le long exil…
Trente huit années d’exil !
Il ne retrouva son pays qu’à l’âge de soixante quinze ans. Rafael Alberti avait eu pour arme de combat la poésie et la dramaturgie. Il écrivait pour dénoncer une société hostile, mécanisée et aliénante et avait été le secrétaire des intellectuels antifascistes.
« Je suis parti le poing fermé car c’était le temps de la guerre, et je reviens la main ouverte, tendue à l’amitié de tous. »
Il renonça à son poste de député de Cadix, fidèle à sa poésie inspirée et chatoyante. Celui à qui l’Espagne fut longtemps interdite n’a cessé de chanter son pays, même dans ses poèmes d’exil à la dimension de sa nostalgie.
En 1983, le prix Cervantès lui a été décerné, la plus haute distinction couronnant un écrivain de langue espagnole.
Quelques mots encore pour expliquer comment j’ai découvert celui qui a côtoyé les plus grandes figures du XXème siècle, Picasso, Buñuel, Aragon, Elsa Triolet, Boris Pasternak…Dali…
En écoutant Miguel Poveda chanter « Poemas Del Exilio », un récital en 2003, je n’ai alors eu qu’un désir en savoir, en comprendre d’avantage…
María Asunción Mateo, seconde épouse de Rafael Alberti à propos de cette création a écrit :
« Dans cet enregistrement d’Enric Palomar et de Miguel Poveda, accompagnés par de magnifiques musiciens, la force créatrice de leur jeunesse s’y trouve mise en évidence, capable de s’approprier les sentiments d’un poète universel et de les transmettre aux autres. La sobriété et la passion que ces deux artistes impriment à des poèmes écrits pour nous accompagner toujours, pour ne mourir jamais, ainsi que le désirait leur auteur. »
Jehan - Rictus
Jehan - Rictus est connu pour être le chantre de l’argot, le virtuose de la gouaille où la tendresse trinque avec l’ironie.
Enfant de l’amour né le 23 septembre 1867 non reconnu ni par son père, ni par sa mère, sa vie ressemble à un roman misérabiliste.
Obligé de quitter l’école à treize ans pour gagner sa vie il exerce mille petits métiers aussi pittoresques que poignants.
Dès l’âge de dix huit ans il connaît les jours colorés de la misère et s’encanaille dans les faubourgs populaires ; se mêle aux poètes de la bohème Montmartroise. La poésie le tenaille. En ses jours les plus noirs, sans logement, ou hébergés par des amis, il dort dans la rue, où il est ramassé en février 1889 a moitié mort et transporté à l’hôpital Lariboisière. *
« Les soliloques du pauvre » en disent long. Une tranche de vie des crèves la faim qu’il a goûté.
Remy de Gourmont, le poète des « Oraisons Mauvaises » a écrit :
« Il y avait une rumeur du côté de Montmartre, quelque chose de nouveau surgissait d’entre la foule des diseurs de gaudrioles et de bonne aventure, quelqu’un pour la première fois faisait parler avec un abandon original et capricieux, le pauvre des grandes villes, le trimardeur parisien, le loqueteux en qui il reste du bohème, le vagabond qui n’a pas perdu tout sentimentalisme, le rôdeur en lequel il y a du poète, le misérable capable d’ironie, le déchu dont la colère s’évapore en malédiction blagueuse…
Le Socialiste en paletot et le Républicain en redingote lui inspirent un identique mépris et il ne conçoit guère comment les malheureux, doucement leurrés par les politiciens gras peuvent encore écouter sans rire la honteuse promesse d’un bonheur illusoire autant que futur… »
« Ainsi, r'gardez les empoyés
(Ceux d' l'Assistance évidemment)
Qui n'assist'nt qu'aux enterr'ments
Des Pauvr's qui paient pas leur loyer !
Et pis contemplons les Artistes,
Peint's, poèt's ou écrivains,
Car ceuss qui font des sujets trisses
Nag'nt dans la gloire et les bons vins !
Pour euss, les Pauvr's, c'est eun' bath chose,
Un filon, eun' mine à boulots;
Ça s' met en dram's, en vers, en prose,
Et ça fait faire’ de chouett's tableaux »
……
Et Jehan Rictus n’épargne personne.
Ainsi, t'nez, en littérature
Nous avons not' Victor Hugo
Qui a tiré des mendigots
D' quoi caser sa progéniture
Oh !c'Iui.là, vrai, à lui l'pompon !
Quand pens' que, malgré ses meillons,
Y s' fit ballader les rognons
Du bois d' Boulogn' au Panthéon
Dans l' corbillard des « Misérables »
Enguirlandé d' Beni-bouff.Tout
Et d' vieux birb's à barb's vénérables.
J'ai idée qu'y s'a foutu d' nous
Et gn'a pas qu' lui; t'nez, Jean Rich'pin
En plaignant les « Gueux » fit fortune
………….
Ben, pis Mirbeau et pis Zola
Y z'ont « plaint les Pauves » dans des livres,
Aussi c' que ça les aide à vivre
De l'une à l'aute Saint-Nicolas!
Mêm' qu'Emile avait eun' bedaine
A décourager les cochons,
Et qu' lui, son ventre et ses nichons
N' passaient pus par l'av'nue Trudaine
Alorss, honteux, qu'a fait Zola ?
Pour continuer à plaind' not' sort ·
Y s'a changé en hareng saur
Et déguisé en échalas
Jehan - Rictus prend soin de noter non sans humour que Zola affligé d’obésité avait du suivre un traitement qui l’avait réduit à rien !
J’avais écrit un article précédemment sur Jean Richepin et ses poèmes sur les gueux, et il m’a semblé savoureux de mettre en lumière ici, le règlement de compte de ces deux gavroches, bien dans l’humeur de l’hiver !
La virulence de Jehan - Rictus est amère, percutante, mais sans haine. Lui-même tente de sortir de sa misère en publiant ses poèmes, il les scande dans les cabarets, aux Quat’z-art, au Chat Noir…
Décoré de la légion d’honneur en juillet 1933, comme Max Jacob ; le 6 novembre de cette même année il meurt sans aucun héritier.
Il avait dit : « Le vers alexandrin est un cercueil dans lequel on a couché la poésie française ».
Remy de Gourmont qui mêlait provocation et mysticisme, succombait à l’odeur de l’encens et des fleurs, a reconnu le talent très particulier de Jehan Rictus qui usait de la forme octosyllabique musicale et dolente.
« Il a créé un genre et un type, il a voulu hausser l’expression littéraire, le parler commun du peuple et il a réussi autant que cela se pouvait. »
Et quand Jehan Rictus se glisse dans la peau d’une fille de joie, d’une fille perdue, cela donne :
La Charlotte
prie Notre Dame
durant la nuit du Réveillon.
* (Je vous invite à lire le commentaire n°12 posté par Christian qui cite des extraits du journal de Jehan - Rictus)
Hécate
Remy de Gourmont
ou l’ « Herpes Trimégiste ».
1858 / 1915
Ainsi Apollinaire surnommait cet écrivain poète et littérateur, fin esprit, insolent, délicieux, odieux, lyrique.
Il fuyait les photographes, bégayait.
Remy de Gourmont c’est l’humour et le symbolisme.
Ce « cher vieux daim » comme l’appelait Léautaud écrivait :
« Un imbécile ne s’ennuie jamais ».
Mais il suffit de lire Charles Dantzig qui a sorti dans « les Infréquentables » les saveurs du poète.
« Mettez un cochon dans un palais, il en fera une étable ».
« L’intelligence de l’homme n’a pas progressé depuis son apparition sur terre ».
« L’irreligion est une religion ».
Remy de Gourmont cultivait les idées dans les serres de sa pensée caustique.
Michel Houellebecq dans sa préface intitulée « Renoncer à l’intelligence » a superbement présenté la poésie de Gourmont dans la collection « Orphée » et dit comment il y avait en lui l’étoffe d’un sentimental et d’un lyrique, ce qu’il dissimulait bien.
« A trente trois ans il est atteint d’un lupus tuberculeux, qui le laissera défiguré. Il grossit, se met à bégayer. Mais il écrira encore de beaux poèmes d’amour, terrestres et éthérés, sensuels et sensibles. »
« Autre mystérieuse vérité », que Gourmont accepte : « à l’égard de l’amour, la seule attitude possible est d’y succomber totalement, corps et âme ».
« Il est frappant de voir à quel point l’ambiance particulière aux églises, cette pénombre, cette odeur d’encens, cette richesse des ornements liturgiques semblent exacerber sa sensualité ».
Sensualité d’un moine ardent et claustré a dit Léautaud.
J’avoue avoir découvert Remy de Gourmont par un poème « Les oraisons mauvaises » dont il est écrit que c’est là, un blasphème réussi.
Remy de Gourmont poète de la sensation des fleurs…des feuilles…des rivières et des crépuscules dans le brouillard.
« Pense aux timides qui ont peur de leurs désirs, et qui tremblent de peur autant que de volupté, aux naïves qui ne soupçonnent pas d’autres plaisirs, aux chastes dont les corps tombent dans le sommeil comme une belle eau pure glisse entre deux rives fleuries ».
« Car on n’emporte rien, on meurt. Laisse-moi donc regarder les yeux que j’ai découverts, les yeux qui me survivront, pour que j’y grave l’image que je fus en rêvant ceci ».
(Elle a un corps) - Sonnets en prose - extrait VIIème.
Et maintenant, je demande : Aimez-vous respirer un peu « l’Odeur des jacynthes » avec Remy de Gourmont ?
Hécate.
coll. Les Infréquentables, Éditions du Rocher, 1990 & Grasset, 2008
I
Que tes mains soient bénies, car elles sont impures !
Elles ont des péchés cachés à toutes les jointures ;
Leur peau blanche s'est trempée dans l'odeur âpre des caresses
Secrètes, parmi l'ombre blanche où rampent les caresses,
Et l'opale prisonnière qui se meurt à ton doigt,
C'est le dernier soupir de Jésus sur la croix.
II
Que tes yeux soient bénis, car ils sont homicides !
Ils sont pleins de fantômes et pleins de chrysalides,
Comme dans l'eau fanée, bleue au fond des grottes vertes,
On voit dormir des fleurs qui sont des bêtes vertes,
Et ce douloureux saphir d'amertume et d'effroi,
C'est le dernier regard de Jésus sur la croix.
III
Que tes seins soient bénis, car ils sont sacrilèges !
Ils se sont mis tout nus, comme un printanier florilège,
Fleuri pour la caresse et la moisson des lèvres et des mains,
Fleurs du bord de la route, bonnes à toutes les mains,
Et l'hyacinthe qui rêve là, avec un air triste de roi,
C'est le dernier amour de Jésus sur la croix.
IV
Que ton ventre soit béni, car il est infertile !
Il est beau comme une terre de désolation ; le style
De la herse n'y hersa qu'une glèbe rouge et rebelle,
La fleur mûre n'y sema qu'une graine rebelle,
Et la topaze ardente qui frissonne sur ce palais de joie,
C'est le dernier désir de Jésus sur la croix.
V
Que ta bouche soit bénie, car elle est adultère !
Elle a le goût des roses nouvelles et le goût de la vieille terre,
Elle a sucé les sucs obscurs des fleurs et des roseaux ;
Quand elle parle on entend comme un bruit perfide de roseaux,
Et ce rubis cruel tout sanglant et tout froid,
C'est la dernière blessure de Jésus sur la croix.
VI
Que tes pieds soient bénis, car ils sont déshonnêtes !
Ils ont chaussé les mules des lupanars et des temples en fête,
Ils ont mis leurs talons sourds sur l'épaule des pauvres,
Ils ont marché sur les plus purs, sur les plus doux, sur les plus pauvres,
Et la boucle d'améthyste qui tend ta jarretière de soie,
C'est le dernier frisson de Jésus sur la croix.
VII
Que ton âme soit bénie, car elle est corrompue !
Fière émeraude tombée sur le pavé des rues,
Son orgueil s'est mêlé aux odeurs de la boue,
Et je viens d'écraser dans la glorieuse boue,
Sur le pavé des rues, qui est un chemin de croix,
La dernière pensée de Jésus sur la croix.
Poèmes lus par "Les Souffleurs de Vers".
Marcel Schwob.
Le Livre de Monelle.
Marcel Schwob (1867-1905) est l'une des figures les plus originales et attachantes de la fin du XIXe siècle. Ami de Mallarmé, de Jules Renard, il fut celui que se choisirent pour maître les jeunes Paul Valéry et Alfred Jarry. Son œuvre protéiforme se compose aussi bien d'essais critiques nourris de son immense érudition (ses études sur l'argot et sur Villon font toujours autorité), que de contes fantastiques. Le Livre de Monelle, publié en 1894, donne les clefs de cette œuvre et peut être regardé comme le testament spirituel de Marcel Schwob. Monelle, «celle qui est seule», petite prostituée sortie de la nuit, est la sœur lointaine de la pauvre Anne de Thomas de Quincey. Ses paroles initiatiques sont un appel à jouir du moment, à épouser le mouvement de la vie. Tout détruire, tout oublier, sont les conditions d'une vie nouvelle. Dans de brefs contes de fées amers et cruels, Schwob retrace la vie des sœurs de Monelle, l'égoïste, la voluptueuse, la rêveuse, la perverse, etc. Ces femmes-enfants éclairent de leur grâce intemporelle ce récit allégorique, transparent et grave, qui tend sans cesse vers le poème en prose.
Lautréamont
Baudelaire Dandy Bohémien
Et voici Robert Alexis de retour avec « Les Figures ».
« Des amants » De Daniel Arsand Un flamboyant amour…
"Alberto" de Daniel Arsand, Une inoubliable rencontre.
« La véranda » de Robert Alexis.
Fernando Vallejo "Le Feu secret"
Une éducation libertine De Jean-Baptiste Del Amo
"La robe" de Robert Alexis
Iwan Gilkin
Jean Genet
"Pour mon plaisir et ma délectation charnelle" de Pierre Combescot
Les préraphaélites { 1 }
Les préraphaélites { 2 }
Gérard de Nerval ou l'épanchement du songe...
L'Amant des morts de Mathieu Riboulet
Milosz l'Enchanteur Poète Européen { 1 }
Milosz l'Enchanteur Poète Européen { 2 }
Gabrielle Wittkop Sérénissime assassinat.
Marcel Schwob. Le Livre de Monelle
Les Brontë, Enfants du Vent
Quelques poésies des enfants Brontë...
«Les Hauts de Hurlevent»
Remy de Gourmont "Les oraisons mauvaises".
Jean Richepin.