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La mort propagande
« …Mon corps est un laboratoire que j’offre en exhibition, l’unique acteur, l’unique instrument de mes délires organiques. Partitions sur tissus de chair, de folie, de douleur. Observer comment il fonctionne, recueillir ses prestations. Toutes mes expressions. Tout ce qui peut en jaillir, gicler. Tout ce qui m’ahurit. A l’issue de cette série d’expressions, l’ultime travestissement, l’ultime maquillage, la mort. On la bâillonne, on la censure, on tente de la noyer dans le désinfectant, de l’étouffer dans la glace.
…Moi je veux lui laisser élever sa voix puissante et qu’elle chante, diva, à travers mon corps. Ce sera ma seule partenaire, je serai son seul interprète. Ne pas laisser perdre cette source de spectaculaire immédiat, viscéral ; me donner la mort sur une scène, devant des caméras… donner ce spectacle extrême, excessif de mon corps en décomposition, jour après jour, éclaté sous le feu, étalé, cloué, exposé, mimant le supplice des cents morceaux dans un jeu de masque chinois. »
Guibert, c’est un narcisse qui brise son reflet à coup de scalpel, il se violente, se viole. Il a vingt et un ans. Un ange. Une brutalité de voyou. Une arrachée de douceur retournée comme un gant sur la saignée du poignet. L’œil du photographe.
Ma rencontre avec Guibert : dans une bibliothèque. Une plongée dans le chaudron des hargnes, des mesquineries, de l’abjection ordinaire. Cette rencontre avec l’écriture d’Hervé Guibert m’a révulsée, peut-être alors. « -Vais-je continuer à lire ? » Il y a des enfers de froideur qui gèle le recul. Impossible de faire page arrière !
Parmi les centaines de livres empruntés, ceux de Guibert ne sortirent jamais de ma mémoire.
Comme un tatouage dans la peau. Une vieille cicatrice cousue avec des mots en partie oubliés ; mais pas ce qui émanait de l’essence sauvage de son implacable et abrupte style.
Je ne savais pas qui était Hervé Guibert. Un nom. Un titre. Des titres sur des couvertures… Rien d’autre. Je ne savais pas qu’il allait être atteint du SIDA, qu’il allait en mourir, qu’il aurait l’impudeur de filmer un simulacre de suicide. Je ne savais pas que cette « Mort propagande » que je viens de lire, était une fiction prémonitoire de sa mort, de son suicide manqué, peu avant que cette mort ne l’emporte.
J’ai lu Guibert. « Des aveugles »…puis avec des pauses « Le protocole compassionnel » qui m’en apprit un peu plus ainsi que « A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie ». Puis aussi le hasard, ici et là, dans une librairie, des bribes chapardées au « Mausolée des Amants » où la vie est cette horreur merveilleuse. Guibert m’a semblé être un paroxysme de froideur alors… Ami de Chéreau, il participera au scénario de « L’homme blessé ».
Avec « La mort propagande », il éructe, et crie, il pleure, il étale les mots comme des pièces de boucherie. Il viande son âme, sa corporalité. Anatomiste de l’intime, du crachat, de l’obscène. Extrême. Si extrême de crudité, que j’hésite à citer ici certaines phrase. Sperme, godemiché acheté dans un sex-shop de Pigalle…urinoirs, carrelage où la jouissance de sa mère à travers la culotte de dentelle est avalée par la sciure sous ses yeux d’enfant.
Onzième chapitre :
La mort propagande
(Une seule représentation).
« Et de tes ossements je fais des parures. Ta peau découpée, déchiquetée te fait des chapeaux compliqués, des voiles, des tulles qui recouvrent ton visage et s’accrochent sur la circonférence de ton crâne.
…Et si je suis fou, on me percera le crâne, on me cisaillera le front, on ma trépanera. Où on me fera avaler une potion qui me fera chier tous les démons qui m’habitent. »
Dernier chapitre :
Cinq tables de marbre
« Cinq tables de marbre alignées parallèles, cinq éviers, au bas le tuyau de douche, lave à grande eau, la table inclinée, concave, pour laisser couler jusqu’à la rigole, le jour par des fenêtres hautes, la tête et les pieds emmaillotés, ficelés dans le linge, le pied dépasse, serré autour d’un fil d’acier, papier à œillet sur lequel est inscrit un numéro, rituellement on fait un constat, on approche de mon visage renversé, de ma bouche un miroir dont c’est le seul usage, on me sectionne une artère pour voir la couleur du sang, plus sombre presque noir, pour voir s’il est encore jeté du cœur… »
« A la faveur d’un déménagement, j’ai mis un peu d’ordre dans mes dossiers. J’y ai retrouvé, surtout dans des cahiers, des choses que j’avais écrites quand j’étais très jeune, que je n’avais pas mises au propre, et que j’avais complètement oubliées, comme si elles avaient été écrites par un autre que moi, un être plus rare, plus pur que moi, ce jeune Guibert qui me faisait le cadeau, par ces textes, de me faire croire qu’il était resté moi-même, ou que j’étais resté lui-même, que nous n’étions qu’une seule personne. » (Quatrième de couverture de l’édition de 1991 « Protocole compassionnel ».)
Alors, lire, ne pas lire ce livre où affleure une roseur de pudeur, épanouie sous les excès de jouissance ? Je ne sais. Je ne sais que dire…
Ce ne sont point là des choses que l’on ose… Car entrer dans cette écriture, c’est comme prendre un mort dans ses bras…
Hervé Guibert n’est plus là… mais sa mort est là… arrachée vive… et livrée… dans les pages de ce testament écrit à vingt et un ans, quinze années avant sa dramatique finalité…
Hécate.
BIBLIOGRAPHIE
Hervé Guibert (1955 – 1991)
La Mort propagande, Paris, Régine Deforges, 1977, collection Le Livre de Poche, 1991.
Nouvelle édition complétée l’arbalète galimard 2009.
Suzanne et Louise, Paris, Éditions libres Hallier, 1980. Réédition, Gallimard, Paris, 2005.
L’Image fantôme, Paris, Minuit, 1981.
Les Aventures singulières, Paris, Minuit, 1982.
Voyage avec deux enfants, Paris, Minuit, 1982.
Les Chiens, Paris, Minuit, 1982.
L’Homme blessé, Paris, Minuit, 1983.
Les Lubies d’Arthur, Paris, Minuit, 1983.
Le Seul Visage, Paris, Minuit, 1984.
Des Aveugles, Paris, Gallimard, 1985, collection Folio,1991.
Mes Parents, Paris, Gallimard, 1986, collection Folio, 1994.
Vous m’avez fait former des fantômes, Paris, Gallimard, 1987.
Les Gangsters, Paris, Minuit, 1988.
L’Image de soi, ou l’injonction d’un beau moment, (avec Hans Georg Berger) Bordeaux, William Blake & Co., 1988.
Mauve le vierge, Paris, Gallimard, 1988.
Fou de Vincent, Paris, Minuit, 1989.
L’Incognito, Paris, Gallimard, 1989.
A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Paris, Gallimard, 1990.
Le Protocole compassionnel, Paris, Gallimard, 1991.
Mon valet et moi, Paris, Seuil, 1991.
Vice, Paris, Jacques Bertoin, 1991.
Cytomégalovirus, Journal d’hospitalisation, Paris, Seuil, 1992.
L’Homme au chapeau rouge, Paris, Gallimard, 1992.
Le Paradis, Paris, Gallimard, 1992.
La Pudeur ou l’Impudeur, TF1, 30 Jan. 1992.
Photographies, Paris, Gallimard, 1993.
La Piqûre d’amour et autres textes, suivi de La Chair fraîche, Paris, Gallimard, 1994.
Vole mon dragon, Paris, Gallimard, 1994.
Lettres d’Égypte : du Caire à Assouan, 19.., Arles, Actes Sud, 1995.
Enquête autour d’un portrait (Sur Balthus), Paris, Les Autodidactes, 1997.
La Photo, inéluctablement, Paris, Gallimard, 1999.
Le Mausolée des amants, Paris, Gallimard, 2001.
Les Articles intrépides, Paris, Gallimard, 2008.