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11 mars 2010 4 11 /03 /mars /2010 20:26

L'évangile du gitanL’Evangile du gitan

de Jean-Marie Kerwich

 






            Mes mots vont se faire discrets pour vous parler de Jean-Marie Kerwich né en 1952 en banlieue parisienne dans une verdine. Il dit tellement mieux que je ne pourrais le faire, comment il a jonglé et craché le feu dans le cirque des siens. Comment poser des mots derrière les siens ?

 

            Lire sa poésie c’est entrevoir l’âme du gitan qui sait voir la vérité des choses dans chaque heure qui monte au ciel, sa voix est celle d’un prophète dans un désert d’infini solitude, habité par une entité que d’autres avant lui ont appelé Dieu.

 

            « Je suis un vagabond comme Halladj ou Kabir étaient tisserands. Un de ces êtres qui ne représente rien pour le monde. Leur pauvreté fut l’origine de la poésie. Les poètes prenaient entre leurs mains un bout de ciel et le caressaient délicatement comme on caresse un nouveau né, et soudain la parole était vêtue de poésie…

            Pour gagner quelques sous, je garde un immeuble devant lequel j’essaie à mon tour d’attraper un morceau du ciel. Quand j’y parviens, le ciel se pose sur ma poitrine et il écoute les battements de mon cœur.

            Dieu a bien dressé le décor. Le commencement fut terrible : père saltimbanque, mère paysanne. L’école communale où j’étais le dernier de la classe. J’aimais regarder les livres d’images. »

 1912 Portrait de Jean-Marie Kerwich

            Les images de Jean – Marie Kerwich sont au détour des pages, la poésie soulève son voile et comme lui nous voyons ses yeux…

 

            « Enfant, je portais la sainte auréole du jeune manouche qui devait dérober ce que le monde lui avait volé – c’est-à-dire la grâce d’être ce que j’étais.

            Alors je me vengeais, et aucun poireau, chou, ou pomme de terre ne me reprochait de les avoir volés dans le champ de leur paysan…

            Les gadgés aujourd’hui connaissent ce langage du départ, mais ils ont beau le connaître, jamais les pommes des vergers ne leur tendront les mains…

            Où est-il ce gitan ?... Il marche en évitant les feuilles mortes, de peur de blesser leur doux sourire immortel. Il va de saison en saison, ses pas sont des poèmes. »

 

            Il ensorcelle l’âme ce gitan qui s’est attablé pour écrire et dont «les mains sont sillonnées de routes : on appelle cela les lignes de la main. »

 

             « Ce n’est pas facile d’écrire un poème. Creuser la page blanche pour trouver le tendre mot caché dans les profondeurs de l’âme ; J’ai beau creuser, je tombe à genoux sur la page, épuisé de chercher cette pensée qui pourrait tant m’aider. »

 

            Mais les confidences d’un gitan sont des lettres qui tombent sous les arbres de l’indifférence ; écoutons-le offrir aux désenchantés ce terrible portrait visionnaire :

 

            «Le poète porte les blessés sur ses épaules, ces mots qui se battent pour que le bien règne, mais il tombe dans la boue  tandis que les écrivains mondains festoient dans les salons littéraires.

            Je ne sais pas écrire avec talent, je ne connais pas la méthode… Pendant que je me tourmente chaque nuit, cloîtré dans ma prison de chair, les faux poètes ripaillent et poétisent sans connaître le vrai sens des mots… je ne connais rien au monde littéraire mais je sais distinguer les bons livres comme je sais reconnaître une simple fleur des champs… Chaque heure de ma vie j’aiguise comme des couteaux mes phrases, à seule fin qu’elles puissent trancher la gorge des mauvais livres. »

 

            Jean – Marie Kerwich n’a pas été baptisé. Les siens croyaient en Dieu et « C’était suffisant pour des nomades ».

 

             « Dieu ne voulait pas me choisir. Il savait que j’étais trop sensible. Je possédais ce qu’il y a de plus encombrant : le sensibilité marié au chagrin.

            …Il arrivait quand j’étais enfant que mon père me frappe et je versais des larmes… je ne savais pas qu’un ange recevait les coups à ma place. »

            Il y a maintenant l’absence et le silence de cet ange, alors le gitan entre parfois dans une église et en sort rapidement, mais il dit «j’ai tort, les églises tentent de recréer son visage. »

 

            Et il s’en va en donnant une pièce de monnaie à un mendiant.

 

            « Combien de poètes ont sombré ? Même leur propre tombe les a oubliés. Quand je mourrais mes pensées seront orphelines

 

            Vieux pantalons et bottes gitanes, il va Jean – Marie Kerwich répétant que la vie d’un homme n’est pas intéressante et de nous montrer sous la tente d’un cirque avec les flambeaux de la féerie, comment la feuille rouge d’un érable devient un soir au Canada et la Pensée une Arabie ambulante…

La sienne marche pieds nus, il est allongé sur son lit, l’encrier de son âme est vide… Il pense à son enfance… que les platanes seuls regardaient… Il pense à cet homme de bronze cloué sur la croix dans une église au Canada, à cette beauté du diable qu’il ne possédait plus, à la férocité d’une jeune fille dont la fausse douceur mentait et lui mordait son âme.

 

            « Je ne relis jamais ce que j’écrit ; je ne trouverai plus mon chemin pour partir ailleurs. Mes phrases sont des villages pour les âmes en peine. Mieux vaut ne pas se retourner vers eux, ça ferait pleurer l’encre des mots écrits… 

          J’ai du mal à tenir une plume : ma main droite a trop longtemps tenu en équilibre sur un portique de cirque. »

 Roulotte

            Faut-il nommer le cirque Bouglione, le cirque Romanès, la tournée des cabarets, et le feu des érables accordé au feu de son cœur ?...

            Jean – Marie Kerwich dialogue avec celui qu’il est et restera jusqu’au bout, un nomade venu d’un passé ancestral, à jamais étranger à l’état sédentaire et qui l’oblige à allonger sur la feuille blanche comme un linceul sa lancinante musique de mots de chair et de vent.

 

            « Car mes pensées et moi ne sommes pas faites pour être dans un livre mais pour hurler au vent sur les chemins de l’âme qui ne s’arrêtent nulle part. »

 

            Et parce que ses mots sont comme des défunts qui nous murmurent à l’oreille, que le chapiteau de son aïeul venu à cheval de Hongrie a été cousu jour après jour avec des linceuls volés pour en faire la toile d’un cirque, tout un monde invisible prends corps :

 

          « Pour que les phrases soient ivres, il faut que le poète ait bu un bon vin solitaire de la couleur d’un tapis d’orient noué à la main par une douce jeune fille que la méchanceté des hommes n’a pas encore violée.

            La vie est terrible et pourtant le blé pousse encore, les fleurs sauvages fleurissent, elles ne peuvent s’empêcher de pardonner c’est plus fort qu’elle. »

 

            Quand le spectre de la Mort profile son ombre sur la pâleur de la page, simple et nue, compagne à venir, il nous la montre comme un gitan sait la regarder. Ses parents donnaient alors des représentations, lui il jonglait et son père faisait danser les caniches « dans des mouroirs où on se débarrasse de cette lépreuse qu’est la vieillesse. »

 

            Parmi les fauteuils roulants en cercle où se tenaient les vieillards ridés, il raconte que devant mettre un costume d’acrobate, il entra dans une chambre au hasard :

 

            « Un vieux monsieur était couché sur son lit je le priai de m’excuser, puis lui demandai pourquoi il ne venait pas se distraire un peu. Mais il ne me répondit pas et je compris qu’il était mort. J’avais inconsciemment parlé à la mort et elle m’avait répondu par ma simple présence. »

 

            Lire la poésie innée de Jean – Marie Kerwich, c’est comme entendre au détour d’un chemin de ronces, une guitare, celle dont il joue quelquefois, quelque soir, à Marseille, terrain des voyageurs. A moins que ce ne soit le son de sa plume grattant le papier où il couche le sourire blessé des anges…

 

            « Mais maintenant je dois retrouver ma vie nomade. Il est temps d’atteler mon cœur et de partir. »

 

 Liberte affiche

            
              Comment ne pas joindre à la voix de Jean-Marie Kerwich celle de Tony Gatlif qui a consacré sa vie à filmer la vie des Roms, des tsiganes et qui avec son dernier film « Liberté » nous rappelle que sur les deux millions de ces bohémiens qui vivaient en Europe 250 000 à 500 000 ont été exterminés dans les camps nazis.

            L’exubérance de la musique, la flamme des robes des femmes sur le noir délavé des habits des hommes sont tressés avec l’osier de la douleur. Etre sédentaire, c’est ne plus être sur la route qui va… Les fantômes vivent dans les pierres !

 

            « Liberté » est littéralement possédé par la poésie de l’âme tsigane, les roulottes, les violons, les voix gutturales ardentes. Même les arbres dansent… Quand vient la tragédie s’installe le Silence.

 

            « A Auschwitz, la seule révolte a été celle des gitans, qui quand ils ont compris qu’ils ne reverraient jamais les leurs se sont jetés sur les nazis et les kapos » (Tony Gatlif)


« Liberté » !... L’Ode qui grise et bouleverse. L’Odyssée des gitans.

 

« Si quelqu’un s’inquiète de notre absenceLiberté 2

Dites-lui qu’on a été jeté

Du ciel et de la lumière

Nous les seigneurs de ce vaste univers…

 

A force de leur limer la peau

Ils sont partis pieds nus là-bas

Là où les anges et Dieu

N’existent plus… »

 





                                                                                                                    Hécate. 

 

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9 février 2010 2 09 /02 /février /2010 12:02

La femme dans le miroirLa femme dans le miroir

de

Thanh-Van Tran-Nhut

 




            Il y a des jours où l’incertitude et la mollesse du cerveau se liguent à vous attirer vers le premier livre qui titille un de vos vices…

 

            Après avoir ouvert et refermé quantités d’ouvrages sans conviction, un mot accroche, fait appel à une vague réminiscence. Le nom d’un poète, en l’occurrence, Hâfez, quelques phrases teintées d’onirisme et le tout niché sous la première de couverture représentant une vanité, et un titre qui réfléchit…

            Autant d’atouts que de pièges !...


           
Aussi ne faut-il pas compter sur moi pour vous dire si ce roman est bon ou s’il ne l’est pas. Je n’ai cédé qu’a l’attrait de l’intrigue et des ingrédients.

            Une première remarque, le chagrin du héros ne communique pas chez le lecteur un état d’âme démoralisant. Inconsolable ? C’est écrit, de là à ce que ce soit contagieux !...

            Tout veuvage n’est pas deuil éternel, soit !... Cela dérive tout naturellement vers le réjouissant  Mémento Mori  !

            Il y a des histoires d’amour qui commence bien et qui finissent mal, et inversement…

 

            Ce roman m’est tombé comme une fatalité : une vanité, après « Le dernier crâne de M. de Sade » c’était écrit quasiment, dans ma trajectoire louvoyante entre les rayons des présentoirs.

            Dénigrer un livre n’est pas mon but ici. Le dilemme est terrible….

             Il y a des romans qui envoûtent et que tous les critiques assassinent à coup de plume venimeuse. A moins qu’ils ne les encensent excessivement…

 

            Le héros un veuf, prénommé Adrien se trouve embarqué dans une étrange aventure. Attiré par un tableau contemporain où il croit reconnaître le visage reflété dans le miroir d’une vanité datant de plusieurs siècles.


           
« Certes, il ne présentait pas cette atmosphère inquiétante et ambiguë des deux vanités du Hollandais, dans lesquelles chaque objet revêtait un rôle symbolique qui rappelait l’imminence de la mort et la vanité de la vie. Les couleurs sombres avaient fait place à une palette hardie qui jouait volontiers sur les contrastes pour faire ressortir les volumes.

…Ici le pinceau était énergique, donnant d’avantage l’impression de vitalité, malgré la pose alanguie du modèle.

            Pourtant c’était la même femme ! Le sourire énigmatique sur la toile hollandaise s’était transformé en une expression mi-moqueuse, mi-triomphante, moins visible sur ses lèvres que dans les profondeurs de ses yeux »

                          vanité

            Thanh-Van Tran-Nhut affirme avoir voulu aborder un thème fantastique où s’imbriquent le passé et le présent en un récit d’obsession et de manipulations. Si le lecteur s’amusait à faire les mêmes requêtes sur Internet, il trouverait les mêmes réponses. Les liens que le narrateur consulte existent bel et bien dit-elle dans une interview.

            Au cours de ma lecture, mon cœur fut saisi d’angoisse, car ma conscience me murmurait :


-        
« Tu t’égare Hécate…là, tu es le jouet d’un coup de lune désorientée. »

Oui désorientée je l’étais. Hâfez ? Car oui Hâfez est là, partout, entre les lignes, les mots, poète fantomatique et perçant les pages, par le miel, le ciel, les dômes de lapis-lazuli, l’orient de ses roses, mais pourquoi, pourquoi donc cet échanson du vers n’est-il point enfin convoqué ?


           
Ah ! Le talent de Hâfez avait survécu à sa mort (l’auteur insiste) alors n’y allait-il pas avoir au détour d’un chapitre, quelques bribes de sa Poésie, cette bible Persane ?

            Goethe en fut inspiré pour son « Divan », et aussi le peintre iranien contemporain Mahmoud Farschian, (l’auteur insiste vraiment…)

 

            L’espoir persiste, car le roman fourmille de citations et d’énumérations des plus hétéroclites : cinabre, poudre d’or, sang de dragon.


            « - Mais où trouve-t-on encore du sang de dragon de nos jours ?  murmure Adrien dans son sommeil.
Sur le sable de mes songes des fossiles et des coquillages. Cadavres de murex, nautile, porcelaines, cornes d’Ammon avaient fait naufrage près d’un hippocampe mis à nu. »


            Il ne manque presque rien, il y a même l’apparition d’un thanatopracteur et des comparaisons d’embaumement selon les Egyptiens et les Chinois.  

Memento Mori . Rappelle-toi que tu vas mourir.

 

            « J’ai commencé à sortir mes travaux en attente, ce qui me permettait de reprendre pied dans le monde réel. Ainsi devant mon ordinateur ; j’ai fait le tri entre messages personnels et des mails commerciaux, courriers verbaux ou salaces qui promettaient des miracles en tout genre avant d’aller garnir le fond de ma poubelle électroniques. J’ai repris des lectures interrompue, réveillant les monstres momentanément endormis d’un conte fantastique, enterrant enfin le corps raide depuis des mois d’un roman policier. »


             Nous sommes à Paris, au XXI° siècle, l’ère de l’investigation des pigments, de l’infrarouge qui permet la visualisation fouillée d’une œuvre.


-
        
« Voila ce qui m’étonne : cette silhouette se trouvant sous la femme vue de dos. Elle représente non les contours d’une femme, mais son squelette.

Je me penchais en avant, les yeux écarquillés… On voyait bien que le dessin sous-jacent figurait l’ossature humaine, avec les omoplates, les cervicales, alors que la peinture finale montrait le dos droit et ferme d’une toute jeune femme. Chose étrange, l’annulaire de la main qui tenait le miroir semblait inachevé, trop court… Je jetai un coup d’œil sur la toile adossé au mur : le visage se reflétait dans un cadre d’argent vieilli…
            Sous des dehors ordinaires, ces vanités recelaient des secrets que personne n’avait détectés. »

 

            Un peintre peut-il s’être affranchi de ces poussières virevoltantes qui mélangées aux choses du monde et les propulser vers un autre palier de réalité où tout deviendrait possible ? Tel est le thème qui hante ce roman.

 

Vanitas vanitum et omnia vanitas !

 

Hécate. 

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19 janvier 2010 2 19 /01 /janvier /2010 22:15

Le dernier crâne de M. de Sade
Le dernier crâne
de M. de Sade


Jacques Chessex

 





            On suffoque dès les premières pages l’air manque sous l’étreinte divinement infernale d’une prose virulente.

            Entre ombre et lumière les scènes les plus abominablement obscènes commencent très fort. Damnation !...Nous voici bien dans un voyeurisme tel que l’a fantasmé et mis en scène le plus célèbre et le plus exécrés des libertins : Le Marquis de Sade.

            La crudité époustouflante et naturelle du défunt auteur trousse ici un très étrange, et truculent roman drolatique noir sur les tribulations d’un crâne !... Et quel crâne !!!

 

            Rien de la fin de feu le Marquis de Sade n’est éludée. A demi décomposé, soixante quatorze ans voués aux jouissances sodomites marquant la chair de plus d’une empreinte !

            « …enfermé à vie à l’hospice de Charenton avec les fous, les agités, afin que la société des honnêtes gens soit préservée des idéologies, thèses, inventions littéraires scabreuses et actions perverses et toujours renouvelée de ce scélérat… »

             « Au-dedans ce corps ruiné, la honte des viscères usées, des humeurs louchement infectées ; au dehors une paroles acérée malgré l’infirmité de la bouche, un regard d’azur pur sur les mensonges du monde. »

 

            A croire que Jacques Chessex est allé à Charenton lui rendre de fréquentes visites avant de rendre l’âme à son tour.

 

            « Impossible de lire « Le dernier Crâne de M. Sade » sans penser à chaque ligne que son auteur va mourir et qu’il le sent. C’est un roman crépusculaire et testamentaire »  écrit Jérôme Garcin dans la chronique où il relate comment Jacques Chessex qui relisait la dernière phrase de son livre n’avait plus alors que deux heures à vivre.

 

            « Comme nous sommes las d’errer ! Serait-ce déjà la mort ? »

 

            Livre tragique, traité avec un humour endiablé ! Le docteur Ramon, dix neuf ans a obtenu du docteur Doucet l’autorisation de s’intéresser à la santé de M. Sade. Il s’y attache même.

            « A-t-il pressenti sa fin, proche ? C’est probable. Ramon est intuitif, cultivé, silencieux. – il écoute plus qu’il ne dit – et sa science des écrits de M. Sade fait le reste. »

            Privilège extravagant que de l’avoir rencontré, même en ruine !

            Cette scène se déroule le 20 novembre 1814 à dix heures.
       
« Ce que j’ai à vous dire est grave. Asseyez-vous et écoutez.

 Chambre de M. de Sade. Couleur ambrée de la pièce.

        Je suppose que le docteur Doucet vous a communiqué mes volontés. Il vous a dit que j’interdisais toute ouverture de mon corps ?

        Il me l’a dit, et je ne l’oublie pas.

        Et que j’interdis que l’on dresse une croix sur ma tombe…

Répétez, docteur Ramon. Pas d’autopsie, pas de croix. »
                                                                                                     

             Les choses de la mort vont vite dans les hospices. Pas d’autopsie : Promesse tenue…  « Le fossoyeur creuse la fosse, et la dépouille de M. de Sade, enveloppée dans trois linceuls est descendue à l’aide d’une corde dans la terre dure du petit cimetière de l’hospice… Cimetière des fous. Rectangle d’absence. Tout autour les vols de corneilles tournaient sur les campagnes blanches et vides »

          
            Mais là survient le scandale.

 

           Un abbé arrive avec deux aides et plantent si rageusement une croix « dans la terre remuée qu’elle parait s’enfoncer dans le ventre du mort…l’Eglise qui triomphe d’un cadavre, songe Ramon en se détournant. »

 

           Quatre ans plus tard, remaniement du cimetière de Charenton. Le docteur Ramon est là. Et va commencer la folle péripétie truculente du crâne du divin Marquis !

           « Tandis qu’une fumée soufrée s’élève du trou le jeune docteur extatique s’exclame : – Monsieur le Marquis est vengé !... »

 

            L’extase de Ramon n’en est qu’à ses prémices. Il se penche sur le trou « les ossements de M. de Sade sont parfaitement conservés dans la position où le corps a été descendu là… L’habit de velours a fondu dans le sol, par zones rongées découvrant les os à peine jaunis mais très nets, les tibias maigres, le sacrum solide, les côtes, le fémur, les clavicules dessinées sur quoi règne le magnifique crâne lisse et poli comme un globe d’opaline. Oh ! le sourire de ce crâne, sa belle mâchoire aux forte dents ! Oh ! le volontaire temporal, les maxillaires et le front intacts, les larges orbites profondes…

           Il est une étrange vertu dans les reliques. »

 

           Bien sûr, l’enlèvement le plus romantique se fait. Ramon emporte le crâne sur un linge blanc…et se remémore tous les crânes des saintes reliques… Crâne orné de pierreries et de dentelles… Tous les crânes étudiés dans ses cours de phrénologie, crâne de violeurs, de fous, d’enfants infirmes, d’hommes – loups, de mélancoliques, ou de grandes catins. J’ose à peine dévoiler la description d’une relique de Fribourg où des jarretelles pareilles à des pivoines… …

 

           Toute la seconde partie de ce livre n’est plus que rebondissement de crâne. « Il court, il court le vrai crâne.

           Et le crâne du marquis court. Qui le possède, toutes ces années ?

  Crane phreno[1]

            C’est parce que l’homme est seul qu’il a si terriblement besoin de symboles. D’un crâne, d’amulettes, d’objets de conjuration. La conscience vertigineuse de la fin de l’être dans la mort.

Peut-être faudrait-il regarder la passion d’un crâne et singulièrement d’un crâne hanté comme une manifestation désespérée d’amour de soi, et du monde déjà perdu. »

 

            Les années défilent et les pages se tournent, la lecture atteint un lyrisme somptueux, comme un cygne glissant sur l’eau d’un lac.

 

           « Autour de moi descend un soir de mi-automne, où les choses du songe et du visible trouvent leur résonance exacte. C’est souvent celle de la mort annoncée oubliée… »

 

           Le 9 octobre 2009, Jacques Chessex, a relu pour la dernière fois son œuvre. Son bureau dans sa maison de Ropraz jouxtait le cimetière. Pouvait-il prévoir qu’il allait mourir quelques heures plus tard dans une bibliothèque apostrophé avec éclat par un médecin généraliste et père de famille ?

 

          Jacques Chessex
            « Mort debout et au milieu des livres.  Jérôme Garcin s’indigne : trois mois après la disparition de son plus grand écrivain voici que la Confédération Calviniste brandit l’article 197 chiffre 3 du Code pénal suisse pour dissuader les lecteurs d’acheter « Le dernier Crâne de M. de Sade » mis sous cellophane et frappé du sceau de l’infamie : un macaron précise qu’il est  « réservé aux adultes »… Mais que les bigots prennent garde : Sa littérature le vengera. »

 
                Une délicieuse et malicieuse histoire d’Os.
                Une Vanité rutilante de mille feux soufrés !

 


                                                                                                                          Hécate.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Chessex

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4 janvier 2010 1 04 /01 /janvier /2010 10:19

Franz Schubert by Wilhelm August RiederLe requiem de Franz

De Pierre Charras

 

       « J’étais persuadé que si j’entendais de la musique au moment de ma mort ce serait un lied. On m’a répété tant de fois que je suis un maître dans ce genre que j’ai fini par le croire. Même si je sais trop bien que je ne suis un maître en rien, mais un élève en tout. A la toute dernière minute, c’est de la poésie qui viendrait voleter autour de ma tête pour que j’invente une mélodie.

            Or c’est une messe que j’entends, pas un lied…

 

            C’est une messe des défunts. Un requiem.

            Un requiem pour qui ?

            Pour moi, bien sûr !

            Déjà !

 

            Je meurs et mon être entier refuse cette réalité. Je la repousse de toutes mes forces. De toutes les forces qui me restent et qui doivent être ridicules.


            Dès le début de mon existence, j’ai tutoyé le ridicule.
»

le requiem de franz couv            Pierre Charras nous livre une voix chuchotant l’âme qui se désincarne, celle de Franz Schubert, simplifiant à l’extrême, ce que fut la vie de ce musicien bohème avant la lettre et qui ne vivait que pour satisfaire le démon intérieur qui le poussait à créer sans la moindre garantie matérielle.

            Les honoraires occasionnels qu’il touchait ne lui permettaient pas de joindre les deux bouts. Et s’il est parvenu malgré tout à tenir jusqu’à trente et un ans, c’est bien parce qu’alors la vie à Vienne était facile et bon marché et grâce à la générosité de quelques amis.

 

            En somme sa vie pourrait se comparer à celle du « Propre à rien » ce héros d’une nouvelle de Josef von Eichendorff, hormis que Schubert s’est contenté de chanter les plus belles chansons comme l’a noté Alfred Einstein dans « La musique romantique ».

 
            «  Toute ma vie, j’aurai couru derrière l’impossible. Derrière la perfection. Si je n’avais pas été bassement humain, on aurait vu l’impossible devenir accessible et la musique recouvrir toute chose. Si, comme l’a affirmé le fameux philosophe chinois, une image vaut dix mille mots, que dire alors de la petite note noire qui semble danser sur la portée qu’on a tracée pour qu’elle s’ébatte avec ses sœurs ? »

 

            Schubert vénérait profondément la poésie et le piano avec lui est devenu l’instrument universel d’une sensibilité, d’un pouvoir expressif, d’une sensualité qui parle en même temps aux sentiments et à l’imagination.

 

            Romantique par son attitude envers les chansons populaires comme nul autre, Franz Schubert compose sur les poèmes de Willem Müller et de Heinrich Heine, des airs qui vont les faire devenir familiers aux lèvres des plus humbles. Tel le Tilleul du « Voyage d’Hiver » et la Sérénade célèbre du « Chant du Cygne ».


            « Mes chants doucement

            Te supplient dans la nuit ;

            En bas, près de la haie silencieuse,

            Bien aimée, rejoins-moi !

            …..

            Entends-tu le chant des rossignols ?

            Ah ! ils t’implorent,

            En une douce et plaintive mélodie

            Ils t’implorent pour moi… »

 

            « Jamais je n’ai composé en état d’ébriété, je me devais d’être sobre. Je le devais à la musique. Mais après, lorsque les notes avaient coulé de moi comme une sueur, lorsque je me trouvais rendu à moi-même, lorsque je redevenais un gros jeune homme ordinaire, je m’ébrouais et traversais la ville pour rejoindre ceux qui m’attendaient :

            D’abord je ne voyais rien, j’entendais seulement leurs cris de joies. Comme si ma présence les sauvait du pire. La buée m’avait sauté au visage et s’était instantanément déposée sur les loupes qui me précédaient en tout lieu. C’était justement ce qui devait me permettre de les reconnaître qui m’empêchait de les distinguer.

            Ma vie même aura été l’égal de ces instants de flottement ; un malentendu. »

 

            « Moi c’est Beethoven que j’aurais voulu être… Et je n’étais rien. Je ne suis rien…

            Cependant je me suis employé, chaque matin à composer. Mais j’ai surtout illustré la mélancolie et la souffrance qui m’habite où que j’aille.


            Partout où mes amis ne sont pas, et le vin. Et Dieu !
           Il a du talent Dieu, mais il n’est pas drôle. Ce n’est pas un ami.


            Les amis je ne les retrouvais pas qu’au café… Il nous arrivait aussi de nous écarter de la ville, pour nous rendre chez l’un chez l’autre, à la campagne. Je m’installais au piano où trônait un verre toujours plein. J’avais beau m’appliquer à le vider, il était toujours plein. Comme par miracle ! Mais c’était par amitié, aujourd’hui je le sais.
 »

 

            Celui qui a tant composé, laissé derrière lui, plus de six cents lieder dont le chanteur et ami, Joseph von Spaun disait : dans cette catégorie, il reste insurpassé…chacun de ses lieds est en réalité un poème sur le poème…, Pierre Charras lui fait avouer :

            « Elle m’aimaient les jeunes filles, comme on aime un petit chien, ou un jouet. Jamais elles n’ont supposé que j’espérais davantage. Qu’un homme se tenait près d’elles. Avec son désir.

 La première qui m’avait donné son corps, ce n’était pas une jeune fille. Pas une dame non plus.  C’était une putain.

            C’est pourquoi je mens lorsque je dis qu’elle m’a donné son corps. Il faut bien avouer qu’elle me l’a vendu. Loué. La seule chose qu’elle m’ait laissée gratuitement, elle ou l’une de ses semblables, c’est la maladie dont j’ai tant souffert et qui aujourd’hui, me tue. »

            C’est Franz Schubert qui m’a amenée à lire ce livre de Pierre Charras. Sa musique, ses lieder… La jeune fille et la Mort M. Scwindécoutés, aimés, ses cordes qu’il a su faire vibrer si profondément, non seulement dans le quatuor « La jeune fille et la mort », qu’illustra Moritz von Schwind à la mine de plomb sur papier jauni et que j’ai vue lors de l’exposition « L’Âge d’or du romantisme allemand» à l’époque de Goethe à Paris, moment d’indicible émotion…mais aussi l’Adagio du quintette pour deux violons alto et deux violoncelles en ut majeur composé l’année de sa mort, où frémit la fiévreuse tendresse d’une inquiétude sans mots !...

 

            Bien sûr aussi me faudrait-il citer « Le Roi des Aulnes » de Goethe, « Le Poteau indicateur » auquel Heinrich Mann devait penser quand il écrivit « La danse pieuse », tant une phrase au début de son roman en est une évidence.

            « Le Voyage d’hiver » plus que « Le Chant du Cygne » est le saisissant testament de Schubert.

 

            « Allons ! Je n’irai plus bien loin

            Avec mon bâton de voyageur.

            Corbeau, permets-moi de connaître enfin

            Ce qu’est la fidélité jusqu’à la mort ! »

                                               (Krähe)


            « Ce n’est pas pour rien que j’ai composé, il y a longtemps un lied sur un poème de Matthias Claudius qui montrait la Mort venant chercher une très jeune fille. J’en ai même tiré un quatuor à cordes, dernièrement.

            Je suis cette jeune fille. 

 

            Bien sûr la mort a toujours été présente dans ma musique, écho exquis d’un mystère intime, derrière la gaîté fragile du violon, au-delà de la danse que commandait l’ivoire du piano, sous les langueurs du violoncelle, mais c’était la première fois, et la seule, je pense, où la mort apparaissait comme un véritable personnage… Et cela dès la blanche pointée initiale, dès le ré. 

            « Je viens en amie », disait-elle « Je ne suis pas cruelle », murmurait-elle, rassurante.

            La mort sera ainsi serrée entre le ré de mon Quatuor et le mi de mon Requiem. Elle sera prisonnière de ma création, captive de ma musique… »


            Pierre Charras est l'auteur de nombreux romans, dont "Comédien", "Dix-neuf secondes" (prix Fnac 2003) et "Bonne nuit, doux prince" (prix des librairies Initiales).


                                                                                                        Hécate.

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12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 21:15

cettevieCette vie
             de Karel Schoeman.








            « C’est sans importance, plus rien n’a d’importance, il ne reste plus qu’à attendre et peu importe qu’il fasse jour ou bien nuit. »

            « Mais que dis-je ? Les mots se bousculent dans ma tête et voici que seule, dans le noir, j’enfile les mots les uns derrière les autres, des mots que je ne pensait pas connaître, et que j’aligne, des phrases que jamais jusqu’ici, ma langue pâteuse n’a réussi à articuler. Pourquoi ? Mais pourquoi donc ? »

 

            Il y a des musiques dites de silence comme il y a du silence dans l’écriture narrative de ce roman. Une vieille femme se meurt et se souvient…
karel sch

            « Les morts, les morts sont moins morts que moi » dit un vers du poète Milosz…

 

          Milosz l’Enchanteur le lituanien, et Karel Schoeman, l’écrivain Sud–Africain, le désenchanté, qu’ont-ils en commun si ce n’est cette écriture de réminiscence, de solitude et de silence, celle d’un humanisme dépouillé et obstiné.

            Karel Schoeman solidaire du combat des noirs de son pays…


            « Le passé est un autre pays ? Où est la route qui y mène ? »

 
            Car les morts vont se lever et revivre à travers le long monologue d’une vieille femme à la frontière même de « Cette vie », comme si la finalité expliquait enfin et seulement le sens secret d’une existence vécue et coulée dans le quotidien des jours ordinaires.

            Un père qui lisait péniblement des passages de la Bible, savait signer son nom. Une mère jamais même vue avec un crayon à la main.

 

            « En ce temps-là en nos contrées il n’y avait pas d’école, et rares étaient parmi nous ceux qui avaient de l’instruction… »

 

            De nombreux précepteurs dont les noms ne furent pas retenus ont défilés dans la ferme familiale qui au fil des pages va se dessiner aux yeux du lecteur… Autant de tableaux, de scènes où l’éclat des voix viennent briser tout à coup le silence, le bruit du vent, celui des roues d’un chariot, le piétinement des bêtes.

            Une écriture de murmure, où chaque bribe de souvenirs laisse entrevoir le mystérieux comme un coup de vent qui soulève le bas d’une longue jupe sur la bottine d’une femme, révélait la grâce d’une cheville.


           
« Le passé est un autre pays... »

 

            Le 19ème siècle dans le Roggeveld, le vécu des non-dits, comme une braise qui couve au cœur des êtres, « Cette vie » de lambeaux de mémoire, celle qui tâtonne et fouille son passé, avec des sursauts, des élans, des retombées, comme une flamme dans l’âtre d’un foyer…celui qui fut le sien et qui va s’éteindre avec celle qui se meurt.

            Ultime lueur sur un vécu…

 

            « Etait-ce délibérément que les voisins ont recommencé à nous éviter après tous ces événements, ou bien ne se sentaient-ils pas les bienvenus chez nous ? »

            « Les mots ne servent plus à rien désormais, et l’on ne refait pas le passé… »

 

            Fin d’hiver dans le Roggeveld « lorsque les fleurs sauvages, seul luxe qu’ait jamais connu ce pays de misère, surgissaient soudain dans la lumière crue et le vent froid du printemps hésitant. »

            « J’étais seule souvent, et peu à peu au court de mon enfance, la solitude pour moi devint une habitude. »

 
            Une chanson entendue dont remontent les paroles :

« La tristesse et la douleur

   Oh, la tristesse et la douleur

   La plante qui m’en guérira,

   Elle pousse près de la source. »

 

            « Je restai à l’écouter…ce n’était qu’une des nombreuses chansons que Gert fredonnait en permanence en travaillant… »

 

            L’arrivée de Sofie : « Tu es ma petite sœur maintenant ! Elle ne devait pas être beaucoup plus âgée que moi, bien qu’elle fut déjà mariée… » « …dans la chambre il fallait allumer une bougie et Sofie, penchée devant le miroir où elle était en train d’attacher ses cheveux, se retourna vers moi ; dans le demi jour, dans l’ombre, dans l’obscurité de l’eau noire d’un lac, empêtrée dans les plis étincelants de sa lourde robe de satin noir, sa robe de mariée, quelle portait pour la première fois chez nous ce soir là, et tendit les deux mains vers moi. « Petite sœur viens m’aider » murmura-t-elle les yeux brillants d’excitation comme si elle désirait partager un secret avec moi, mais tout ce qu’elle voulait, c’était que je lui attache son collier de perles autour du cou, des perles aussi noires que sa robe qui miroitaient faiblement à la lueur de la bougie. « Ce sont des rubis »…me dit elle, chuchotant toujours… »

« Je n’avais rien vu d’aussi beau… »

 

            « Je ne voulais pas savoir encore… »

           

            « Jacomyn, née à l’époque de l’esclavage était devenue la domestique attitrée de Sofie…elle dormait tantôt dans la cuisine avec la vieille Dulsie, tantôt sur un petit tapis au pied du lit de Sofie… »

 

            « Personne ne m’avait rien dit ou expliqué… »

 

            « J’accomplissais mes tâches sans me poser de questions, sans attendre la moindre explication… »

 

            Dévidement de mots, de confidence proche de la monotonie dont la beauté de la prose soutient l’attention, avec simplicité, sans fadeur, dans l’effleurement de petits détails : filet dorée d’une porcelaine de grand-mère, une neige d’hiver, un troupeau de mouton, des chacals… Un vol de vautour dans un ciel… Le mystère qui se dérobe au détour d’une phrase…

           

« Que savais-je de la vie a quarante ans ? »

 

            Tant de pudeur dans cette intimité qui se révèle au crépuscule de « Cette vie », que c’est à peine si émerge la conscience de la souffrance tant elle a été enfouie dans l’intériorité des conflits que l’approche de la mort autorise.

 

            « Je me souviens que c’était la fin de l’automne, qu’il faisait très froid, que j’était allongée les yeux grands ouverts, contemplant le clair de lune…

            Je sais que je suis restée longtemps étendue ainsi à peser le pour et le contre sachant que c’était là ma dernière chance de fuir cette maison endormie… »

 

            « A la maison comme je l’ai dit, lorsque j’étais enfant, nous n’avions pas de miroir, aussi n’avais-je jamais eu l’occasion de voir mon visage. Dans les dernières années, je réappris à vivre sans miroir – je n’en n’avais d’ailleurs nul besoin, car je savais trop bien à quoi je ressemblais… »

 

            Ce livre publié aux éditions Phébus a obtenu le Prix du meilleur livre étranger.

            Karel Schoeman l’auteur de «La saison des adieux », « Retour au pays bien-aimé », «  En étrange pays » et de tant d’autres œuvres, a reçu des mains du Président Nelson Mandela en 1999 la plus haute distinction Sud – Africaine. En dépit de la reconnaissance de son talent et des multiples récompenses, il demeure toujours ce marginal solitaire et sauvage qui fuit interviews et photos, dans le vieillissement et le dénuement.

Hécate.


cettevie 4ème de couverture 



http://fr.wikipedia.org/wiki/Karel_Schoeman

 

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25 octobre 2009 7 25 /10 /octobre /2009 12:16

La mort propagande

 

            « …Mon corps est un laboratoire que j’offre en exhibition, l’unique acteur, l’unique instrument de mes délires organiques. Partitions sur tissus de chair, de folie, de douleur. Observer comment il fonctionne, recueillir ses prestations. Toutes mes expressions. Tout ce qui peut en jaillir, gicler. Tout ce qui m’ahurit. A l’issue de cette série d’expressions, l’ultime travestissement, l’ultime maquillage, la mort. On la bâillonne, on la censure, on tente de la noyer dans le désinfectant, de l’étouffer dans la glace.

 

            …Moi je veux lui laisser élever sa voix puissante et qu’elle chante, diva, à travers mon corps. Ce sera ma seule partenaire, je serai son seul interprète. Ne pas laisser perdre cette source de spectaculaire immédiat, viscéral ; me donner la mort sur une scène, devant des caméras… donner ce spectacle extrême, excessif de mon corps en décomposition, jour après jour, éclaté sous le feu, étalé, cloué, exposé, mimant le supplice des cents morceaux dans un jeu de masque chinois. »

 



             Guibert, c’est un narcisse qui brise son reflet à coup de scalpel, il se violente, se viole. Il a vingt et un ans. Un ange. Une brutalité de voyou. Une arrachée de douceur retournée comme un gant sur la saignée du poignet. L’œil du photographe.

 

            Ma rencontre avec Guibert : dans une bibliothèque. Une plongée dans le chaudron des hargnes, des mesquineries, de l’abjection ordinaire. Cette rencontre avec l’écriture d’Hervé Guibert m’a révulsée, peut-être alors. « -Vais-je continuer à lire ? » Il y a des enfers de froideur qui gèle le recul. Impossible de faire page arrière !

 

             Parmi les centaines de livres empruntés, ceux de Guibert ne sortirent jamais de ma mémoire.

            Comme un tatouage dans la peau. Une vieille cicatrice cousue avec des mots en partie oubliés ; mais pas ce qui émanait de l’essence sauvage de son implacable et abrupte style.

 

            Je ne savais pas qui était Hervé Guibert. Un nom. Un titre. Des titres sur des couvertures… Rien d’autre. Je ne savais pas qu’il allait être atteint du SIDA, qu’il allait en mourir, qu’il aurait l’impudeur de filmer un simulacre de suicide. Je ne savais pas que  cette « Mort propagande » que je viens de lire, était une fiction prémonitoire de sa mort, de son suicide manqué, peu avant que cette mort ne l’emporte.

 

             J’ai lu Guibert. « Des aveugles »…puis avec des pauses « Le protocole compassionnel » qui m’en apprit un peu plus ainsi que « A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie ». Puis aussi le hasard, ici et là, dans une librairie, des bribes chapardées au « Mausolée des Amants » où la vie est cette horreur merveilleuse. Guibert m’a semblé être un paroxysme de froideur alors… Ami de Chéreau, il participera au scénario de « L’homme blessé ».

 

             Avec « La mort propagande », il éructe, et crie, il pleure, il étale les mots comme des pièces de boucherie. Il viande son âme, sa corporalité. Anatomiste de l’intime, du crachat, de l’obscène. Extrême. Si extrême de crudité, que j’hésite à citer ici certaines phrase. Sperme, godemiché acheté dans un sex-shop de Pigalle…urinoirs, carrelage où la jouissance de sa mère à travers la culotte de dentelle est avalée par la sciure sous ses yeux d’enfant.

 

Onzième chapitre :

La mort propagande

(Une seule représentation).

 

            « Et de tes ossements je fais des parures. Ta peau découpée, déchiquetée te fait des chapeaux compliqués, des voiles, des tulles qui recouvrent ton visage et s’accrochent sur la circonférence de ton crâne. 

…Et si je suis fou, on me percera le crâne, on me cisaillera le front, on ma trépanera. Où on me fera avaler une potion qui me fera chier tous les démons qui m’habitent. »

 

Dernier chapitre :

Cinq tables de marbre

 

            « Cinq tables de marbre alignées parallèles, cinq éviers, au bas le tuyau de douche, lave à grande eau, la table inclinée, concave, pour laisser couler jusqu’à la rigole, le jour par des fenêtres hautes, la tête et les pieds emmaillotés, ficelés dans le linge, le pied dépasse, serré autour d’un fil d’acier, papier à œillet sur lequel est inscrit un numéro, rituellement on fait un constat, on approche de mon visage renversé, de ma bouche un miroir dont c’est le seul usage, on me sectionne une artère pour voir la couleur du sang, plus sombre presque noir, pour voir s’il est encore jeté du cœur… »

 

            « A la faveur d’un déménagement, j’ai mis un peu d’ordre dans mes dossiers. J’y ai retrouvé, surtout dans des cahiers, des choses que j’avais écrites quand j’étais très jeune, que je n’avais pas mises au propre, et que j’avais complètement oubliées, comme si elles avaient été écrites par un autre que moi, un être plus rare, plus pur que moi, ce jeune Guibert qui me faisait le cadeau, par ces textes, de me faire croire qu’il était resté moi-même, ou que j’étais resté lui-même, que nous n’étions qu’une seule personne. » (Quatrième de couverture de l’édition de 1991 « Protocole compassionnel ».)

 

             Alors, lire, ne pas lire ce livre où affleure une roseur de pudeur, épanouie sous les excès de jouissance ? Je ne sais. Je ne sais que dire…

            Ce ne sont point là des choses que l’on ose… Car entrer dans cette écriture, c’est comme prendre un mort dans ses bras…

 

            Hervé Guibert n’est plus là… mais sa mort est là… arrachée vive… et livrée… dans les pages de ce testament écrit à vingt et un ans, quinze années avant sa dramatique finalité…


Hécate.

 

BIBLIOGRAPHIE

 Hervé Guibert (1955 – 1991)


La Mort propagande
, Paris, Régine Deforges, 1977, collection Le Livre de Poche, 1991.

Nouvelle édition complétée l’arbalète galimard 2009.

Suzanne et Louise, Paris, Éditions libres Hallier, 1980. Réédition, Gallimard, Paris, 2005.

L’Image fantôme, Paris, Minuit, 1981.

Les Aventures singulières, Paris, Minuit, 1982.

Voyage avec deux enfants, Paris, Minuit, 1982.

Les Chiens, Paris, Minuit, 1982.

L’Homme blessé, Paris, Minuit, 1983.

Les Lubies d’Arthur, Paris, Minuit, 1983.

Le Seul Visage, Paris, Minuit, 1984.

Des Aveugles, Paris, Gallimard, 1985, collection Folio,1991.

Mes Parents, Paris, Gallimard, 1986, collection Folio, 1994.

Vous m’avez fait former des fantômes, Paris, Gallimard, 1987.

Les Gangsters, Paris, Minuit, 1988.

L’Image de soi, ou l’injonction d’un beau moment, (avec Hans Georg Berger) Bordeaux, William Blake & Co., 1988.

Mauve le vierge, Paris, Gallimard, 1988.

Fou de Vincent, Paris, Minuit, 1989.

L’Incognito, Paris, Gallimard, 1989.

A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Paris, Gallimard, 1990.

Le Protocole compassionnel, Paris, Gallimard, 1991.

Mon valet et moi, Paris, Seuil, 1991.

Vice, Paris, Jacques Bertoin, 1991.

Cytomégalovirus, Journal d’hospitalisation, Paris, Seuil, 1992.

L’Homme au chapeau rouge, Paris, Gallimard, 1992.

Le Paradis, Paris, Gallimard, 1992.

La Pudeur ou l’Impudeur, TF1, 30 Jan. 1992.

Photographies, Paris, Gallimard, 1993.

La Piqûre d’amour et autres textes, suivi de La Chair fraîche, Paris, Gallimard, 1994.

Vole mon dragon, Paris, Gallimard, 1994.

Lettres d’Égypte : du Caire à Assouan, 19.., Arles, Actes Sud, 1995.

Enquête autour d’un portrait (Sur Balthus), Paris, Les Autodidactes, 1997.

La Photo, inéluctablement, Paris, Gallimard, 1999.

Le Mausolée des amants, Paris, Gallimard, 2001.

Les Articles intrépides, Paris, Gallimard, 2008.

 

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7 octobre 2009 3 07 /10 /octobre /2009 15:16


  Fado un chant
     qui pleure
        sans larme...


             Fado un chant qui pleure sans larme « pour une larme de toi, je me serais laissée tuer » paroles d’un fado…


            Des notes acides, les grains d’un chapelet, une gorge renversée d’où jaillit l’ailleurs de la nostalgie, l’attitude du fadista, altitude d’un autre bonheur, celui d’être triste par-delà la mélancolie, miroir perdu d’une joie envolée, d’un amour enfui, comme une mouette sur la mer de paille… 

            Le fado a son histoire… et le fado la chante, la joue, la berce, la danse aussi. Entre tendresse, cri et murmure. Controverse des origines… Populaire et royal. Chant de la mer, chant du vent, du sud ou du nord, des maisons de plaisir, celle ou les femmes du fado « ou femmes de la fatalité ». Telle la « Severa » devenue une légende dorée.
Morte à vingt six ans, aujourd’hui encore le quartier de la Mouraria dans ses venelles présente au sol des pavés noirs et blancs dessinant une guitara, hommage à l’expression sublime de sa voix lente comme une caresse.


            D’autres fantômes de ce dix-neuvième siècle, Umbelina l’Aveugle, Gertrude la vendeuse de châtaignes chaudes surnommée « la noire au bandeau ». Rita, démone d’un coupe-gorge, repaire de voleurs et de malfaiteurs. Marginalité urbaine et aristocratique, le fado est partout… et nulle part. Inédit et décalé.


            En dépit de son entrée dans les salons, le fado incarnait le danger. « Le chant du fadiste est lui-même présenté comme une excroissance méprisable, comparable à celle d’un animal. Il évoque le chant d’un loup lancé au clair de lune », la voix brisée dans le larynx.


            Fado, frontière des genres.

  
            Dialogues de chanteurs qui rivalisent d’improvisations, jeux de mots, de moquerie. Quand un premier vers du fado annonce :
 « Je vais te dire ».
Une autre voix rétorque parfois,
« Je ne veux pas le savoir »…

            Fado, l’amour, une folie nécessaire.

« Ils vivent d’amour, laisse-les vivre ainsi
  

Laisse-les en paix, car ils sont fous  

Ils sont fous comme nous le sommes encore

Ils aiment comme nous aimons toujours. »

(Mario Rainho, José Luis Gordo)

 

            Le chant, un remède à la souffrance.

 

« Que Deus me perdoe »

« Si mon âme opaque pouvait montrer  

Ce que je souffre en silence

Si seulement

Je pouvais raconter »

(Silva Tavares)

 

            « Je chanterai jusqu’à ce que la voix me fasse mal »

            Le fado, comme ami et remède. Une thérapie des maladies de l’âme. (Alberto Pimentel) Cependant ces vers très populaires soulignent ce caractère d’innéité du fado qui ne peut, ni s’apprendre, ni se choisir.


« N’est pas fadiste celui qui le veut

Est fadiste celui sur qui ça tombe. »

(Rodriguo de Mello).

 

            Saudade, délivrance du temps. La « Saudade habite la mer » dit une morna du Cap Vert. Les frontières perdues sur l’échelle du temps se réinventent et bercent de plaisir ce qui pourrait être de la tristesse.


« Aux heures de notre vie

Chaque heure et une minute.»

(Antonio de Bragança.)

 

            L’illettrisme du fado, côtoie les plus grandes plumes de la poésie, de Camoens à Pessoa. Après les jours sombres de la dictature, le fado est une renaissance…

            Il y a le fado de Lisbonne.

            Il y a le fado de Coïmbra, celui qui s’élance du cœur amoureux d’un étudiant sous le balcon de celle qu’il aime et qu’il veut charmer.

 

            Pessoa encore qui a su dire si bien ce qu’il en est du fado, cette lecture de la vie.

« Ainsi, le chant des peuples triste est gai.

            et le chant des peuples gais est triste. 

Le fado, quant à lui, n’est ni gai ni triste,

            C’est une période d’intervalle. »

 

 

            Je n’ai pas besoin de comprendre les mots pour aimer ainsi le fado, il m’a murmuré très tôt quelque chose d’indicible qui palliait un manque, lequel, je ne sais le dire. Le fado et moi, est une longue histoire silencieuse. Et ce livre, n’a pas détruit les rêves construits autour des violes et des guitares et des brisures de ces voix étranglées sur des sanglots avortés…

              Dois-je compter les enregistrements multiples glanés aux long des années ?...Non…

 

            Ce livre est complétude. Il est accompagné d’un CD qui offre un survol… de ce qu’est aussi le fado… De nombreux textes sont traduits à qui ne sait la langue portugaise et veut pénétrer plus au profond…jamais ennuyeux on peut en tourner les pages, parcourir au hasard, comme on lirait un roman, le roman du fado et son histoire…


            Entrer en Fado, c’est partir en voyage…celui qui se fait en fermant les yeux…ailleurs, ici, maintenant, l’instant… l’envol.


« Si une mouette venait

M’apporter le ciel de Lisbonne

Dans le dessin quelle ferait

Dans ce ciel où le regard

Est une aile qui ne vole pas

S’évanouit et tombe à la mer…»

 

(Alexandre O‘ Neill)


Hécate

 

 
Edition: Chandeigne 2009.

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20 septembre 2009 7 20 /09 /septembre /2009 17:49






Chez les fous

Albert Londres

 

            Une anecdote qui ne s’invente pas : j’étais à réfléchir à cet article dans un transport en commun, quand mon attention se trouva attirée par la personne assise en face de moi. Une femme avec un beau visage comme celui des madones pâli par la pénombre des églises, les cheveux tirés en arrière en un chignon serré.

            Tout à coup cette dame comme absorbée dans ses pensées, grave et tranquille se mit à bouger les lèvres. Des mots inaudibles s’échappèrent à la cadence monotone d’une prière. Je n’avais pas remarqué un grand sac en plastique posé sur ses genoux d’une marque que je ne citerai pas, mais qui a quelque rapport saugrenu avec le pseudonyme dont je signe mes articles:
            Hécate, dans l’antiquité était sensée être placée à l’embranchement des voies.

 

En grosses lettres publicitaires, je pouvais lire :

« En agissant

Ensemble

On agit

Vraiment ».

 

            Très visiblement cette personne n’avait nullement conscience de la présence des passagers autour d’elle, pas même de mon regard hypnotisé par ses gestes qui par saccades se mirent à frotter le dessous de ses paupières, puis à malaxer le plastic du sac, pour sauter après à son front comme s’il était attaqué subitement par quelque insecte. Ainsi continua-t-elle à soliloquer, hochant la tête spasmodiquement.

            J’étais là, saisie, à ne pouvoir la quitter des yeux comme si elle surgissait tout droit des pages du livre d’Albert Londres que je venais de parcourir.
            Avec qui parlait-elle ainsi, les yeux perdus, fixés sur des êtres absents ?...


            Je faillis manquer mon arrêt, tant elle était digne et sérieuse en dépit de cette agitation dont les intervalles d’immobilités me sidéraient autant que leur cessation subite.






            « Notre devoir n’est pas de nous débarrasser du fou, mais de débarrasser le fou de sa folie.

Si nous commencions ? »

 





            En huit chapitres, Albert Londres le prince des reporters plonge en plein cœur de ce qu’on nomme la folie.

            D’une plume à rendre jaloux les maîtres du suspense, cet humaniste à l’âme de poète dresse là le plus stupéfiant récit qui soit.

            Publié en 1925, ce texte est d’un style d’une modernité incroyable. Rapide, efficace, imagé, il brosse des scènes qui prennent à la gorge, coupent le souffle ! Pathétiques et horrifiques.

Aucun temps mort, un livre fou !


            « Je ne suis pas fou ! Du moins pas visiblement, mais j’ai désiré voir la vie des fous. Et l’administration française ne fut pas contente. Elle me dit : Loi de 38, secret professionnel, vous ne verrez pas la vie des fous. »


            Le ton est donné ! Et voilà comment débute l’aventure de ce reportage dont rien ne nous est caché avec une drôlerie féroce, une tendresse humoristique qui annonce celle de Desproges.

Un livre fou !

            Débordement de sensations qui étranglent d’émotion. Aucun temps mort. Albert Londres camisole ses lecteurs si j’ose me permettre…


Un aperçu… les titres des chapitres :

 

  • On a pas voulu de moi.
  • Le fou à domicile.
  • Un quartier d’agités

    Chapitre III.

On m’avait ouvert une cour d’agités.

 

-         Restez-là, les gardiens sont prévenus. Afin de ne pas être pris pour un procureur de la république j’avais le chef couvert d’un béret. De plus, quand on possède un fond d’innocence et que le débraillé ne vous va pas trop mal, on peut fort bien passer inaperçu dans un quartier d’insensés. Les fous n’ont pas d’uniforme. Cela ajoute à la tragique mascarade. En voici deux tous nus. (Ils adorent être nus.) Entre ces deux, un gentleman coiffé d’un melon se promène. Cet autre porte veston et caleçon ; autour de son bras gauche est son faux col en celluloïd. Ils sont soixante-dix environ, en habit de ville, en bourgeron de travail, et déboutonnés par-ci, par-là, en dehors des limites de la pudeur.

Cela ne hurlerait pas trop sans un espèce de putois qui, tout en dénouant une corde, là-bas, au fond, s’en prend à la terre entière de je ne sais quel affront que lui inflige un être invisible. Il se fâche comme si son ennemi était devant lui. Son ennemi est bien devant lui, mais seul il le voit.

 
Un livre fou… certes oui.

 

Chapitre IV

·        Avec ces dames

-         A côté des folles, les fous semblent raisonnables. Ces femmes sont infernales. Toutes ont l’air d’obéir à un ressort qu’elles auraient avalé. Elle se plient, se redressent, gambadent. Elles portent leur bras en ailes de moulin. Il y a beaucoup de cantatrices.. les ballerines ne manquent pas non plus, et les mégères relient les deux… Par temps d’orage, l’intensité de cette diablerie est décuplée.

-         Monsieur !

Une rousse qui a l’air d’avoir des serpents dans les cheveux, me saisit par le bras, impérative :

-         Monsieur ! J’ai été nommée mère principale des filles de la Charité, chanoinesse de la cathédrale, général en chef du Vatican par sa Sainteté le Souverain Pontife…etc…

 

On met la ceinture aux audacieuses, aux vindicatives. On compte bien dix ceintures dans cette cour. L’une des agitées marche sans arrêt.

-         Asseyez-vous, madame Raymond.

-         Je ne veux pas m’asseoir à côté de ces dames. Elles ne sont pas malades. Pourquoi les garde-t-on ici ? elles vont me donner la bonne santé… Arrière !...Arrière !...

 

            A dix pas, une Margoton chante à tue-tête et tourne, derviche emballé.

 
Que dire du chapitre VI ?

·                   Une nuit.

-         Le mystère humain qu’est la folie s’épaissit pendant la nuit.

L’étonnement, qui, comme une auréole, ne cesse de nimber le spectateur de la vie des fous, grandit alors autour de lui, jusqu’à l’infini.

Les asiles deviennent des cloîtres diaboliques…

Il était onze heures du soir quand je m’amenai devant la grille de la maison départementale de cette ville du Sud…

Le portier dormait. C’était bien l’heure.


            Ce livre tient de la farce macabre, de Jérôme Bosch, de Magritte et de Goya et même du french  cancan vu par Lautrec ! Une grandiloquence qui rappelle l’époustouflant Grand Guignol…

 

            Ce livre dénonçait crûment ce qui dérangeait. D’où la censure dont il fut victime, car cette série de portraits et d’interviews scandalisèrent le petit monde des psychiatres et des aliénistes. La rédaction du  Petit - Parisien  passablement effrayé hésita à publier certains articles qui finalement parurent en mai 1925.

 

            Devant le tollé provoqué et les menaces de procès, Albert Londres dut adoucir certains passages… Il venait d’achever un grand reportage sur le  Tours de France  cycliste : « Les forçats de la route ».


            Après avoir dénoncé les bagnes, il s’intéresse à cette autre sorte d’enfermement. Celui des malades mentaux.

 

            Né à Vichy en 1884, celui qui savait faire flamber l’actualité disparaîtra mystérieusement dans l’incendie du bateau qui le ramenait de son voyage en Chine en 1932.


            « Albert Londres, un nom devenu synonyme de mythe, la référence absolue en matière de reportage ». (Pierre Assouline dans la biographie consacrée au journaliste)

 

« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».

 



Hécate.

 

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25 août 2009 2 25 /08 /août /2009 21:53






U-boot

de Robert Alexis.

  

            Robert Alexis de plus en plus semble écrire depuis un camp retranché et ce dernier roman se lit comme on lirait un de ces carnets de bord retrouvé dans la cabine d’un de ces rafiots échoués sur d’impassibles rocs qui en les éventrant ont aussi ravagé la figure dont s’ornait leur proue.

            Ici point d’allégorie ou de sirène aux seins nus, un chiffre et une immense croix gammée blanche à la proue puisque nous sommes embarqués dans un sous marin allemand.



            Comme chez Powys, sans cesse Robert Alexis mêle le visible et l’invisible, ainsi que le faisait remarquer Jean Walh dans la préface des « Sables de la mer », et par l’humain touche le non - humain.

            Comme l'aurait dit Rimbaud, il y a chez ces deux écrivains, un monde animal et végétal. Un double visage d’écume et de lie.

 

            « On ne côtoie pas les profondeurs sans rompre son âme aux secrets qui l’environnent. L’immersion chasse pour un temps les simulacres et conduit vers cet ailleurs éclairé des formules tragiques de la création » est-il écrit à la page 12 de U-boot  qui est un récit de remémoration. Porté par l’aventure quelque uns des membres de l’équipage vont se révéler, au cours de cette odyssée insensée.

            Le sous-marin 823 est en partance vers une destination inconnue et les hommes à bord ne savent d’autre que ce que leur a annoncé l’Amiral : « - Vous êtes associés à la gloire du IIIème Reich », «- Vous êtes la fierté de notre pays ».

 

            Le 823, eût-il à changer sa route de plusieurs milles, ne devait pas être vu ; c’était bien selon la définition qu’en avait donnée le chef, un vaisseau fantôme, une ombre à fleur d’eau… »

            La seule distraction à bord, l’immersion vertigineuse. « Le monstre avait gémi, il n’avait pas cédé. Trois cents mètres d’eau ! »

« - On ne pourra pas commandant. C’est trop lui demander. »

            Le bâtiment bascule ; le manomètre marque la lente descente vers les abysses. L’équipage terrifié se répète que nul n’est jamais revenu pour dire ses impressions.

            « Tout bateau a sa psychologie ». « Le notre faisait tout pour satisfaire les gosses qu’il portait au creux de sa main, et pour les protéger ».

 

            Peut-être dois-je alors rappeler qu’un éditorial notifiait à propos d’un film d’archives diffusé sur Arte que l’Allemagne mobilisait tous les hommes de 16 ans à 60ans, et qu’un survivant a dit «ce qu’on fait pendant une guerre, c’est à peine si on peut l’admettre plus tard ».

            La jeunesse hitlérienne était un réservoir inépuisable de combattants.  Et la seconde guerre mondiale le terreau des jeux interdits.

            On se passionnait alors pour les conquêtes du Reich. Victoire sur la Pologne, la Norvège, le Danemark…

 

            Robert Alexis nous transporte dans ces pages de l’histoire en narrant une aventure à la fois haletante et intime, avec une maîtrise d’écriture extrême, minutieuse, précise, où passe le souffle d’un onirisme qui n’appartient qu’à lui.

            « Quelqu’un dans son hamac faisait un cauchemar ? Un peigne passait dans la chevelure des songes, cueillant des voix, des visages. »

 

            Pour passer le temps, un jeu va être proposé : « - Nous sommes cinq, que chacun dise donc ce qu’a été sa vie avant la guerre. »

 

            Kassel désigné par un tirage à la courte paille est le premier visage à émerger de l’ombre, à dessiner par la voix et le geste « le délicieux poison de la transcendance ». « Insupportable révélation des dents par un rare sourire, doigts roulant une brindille, le beau ténébreux va éteindre  les premiers rires de moquerie. Sa beauté, augmentée du voile des réminiscences, n’avait jamais été aussi envoûtante ».

            Des aveux à peine dicibles seront dits. Comme une broderie sur la plus fine dentelle d’un rêve défendu.

Sommes-nous encore à bord du sous- marin ? Non, transportés ailleurs, comme ceux qui l’écoutent, dans un temps autre, dans les eaux troubles de l’adolescence et de l’ambiguïté révélées.

Comme dans un tableau de Delvaux, les scènes évoquées semblent pétrifiées à jamais, dans l’inaltérable souvenir inaltéré où évoluent quelques fantômes sans consistance, irréalité confondue à un passé à jamais perdu.

 
            Puis en quelques lignes l’irruption du réel brutalise le lecteur, et oppose au rêve la violence cauchemardesque du hurlement du commandant.


            - « En surface ! Foutue bande de bons à rien ! Bâtiment en surface ! »

 

         La question du véritable héroïsme éclate ! Le véritable héroïsme où est-il ?


            Un avion de reconnaissance tourne en boucle autour du bateau en émersion volontaire. Le commandant du 823 qui en a donné l’ordre inquiète les vauriens de son équipage en arborant un sourire pour la première fois.

Que cache ce sourire ? Les rafales de son mitrailleur ont déclenchés la chasse. Le sous-marin est à présent un gibier à pister.

            Pourquoi ?

            Tout est prêt pour : « une haine indéfectible jetée au masque de l’univers. »

 

            Sur le pont les éléments du drame se sont mis en place comme les pièces d’un échiquier.

            Dans le local où les conversations se sont amorcées, Müller enchaîne aux aveux de Kassel, les siens, resserrant d’autant l’intrigue.

            Rien ici n’a été organisé au hasard.

            L’histoire de Müller ne consolera pas le beau Kassel tabassé à Mathausen, les testicules ligaturés. On ne l’apprend qu’à cette jonction de l’action sur le pont, tandis qu’en dessous Müller en se racontant relance l’attention. Il sait qu’il ne suscitera nulle pitié et il semble s’en réjouir « j’ai appris au moins cela, que l’horreur éveille dans l’esprit ce que l’on n’aurait jamais supposé : un formidable voisinage avec l’inconnu ».

 

            L’écriture de Robert Alexis se fait altière, se drape de rigueur pour exhiber la violence ordinaire, coutumière des jours où les guerres jettent les hommes dans les confusions des extrêmes. Il balaye d’éclairs fulgurants, des scènes sans une faiblesse nous livrant les crimes et les abjections comme une normalité incontournable.

            « Si la vie se résume à donner ou à prendre des coups, il vaut mieux avoir le bâton en mains ».

 

            L’histoire réclamait des hommes pour se battre nous rappelle la voix de l’auteur masqué comme dans les tragédies antiques et soulignant d’une discrète réflexion philosophique la trame de son roman « Le chaos effrayait les grecs, l’anarchie nos contemporains. »

 

            Tandis que la mort commence son office sur le pont du sous-marin, aucune miséricorde ne compense ce qui se révèle en dessous.

« - Je devais montrer ma haine envers les juifs. Assis auprès de Müller, le bavarois hoche la tête. Ils s’attendaient à ce qu’on en vienne là. Son visage était celui d’un accusé qui s’offusque de ses propres crimes. »

 

            « Le plus dur quand on souffre, c’est de ne pas savoir à qui s’en prendre. »  

 

Le lecteur est entraîné dans une plongée sans fin… Une descente dans le malaestrom des éléments, des événements et de l’âme humaine. Une ligne est franchie. Une frontière. La Vie baise la Mort.

            « Ainsi avions nous tué. »

            Des phrases brèves, froides déterminées. Implacables. Le vestige des vertiges des meurtres accomplis…

            « Macherey tenait solidement la fille. Blott découpait ses paupières au couteau.

            Cette fille qui avait du être jolie, les cheveux collés aux tempes par des giclées de sang, ces yeux que rien ne pourrait plus fermer, fixés sur le bourreau…  un plaisir barbare esthète, en un certain sens, mais décidément fermé ».

 

            Kassel est là, qui écoute qui reconnaît dans le déroulement des confessions qui s’entrecroisent, un de ceux qui l’ont torturé à Mauthasen, Kassel devenu incapable de haine, croyant nécessaire la correction de ses écarts. A-t-il été trop loin dans ses amours impossibles ? On semble retrouver là, l’espace d’une ligne, l’officier de « La Robe » et sa féminité balbutiante ; le jeune homme, le frère fragile « des Figures » qui enfant regardait les papillons éphémères comme sa vie allait l’être.

 

            Un mystère plane. Le sous-marin transporte d’étranges missiles et quand l’équipage commence à comprendre que le 823 est voué à une prochaine destruction « en raison de motifs que le commandant et le radio connaissent, dont nous pouvions uniquement supposer le caractère impérieux », l’action se précipite.


         
            1814 kilos de bombes. Un Catalina ouvre le feu crevant la peau de métal du sous-marin  dépourvu d’armement lourd ; avec des batteries endommagées, un gouvernail en avarie, un incendie et une rupture de collecteur, s’amorce une descente vers les abysses tandis que les corps tombent sur le pont. Ce carnage recherché a bien un but. Oui mais lequel ?

 


            En épigraphe l’auteur épingle une phrase de « l’Ile mystérieuse » de Jules Verne… « Il nomma son appareil sous-marin le « Nautilus », il s’appela le capitaine Nemo, et il disparut sous les mers. » 

 

            Comme Ulysse se nomma Personne pour se présenter au Cyclope… nous ne savons le nom du narrateur, les événements qui se bousculent le confinent au silence. Comme dans le Nautilus de Jules Verne, les passagers du sous-marin « sont coupés du monde par une distance infranchissable (Jacques Noiré, dans sa préface de «Vingt mille lieues sous les mers »).

 

 « Moi seul était demeuré un inconnu pour mes camarades. Je n’avais pas eu le temps de parler de mon passé ». Le lecteur qui  suivi l’œuvre de Robert Alexis dans cette brièveté de la réminiscence allusive aux Hartz et à ses habitants, retrouve fugitivement la grâce fantasmatique lumineuse de « La véranda », cet intervalle de bonheur pur…

 

            Un grand écrivain n’a pas la nécessité de s’expliquer sur ce qu’il écrit où si peu. Il est présent dans son œuvre, on l’entrevoit comme dans une trouée d’ombre on aperçoit le pâle éclat d’un rayon de lune, ou l’irruption éclatante du soleil après la traversé d’une forêt épaisse, qui aveugle autant qu’il éclaire. Robert Alexis s’amuse-t-il, sardoniquement à nous suggérer de relire Jules Vernes ? Assurément, il met en parallèle deux aventures sous – marines, l’une inventée, l’autre calquée et réinventé par la réalité de l’Histoire. Une montée de ténèbres, une hécatombe… Cette montée de haine, inexplicable qui a métamorphosé en bête féroce un être raffiné comme le Capitaine Nemo n’aurait-il pas quelque rapport avec l’interrogation de Robert Alexis : disparaître pour renaître ?

Questionnement qui hante tous ses romans. Comme dans Jules Verne, mieux qu’un roman d’aventure, U-Boot est mieux et plus qu’un roman de guerre.

 

            Comme dans Flowerbone où avec les Cyborgs de l’espace nous étions soudainement propulsés en Afrique et rencontrions un sorcier Massaï qui ouvrait les perspectives, ici, nous allons nous retrouver chez les indiens Kunas.

 

            « Du contraste entre la beauté sauvage de notre asile et le souvenir des camarades disparus naissait une impression singulière…Et puis nous étions si loin de tout ! Nul autre paysage n’eut pu marquer aussi tragiquement la souffrance de l’exil. »

 

            Un bateau ivre d’impossible ? Pourquoi ne puis-je m’empêcher de revoir le bateau du film de Werner Herzog dans « Fitzcarraldo » ?

            Un réalisateur allemand acharné, un acteur halluciné Klaus Kinski. Quand le rêve le plus fou s’élabore, la comparaison est-elle si insolite ?

            « Fitzcarraldo » n’étant autre que cette chimère démesurée, où il s’agissait de hisser un bateau avec l’aide des indiens Shuars qui ne voyaient que ce char blanc pour apaiser le démon des eaux !…

 





            Est-il possible de revenir à la condition humaine après avoir vécu longtemps loin de la civilisation ?


            Une question que se posait Jules Verne. Un thème majeur déjà exploré par Robert Alexis dans « Les figures ».


            Une efficacité d’écriture au bord du pessimisme. Une vision dérangeante. Une dimension autre du sens du combat.

 






Edition José Corti, parution le 27 Août 2009.


Hécate.

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24 août 2009 1 24 /08 /août /2009 14:56













                          D'HOLBACH

           Essai sur les préjugés.
                       (1770)

 






            "Penser avec liberté, c’est n’avoir point les opinions du grand nombre, c’est être dégagé des préjugés que la tyrannie croit nécessaires à son soutient. "

 

            " Si l'on y fait attention, l'on trouvera qu'il ne peut point y avoir de livre vraiment dangereux. Qu'un écrivain vienne nous dire que l'on peut assassiner ou voler, on n'en assassinera et l'on n'en volera pas plus pour cela, parce que la loi dit le contraire. Il n'y a que lorsque la religion et le zèle diront d'assassiner ou de persécuter que l'on pourra le faire, parce qu'alors on assassine impunément ou de concert avec la loi, ou parce que dans l'esprit des hommes la religion est plus forte que la loi et doit être préférablement écoutée. Quand les prêtres excitent les passions des hommes, leurs déclamations ou leurs écrits sont dangereux parce qu'il n'existe plus de frein pour contenir les passions sacrées qu'ils ont excitées, et parce que les dévots n'examinent jamais ce que disent leurs guides spirituels.

            Il n'y a que l'imposture et la mauvaise foi qui puissent craindre ou interdire l'examen. La discussion fournit de nouvelles lumières au sage, elle n'est affligeante que pour celui qui veut d'un ton superbe imposer ses opinions ou pour le fourbe qui connaît la faiblesse de ses preuves, ou pour celui qui a la conscience de la futilité de ses prétentions. L'esprit humain s'éclaire même par ses égarements, il s'enrichit des expériences qu'il a faites sans succès, elles lui apprennent au moins à chercher des routes nouvelles.

            Haïr la discussion, c'est avouer qu'on veut tromper, qu'on doute soi-même de la bonté de sa cause, ou qu'on a trop d'orgueil pour revenir sur ses pas.

            Les privilèges, les prérogatives, les exemptions accordés en tout pays à quelques citoyens favorisés, et refusés à tous les autres, tendent visiblement à détruire le respect pour les lois et à éteindre dans les esprits les idées de l'équité. Quelles idées de justice peut avoir un citoyen qui voit que les lois qui châtient le faible ne sont point faites pour les grands ? "

 

Diffusion Presses Universitaires de France



            Les âmes fortes sont rares et les âmes faibles très communes, voilà pourquoi l'on blâme les écrivains qui montrent du courage. • Toutes les âmes renferment en effet, je ne sais quoi de mou, de, lâche, de bas, d'énervé, de languissant. • Cicéron Tusculanes Livre II

 

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