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Cette vie
de Karel Schoeman.
« C’est sans importance, plus rien n’a d’importance, il ne reste plus qu’à attendre et peu importe qu’il fasse jour ou bien nuit. »
« Mais que dis-je ? Les mots se bousculent dans ma tête et voici que seule, dans le noir, j’enfile les mots les uns derrière les autres, des mots que je ne pensait pas connaître, et que j’aligne, des phrases que jamais jusqu’ici, ma langue pâteuse n’a réussi à articuler. Pourquoi ? Mais pourquoi donc ? »
Il y a des musiques dites de silence comme il y a du silence dans l’écriture narrative de ce roman. Une vieille femme se meurt et se souvient…
« Les morts, les morts sont moins morts que moi » dit un vers du poète Milosz…
Milosz l’Enchanteur le lituanien, et Karel Schoeman, l’écrivain Sud–Africain, le désenchanté, qu’ont-ils en commun si ce n’est cette écriture de réminiscence, de solitude et de silence, celle d’un humanisme dépouillé et obstiné.
Karel Schoeman solidaire du combat des noirs de son pays…
« Le passé est un autre pays ? Où est la route qui y mène ? »
Car les morts vont se lever et revivre à travers le long monologue d’une vieille femme à la frontière même de « Cette vie », comme si la finalité expliquait enfin et seulement le sens secret d’une existence vécue et coulée dans le quotidien des jours ordinaires.
Un père qui lisait péniblement des passages de la Bible, savait signer son nom. Une mère jamais même vue avec un crayon à la main.
« En ce temps-là en nos contrées il n’y avait pas d’école, et rares étaient parmi nous ceux qui avaient de l’instruction… »
De nombreux précepteurs dont les noms ne furent pas retenus ont défilés dans la ferme familiale qui au fil des pages va se dessiner aux yeux du lecteur… Autant de tableaux, de scènes où l’éclat des voix viennent briser tout à coup le silence, le bruit du vent, celui des roues d’un chariot, le piétinement des bêtes.
Une écriture de murmure, où chaque bribe de souvenirs laisse entrevoir le mystérieux comme un coup de vent qui soulève le bas d’une longue jupe sur la bottine d’une femme, révélait la grâce d’une cheville.
« Le passé est un autre pays... »
Le 19ème siècle dans le Roggeveld, le vécu des non-dits, comme une braise qui couve au cœur des êtres, « Cette vie » de lambeaux de mémoire, celle qui tâtonne et fouille son passé, avec des sursauts, des élans, des retombées, comme une flamme dans l’âtre d’un foyer…celui qui fut le sien et qui va s’éteindre avec celle qui se meurt.
Ultime lueur sur un vécu…
« Etait-ce délibérément que les voisins ont recommencé à nous éviter après tous ces événements, ou bien ne se sentaient-ils pas les bienvenus chez nous ? »
« Les mots ne servent plus à rien désormais, et l’on ne refait pas le passé… »
Fin d’hiver dans le Roggeveld « lorsque les fleurs sauvages, seul luxe qu’ait jamais connu ce pays de misère, surgissaient soudain dans la lumière crue et le vent froid du printemps hésitant. »
« J’étais seule souvent, et peu à peu au court de mon enfance, la solitude pour moi devint une habitude. »
Une chanson entendue dont remontent les paroles :
« La tristesse et la douleur
Oh, la tristesse et la douleur
La plante qui m’en guérira,
Elle pousse près de la source. »
« Je restai à l’écouter…ce n’était qu’une des nombreuses chansons que Gert fredonnait en permanence en travaillant… »
L’arrivée de Sofie : « Tu es ma petite sœur maintenant ! Elle ne devait pas être beaucoup plus âgée que moi, bien qu’elle fut déjà mariée… » « …dans la chambre il fallait allumer une bougie et Sofie, penchée devant le miroir où elle était en train d’attacher ses cheveux, se retourna vers moi ; dans le demi jour, dans l’ombre, dans l’obscurité de l’eau noire d’un lac, empêtrée dans les plis étincelants de sa lourde robe de satin noir, sa robe de mariée, quelle portait pour la première fois chez nous ce soir là, et tendit les deux mains vers moi. « Petite sœur viens m’aider » murmura-t-elle les yeux brillants d’excitation comme si elle désirait partager un secret avec moi, mais tout ce qu’elle voulait, c’était que je lui attache son collier de perles autour du cou, des perles aussi noires que sa robe qui miroitaient faiblement à la lueur de la bougie. « Ce sont des rubis »…me dit elle, chuchotant toujours… »
« Je n’avais rien vu d’aussi beau… »
« Je ne voulais pas savoir encore… »
« Jacomyn, née à l’époque de l’esclavage était devenue la domestique attitrée de Sofie…elle dormait tantôt dans la cuisine avec la vieille Dulsie, tantôt sur un petit tapis au pied du lit de Sofie… »
« Personne ne m’avait rien dit ou expliqué… »
« J’accomplissais mes tâches sans me poser de questions, sans attendre la moindre explication… »
Dévidement de mots, de confidence proche de la monotonie dont la beauté de la prose soutient l’attention, avec simplicité, sans fadeur, dans l’effleurement de petits détails : filet dorée d’une porcelaine de grand-mère, une neige d’hiver, un troupeau de mouton, des chacals… Un vol de vautour dans un ciel… Le mystère qui se dérobe au détour d’une phrase…
« Que savais-je de la vie a quarante ans ? »
Tant de pudeur dans cette intimité qui se révèle au crépuscule de « Cette vie », que c’est à peine si émerge la conscience de la souffrance tant elle a été enfouie dans l’intériorité des conflits que l’approche de la mort autorise.
« Je me souviens que c’était la fin de l’automne, qu’il faisait très froid, que j’était allongée les yeux grands ouverts, contemplant le clair de lune…
Je sais que je suis restée longtemps étendue ainsi à peser le pour et le contre sachant que c’était là ma dernière chance de fuir cette maison endormie… »
« A la maison comme je l’ai dit, lorsque j’étais enfant, nous n’avions pas de miroir, aussi n’avais-je jamais eu l’occasion de voir mon visage. Dans les dernières années, je réappris à vivre sans miroir – je n’en n’avais d’ailleurs nul besoin, car je savais trop bien à quoi je ressemblais… »
Ce livre publié aux éditions Phébus a obtenu le Prix du meilleur livre étranger.
Karel Schoeman l’auteur de «La saison des adieux », « Retour au pays bien-aimé », « En étrange pays » et de tant d’autres œuvres, a reçu des mains du Président Nelson Mandela en 1999 la plus haute distinction Sud – Africaine. En dépit de la reconnaissance de son talent et des multiples récompenses, il demeure toujours ce marginal solitaire et sauvage qui fuit interviews et photos, dans le vieillissement et le dénuement.
Hécate.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Karel_Schoeman