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2 juillet 2009 4 02 /07 /juillet /2009 09:43

«Les Hauts de Hurlevent»

Résumé du livre d’Emily Brontë

 

 

Une dédicace toute spéciale pour Iougenaie...

 









            « En lisant l’histoire d’Heathcliff, on ne peut s’empêcher d’imaginer combien Emily Brontë a dû lacérer son âme pour créer cette terrifiante figure. Heathcliff qui n’a ni de père, ni de mère, ni même de prénom, devient l’incarnation de la fureur qu’Emily Brontë devait refouler dans son cœur. »

John Cooper Powys

 



            En revenant d’un voyage à Liverpool, le père de Catherine et d’Hindley rapporte dans son manteau de voyage, un petit sauvageon ramassé dans une rue, à la place de cadeaux promis. Il ne se doute pas que celui qu’il nomme Heathcliff et qu’il prend en affection va semer trouble et discorde dans sa maisonnée.

 
               D’emblée l’intrusion de cet enfant à la peau brune, aux cheveux de bohémien divise les deux enfants Earnshav. Hindley éprouve une haine jalouse instinctive envers lui tandis que Catherine voit grandir un attachement croissant et réciproque, de plus en plus fort, qui va de pair avec le paysage, la nature sauvage, battue par le vent et la lande tapissée de bruyère.

 

               Se promenant et courant sous le soleil ou sous la pluie, Catherine et Heathcliff oublient tout ce qui devrait les séparer dès qu’ils sont ensemble, tel deux rameaux d’un même arbre. Les habitants du Yorkshire n’ont jamais vu de visage aussi sombre que celui d’Heathcliff : il est l’étranger venu de nulle part.

 

            Plus tard, avec une bizarre insouciance Catherine épouse l’élégant Edgar Linton au teint clair, leur voisin, cédant à l’attrait éblouissant des belles manières et des parures, comme à celui d’une vie conventionnelle. Tout va changer. Heathcliff profondément bouleversé s’enfuit mystérieusement.

 

             Quand il revient, fortune faite, Catherine est malade et enceinte. Fou de douleur, aigri, possédé de rage, Heathcliff séduit Isabelle, la sœur d’Edgar Linton qu’il séquestre et maltraite dès qu’il est parvenu à ses fins. Elle conçoit un fils et se sauve.

 
            Catherine découvre trop tard combien elle s’est trahie elle-même en rejetant Heathcliff, son double, son âme jumelle. Avant de s’éteindre en donnant le jour à une fille, elle le revoit. Dans une ultime étreinte, elle lui avoue que son souhait le plus cher est de n’être plus jamais séparé de lui, qu’elle voudrait le retenir jusqu'à ce qu’ils soient morts tous les deux.

 

            - « Seras-tu heureux quand je serai dans la terre ? » Demande-t-elle. Heathcliff plongé dans un violent désespoir va vivre désormais torturé, refusant d’admettre la disparition de celle qu’il aime par delà la mort. Catherine croyait aux fantômes : il lui semble qu’elle est là, à gémir la nuit, à heurter de ses doigts glacés les vitres de la fenêtre.

 

             - « Le monde entier me rappelle qu’elle a existé et que je l’ai perdue… je ne peux pas vivre sans ma vie, sans mon âme ! Catherine, puisse-tu ne jamais connaître le repos tant que je vivrai… Hante-moi ! Sois toujours avec moi… prend n’importe quelle forme… rends-moi fou !… Ne me laisse pas dans cet abîme où je ne puis te trouver ! »

 

            Heathcliff détruit, va tenter de détruire à son tour en unissant son fils faible et capricieux à la fille de la morte chérie, qui porte le nom de Catherine. Machiavélique mariage qui s’achève très vite par le décès du jeune époux chétif. La seconde Catherine se retrouve donc seule face à son irascible beau-père Heathcliff, devenu presque dès sa réapparition le propriétaire du domaine.

 

            Hindley avait perdu son épouse et sombré dans l’alcool, délaissant son fils Hareton qui a donc grandi sans affection, sans éducation, et qui subi sous l’œil narquois d’Heathcliff dont il est presque la réplique, aussi rustre, aussi sauvage qu’il l’était autrefois, les moqueries de cette Catherine qui sait lire et écrire.

 

            Heathcliff renonce à abîmer plus qu’il ne l’est ce jeune homme, car l’amour qui va éclore entre lui et la très jeune femme le surprend. Le Destin a tourné… Heathcliff a réussi à lier les deux domaines qui n’en font plus qu’un… tout ce qui était interdit ne le sera plus pour ces deux jeunes gens qui s’aiment.

 

            A travers eux, Heathcliff retrouve ce qui l’unissait à Catherine Earnshav…une continuité de ce quelque chose qui unissait leurs deux âmes que la fatalité avait vainement tenté de séparer, en brisant leur corps de douleur… Heathcliff étrangement apaisé, accepte la fin de son enfer… il va pouvoir rejoindre au tombeau le corps de l’aimée. Terrible et triomphante victoire ! Heathcliff est enseveli à son tour.

 

            « Mais les gens du pays, jureraient sur leur Bible qu’il se promène. Certains parlent de l’avoir rencontré… près de l’église et sur la lande. » Un jeune garçon qui promène une brebis et deux agneaux est en larmes. Interrogé, il dit en sanglotant – « Ya Heathcliff et une femme là-bas et je n’ose pas les passer. »

 

            L’amour de Catherine Earnshav pour Edgar Linton avait été comme est le feuillage des bois ; le temps l’avait changé, comme l’hiver change les arbres. Son amour pour Heathcliff était pareil aux rocs éternels du sous-sol, source de peu de joie visible mais nécessaire.

 










             
– « Je suis Heathcliff avait-elle dit. Il m’est toujours présent à l’esprit, non comme un plaisir pour moi-même, mais comme mon propre être ! »

 















 

            En 1992, Lin Haire – Sargeant professeur à l’université de Boston aux Etats-Unis, admiratrice de l’œuvre d’Emily Brontë lui rend un vibrant hommage en écrivant « Heathcliff revient à Hurlevent », un roman qui tente d’élucider les trois années d’absence mystérieuse de ce même Heathliff.






                                                                  Hécate

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17 mai 2009 7 17 /05 /mai /2009 09:54




Gabrielle Wittkop


"Sérénissime assassinat"

 

 

 




           
Voici un livre où se reflète tous les enjôleurs et les malsains plaisirs de Venise au XVIIIe siècle comme autant de jeux de miroirs où s’imbriquent toutes les figures masquées.







            Bien évidement, Gabrielle Wittkop prévient :

            « Dans cette métropole des mascarades, du mouchardage et de la délation, les veuvages d’Alvise Lanzi s’intriquent mystérieusement. »
            

            Le poison déjà avancé, putréfie les corps sous les parures. Il ne manque ici, pas un velours, pas une fraise, pas une folia de Corelli, pas un miséréré nobis, Dominé, pas un roucoulement, pas un borborygme d’agonie, pas un clapotis d’eau et pas même le craquement du parquet de la bibliothèque d’Alvise Lanzi : Elégies de Tibulle, Platon en dialecte Vénitien, l’Arétin et de Buffon. « Les livres sont la porte du large, l’échappée ».

            On étouffe dans le palais d’Alvise, on suffoque dehors dans la brume des canaux.

            La Mort à Venise… est une fatalité, une banalité.


           
« La nuit les chandelles pleurent leur cire jaune sur les chapeaux».

            Dans les tripots, les cafés, les beaux esprits, les aventuriers et les escrocs rient bavardent. L’ombre de Casanova, va et vient, elle se glisse discrètement.  On glisse à Venise, plus qu’on ne marche…

            La morbidezza est ici une apogée, les cadavres ne sont pas délire d’imagination. L’élégance raffinée  du poison… « Il arrive qu’on surprenne la lame acéré d’un regard. »

            Ce n’est point le regard qui tue…


           
Les fleurs sont… pernicieuses, la datura qu’on nome herbe – au – Diable, le relent putride de la mandragore, la lugubre digitale et la renoncule scélérate ; manque – t – il  la ciguë, l’aconit, mais non ! On apprend ici, sur la Botanique bien des recettes…

            Alvise Lanzi est beau encore, cinquante trois ans, des mains fines comme celles d’une femme. La perruque ajustée cache ce qu’il ne convient pas à un visage aux yeux gris changeant comme la lumière.

            Alvise est veuf.

-         Signor votre femme est morte.

-         Encore ? !

            On meurt de tout et de rien à Venise. Certains pour avoir mangé des ormeaux qu’on croit pouvoir impunément manger en hiver…

            Alvise… Cet homme est plus insaisissable que certaines figures de ces romans anglais d’aujourd’hui fort à la mode.

            Alvise s’acharne à épouser. Est-ce cela, être plus fort que la mort ?

            Les mésalliances ne sont pas rares. Alvise… Il se souvient de funérailles et de fiançailles. Il calcule au jugé la longévité humaine. 
 


            Gabrielle Wittkop compose avec un glaçant humour des plus sérieux, tout ce qui se décompose ou se décomposera. Une écriture au stylet empoisonné, luxueuse, abondante, étrécie comme un œil d’espionne.





           
Un chuchotis de malveillance, une surabondance de tissu, Alvise Lanzi fait le commerce des étoffes, et les hommes portent des habits couleur rose morte. Tout un programme !

            Une scène se déroule aux couleurs sourdes comme celle du rêve, quelque chose de décisif va survenir. Quelqu’un parlera inconsidérément.

            La future épouse d’Alvise, qui ne le sait pas encore, est Louisa Calmo, une courtisane, une théâtreuse malchanceuse en robe souffre cruellement joncée, la chevelure libre jusqu'à la taille, coiffée d’une grande calèche à volants que retient sur la nuque une coque couleur d’ardoise.

            Le siècle des lumières, mais oui ! N’en doutons pas. Pas celui… de l’électricité ! 
           
             
Comment ne pas penser à William Beckford écrivant dans son Voyage d’un rêveur éveillé :

             - J’aime cette étrange Venise. J’y trouve chaque jour quelque nouvel intérêt en vagabondant sur ces canaux innombrables. Une seule chose retient mon imagination…c’est la puanteur nauséabonde, que même les cierges brûlant devant les hôtels ne parvient à absorber. Oppressé par cette atmosphère délétère je vais…respirer les brises fraîches qui soufflent de l’Adriatique.


           
William Beckford qui pleure en jouant un air de Jomelli sur un clavecin… Beckford à Burano dans un église dont le bénitier le fait s’exclamer : l’envie vous saisit de remplir ce récipient de sang de chauve – souris et de l’offrir au Sabbat. J’aurais ainsi honoré ses sorcières…

      

            Venise le masque de l’Italie a dit Byron qui ajoute L’amour dans cette partie du monde n’est pas une sinécure.


           
L’auteur a voulu une forme essentiellement visuelle ; elle a fait appel aux tableaux de Pietro Longhi, de Francesco Guardi et de Tiepolo. Cette ville, Venise où même les morts sont plus lourds qu’ailleurs.

     


            Le cimetière de San Michèle est sur une île. L’île des morts ô combien inspiratrice aux peintres par delà le 18ème siècle. Quoi donc hante ces lieux-là que Böcklin peindra pas loin de neuf fois sous différents angles ?




            La lumière est une gloire baroque a écrit Gabrielle Wittkop  dans un autre livre Chaque jour est un arbre qui tombe parlant encore de Venise. Tout canal devient couleur de l’Hadès. Venise est érigée sur des arbres, est-il nécessaire de le remémorer ? Venise debout, triomphale Sérénissime, comme sur autant de phallus où s’empaler ! Eros et Thanatos…

            Se marier, serait-il épouser la Mort, pour Alvise ?

            Quoi donc suggèrent les veuvages répétés d’Alvise Lanzi ? Que l’amour meurt ? Qu’il renaît sans cesse ?

            Bien étrange enquête que celle menée par Gabrielle Wittkop, la narquoise, l’inquiétante…

            

            Lascivité et indolence… Ombre et clair de lune… Astre doublement mort, noyé dans le reflet des eaux bitumeuses…

           

            Il faut entrer dans Venessia sur la pointe des pieds comme à une séance initiatique a dit Amin Maalouf. Venùlula, Venùsia, ville – femme, ville – déesse, ville – sorcière, ville – prostituée…

           




Soie, laine, pourpre et bijoux : caravanes pour les prêtresses du soleil.

Myrrhe, ambre, encens, huile de cèdre et henné avec les chanteurs,

les acrobates et les comédiens viennent de Baalbek

 

Aàh ! Venessia…Aàh Venùsia.

 

Un jour, aux portes de l’Orient

à Venise

à nouveau

j’en ai fait la rencontre.

 

a écrit Abed Azrié qui a composé une suite pour un ensemble instrumental et voix sur un poème d’Andrea Zanzotto dédié à la divinité féminine Vénitienne. Je livre quelques bribes de ce chant qui me semble être l’écho lyrique, sensuel, fusionnel des évocations de Gabrielle Wittkop :

           

                        La grande mer ne t’enserre plus

                        Les grands marais par toi sont inondés

                        Emerge, dragonne d’argent, magicienne.

            Aàh Venise aàh Venaga aàh Venùsia

           

                        Jeune aguicheuse,

                        Allumeuse et traîtresse, prédestinée :

                        Epouse et mère, belle-fille et marraine

                        Sœur et grand-mère, fille et belle-mère

                        Oins-toi,  laisse toi aller, exhibe-toi

                        Nous pour toi, toi pour nous.

            Aàh Venise aàh Venòca aàh Venùsia

 

                        Mais qu’est-ce qui t’ensorcelle,

                        Mais qu’est-ce qui te retient ;

                        Tu n’es qu’une vulve qui fornique,

                                            

                        Nous t’ordonnons, dans la sueur et le labeur,

                        De t’ouvrir à qui sait te prendre

            Aàh Venise aàh Strùssia aàh Venùsia

 

 

            Dans Sérénissime assassinat on se concerte à voix basse sous un plafond de Véronèse :

 

-         Il est certain qu’elle l’ait gagnée par magie

-         Enchantements, maléfices…

-         Il existe certain faits tendant à confirmer ce que nous suspections…

-         Les propos les plus impies…

 

… Alvise Lanzi se conduit comme s’il avait perdu la raison. A son âge… Ne croyez surtout pas que je juge la Calmo sur les amours de sa vie passée qui n’est pis ni meilleure que celle des autres.

 

            Luisa Calmo est odorante, sueur, musc et poussière. Un bras très blanc. Tavelé comme un œuf de dinde. L’aisselle barbue.

           

            L’inaudible percussion d’un gong résonne dans tout l’être vibre et vibre et vibre dans les veines du sexe.

            Des souliers sont jetés dans un coin, comme ces rats morts qu’on voit gésir à l’angle des rues. Mules au nez aurore ou réséda, velours pelé, boucle ternie et, obliquement éculé, le maroquin déchiré d’un talon, de luisantes usures, des cuirs sauris par la sueur, des affaissements, de molles défections.

 … Soie, sueur, batiste fripée, toison rousse. Tel est le fruit de la passion d’Alvise Lanzi. Il s’appelle Luisa Calmo. Il sait que sa fringale d’elle s’apaisera. Caprice passionnel. Luisa Calmo ne sait rien, ni personne retenir. Mais son noir prestige, sa vicieuse aura et peut-être même l’impériale et douloureuse couronne le nimbe d’une fatalité qui malgré ses veuvages sériels lui manquaient encore.


            L’angoisse participe à l’amour. Alvise est angoisse. A s’évanouir. Et l’auteur de resserrer l’étau : à Venise on s’évanouit aussi quelquefois sans laisser de trace, comme fond un morceau de sucre dans l’eau.






            Un livre bref, anecdotique, dont les multiples tableaux n’en finiront pas de s’animer sous les paupières closes, automates, pantins de soie, frissons de dentelle, araignée glissée dans un gant. Sursaut. Fièvre. Stupre. Débauche. Complots. Carnaval débridé et fantomatique. Convulsions. Poisons. Et la mort atrocement présente déverse ses purulences.






            Un soupçon ? … Del Amo nourri à la prose de Gabrielle Wittkop ? C’est certain… L’éducation libertine en est estampillée.


            Chaque vivant se nourrissant des morts, Gabrielle Wittkop (1920 / 2002)  éblouie par Sade s’est abreuvée à l’univers de Poë, de Lautréamont et de Villiers de L’Isle Adam, mais je ne puis que conseiller de consulter l’hommage extrêmement pointu  et passionnant que lui a consacré Irma Vep dans le blog « Le VAMPIRE RE’ACTIF », et signaler le travail de Nikolas Delescluse « PALUDES » grâce à qui, la plupart des livres de Gabrielle Wittkop sont édités. Quelques rares bijoux noirs sont encore introuvables.

 

Hécate.

 

Blogs à consulter :

Irma Vep http://vampirereactif.canalblog.com/archives/2008/12/22/11810043.html

Nikola Delescluse http://blog.gabrielle-wittkop.fr/

 

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1 mai 2009 5 01 /05 /mai /2009 18:28


                
L’Amant des morts.

 De

 Mathieu Riboulet

 

 

         « Le père, de temps en temps, couchait avec le fils. La mère ne voyait pas. Il fallait en finir avec les lois de la besogne, mais ça recommençait toujours. »

         « Le fils, de temps à autres, couchait avec le père. La mère ne voyait rien. Il fallait répondre, et ça ne cessait pas. Les élans adulte, brusques du père avaient éveillé au creux du fils un écho aussi obscur qu’ancien d’animalité, un besoin de sueur séchée, de salive et de sperme venu du fond des temps. C’était effrayant mais souverain. »


        
« Ainsi allaient les nuits, marquées du sceau de leurs rencontres muettes, occasionnelles, de l’effacement du corps du fils sous la brutalité désordonnée des agissements du père. L’un et l’autre, semble-t-il aimaient ça. Comme ils aimaient, sans doute, le silence persistant de la mère où s’ensevelissait leur étrange équipage. »

 

         Le décor est celui de la Creuse. Le monde des bûcherons. Il y a la rudesse. Il y a le silence. Et les pulsions.

         Mathieu Riboulet reconnaît qu’il n’a plus aucun rapport avec l’agriculture… mais qu’il a été nourri par le regard de son père sur l’architecture locale et sur les bêtes et les pâtures par les paysans qui l’ont hébergé enfant. (Il s’est exprimé sur cela dans « Le matricule des anges » d’octobre 2008).


        
Mathieu Riboulet use d’une écriture minutieuse, dense, précise, presque détachée… l’austérité n’a d’égal que les scènes qui se déroulent comme autant de froide lumière sur ce qui s’accomplit comme une nécessité incontournable, celle des instincts, celle du sexe. Ne dit-il pas : « - Encore une fois, le corps me paraît être une sorte de réceptacle et de creuset pour une quantité infinie d’expressions. Tout ce que le corps exprime et qu’on ne dit pas, c’est un réservoir infini. »

 

         Il y a Gilles, le père…

         Il y a Jérôme, le fils…

         Il y a Elizabeth, la mère… « elle n’avait pas du tout la vie dont elle avait rêvé, petite fille, à Paris, jeune femme moins encore. Mais elle avait appris à s’en moquer, à n’en concevoir aucun regret. »


        
Et toujours, à propos d’Elizabeth, la mère : « depuis quinze ans, elle était la femme d’un homme qui la trompait, y compris avec des hommes sans que cela ternisse l’attachement insolite, solitaire, impartagé qu’elle éprouvait à son endroit – un homme auquel elle avait sexuellement allégeance au mépris de ses convictions sans que cette contradiction la trouble. »


        
Puis, vient la découverte des rapports du père et du fils : « Elle vomit  en deux heures tout ce que, depuis quinze ans, elle avait avalé de cet  homme. Le monde se renversa et la lumière blafarde et crue qui s’en échappa pour se répandre sur la scène du père au lit du fils la plongea dans une sidération dont elle craignit un instant ne jamais parvenir à s’extraire… Incapable de déchiffrer ce qu’elle avait sous les yeux, menacée d’éclatement, soumise à des réflexes purs, elle partit pour toujours. C’est à peine s’ils remarquèrent son départ. »

 

         « Par-dessus tout il y avait ce pays trop grand qui inspirait des désirs trop grands condamnés à se briser, se noyer, à s’ouvrir dans une démesure que seules la psychiatrie et la justice, parfois les deux, avaient entrepris de nommer. »

         «On en était là. »

         Cette phrase brève, revient et ponctue le roman. Comme une litanie. Comme une fatalité. Un constat.

Jérôme, le fils ne s’interroge pas, il traverse des jours terribles… sans une plainte, disponible à être dévasté. La vie suit son cours. Il obtient son BAC.


         « Il se donna au premier venu qui se baissa pour le ramasser… ce n’était guère aimable, mais voilà c’était l’amour. L’amour isolé, dérobé. »

          C’était mieux que ce qu’il vivait avec le père, incapable de regarder son fils comme de cesser de le toucher.

         Jérôme va partir un matin d’octobre. Lui et son père ne vont pas se revoir.

 

         Paris 1991. Jérôme a vingt ans. Un corps qui se dessine, se façonne, s’ébauche dans son devenir. Métamorphose commencée à Toulouse, une pensée réduite occupé de préserver les conditions du secret.

         « La vie est rarement calme pour qui a entrevu le grand gouffre du désir, n’a d’autre choix que de s’y laisser glisser dans l’attente d’un anéantissement souvent long à venir. »

         Il y a l’inattendu, le ravage que son ambiguïté fait auprès des jeunes filles.

         A Toulouse un chauffeur de taxi lui a murmuré. « - je sais bien ce qu’il te faut, à toi, je sais bien… »

         Jérôme se laissera aller à la docilité, lui, dont le corps est si prompt à la dérobade.

         « Bientôt il se donnerait à peu près à n’importe qui… »

         « Voilà, c’était l’amour. Quoi d’autre ? Pour Jérôme, rien qu’un peu de commerce dans la journée pour oublier les risques insensés de la nuit. »

 

         Bien évidemment, je n’édulcorerai pas tout de ce roman… il y a aussi deux femmes, les tantes de Jérôme qui vont l’héberger. Car Jérôme a débarqué chez ces deux… veuves !

         « La mort déjà est passée par là. Une chambre de bonne. Dans un immeuble de tantes… » « Au lieu de mettre son neveu dans son lit, Constance déposa donc sur le sien une boîte de préservatifs. »

         Mathieu Riboulet est caustique : « tous les pédés de France sont à Paris. Pour n’être pas une stricte vérité statistique, la chose n’en est pas moins vraie. »

         Un humour noir pêché dans la réalité des années SIDA. « On a beau nous vouloir bovins, on en est pas moins homme à s’alarmer de ces souffrances étrangères auxquelles il est impossible que rien ne nous rattache. »

 

         Un matin, Jérôme entre dans une église, « l’odeur d’un homme encore sur lui et le regret comme d’habitude de n’être pas mort dans les bras du type. »

         Un chœur de femmes… une voix s’élève. Jérôme ôte sa chemise et s’étend sur le glacial dallage. Il pleure sans s’en apercevoir. La mort profile son spectre. La mort est partout. « Partout on mourrait ».

 

         « Jérôme travaillait à sa perte, il n’y pensait jamais. »


        
«Toujours il devait ainsi se pencher vers le sexe des hommes, leur faire la place qu’ils méritaient car c’était là qu’était le monde,  là qu’étaient sa promesse, sa joie, ses aveux et ses larmes, dans l’infini silence d’une allégresse archaïque, dans le renoncement consenti aux gloires passante des bataille ou de l’art.»
 

         «N’être rien d’autre qu’une fille perdue, déshonorée par son père, qu’on prend et puis qu’on jette, l’être avec la joie et la force qu’on puise dans la violence des abandons, ne pas s’en laisser conter par le remord ni la morale. N’être rien, en être là. Jérôme en serait là pour longtemps. On en était là avec lui. »

 

         Jérôme est un jeune homme qui a un métier. Il parle comme il a appris à parler. A parler pour ne rien dire. Persuader les autres qu’ils ont entendu quelque chose.

         « Il passe pour un garçon bien élevé alors que c’est une fille de rien qu’on peut avoir comme ça. »

        

         « Jérôme ne savait pas très bien ce que signifiait avoir des amis… D’autre part, il n’avait pas non plus d’amants. »

         Et il semble clairement, que Jérôme ne veut pas avoir de ces liens-là. L’onde de choc de son enfance est en lui. Encore. Sa vie quotidienne s’écoule dans un cadre de vie de confort relatif. Indépendance de par son travail, repos affectif avec ses tantes, les sœurs Mondeville. Les nuits contrastées d’avec les jours. Sans s’interroger.


        
« Mais il arrive que les choses changent… En quelques jours la vie se transforme, il suffit pour cela d’un mot, d’un mort, ou d’un silence. »

         « Ce n’est pas dans l’insouciance qu’on oublie la violence, mais dans la perte. Une existence réglée et attentive y mène bien mieux et plus vite que le désordre supposé de l’imagination, de l’âge ou de l’instinct. »

 

Le troisième chapitre du roman s’intitule :

 « Délivrez-nous du mal ».

 

         Une prière qui tombe dans l’escalier de service, dans un rauque cri d’écroulement. Un garçon de vingt ans ! La Biquette, la beauté en fleur, la fleur de la mort en son corps, éclosion de purulence.

         « C’est Jérôme en rentrant de sa chasse nocturne qui tombe sur la jolie bête au pelage souillé, terni… »

         Jérôme, qui dans un geste irréfléchi et dont la stupeur durera, car il n’en reviendra pas plonge ses mains dans la fourrure, charge l’animal sur son épaule, l’arrache à son désastre et le hisse sous leur toit.

 

         « C’est l’amour. Et nous n’en reviendrons pas, le temps qui passe jamais ne nous délivrera de cette stupeur qui nous a décimés, toujours nous aurons un pied sur ces marches, à nous demander comment nous avons survécu, comment il se fait que nous portions encore la main à nos sexes ? »

 

         Délivrez-nous du mal ou comment Jérôme devient l’amant des morts. Il avait mis deux ans à se transformer, à être moderne, deux ans à s’offrir… à obtenir : « la reproduction à l’infini du plaisir initial, tout délétère qu’il eût été… »

         Une vie bouleversée… des gestes d’amant, avec celui dont on n’est pas l’amant. Celui dont l’esprit animal, subtil, affolé lutte encore avec la peur…

 

         « Vivre seul, passe encore ! Mais mourir ! »

 

         Le jour de l’enterrement, Jérôme va s’en aller.

         Et il y aura la rencontre avec Axel en mars 1992. Chapitre IV.

 

         « Ils furent l’un pour l’autre, d’emblé une évidence… un type en permanence au-dessus de lui-même, exactement ce qu’il fallait à Jérôme. »

         « L’arrachement du plaisir au désespoir… » l’ultime descente en l’autre, où les mots s’abolissent dans la violence des pulsions, de l’oubli des heures par-delà les gestes du quotidien, se laver, se raser… Tout étant abstraction et retour aux ravages de l’instinct et de l’instant, au-delà de l’humiliation. Abdication de l’être conscient, se livrant à sa primordialité. Abandon absolu, et violence des pulsions. Combat et partage. Gémissements, odeur, force, muscles. « Insouciants d’être compris puisqu’ils l’étaient. »

         « Ils en étaient là. »

 

        « L’amant des morts »  un office des ténèbres… le chœur des morts, un lamento de fièvre et de glace, où la trivialité d’un mot n’est que la trivialité d’un rapport brut, dépouillé. Une rigueur mortelle. Jouir de la vie menant à la mort, comme un jour sans jouissance est un jour mort.
 

         Un linceul étendu sur la joie d’aimer. Qu’être, sinon l’amant des morts, ultime célébration de vie ? Mathieu Riboulet murmure à notre oreille, ce qui fait mal, ce qui dérange… Une voix proche et lointaine à la fois. Un livre qui donne le frisson…un frisson qui ne va pas jusqu’au bout. Le constat de la Mort est si présent, qu’elle prend la place de la Vie.
 

         La page refermée pèse le poids d’une dalle funéraire. 91 pages qui mènent au cimetière…le cœur haut, le crêpe noir épinglé.

         Une ultime étreinte, un spasme moribond. Regarder la mort en face, son abject et sublime délitation par-delà bien ou mal. Une noblesse de samouraï. Une école de la chair sans diplôme… Regrets, non éternels… Aimer jusqu’à extinction.

         Certains combats semblent perdus d’avance…

Hécate.


Editions Verdier 2008

Du même auteur :

Deux larmes dans un peu d’eau, Gallimard, « L’Un et l’Autre », 2006.

Le Corps des anges, Gallimard, « collection Blanche », 2005.

Les Âmes inachevées, Gallimard, « Haute enfance », 2004.

Le Regard de la source, Maurice Nadeau, 2003.

Quelqu’un s’approche, Maurice Nadeau, 2000.

Mère Biscuit, Maurice Nadeau, 1999.

Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, 1996.

 

Pour en savoir plus : http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=59587
  

 

 

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15 mars 2009 7 15 /03 /mars /2009 15:28

         Pierre Combescot

 

"Pour mon plaisir

et ma délectation

               charnelle. "

 

 

            Certains lieux nous marquent. Certains livres nous interpellent, nous renvoient vers le passé. Tel celui-ci de Pierre Combescot, écrivain dont je n’avais lu aucun livre, qui vient de publier « Pour mon plaisir et ma délectation charnelle ». Tout un programme !

           
           

             
               
Si ce n’avait été le bandeau rouge sang ceinturant le livre avec la mention
                                                         « GILLES DE RAIS »
serai-je entrée acheter ce roman ? Pas si sûr !

            Et si je n’avais, dans ma très petite enfance fréquenté au hasard d’un été lors d’une tournée familiale de visites de châteaux de Touraine et d’Anjou, l’un des fiefs de ce maréchal de France me serai-je penchée sur ce « Barbe Bleue » popularisé par la plume de Charles Perrault pour le plaisir des enfants et des psychanalystes ?

            Autant de questions qui resteront ici sans réponse.

 

Comment parler de ce court roman ? Difficile en effet…

 

             D’abord quelques lignes sur l’écrivain dont Jérôme Garcin prétend que « les bons sentiments l’assomment et la cruauté l’excite, et qu’il est normal que l’homme en vînt à s’acoquiner avec le plus noir des barons, le plus pervers des Maréchaux de France ».

 

            Je reviens donc à mon domicile le livre sous le bras et découvre qu’un hebdomadaire non lu encore commentait la sortie du dit roman !

            Donc là encore, nulle influence, si ce n’est celle du souvenir de cette enfance dont la fraîcheur n’a guère d’égal que la noirceur des ruines de Champtocé où se posèrent mes innocents pieds enfantins !  Excès de bleu dans le ciel, excès de broussailles, de ronces, de lierre dévorant des pans de murailles, une tour éventrée comme ouverte par une épée rageuse, une herbe raréfiée…

            Ce n’était pas la fébrilité du tourisme actuel. Champtocé était comme hors du temps. Un gamin dépenaillé pour quelque monnaie conduisait les curieux par un sentier étroit jusqu’aux ruines.

 


           Dès les premières pages Pierre Combescot narre la conduite au supplice de Gilles de Montmorency-Laval, comte de Brienne, baron de Rais, maréchal de France par un matin du 26 octobre 1440. 

            « Il assume crânement son destin. De la foule qui l’accompagne en procession monte des chants et des prières. Nul cri de haine mais une compassion générale. Chacun prie pour l’âme du maréchal. L’admirable vertu de la mort commence à opérer. « Pardonnez-lui, Seigneur, frappez-nous plutôt ». Ce fut un tueur d’enfant, un pédéraste, un sodomite, une bête enragée ; il eut de grands vices mais n’en n’appartient que d’avantage à notre pauvre humanité. »

           

            Pages élégiaques d’où s’élèvent les brumes du matin qui errent sur les domaines du condamné.     « Et derrière les épaisses roselières le Grand Lac où enfant il allait se baigner l’été à l’heure où les vapeurs du soir rendent les choses indistinctes, entraînant à sa suite des pages pour leur apprendre des jeux impudiques. Il avait joui d’un grand prestige, grâce à une virilité bien au-dessus de son âge qu’il exhibait avec cynisme.

Il hume les embruns iodés qui lui arrivent de l’ouest et, lentement, il se réveille de son mauvais rêve. De l’envoûtement qui l’a poussé dans le crime.

           Quand cela prit-il son monstrueux essor ? Tout ce sang répandu pourquoi ? Il n’eut su le dire. Cela lui paraît à présent si loin, d’une autre vie. Celle d’un monstre, disent-ils. »

 

            Il est facile de fracasser un souvenir, plus difficile de faire surgir cet étrange Gilles de Rais, quand l’imaginaire a devancé depuis longtemps la plume d’un auteur.

            Hors, s’il y a fort fracas dans ce roman, c’est celui des armes, des armures. Un tourbillon de couleurs, celui des étendards. Des piétinements de chevaux. Des cris. Des odeurs. En trois lignes, un coursier tombe, une jugulaire s’ouvre. Le sang coule et puis cinq mille chevaliers jonchant déjà le sol.

            On est étourdi.

 

            Les pages blanches sont devenues l’écran noir d’un film qui se déroule à une cadence haletante. A peine si la mémoire retient tant de noms tant ils pleuvent en avalanche.

            Né à Champtocé  Gilles de Rais grandit dans toute cette fureur d’alors. Le rythme du roman est effréné. Puis une phrase retient, haute, puissante. Une image, un tableau : « Et la Reine Isabeau continue à se farder telle la Grande Prostituée. Ce soir comme tous les soir, elle attend un page à qui elle donnera une pièce d’or et qui s’en ira tout fier se vanter auprès de ses camarades : j’ai baisé la vieille et je l’ai fait rugir de plaisir. La Reine rugit de plaisir et la France de douleur. »      Phrase reprise, comme une complainte d’antan.

 

           

        Puis la mêlée  reprend. Quelques poses, ici et là, qui arrêtent le temps, l’espace s’entrouvre… l’art, en quelques phrases de placer les personnages. « Le Roi s’est dissimulé derrière ses courtisans. Troupe de rapaces lugubres voletant autour de lui comme autour d’un mort avec leurs jupons godronnés, leurs manches interminables leurs poulaines aux pointes menaçantes.

            Gilles est dans l’assistance. Est-ce là une femme ? Non c’est un garçon ? Il est captivé. Le désire-t-il ? Il y a peu de distance entre l’érotisme et la Sainteté !  De ce qui est béni à ce qui est maudit. Il est ébloui. Il est troublé. »

            Gilles a vu Jeanne la Pucelle. C’est le 6 mars 1429 à Chinon.

 

          

            
          Des couleurs à la nuit. De la guerre à la musique. De la musique à la chasse. « Il passe comme l’éclair à travers les landes et les bosquets. Les épines ensanglantent son front. Il chasse à l’épieu. Il poursuit la bête aux torches jusqu’au creux de la nuit. Ce n’est plus le gibier qu’il traque ; il veut sa vengeance contre l’injustice contre le monde entier qui l’a fait comme il est.

            Au matin il visite sa chapelle et fait chanter sa chorale d’enfants. Il a une prédilection pour ces voix d’anges qui viennent atténuer les cris qui montent des cachots des hautes galeries de Machecoul, de Tiffauges, de Champtocé… Ses battues infernales deviennent légendaires.  Ses valets d’écurie, les gardes chasses sont regardés comme des diables. C’est une horde de loups qui passe ».

 

            Oui, Pierre Combescot fait revivre tout de sa plume magistrale. Champtocé… et le reste… Champtocé, cette tour à l’escalier éboulé, où sans rien connaître de Gilles de Rais, l’enfant que j’étais fut saisie par la noirceur des pierres. Les pluies n’avaient point lavé la suie des flammes. On murmurait que Champtocé avait été brûlé sitôt la condamnation du maréchal de France. Je ne sais ce qu’il en fut. Pierre Combescot se tait là-dessus. Je sens encore cette odeur étrange de fumée s’exhaler des pierres… un poids fut sur moi, indicible. Pas la peur. Une gravité, une ombre funeste… Cette odeur de fumée fut-elle inventée ?... Il me semble la respirer encore…

            Pierre Combescot raconte avec une tranquillité naturelle  l’inquiétante ambiance, les cadavres jetés dans les oubliettes que ses hommes de mains doivent retirer quand on vient sans crier gare visiter Champtocé. Combien de cadavres ? Une quarantaine, une cinquantaine le maréchal ne sait plus bien. Un amas de squelettes et de chair putréfiés. On entasse les restes. A Machecoul ou ailleurs on brûle les enfants éventrés, violés, sodomisés.

            Incandescence et ombre. Sang et flamme. Suie et enfer. Un destin. Champtocé, quoi donc a noirci tes pierres ?

            Le garnement qui guidait les rares visiteurs devait charmer le spectre de celui qui hantait peut-être encore ces murailles dans l’insolence du jour.

            Je ne le saurais jamais… Sinon qu’il m’en reste des empreintes profondes.

           

            Pierre Combescot est le magiste qui évoque la démesure d’un homme dont le temps était déjà dans la démesure des crimes, des pillages, des possessions. Alors de là, à devenir possédé par le démon, par le désir…

            « Gilles a beaucoup bu. Le vin est l’un des moyens de dissiper l’idée du néant qui le trouble depuis longtemps. Il se sent vieux. L’ennui de l’âme, au lieu d’apaiser ses passions, ne fait qu’irriter son imagination et ses désirs…

            Le décor de la terreur est planté. Le garçon recule d’effroi. Mais non, cela n’est rien. Et Gilles de le caresser encore… Le garçon s’apeure. Il voudrait fuir. Gilles le retient et lui déchire ses vêtements. Dans un coin de la pièce, tapi dans l’ombre Poitou regarde. Il affûte les couteaux. Il a deviné tout de suite qu’on en viendrait là… »  Plus loin, après ce que je ne cite pas la narration se poursuit : «  Le garçon est à ses pieds, sans vie. Le sexe de Gilles est toujours en érection. Poitou est sorti de l’ombre. Il lui tend un énorme couteau ».

            Pourquoi en ajouter ? Il faut lire le roman. Voir comment ce même Gilles de Rais était un causeur spirituel, un hôte attentif, le raffinement en personne…Il a su faire de Tiffauges, de Machecoul sombres forteresses, des lieux uniques. Les essences de ses jardins sont rares. Les roses y ont un parfum exquis. C’est un délicat notre Maréchal.

 




Tiffauges 




 

           





             188 pages d’effarements, de monstruosités, de Diableries, d’évocations dans les brumes de la nuit. L’or, l’alchimie…

            Et pour apothéose :

             «  Eclatent alors des requiems et des glorias. Vient-il à l’esprit de Gilles à cet instant que lui, l’assassin, est conduit comme un saint à son supplice alors que Jeanne, la Pucelle, fut menée au bûcher en butte aux injures et aux crachats comme une criminelle.

            …Pour mon plaisir et ma délectation charnelle ! »

 

            A quoi il ajouta en sautant du tombereau devant trois gibets dressés :

              « O vous, surtout, dont j’ai fait mourir les enfants ! Par la Passion de Notre Seigneur, je vous en supplie, priez Dieu pour moi. De bon cœur, pardonnez-moi le mal que je vous ai fait, ainsi que vous désirez vous-même de Dieu merci et pardon… »

 

Edition Bernard Grasset

Février 2009.

                                                                                  Hécate.

Œuvres de Pierre Combescot :

  • Louis II de Bavière, Lattès, 1974
  • Les Chevaliers du crépuscule, Lattès, 1975
  • Les funérailles de la Sardine, Grasset, 1986 - Prix Médicis 1986
  • Les Petites Mazarines, Grasset, 1990
  • Les Filles du Calvaire, Grasset, 1991 - Prix Goncourt 1991
  • La Sainte famille, Grasset, 1996
  • Le Songe du Pharaon, Grasset, 1998
  • Lansquenet, Grasset, 2002
  • Les Diamants de la guillotine, Robert Laffont, 2003
  • Ce soir on soupe chez Pétrone, Grasset, 2004
  • Pour mon plaisir et ma délectation charnelle, Grasset, 2009

           

                                                                                             


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25 février 2009 3 25 /02 /février /2009 08:15


Quand le désir est une robe écarlate…

 

            Nombreux sont les commentaires élogieux sur « La robe », le premier roman  de Robert Alexis, aussi ai-je été un certain temps, indécise à y ajouter le mien.

 

            J’ai été amenée à lire « La robe » tout à fait par hasard. J’ignorai tout de ce livre, comme j’ignorai qu’un mystère planait sur l’auteur et que ce mystère interpellait le monde de la littérature intrigué par ce roman absolument étonnant,  comme surgi de nulle part. (Le Soir)

 

            Maintenant il est possible de voir le portrait de Robert Alexis sur le site de son éditeur Corti, de lire l’entretient que lui a consacré « Le Matricule des Anges » d’octobre 2008, au moment où « La robe » sous un nouvel habillage de couverture ressurgissait en collection Points. Le thème y est brièvement résumé :

 

            « Un jeune officier issu de la noblesse embrasse la carrière militaire, mais goûte peu à l’atmosphère paillarde de la caserne. L’ennui s’évanouit par miracle devant une italienne somptueuse déesse des mœurs libertine. L’amour et la fascination l’égarent dans un dédale de perversions inattendues avec pour seule liberté le choix de sa propre rédemption… »

 

            Ce roman est très court. Très troublant. Aucun excès de style, sinon la beauté de l’écriture merveilleusement hors du temps, fluide et suggestive. Vêtu de l’élégance de ses mots, elle séduit et entraîne le lecteur en des lieux où pèse la morne attente d’une guerre qui n’en finit pas de venir. L’histoire de ce jeune officier de garnison réservé qui rencontre une jeune femme très audacieuse ne fait qu’esquisser le début d’une aventure puissamment bouleversante et dévastatrice.

 

            Cette « Robe » est cousue d’une main experte par un créateur qui semble avoir choisi le tissu le plus précieux qui soit : la faille incandescente de la chair où chatoie l’incarnat des fantasmes assoupis dans les vaporeuses draperies de l’inconscient.

 

            Les premières pages qui s’ouvrent sur les confidences d’un inconnu dont nous ne saurons presque rien sont prenantes :

 

            « Je l’avais suivi toute l’après midi. Il n’avait pas cessé de marcher d’un pas lent et égal. Je m’étais insensiblement rapproché de lui. Il se retournait souvent marmonnant à mon adresse des discours inaudible. »

 

            Qui, au cours de sa vie, n’a jamais fait une rencontre presque similaire à celle-ci ?... peut-être bien, mais une rencontre comme celle là, rarement !...

 

            Le lecteur sans qu’il ne s’en aperçoive devient le confident du narrateur, il semble que tout ce qu’il va entendre lui est destiné, indirectement certes et même s’il n’en est pas persuadé, il lui sera impossible de ressortir de ce livre dans l’état où il y est entré.

Certains livres même une fois refermés continuent leur histoire et cheminent en nous, comme autant de réminiscences étranges lovées dans les zones inexplorées de nos pulsions les plus refoulées.

 

            Pas de lieu précis, pas de dates situant le roman, hormis quelques indications d’importance. Le nom de Freud… la brève apparition du dérangeant sexologue allemand Magnus Herschfeld suffiront à éveiller juste ce qu’il faut d’attention le moment venu.

            (A savoir que Magnus Herschfeld faillit être lapidé, qu’en Autriche il essuya des attaques personnelles, des coups de feu et qu’en 1933, les services hitlériens non seulement envahirent sont Institut de Science de Sexologie, mais emportèrent diverses papiers lui appartenant. Herschfeld par chance était à l’étranger ; certains de ses ouvrages furent brûlés.)

 

            Le roman aborde la transgression avec une fermeté rare, plonge dans la sphère des interdits. Le dépassement de toute limite préconisé par Hermann, un singulier mercenaire s’avère être le père de la jeune femme dont s’est épris l’officier, il organise des fêtes où l’orgie et le stupre se célèbrent comme autant de passages obligés pour atteindre la libération des points de retenue édifiés par les lois sacralisées de la morale.

 

            « Nous traversâmes d’autres pièces, toutes le théâtre de scènes fantastique. Je crus vivre l’un de ses cauchemars inexorable qui ne trouve de fin qu’avec un réveil brutal, tout en sueur dans le silence de la nuit. »

 

            Le jeune officier pressent dès cette soirée, qu’un piège machiavélique le cerne de toute part. Quand la transgression devient aussi effrayante que fascinante, le passage à l’acte devient inéluctable. La transgression étant par définition une action qui franchit une limite : « désirer c’est déjà agir ». Hors les propos tenus par Hermann à l’issue de cette fête, ne feront qu’augmenter la confusion des sentiments qui s’empare de lui et ne le quitteront plus.

 

            « Hermann était là, assis sur un banc, il semblait nous attendre. Je m’étonne encore de ses premiers mots, si logiquement placés à la suite de tous ceux que j’avais entendu ce soir là. Il s’adressa à moi, comme s’il m’avait toujours connu : - Chaque homme porte en soi son point de retenue ; voila ce qu’il faut découvrir afin de se libérer… D’abord comprendre !… Puis se débarrasser… Pour cela la manière ne peut qu’être violente… »

 

            Les méthodes sidérantes de celui qui n’est ni un médecin, ni un fou et qui détaille avec détermination toutes les phases d’une cure dont il affirme que ceux qui acceptent cette soumission en dépit de leur répugnance s’en trouve au final tout à fait satisfais, déroutent le jeune officier. L’aplomb de cet Hermann se double d’une force physique peu commune qui le trouble.

 

            « - Je sus avec certitude que l’on ne pouvait entretenir avec un tel personnage un commerce d’égal à égal. Son apparente sollicitude à mon égard devait être calculée ; il cherchait à gagner ma confiance dans un but mystérieux. »

 

            Hermann apparaît ici, comme une sorte de Gurdjieff qui apparaissait encore lui-même 25 ans après sa disparition, comme une sorte de loup-garou cynique, brutal avec ses disciples et ses proches dédaigneux de la vertu. Hermétique et déconcertant, sa critique radicale de l’homme et du monde l’avait amené à balayer sans merci tout le bric-à-brac accumulé dans le penser humain. Sa bienveillance était sans douceur. « Aimer ce n’est pas consoler c’est guérir. Et plus la maladie est grave, plus le remède est violent. » Mais un état de liberté intérieure peut elle appartenir à l’homme ordinaire ? (Citation empruntée à Michel Waldberg).

C’est presque sur cela que repose toute l’énigme de ce roman !

 

            Fortement perturbé par Hermann, le jeune officier songe à démissionner en proie à un malaise indéfinissable. Non seulement, il n’a pas revu la jeune italienne, mais il découvre qu’un complot a été déployé autour de ses amours dont l’instigateur ne serait que cet Hermann qui combat les névroses de l’habitude en des débauches où l’inceste s’ajoute à un usage extrême de la sexualité. Un entretient avec l’aumônier de la garnison va l’édifier sur les transgressions pratiquées par le terrible Hermann.

 

            Fuir... mais n’est-il pas trop tard ?... Tous les éléments du drame ne sont pas encore en place… Une robe va le jeter dans des égarements dont il se défend. Une robe à peine entrevue un soir dans la vitrine d’une rue obscure où il rode, trompant son mal être. Le jeune homme sent battre son cœur éperdument d’un affolement qu’il ne sait nommer. Il n’a pas revu de longtemps la sensuelle italienne dont l’absence le tourmente moins que cet Hermann, disparu lui aussi de la ville. Des bruits circulent. La police suspecterait un riche propriétaire d’être l’instigateur de soirées décadentes que la rumeur diabolise.

 

            La robe va envahir toutes ses pensées, devenir le centre d’une obsession incontrôlable. Il lui faut la revoir. La regarder encore. A peine revue, cette robe prend une place démesurée. Une longue robe rouge.

 

            A quelle femme, cette robe est-elle destinée ? A partir de ce moment, une vertigineuse emprise va guider tous ses gestes. Il ne sera plus lui-même. L’attraction de cette parure s’avère être une jouissance qui défie toutes les formes de pudeur et d’interdit imposées à l’homme.

 

            Quand il le réalisera, il sera trop tard : la robe sera devenue l’ultime piège. Aucun repos tant qu’il ne connaîtra pas l’identité de la femme accordée à cette « pure merveille » la faille rouge qui le fait défaillir… ce n’est que le début d’un amour hors norme.

 

            A-t-on jamais sondé de si près les profondeurs de l’être, les terrifiants délices de se découvrir par-delà l’apparence ? L’identité froissée toute entière dans l’étroitesse du corps…

 

            Le lecteur va blêmir, frissonner, il va être bouleversé, troublé, révulsé peut-être et peut-être enfin qui sait, sera-t-il désolé ou soulagé parvenu à la dernière page, ébranlé pour longtemps par cette robe de faille rouge…

            Quand le désir est une robe …

 

Hécate

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6 février 2009 5 06 /02 /février /2009 21:29


Une éducation libertine
ou
"La tentation d’exister"

De Jean-Baptiste Del Amo

Prix Laurent – Bonelli  2008.

 

Le siècle des lumières a été pertinemment évoqué par deux écrivains sélectionnés par « Virgin Mégastore » lors de la rentrée littéraire 2008.

 

Robert Alexis avec « Les figures » chez Corti.

Jean-Baptiste Del Amo avec « Une éducation libertine » chez Gallimard.

 

Deux romans qui étonnent par leur exploration fouillée de l’intime, leurs atmosphères glauques et oppressantes.

 

         Deux plongées au dix-huitième siècle cauchemardesques et sensuelles que je ne puis que conseiller à ceux qui n’auraient pas encore lu ces livres je les invite vivement à passer de l’un à l’autre comme je l’ai fait moi-même.

 

        « Une éducation libertine »  d’emblée impose toutes les puanteurs de Paris.

 

         Interminablement le début du roman roule ses flots nauséabonds. Il surprend. Il inquiète. Je n’ai pris connaissance de quelques commentaires le concernant qu’après l’avoir lu.

 

         Encensé, parfois critiqué (il ne serait pas à la portée du grand public, ce que je ne pense pas car jamais il ne lasse). On peut douter tout d’abord que le récit ne s’embourbe (tant de fange !) hors il n’en est rien. Point de déception.

 

         On évoque Süskind (Le parfum), Zola (Le ventre de Paris), Balzac et même le Marquis de Sade.

         J’ai retenu une amusante et audacieuse comparaison sur un Blog : « Cioran épousant Anne Rice ».

         Un clin d’oeil sans doute au « Précis de décomposition »,  un autre à « Lestat le vampire ». Pour ma part, dans cet ordre d’idée je dirais que j’y vois « La tentation d’exister », puisqu’il s’agit de l’histoire d’un jeune homme qui quitte sa province dans l’espoir d’une ascension dans la société.

 

         « Gaspard marchait vers la Seine comme on vient à la vie, dépouillé de toute expérience… Face à la ville, des émotions le submergèrent, l’assaut phallique de la capitale déflorait son esprit à chaque pas.

         Gaspard épongea à nouveau son front. Il ne savait où aller, voulant rejoindre la Seine, mais ne pas l’atteindre trop vite… Que ferait-il une fois sur les rives, sinon rafraîchir sa vilaine face ? La chaleur intransigeante le pressait de s’y rendre, de jeter à sa peau cette vase… »

 

         Ces quelques phrases dérobées au roman de Jean-Baptiste Del Amo, vingt six ans, donnent le ton.

Il ne s’agit pas seulement d’une « éducation » mais de la découverte abrupte du désir tentaculaire, d’un apprentissage du pouvoir sensuel.

 

         Le fleuve qui traverse et accompagne tout le roman véhicule toutes les immondices de la nature humaine corrompue par la mort qu’elle porte en elle dès la naissance.

 

         Robert Alexis, Jean-Baptiste Del Amo jettent chacun de biens singuliers éclairs sur l’éveil des pulsions, les dérives de la chair.

 

         Robert Alexis dissèque l’aliénation, cerne la quête identitaire,  traque les déviances du désir. Etienne de Creyst dans « Les figures » est un médecin qui découvre les multiples possibilités de l’humain.

 

         Jean-Baptiste Del Amo, emprunte à Géricault ses sombres couleurs pour dépeindre les méphitiques émanations d’un Paris enserré dans les anneaux monstrueux du Fleuve, présence omniprésente qui obnubile le jeune Gaspard qui vient de fuir Quimper et les laideurs repoussantes de son enfance. Il nous méduse, il nous suffoque et plus encore nous fascine quand il fait surgir dans ce décor crépusculaire l’étonnant Comte Etienne de V… libre-penseur philosophe et débauché.

 

         Deux romans qui semblent se répondre et se compléter. La quête de l’identité est là, palpable, ignoble, acculée, décuplée.

 

         Gaspard est prêt à céder à l’apathie. Entre tentation et dégoût. Entre répulsion et attrait. Hideur des corps, insoutenables odeurs, nausées refluant à la gorge se succèdent jusqu'à l’intolérable.

 

         L’écriture minutieuse, s’attarde, précise, développe sans cesse l’irrespirable, accentue le malaise. La passivité de Gaspard accroît l’horreur de ce qui l’entoure. Irritante latence, odieuse.

 

         « L’homme coupable du crime avait fui, ou on ne l’avait pas retrouvé comme nombre de viols commis à la sauvette. Où, dans cette ville pouvait-il se trouver en cet instant ? A quoi pensait cet homme ? Gaspard s’essaya à pénétrer dans l’esprit d’un violeur supposé. Cette pensée le laissa absolument vide.

         Avait-il fui Quimper pour ce Paris là ?

         Avait-il préféré l’infâme à l’infâme, avait-il quitté la mer mangée de suie pour la Seine, aussi ténébreuse, aussi dévorante ? »

 

         L’ambition serait-elle dans ce roman le prétexte d’un autre besoin plus obscur ? Si cela n’était, les phrases ne seraient pas aussi haletantes, harcelantes, moites comme une chair qui en cherche une autre, inavouable tourment. L’excitation naît de l’ambiguïté entretenue et aiguisée dans un clair-obscur qui devient l’écrin même du désir.

 

         Gaspard subit déjà l’attraction de l’eau, comme celle d’une féminité qui le répugne tandis que l’assaut sexuel du Fleuve l’atterrent et l’attire. Comme Narcisse au bord du miroir, il est happé par le fatal et mouvant reflet dont il pressent l’emprise, il rêve jusqu’à défaillir cet autre lui-même où se transposer quitte à mourir à sa réalité.

 

         Il n’est pas innocent que ce soit une citation de Gabrielle Wittkop qui précède la première page du roman.

 

         « Mais pourquoi parler avec tant d’obstination de ces fressures ?... simplement parce qu’elles sont en nous, le jour et la nuit. »

 

         La morbidité parcourt l’œuvre. La seule lumière qui daigne apparaître n’est autre que celle radieuse qui se dégage du libertin Comte Etienne de V. beau comme un vampire dont la morgue toise les cadavres qui réjouissent sa vue. Jouissance, délectation des vices dont il se pare, comme il pare son corps d’or, de velours et de dentelles.

 

         On peut songer au Comte de Rochester cet autre libertin dont l’imposture et les extravagances ne cessèrent pas même au lit et au jour de sa mort.

 

         Gaspard anéanti découvre le luxe splendide du désir le jour où le Comte entre dans la boutique du perruquier où il est apprenti.

 

         «Ne cherchez pas et vous trouverez ». (Encore une citation de Gabrielle Wittkop qui n’est pas dans le roman, mais elle est si évidente) car Gaspard n’a pas cherché le cynique Comte Etienne de V., l’un et l’autre se sont trouvés.

 

         « L’oubli. Ce par quoi nous périssons ? Ah ! Je vous le dis voilà une des anomalie de notre race ».

         Gaspard ne va pas pouvoir oublier le Comte de V. tout instruit qu’il soit de ses qualités : « Sans vertu, sans conscience. Un libertin. Un impie. Il convoite les deux sexes. »

 

         « Qu’attendait-il du Comte ? Que cherchait t-il vraiment ? Pourquoi ne pouvait-il résister à cette attraction dirigeant sa marche le plongeant dans ce somnambulisme éveillé ? Gaspard n’était sûr de rien, n’attendait aucune réponse… Il éprouvait le besoin suffocant de trouver cet homme, de se livrer à lui et cette nécessitée se localisait au creux de son ventre, logée dans ses viscères. Cet amas incandescent  développait une ramure dans chacun de ses organes. – Faites de moi votre semblable… »  chuchotera Gaspard au Comte de V. à la page 149… le roman n’en compte pas moins de 431 et la tension ne se démentira pas.

 

         « La scène était celle d’un émoi pathétique, d’une déclaration affligeante, mais Etienne parut s’en amuser car il sourit, saisit le bras du jeune homme et le força à se rasseoir : - Bien sûr, il est inutile de préciser qu’à chaque chose va son prix… dit-il sur le ton de la confidence. »

 

         C’est aussi du prix de chaque chose dont il est question dans « Les figures » de Robert Alexis.

         Etienne de V. dans l’aisance de son inclination sans limite pour les plaisirs éveille en Gaspard une abondance de sensations qui vont le livrer aux tourments qui iront croissant.

 

         « L’incertitude était un tison brûlant sans cesse enfoncé dans son ventre. »

 

         Jean-Baptiste Del Amo élabore ses phrases, excite l’esprit, crée un lyrisme violent, putride, aliène l’imagination, ouvre l’œil, aiguise l’oreille, stimule l’odorat. Le lecteur devient un voyeur qui surprend l’accomplissement d’actes sexuels, comme s’il regardait par le trou d’une serrure.

 

         Il parvient même à rendre perceptible les sursauts de la conscience surprise par les impulsions d’un corps dont elle croît détenir le contrôle et qui la dépassent. Accéder à l’essence de sa nature, s’en découvrir dépendant portera Gaspard à un acte irrationnel, celui de la mutilation de sa propre chair. Reprendre possession de son corps, dépasser l’abjection, arracher de soi l’innommable.

 

         Dans la confusion des actes, chercher l’accouchement de sa dualité, l’âme dans l’organique, percer l’irritant mystère de l’être… Qu’y a-t-il par-delà l’apparence ?

 

         La rencontre avec le Comte Etienne de V. ne sera pas sans de multiples répercussions. Il sera plus que dérouté par son comportement. Devenir semblable à cet être qui le comble d’un inouï plaisir, il va en découvrir le prix… mais quel prix !

 

         Bien des événements vont se succéder dans l’existence de Gaspard.

 

         « Quarante mille putains régnaient sur Paris… certaines filles indépendantes se prostituaient durant l’hiver, courues par les libertins que la saison morte ennuyait  mais qui désiraient satisfaire leurs extravagances et non s’enticher d’une courtisane. »

 

         La rencontre d’Emma qui vend son corps, comme lui vendra le sien, illumine la turpitude désespérante de l’hiver où Gaspard tente de survivre.

 

« - Je m’appelle Emma, c’est mon vrai prénom… - Je m’appelle Gaspard. Comme si cette confidence autorisait plus encore leur rapprochement, elle se serra contre lui. Il n’y avait dans cette étreinte ni désir, ni sensualité, seule une communion, une alchimie inespérée… » « L’heure n’était plus aux combats,  Gaspard en convint, mais à la résignation. Cette décision qu’il crut sage annonça sa profonde et définitive métamorphose. »

 

         « Les gestes désincarnés », sans l’illusion d’un peu d’amour ou de tendresse ne vient que renforcer « l’écho d’une colère, d’un indéracinable déni». 

 

         Gaspard revendique son nom s’accroche à un semblant d’identité comme d’autres s’affublent d’un nom d’emprunt afin de la réduire. Devenu de lit en lit, le giton de l’errance, il renoncera à être nommé, à « protéger sa dernière once d’humanité ».

 

         « Fallait-il que des êtres tels que lui, rejetés des hommes, servissent à épancher la lâcheté, l’avilissement d’un monde ?... S’il se défendait d’être la cause que ceux-ci entretenaient leur vice, il finit par concevoir que son corps méritait leur répulsion… Gaspard sentit croître en lui une répugnance, intrinsèque à la rage qu’il ressentait pour l’humanité. »

 

         Obsédantes et belles pages dans « l’hébétude des journées ». Le prix demandé est lourd. Qui ne s’égarerait dans le labyrinthe d’une absence de certitude ?

 

         L’ombre du Marquis de Sade projette une philosophie entachée de sang et de douleur. Hegel affirmait :

 

         « Ce dont l’homme a besoin, ce n’est pas ce qui lui est donné par la nature extérieure, mais d’un monde fait par lui et pour lui seul, approprié à sa méditation intérieure, à l’entretient de l’âme avec elle-même ».

 

         Le monde où est jeté Gaspard est-il propice à l’éveil de la sensibilité ?

         Et le nôtre ?

 

         Il reviendrait à Jean-Baptiste Del Amo de débattre de ce questionnement ?

         Le passé éclaire peut-être ce qui se cache derrière les ombres projetées sur notre aujourd’hui.

 

         Ce roman est un immense fleuve surchargé de visions hallucinées, de lueurs infernales sur de pitoyables destinées. L’effroi y étouffe le sanglot de l’angoisse. Gaspard va accomplir sur son corps des actions extrêmes. Les plus impressionnantes pages de ce roman.

 

         Probablement l’auteur a-t-il quelque connivence avec Bataille et ses considérations sur la littérature et le mal.

 

         Que l’écriture riche et alourdie du brocard des mots n’efface pas la modernité du propos est l’une des qualités de ce roman.

 

         La suggestion non démonstrative, confine et frôle le domaine de l’inconscient. Une larme de sang jamais ne souille le vêtement de l’Indifférence ; le masque adhère si étroitement à la peau que l’ôter serait l’éclater jusqu'à l’os. L’homme comme l’animal n’étant plus que pièces de boucherie, fressures…innommables.

 

         Ecorchures, émotions émergent en quelques pages inoubliablement sensuelles, brûlées par les feux du désir, inoubliablement et tristement cruelles, infiniment sensibles. Visage d’Emma, visage de Lucas, hagardes apparitions perdues parmi les monstruosités ordinaires.

 

         Gaspard est un Narcisse désenchanté. Il a porté à son ventre un morceau du miroir où il s’était complu à voir le trompeur reflet de ce qu’il ne peut devenir tout à fait, il a ouvert à son ventre une fente sanguinolente, ajoutant une souffrance qui s’apparente à un sexe ajouté au sien…

 

         « Son acte était énigmatique et honteux ».

 

         Où sont donc enfouies les archives de cette identité perdue ?... Le Fleuve au courrant si fort soit-il, peut-il noyer l’origine de ce qu’il est, emporter l’obsession qui le détruit ?

 

         « Le miroitement des eaux l’éblouit, la fièvre en fit foisonner les éclats. De la ville s’éleva le chaos sans nom, l’inextinguible clameur, l’indissociable fragrance. Etendant ses ramures le chancre de ses plaies ondoyait dans ses chairs comme un nimbe funeste ».

 

Un grand roman. « La tentation d’exister ».

 

Hécate février 2009.

03 mars 2009 : Le Goncourt du premier roman 2009 a été attribué, au premier tour de scrutin et à l'unanimité à Jean-Baptiste Del Amo pour "Une éducation libertine" chez Gallimard.

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15 janvier 2009 4 15 /01 /janvier /2009 21:30

 

"LE FEU SECRET"

de Fernando Vallejo

 

         "…Marquises de la vie ou du roman aujourd'hui les deux ne font plus qu'une pour moi, peut-être parce que la vie, quand on commence à la mettre sur le papier, se transforme en roman."

 

         Fernando Vallejo né en 1942 à Medellin imprégné de philosophie, que l'on nomme l'enfant terrible de la Colombie, manie la plume comme autrefois on maniait l'épée, avec une vaillance furieuse et l'insolence percutante du vocabulaire populaire. – "Merde ! dit la Marquise, en flanquant ses seins sur la table. Avec qui je vais pouvoir me bagarrer, je ne vois ici que des pédés…"

        
       
Ainsi commence "Le feu secret". Qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas un livre ordurier… hormis, que dans ce mot là, il y a or…car l'or ruisselle au long des pages, rencontrant la beauté sous toutes ses formes, la charnelle, la mystique ; l'or et la misère, l'or coule comme coule le sang. Il n'y a plus d'épée à Medellin, il n'y a que des coups de couteaux, de revolvers. Rimbaud n'est pas si loin . Il aimerait, j'en suis sûre, le feu intense qui illumine l'écriture de Vallejo.

        

         Certes, il faut pouvoir entrer dans ce livre qui raconte les souvenirs de l'auteur, dans un entrechoquement de visions, de conversations, d'allers et retours étourdissants.


        
"Ici et maintenant, dans cet autocar déglingué sur cette route défoncée la réalité est un rêve de marihuana. Le haschich complice dilate le temps : il le fait enfler comme un enfant avec sa paille une bulle de savon. Fragile, la bulle s'envole et finit par éclater. Dans ce bref laps de temps ma naïveté court chercher le bonheur dans le grenier des vieilleries…" C'est le grand-père à sa table qui écrit sur une vieille machine à écrire l'histoire de sa vie… Tantôt c'est la grand-mère qui est là, et sur les murs de la salle, une vieille estampe de saint François d'Assise.


         " – Ce tableau est très vieux, il faudrait le jeter. – Mais pourquoi protesta la grand-mère… – Parce qu'il est très vieux. – Alors vous devez me jeter aussi. Et ce n'est pas saint François d'Assise : c'est saint François de Paule. – Et qu'est-ce que ça change ? – Ca change tout : ce sont deux saint distincts. – Et lequel fait le plus de miracles ? – Les deux."


         Le miracle c'est de vivre, à Medellin et dans les livres de Vallejo, car la mort est partout, à chaque coin de rue. Le meurtre est une tradition colombienne depuis une centaine d'années ; mais Medellin est une exception : trois fois plus de mort par violence qu'à Bogota.


       Le cinéaste Barbet Schroeder qui a adapté au cinéma "La Vierge des tueurs" de Vallejo après avoir lu toute son œuvre dit que ce fut une révélation, et que cette rencontre eut la même intensité que celle éprouvée après l'œuvre de Bukowski. Exilé depuis trente ans, Fernando Vallejo est nourri de ses souvenirs à Medellin, et il y est revenu aux côtés de Barbet Schroeder.


       "Ma vie est étayée de chansons : on m'en retire une et elle penche d'un côté, une autre et elle penche de l'autre, encore une et elle se retrouve le cul par terre. Ulysse, l'éternel voyageur, entend au bastingage de son paquebot le chant d'une flûte éolienne, émanée d'une fissure du temps. – "Quand tu m'auras appris que personne ne peut t'aimer comme moi, tu me reviendras, je sais que tu me reviendras." Le chanteur  "Juan Arvizu soleil de ma jeunesse, à vécu si longtemps que, bien que je fusse un jeune homme et lui un vieux, l'âge a fini par nous rapprocher. La vieillesse nous a mis dans le même sac. – Juan Arvizu est mort ! – Je ne savais même pas qu'il était encore vivant ! – … Quand on est un soleil on ne peut être ni vivant ni mort."


      Des chants, partout, dans les bouges, des voix qui chantent tristesse et bonheur d'aimer. Car l'amour est pourtant sous la plume de Vallejo, partout dans Medellin "ville de bars, de bordels et d'églises. Abattoir, baisoir, oratoire. En toi je suis né et en toi je meurs instant après instant, jours après jours, année après année, devinant ce que je n'arrive à voir que du bout de ma tour : que Lawrence d'Arabie traverse mon désert, Lawrence l'anglais sur son chameau suivi de ses deux pages, deux enfants : Aoud et moi".


        L'amour sous toutes ses formes, la beauté des garçons de Medellin et pour tous "la même conviction d'un amour éternel. L'amour n'existe pas : il existe des moments d'amour. C'est la seule phrase textuelle du saint que je me rappelle."


       Michel-Ange ne renierait pas cette beauté, lui qu'elle a jeté dans les affres de la mélancolie ardente et qui a composé pour l'aimé Tommaso Cavalieri ses plus beaux sonnets, et sculpté ses formes les plus splendides dans la pureté du marbre.


         Avec Vallejo, il suffit d'un accordéon, d'une guitare pour que s'élèvent : "de vieilles chansons colombiennes, et un paso doble espagnol qui parlait du Portugal : Ah ! embrasse-moi, embrasse-moi, j'ai froid, la chaleur de tes baisers me manque mon amour. Et le refrain nous résonnait jusqu'au fond de l'âme."

 
        Lorsqu'il évoque Bogota, il écrit :"J'y reviens parce que je ne suis pas le romancier omniscient qui va et qui vient et qui se retire et ajoute à sa fantaisie, qui jongle avec les vies, et arrange et ment ; je suis celui qui avance en revenant sur ses pas. Le spectre doit retourner là où il à été. Humble enquêteur sur des fait vécus, évanouis, je me raccroche à des lambeaux de souvenirs, au chapeau du noyé."


       Grammairien, il joue avec les mots, les paradoxes du langage avec saveur, pianiste, il parle de la musique avec un humour qui arrache un sourire aux larmes retenues qu'appelaient les phrases des pages précédentes. Biographe de poètes latino-américains, il écrit en poète, biologiste dans ses essais, tous, sont  personnages : du plus humble au plus grand, de l'objet à l'enfant, du voleur au président, des quartiers de la ville aux quartiers de la lune.


       On quitte ce "Feu secret" l'âme brûlante, l'esprit enchevêtré dans les images, entre tendresse et violence, comme on sort d'un rêve trop riche, d'un cauchemar lourd de symboles sans avoir tout à fait compris, sinon, qu'il faudrait peut-être encore une autre plongée dans cette nocturne écriture éclatante de lumières hallucinantes.

    Quelque part, Vallejo semble nous dire : il n'y a qu'un seul péché l'oubli.

 
Traduit de l'espagnol (colombie) par Michel Bibard.

 

                                                                  Hécate.  

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12 janvier 2009 1 12 /01 /janvier /2009 11:25

 

 

J'ai découvert tout à fait par hasard son premier roman « La robe » totalement captivant et singulier.

« La véranda » est le plus troublant, le plus subtil, le plus délicat de ses romans. L’auteur a dit lui-même dans « le matricule des anges » que son lecteur idéal ne s'arrête pas au récit.
         « -j'aimerais que chacune de mes phrases soient pour lui un point de départ... le roman développe des intuitions ». « La véranda » est son roman le plus marginal. Il ne s'y passe presque rien... mais quel rien !!!

Le liseur se demande s'il s'est assoupi, s’il a manqué quelque chose par ... distraction? Non, il s’est laissé hypnotiser par la magie d'une écriture arachnéenne.
La première approche de ce livre n'est que l'effleurement indicible de l'irréel dont l'auteur dans l'ombre de son narrateur est un guide discret « -Il fallait seulement apprendre à changer de point de vue ».

Par de petites phrases presque anodines, il conduit vers l'indiscernable qui devient
proche, presque palpable. Il échafaude une histoire dont l'architecture semble composée d'abstraction : « -L'imminence de la mort génère paraît-il cette singulière archéologie ».

S'aventurer dans « la véranda » c'est s'ouvrir à la perception de la terrible beauté d'un songe lancinant, c'est aussi consentir à une immersion dans la liquidité insondable dont est fait le regard du Destin. « -La métaphore du lac gelé m'amusa un instant. Nombreux étaient ceux qui ne vivaient qu'à la surface des choses ».

La frontière entre la vie et la mort est la charnière où se greffe « la transgression des limites ». Un thème cher à Robert Alexis.

Dans ce roman le sortilège opère comme les charmes d'antan. Une rencontre va être dont le déploiement sera sans équivalent: « -Je me souviens de ce moment comme l'un des plus forts de ma vie ». Ce livre s'articule autour d'un livre d'Hofmannsthal qui va accroître « le lien d'ombre » prêt à précipiter l'irruption de l'irréel dans la réalité.

Une fantastique évasion, une emprise terrible qui poursuit longtemps. La vie serait-elle un songe oublié ?  

Un voyage en train, une halte à Linz, une villa entrevue, avec une véranda attire le narrateur. « - Je prends ce train peut-être pour la dernière fois ».

C’est bien d’un voyage dont il s’agit. Réel, symbolique. Revenir, renouer le fil d’un rêve interrompu. Illusion ? Mémoire ? Transparence des apparences… images nébuleuses d’une époque révolue… « la volonté d’en finir avec mes pressentiments… »

La villa aux abords d’un lac contient le passé prestigieux des Hohenhels. Le narrateur va acheter la demeure à vendre.  

Deux femmes entrevues ajoutent au sortilège du paysage. « Très proches l’une de l’autre, on les voyait souvent réunies, vêtues de noir portant le deuil d’une dynastie parvenue à sa fin, s’aidant mutuellement à supporter la charge trop lourde des siècles. »

Edulcorer la puissance romantique du roman, la réduire à une énigme dont le mystère ne cesse de grandir est impossible car elle repose toute entière sur le velours d’un style à savourer comme une pipe d’opium dans le boudoir du Songe.

« Je réalisais aussi pourquoi rien jusque là ne m’avait retenu à la vie. Mon caractère refusait l’attachement aux personnes et aux lieux afin, du moins m’en persuadais –je, de demeurer disponible. »

La torpeur pernicieuse de la réalisation idéalisée de son fantasme suscite un brusque effroi dans l’âme du narrateur : « Le monde reprit ses droits, ouvert comme une blessure, forcement vide loin de celle que j’aimais… Dont les appels, cependant demeuraient irrésistibles ».

La seconde partie du roman n’est plus qu’une fuite éperdue, peut-être frustrante pour le lecteur aussi égaré que le narrateur et dont toutes les perceptions exacerbées  sous les effets des drogues glissent en dérives fiévreuses vers un érotisme délétère à Istanbul, après une halte brève en Roumanie.

En de somptueux tableaux dignes des peintres orientalistes les plus audacieux, Robert Alexis par la fulgurance de son écriture restitue toutes les impudeurs des pulsions. « Le Bosphore ressemblait au Léthé qui efface toute mémoire… », « Durant des nuits entières l’alcool emplissait le petit verre ciselé des diplomates, on fumait paresseusement le houka, on mâchait je ne sais quel mastic de pavot… »

L’égarement semble définitif.

…  « une fillette apparût, un doigt sur ses lèvres pour imposer notre silence. Nous montâmes sous les combles dans une pièce meublée d’un seul lit rose. De la minuscule lucarne, un rayon de lune venait envelopper les visages d’une soie immatérielle. » 

Mais le souvenir de la villa délaissée devient lancinant…

J'ai lu ce roman trois fois. Pas une de trop, bien au contraire... jamais lassée de l’envoûtante errance, de l’incessante quête identitaire, obsession qui plane dans tous les romans de l’auteur.

 

Hécate janvier 2009.

Edition José Corti 2007.

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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 11:06

 

Barcelone sous la plume de Daniel Arsand est un visage. Celui d’un garçon. De Barcelone nous ne saurons presque rien si ce n’est la « hautaine placidité affichée » de cet Alberto dont la blondeur vénitienne va être fatale à l’or pur d’un amour torturé. « Un œil gris bleuté » répond à la description de la Plaza Réal : « elle est de mica et de pierre dans la nuit ».

Tout est en place. La nuit. L’arrivée du narrateur à Barcelone. La rencontre bouleversante dont il se souvient et qu’il décrit avec une encre trempée à même la déchirure d’aimer.

 

L’auteur du magnifique roman « Des amants » se livre ici, à ses lecteurs avec l’audace de ceux que la pudeur a étouffés trop longtemps.

Avec un lyrisme sans concession, il avait usé de l’envoûtante somptuosité de son verbe pour peindre les pulsions, les violences, les passions irrépressibles dans « La province des ténèbres ».

 

Avec « Alberto » il n’est plus qu’une voix confidentielle avec des aveux très intimes. Cette « voix » touche tout être qui, un jour, s’est confronté avec le désir d’aimer et d’être aimé. Ou celui qui en rêve. Ou qui en a rêvé.

Cette voix déjà dans « Le petit étang qui sent le suicide » préludait Barcelone, effleurait le mal-être, ces « troublants mouvements intérieurs sous l’écorce de l’être », elle annonçait « L’ivresse du fils », celle qui fouille ses plaies, qui les offre toutes vives au lecteur avec une sincérité toute en délicatesse où la révolte cède en de brusques dérobades au détour d’une phrase.

Avec « Alberto » elle revient cette voix, nous faire entendre les battements d’un cœur dévoré d’un romantisme latent, difficile à porter, un cœur aux prises avec les tumultes de la chair, les balbutiements éblouis d’un premier amour, la fragilité d’être tout à coup bien vulnérablement exposé.

Tout chavire. Le doute de tout ce qui a été chéri, même les livres préférés sont remis en cause. Les certitudes deviennent incertitudes. Qui sait mieux exprimer cela que la voix de l’auteur qui se souvient avec une lucidité encore dans l’émotion de sa jeunesse ?

« Pendant deux heures je dialoguai avec mon reflet dans la vitre » écrit-il au début, dans un train qui l’emporte vers tous les possibles de ses rêves. Il a vingt six ans : « A quel garçon dirai-je enfin des mots d’amour ? »

 

Daniel Arsand ne cesse de dialoguer avec lui-même, avec ses lecteurs. Il a cette voix qui nous prend à la gorge. La simplicité de ses mots, atteint les zones mystérieuses, celles dérobées aux non-dits de l’être. Daniel Arsand déshabille ses phrases de tout ornement superflu. On approche au plus près de lui-même, de nous-même. Avec lui, la solitude n’est plus. On n’est plus tout à fait seul quand on  l’écoute ; Un homme se regarde et regarde celui qu’il était et qu’il est encore.

Petit livre. Grand livre. Lecture brève. Forte et ardente.

 

Illustré par José Maria Gonzalez en quelques traits, ils sont là les garçons des nuits de Barcelone. Esquisses de silhouettes, traînées de rouge ici et là, répondent à la phrase… comme du sang, celui de Lorca. « Un cœur en écharpe enseveli sous des roses et du jasmin ».

Non, Alberto, n’a pas entamé la fidélité de Daniel Arsand à tout ce qu’il aime. « Je songe à ce garçon qui fut moi et je songe à l’homme que je suis, ils diffèrent peu l’un de l’autre. »

 

Il faut lire ce livre, il faut découvrir cet écrivain si on ne le connaît pas encore, car il est la voix qui sait nous parler de ce qu’on attend sans oser se l’avouer.

 

Hécate



Les éditions du Chemin de fer. 2008.

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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 10:55

La flamme d’une écriture, force d’infinitude et de déchirure, celle de Daniel Arsand qui nous narre en ce court roman d’une densité poétique rare, la magnifique passion de deux êtres que tout devrait séparer et que l’intolérance arrachera l’un à l’autre…

 

Nous sommes au 18ème siècle, mais qu’importe l’époque puisque tout amour pareil à celui-ci est intemporel, et c’est en cela qu’il touche et bouleverse !

 

Violence, tendresse, douleur tout au long de cette pathétique histoire. Tout commence par l’irruption d’un cheval au galop monté par un cavalier intrépide. Parmi les genêts Sébastien quinze ans, pareil à un berger de l’antiquité garde son troupeau. « Une étendue fangeuse » entre Sébastien et le cavalier désarçonné qui s’écroule au pied du berger.

La symbolique est claire : l’étendue fangeuse n’est autre que celle d’une société intolérante et dangereuse, non l’amour qui va naître entre ces deux êtres de condition différente. Balthazar de Créon est un seigneur, Sébastien Faure un paysan qui connaît les simples. L’amour sorcier, les plantes qui guérissent… la nature toute puissante. Ils sont deux à être foudroyés et ne le savent pas encore. Sébastien murmure : «  - Je suis à vous » à l’homme tombé qu’il relève. Tout est commencé.

 

Rien ne finit jamais… du feu qui embrase corps et âmes. Ne rien dire d’autre… lire ces pages magnifiques. Frémissements d’herbes, de feuillages, frémissement de la chair.

Transcendance d’ombre et de lumière, comme dans le clair – obscur d’un tableau. Daniel Arsand est poète, peintre, troubadour. Il joue de l’ombre, de la lumière, du verbe. Il met le feu. Dix huitième siècle des bûchers, des ogres qu’on accuse d’atrocités… La cour du Roi… Versailles… Une fête qui sombre dans l’ombre blafarde qui condamne… l’abjection de la folie… une mère vaincue… « L’un n’est pas l’ombre de l’autre » écrit-il. Et tout est dit ou presque… « Ne nous quittons jamais ».

 

Liturgie profane et profonde. Simplicité, beauté, ferveur. Comme dans une tragédie antique.

C’est à Théocrite (III siècle avant J.C.) de conclure : « Ils furent l’un à l’autre sous le même et unique joug d’amour. En vérité, ces hommes étaient l’or de l’âge d’or : comme vous aimiez, vous étiez aimés ! »

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