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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 15:15

couverture La CasatiLa Casati

de

Camille de Peretti

 

          "La marquise Casati avait eu des chaussures en diamant, teint ses cheveux en vert, fréquenté les plus grands artistes, pris toutes les drogues possibles, organisé des bals spectaculaires, aimé un boa constrictor, défrayé la chronique et habité au Ritz... Elle offrait désormais le spectacle terrifiant d'une reine déchue, d'une femme qui a connu toutes les splendeurs de ce monde et fini dans la misère. Sa vie ressemble à un conte de fées qui vire au drame ; née héritière de l'une des plus grosses fortunes d'Italie, elle mourut clocharde. C'est peut-être cela qui m'a le plus attirée, le vertige de la perte. Moi qui suis si raisonnable."

C. P.

 

 

          " Luisa avait retourné cent fois le problème dans sa tête, puis elle avait tranché. Il faudrait du noir qui brille. Et du violet. Deux couleurs chères aux sciences obscures. Elle serait la sorcière qui fascine, la magicienne. Toutes ses visites dans les musées d' Europe seraient mises à profit. Luisa possédait une acuité graphique, un sens de l'effet produit exceptionnel. Enivrée par l'odeur de térébenthine, elle se tenait immobile. Elle voulait être parfaite, faire jaillir des flammes de ses yeux, surgir du tableau. Certaines  grandes mondaines demandaient à être représentées avec leurs enfants. Luisa avait choisi un lévrier noir. Tenu en laisse, un collier d'argent cerclant son cou racé. Un chien nerveux comme elle... Giovanni Boldini (1842-1931), La Marchesa Luisa Casati (188

  

          Sur cette immense toile de 1,40 mètre de large par 2,52 mètres de haut, seuls le regard et la main sont arrêtés. Tout le reste est en mouvement, le flou ample de la jupe, même le bouquet de violettes qu'elle porte accroché à sa ceinture semble virevolter. Mais la netteté du gant blanc qui tient la laisse du chien donne une autorité implacable à cette femme...Dans une perspective inclinée de manière très subtile, le peintre la fait pencher vers lui et les spectateurs. Cette légère plongée exerce une forme de magnétisme. Luisa nous aspire...

 

          Cette toile était devenue sa raison de vivre, jour et nuit, elle l'obsédait. Luisa voulait voir son âme capturée...Elle était toute en tenue et retenue. Tenaillée par une veste corsetée, une longue jupe de soie noire et un châle de satin violet enroulé autour de ses bras gantés. Le pelage du chien se confondait avec la robe dans des reflets luisants et agressifs."

 

          boldoniGiovanni Boldini passa plusieurs semaines à peindre ce tableau. Il chantait en taillant ses crayons perché sur son escabeau. Luisa bouillait d'impatience. A la fin de chaque séance, il retournait la toile contre le mur. Le dernier jour, autorisée à s'avancer et à contempler son oeuvre, Luisa reçut un choc terrible.

            "La femme à l'allure machiavélique qui se dressait devant elle dépassait ses espérances. Immédiatement, elle voulut que tout Paris voie la toile. Elle supplia Boldoni de l'exposer au Salon."

 

          La vie de la Casati ressemble à un roman. Le livre de Camille de Peretti n'est ni tout à fait un roman, ni tout à fait une biographie : " Je cherche des liens entre Luisa et moi...Des pans entiers de la vie de Luisa restent muets. Elle vient me  rendre visite en songe pour me tirer de ce mauvais pas " écrit-elle.

 

          "Une muse c'est une page blanche, une toile vierge, une femme nue que l'on souhaite transfigurer. Une muse c'est le point de départ qui rend l'artiste fou et le fait rêver. Créer c'est faire quelque chose avec du rien."

 

          Comment Luisa Casati est-elle devenue cette instigatrice extravagante qui inspire encore ?

 

          Elle a treize ans quand sa mère meurt.

 

          Elle avait tant aimé regarder les revues de mode éparpillées sur le tapis du salon rococo ; elle rêvait devant les illustrations. Elle découpait souvent les pages des périodiques et agençait des collages bizarres avec la permission de sa mère.

 

          Le 22 juin 1900 Luisa Amman épousait le marquis Camillo Casati. Elle était riche, il avait un titre. Le mariage représentait ce qui berçait ses rêves de liberté. Elle était une jeune femme encore timide et esseulée qui attirait les regards.

Elle était fascinée par les artistes. Elle les croyait libres.

 

          "Vous avez un sourire archaïque. Je vous appellerai Koré, comme la déesse des Enfers ..." lui avait dit Gabrielle D 'Annunzio qui s'arrangeait toujours à lui murmurer des phrases qu'elle se répétait ensuite.

 

        d'annunzio  " Il était poète et écrivain. Il était petit et trapu, il était chauve, il avait des manières d'homme-loup raffinées et brutales mais sa préciosité ne connaissait pas de mesure. Ses lévriers gris dormaient dans des lits de soie, il aimait ce qui brille. Il aimait la vitesse. Il avait été le premier à acheter une automobile.

 

          Comme Don Juan, il n'en a jamais assez. Et pourtant il les avait toutes eues. Toutes les femmes, de Rome à Milan en passant par Paris, ont couché dans son lit. Serait-elle la suivante  ?  La relation de Luisa avec D'Annunzio fut plus qu'une histoire d'amour, elle fut le point de départ d'une révolution intérieure...Elle se libéra. Il la faisait rêver et rire.

 

          D'Annunzio disait que le cœur de Luisa était un cœur d'homme. Les rumeurs et les cancans allèrent bon train. Toute autre qu'elle en aurait souffert. Mais Luisa accédait enfin à la célébrité et cela la remplit de joie. Elle soigna davantage son apparence, et s'autorisa quelques gouttes de belladone pour dilater ses pupilles. Ajoutant ainsi un frisson d'effroi au mystère qui l'entourait déjà."

 

          Camille de Peretti semble n'avoir lu D'Annunzio que pour mieux comprendre ce qu'avait pu ressentir la Casati en découvrant son œuvre phare "L'enfant de volupté", un roman passionné paru en 1889 dont le héros est un  dandy, poète et aristocrate en qui  esthétisme et érotisme luttent et se font complices l'un de l'autre.

            Alors que j'étais à songer à cette chronique je me suis souvenue que l'envie de lire D'Annunzio m'était venue après avoir vu, il y a des années de cela, un film de Luigi Comencini : "Mon Dieu comment suis-je tombée si bas ".

 

          On dit que D' Annunzio en écrivant "Forse che si, forse che no" s'était inspiré de Luisa Casati dans la description de l'un des personnages féminins, man ray 1935 la marquise casati potraitIsabella. J'ai repris ce livre et cela me paraît être une évidence flagrante. Isabella  "telle une enchanteresse   portait son visage de démon, non comme un masque de chair, mais comme le sommet de son âme enflammée dans le vent sonore et voilé de ruse...Ses yeux paraissaient avoir perdu leur pupille, étaient privés de leur antre, pleins d'un tremblement clair de forces qui jaillissaient de ces ténèbres comme les sources dans le lit des fantasmes. Et le trait noir dessiné au bord des paupières par l'art matinal persistait avec netteté soulignant la clarté inhumaine des iris, élargissant les larges orbites, aiguisant la beauté par le désir de la rendre plus aiguë." ( G. D'Annunzio )

 

          La Casati s'était installée à Venise, elle y avait fait l'acquisition du Palazzo Venier dei Leoni. A grand renfort d'artisans, de marbres et de jaspe importés, de doreurs  et de sculpteurs, elle redessina entièrement l'intérieur.

pallazzo dei leoni             Aujourd'hui, les visiteurs y déambulent pour admirer les toiles de Pollock et de Picasso." Peggy Guggenheim, une autre femme indépendante, riche et collectionneuse d'art, l'a habité après Luisa et en a fait un musée."

 

          Entourée d'oiseaux, de singes minuscules, de guépards, Luisa eut un boa constrictor, Anaxagarus qu'elle enroulait autour de son bras ou de son cou pétrifiant plus d'une fois son entourage !  Ce serpent est peut-être ce qu'elle a le plus aimé...

 

          La photo faite par le baron Adolf de Meyer en 1912 fit le tour du monde.  " Pearls with Luisa Casati by Adolf de Meyer 1912Un sautoir de perles enroulé autour de ses poignets, le menton posé sur ses bras croisés, le regard de la marquise est rivé à l'objectif. Ses pupilles, qu'elle dilatait maintenant chaque jour avec des gouttes de belladone au mépris du danger de finir aveugle, nous hypnotisent.

 

          Ce serait une erreur de faire de la Casati une femme fatale ; Luisa n'était qu'une immense solitude. Une femme trop extravagante, trop délirante pour être aimée, achetant l'attention, les amis à coups de fêtes splendides, les regards à coups de tenues spectaculaires et l'inspiration des peintres à coup de pièces sonnantes et trébuchantes."

 

          Un tourbillon de noms devenus célèbres entoure la Casati. Van Dongen le peintre des névroses élégantes, tiré de la misère qui disait : "L'essentiel c'est d'allonger les femmes et surtout de les amincir. Après cela il ne reste plus qu'à grossir leurs bijoux. Elles sont ravies."

 

          Fortuny à qui elle avait commandé une robe damassé d'or et de grenat, Bakst qui lui avait dessiné une robe indo-persane digne desluisacasati augustus john Mille et Une Nuit...

         

            Augustus John dont le portrait qu'il fit d'elle inspira Jacques Kerouac qui lui dédia le poème "San Francisco"...Casati by man ray 2

 

  

 

          Man Ray alors jeune photographe qui pensait sa photo ratée et dont Luisa s'enthousiasma, estimant que c'était là son âme ! Trois paires d'yeux !!! La photo fit le tour de Paris !

 casati par romaine brooks 1920

 

 

   

 

      Romaine Brooks dont elle fut l'amante...Picasso  lui inventant une robe cubiste avec un système de lumière intégrée qui faillit l'électrocuter...

 

          " Luisa fut un mécène, une mondaine enthousiaste et généreuse qui savait ouvrir son portefeuille et son carnet d'adresses. Lancer des artistes, détecter le beau où d'autres ne voyaient que des taches. Et tomber dans l'oubli..."

 

          Des centaines de peintres, de sculpteurs, de photographes ont montré d'elle d'innombrables facettes. Elle avait demandé à Martini de la peindre avec Anaxagarus lové à ses pieds, mais le boa mourut d'une pneumonie avant. Les meilleurs vétérinaires n'avaient pu le sauver.

 

           " La légende rapporte que, après Cléopâtre et la Vierge Marie, elle a été la femme la plus représentée dans l'art."

 

          Peut-être que le soir à Venise les façades des vieux palais se souviennent d'une gondole couverte d'orchidées où s'enlaçaient la Casati et D'Annunzio...

voie Appienne 2

          Peut-être que certaines nuits de pleine lune, le long de la voie Appienne parmi les tombes, ils reviennent comme lorsqu'ils appelaient les esprits des héros et que le vin tiède avait parfumé leurs bouches...

 

                                                                                                          Hécate

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28 août 2012 2 28 /08 /août /2012 11:35

coverLes Contes d'Orsanne

de

Robert Alexis

 

 

      Les "Contes d’Orsanne", une suite de trois récits qu’on se risquerait à situer entre réalisme et fantastique, mettent en scène un même personnage en différents lieux et différentes époques : Loudun en 1647, un hameau des Deux-Sèvres en 1956, la ruine d’une ville et de sa "fabrique"  dans un futur indéfini.

 

      Une fois encore, chez l’auteur de "La Robe", la sexualité occupe sa mission de recherche, puissant levier sous les sphères écrasantes du réel, de la nature et de l’humain. Une fois encore, l’enquête menée sans relâche par celui qui affirme haïr la condition qui nous est faite en ce monde, trouve dans ce roman de quoi s’alimenter aux feux de la pensée et des actes.

 

      Robert Alexis aime à dire qu’il visite les enfers. Peut-être, après tout, est-ce pour nous en protéger.

 

   

          De l'auteur de "La robe" le monde littéraire ne savait rien. Robert Alexis dans le chatoiement d'un tissu incandescent surgissait de nulle part dans un phrasé aussi confidentiel qu'anonyme. Comme l'aube d'un jour étrangement comparable à la naissance d'une légende il commençait à poser les jalons d'une intrigue identitaire.

  

            Sur la première de couverture des "Contes d' Orsanne" il apparaît comme dans la pénombre d'un tableau entouré de trois femmes, autant de fractions d'effractions dans le temps en un jeu qui reprend le Je narratif de "Nora" et qui encore va multiplier les enjeux dans les ambivalences du désir d'être. Au "Je", plaisanterie grammaticale de Klossovski succède l'épigraphe de Barbey d'Aurevilly : "Il y aura toujours de la solitude pour ceux qui en sont dignes".

 

          Le narrateur est seul ou presque.

 

          "Nora était partie. En quoi avais-je pu être menaçant pour elle ? Un malaise pèse sur les lieux...Une menace ?...

          Orsanne avait de quoi faire peur, son toit éventré, ses façades lézardées, et puis ce qui l'entourait : les forêts d'épicéas lugubres au crépuscule, l'étang et sa bordure d'ajoncs, le chemin qui y menait...Oui peut-être était-ce bien là d'où venait la menace. Je ne cherchais pas à être heureux."

 

          Robert Alexis reprend ce ton confidentiel propre à égarer, à attirer...Il apparaît hors de l'ombre pour mieux nous y entraîner.

            Il est le Seigneur du château et s'y amuse avec la gravité qu'on lui connaît.

 

"Oui ! Vraiment ! J'aimais être écrivain !"

 

          Comme un démiurge dans son laboratoire le narrateur observe, se livre à ses occupations familières...une vie qui lui permet de sonder le monde et de tremper la main dans le temps et les matières...

          "Je tâtais en aveugle des couloirs de vents tièdes, aimables mais inutiles. Sous la beauté un mécanisme agissait dont personne ne savait rien...le roman permettrait deux entrées nécessaires à sa compréhension : un amour infini car, vraiment pouvait-on espérer planète plus charmante ? La méfiance infinie, pour laquelle j'étais né."

 

          Entre chaque conte, l'entracte ouvre sur un intime qui tout en livrant joue encore sur la fantasmatique où puise tout créateur. Comme autant de reflets où brouiller son image, où entrapercevoir l'identité mouvante de l'être. Thème qui est dans toute l'œuvre de Robert Alexis, une traversée dans le temps où passé et futur semblent tissés de la même fibre que celle de la tunique de Nessus destinée à brûler, à consumer la chair. Amour et haine fusionnés par une Nature aussi fascinante que destructrice dont le désordre obéirait à un ordre du Chaos originel.

 

          "Quel était ce monde qui se jouait de nous ? Je n'en avais pas fini avec lui. Je n'en aurais jamais fini."

 

          L'heure est aux ombres du passé dans le premier conte "La fabrique", froissement d'étoffes dont se nourrit le désir, maître du mystère, sordide ou majestueux.

 

          "Un personnage peut-il échapper à son auteur ? Oui, quand le récit s'achève et qu'il glisse avec ses comparses dans un univers dont le créateur n'a plus aucune connaissance."

 

          Galerie des miroirs où passe le fantasme en tous ses atours et détours...Un frisson qui glace un peu...et éteint le teint !

 

          " Reflets inexacts, suite de morts et de naissances, une suite d'essais !" les diables de Ken Russel

 

          "Loudun" est une variation sur la sulfureuse et célèbre affaire des religieuses possédées par le démon et le non moins frénétique procès d’Urbain Grandier. Comment ne pas penser  au film "Les diables" de Ken Russel, aux scènes d'exorcismes délirantes d'obscénités !

 

          L'opportunité pour ce diabolique écrivain d'approcher au plus près le Christ.

 

          "Jésus, divin oubli ! Tu es venu pour nous parler des nuits. Elles sont chairs, elles sont l'âme, nous en sommes tissés."

 

Et si Barbey d’Aurevilly est le fil conducteur comme cela semble l’être, je pense à "L’ensorcelée", à ce prêtre singulier "qui avait le secret de consoler par l’orgueil les âmes ulcérées, comme s’il avait été un ministre de Lucifer au lieu d’être l’humble prêtre de Jésus – Christ".

 

          De l’an 1647 à Loudun, nous voici en hiver 1956 dans les Deux – Sèvres. En une ligne le printemps est là, comme si l’hiver n’était ici qu’un prétexte, une mise au tombeau provisoire, une transition puisque le narrateur nommé lui aussi Grandier, accentue le léger vertige du décalage dans le temps, et déconcerte imperceptiblement, délicieusement. "Passé, présent et futur ne sont rien comparés aux marges des possibilités. "

 

          Le Conte d’été commence, éblouissant retour à la vie, à la nature, à l’amour. "J’étais encore à l’âge où l’on se croit différent des autres…"

          Quatre femmes aussi étranges que belles, les tantes du narrateur, autant de visages de la féminité, autant de figures initiatrices. "C’était à celle qui se montrait la plus prévenante, il fallait rattraper le temps perdu, elles ne me laisseraient plus jamais seul, quatre fées enchanteraient ma vie d’homme naissant à défaut de s’être penchées sur mon berceau. "

 

          "Peut-on  souffrir d’être heureux ? "

 

          "J’appris les différences en l’acacia et le robinier, l’orme et le charme, les sortes de Gustave Dorépins, de hêtres, de chênes, de saules, je m’initiai aux feuilles lobulées, acuminées, lancéolées, pennées ou serrulées, aux types d’écorces, de frondaisons, de fruits, de racines. Moi qui ne connaissais guère que le platane des villes, je découvrais un monde fantastique où se mêlaient les considérations savantes et l’imaginaire excité par des formes suggestives, bras lancés dans le vent, logis des elfes, des êtres légendaires. L’arbre était fait pour les contes, les forêts profondes de Gustave Doré, les jungles du douanier Rousseau, « et savez-vous pourquoi ? Parce qu’il dit ce que nous sommes. Comme lui, nous sommes faits de mouvements immobiles, tête aux étoiles et pieds enracinés, parce que ses ombres et ses murmures sont les nôtres, ses variations aussi. Les formes sont le langage de l’univers. Elles sont dans l’arbre plus visible qu’ailleurs, placées sous le regard avec la divine tranquillité des icones, une solennité que n’ont pas les autres vivants. »

 

Editions José Corti  2012.

A paraître le 6 septembre

                                                                                                                                                        Hécate

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31 juillet 2012 2 31 /07 /juillet /2012 13:08

COVER 

 

Physionomies végétales

Datura

 

 

 

 

Portraits d’arbres et de fleurs,

d’herbes et de mousse

 

Elie Reclus

 

A l’Enchanteur Aiolos

 

 

 


             C’est là une livre fort curieux écrit par Jean – Pierre – Michel Reclus qui naquit le 11 juin 1827, toujours connu sous le nom d’Elie, dû à son parrain un parent éloigné.

 

             A l’âge de deux ans Elie a eu un accident assez grave. Au-dessus de la maison familiale aux grandes et rares fenêtres à demi-fermées par des volets rouges, un grenier formait un deuxième étage. Par un de ces trous, où se glissaient les chats et les rats, le petit garçon eut le malheur de s’insinuer à son tour, et c’est de là qu’il tomba, le front en avant, d’une dizaine de mètres, sur le pavé disjoint. On le crut mort : crâne fendu, sang ruisselant entre les pierres. Elie survécut, ne gardant qu’une cicatrice au côté gauche du front.

 

 

 

             Cette aventure permit plus tard aux professeurs plus ou moins facétieux de plaindre Elie « d’être timbré » quand ses questions  paraissaient trop intelligentes !

 

 

 

             Elie était un enfant très doux, silencieux et rêveur. Pendant un de ses séjours chez ses grands-parents maternels, un beau soir d’été alors que la pleine lune montait au levant, Elie, sur sa petite chaise ne disait mot. On l’appela pour le coucher, l’enfant ne bougea pas.

-          Es-tu sourd ? A quoi penses-tu ?

-          C’est que je voudrais tant être assis sur la lune, et me promener dans le ciel comme les étoiles !

             Désormais pour une bonne partie de la famille, Elie fut un songe-creux, un chevaucheur de nuées.

 

             C’est là un livre très curieux, oui… qui parle entre autre de la dualité de la Douce – Amère, une plante qui abonde dans les lieux humides.

             Elie  Reclus un amoureux des plantes, des fleurs , des arbres… trop peu connu de son vivant pour ses écrits là !

 

 

 

          DOUCE-AMERE   « La Douce – Amère, c’est la Proserpine, c’est Vénus Libitina, charmante et redoutable. De la fleur de cette Solané part une effluve bleu, une effluve jaune. Tout ce qui est doux devient amer et tout ce qui est amer devient doux. C’est la grande contradiction qui est dans les choses et fait le fond de la morale de la vie.

 

             Ce dualisme universel est exprimé par la Douce – Amère qui a revêtue deux couleurs qui se haïssent : le violet et le jaune.

             C’est une dissonance chromatique et, en fait une beauté et une harmonie supérieure.

J’aime le nom de la Douce – Amère parce qu’il me fait rêver. Elle est ceci, elle est cela. J’aime la Douce – Amère, car elle rappelle ceci ou cela. J’aime la Douce – Amère. Elle me dit de belles choses et je me souviens de beaucoup par les visions qu’elle évoque. Car cette fleur est ceci, elle est aussi cela.


 

            Il est impossible d’aimer sans mélange. L’amour est le concentré de la douceur et de l’amertume. »

 

 

             C’en fut assez pour m’enthousiasmer. J’aime autant la botanique que je la méconnais. C’en fut assez pour que prise d’engouement pour ce livre, je me sois mise à écrire ce billet, assez pour décider de le dédier à un Enchanteur qui m’emporte aux nue avec ses ciels, ses fleurs et ses oiseaux et ses histoires égrenées comme le vent sème ses rêveries au soir quand dorment les grues !

 

             « Vous rappelez-vous dans « Faust » la double scène d’amour ? Vont et viennent dans les allées du jardin fleuri le beau Faust et la belle  Marguerite, Méphisto et Marthe, l’impudique créature ? Vont et viennent les deux couples ; ici l’extase et la tendresse, là, la gaillardise de l’impudicité. Là il roucoule, là il ricane… tout se joue sur le même air, la même mélodie exprime les douceurs et les malpropretés, le même clair de lune, le même parfum des œillets et des cytises, des iris et des tubéreuses sont chargés ici de volupté, allume ici de tendres flammes, là des feux impurs. Ce n’est qu’une différence de degré.

 

             Le savoir est l’eau-de-vie et l’ignorance est de l’eau fraîche.

 

             J’aime la Douce – Amère… »

 

             Quelqu’autre s’il vient à me lire, peut-être sera intrigué par les pages qu’Elie Reclus a consacré au pissenlit.

 

          Pissenlit   « Le pissenlit roi de la prairie, évoque l’idée de radiation : cette Composée est l’image d’état harmonique. Ses feuilles sont radiantes ; le pissenlit radie, il va du centre à la circonférence et revient de la circonférence au centre. 

             Cette fleur qui est un soleil, devient une voie lactée, un monde d’astres après la floraison. Elle passe de vert en jaune et en gris-bleu.

              La fleur est simple ; chaque fleur est si tranquille, est tout à fait chez soi et veut sa part de lumière, de chaleur, du monde entier dans le minimum d’espace.

             La splendeur du pissenlit, son moment de beauté suprême, est avant son complet développement. Les pétales du pissenlit sont jaunes, mais les étamines sont oranges. Quand le rouge s’y met, on pense à la chaleur, à la passion. L’orange enthousiaste évoque l’admirable élan des idéalistes. »

 

 

            Elie Reclus a treize ans, a été placé dans un collège des Moraves, à trois cent lieues de pays et de frontières des siens, Neuwied sa nouvelle demeure ; il savait que la barrière de séparation serait très effective, son exil réel. Ses parents étaient pauvres, les missives postales coûtaient alors trente-huit sous de port, somme trop élevée pour que sa mère pût écrire plus d’une fois tous les deux mois.

 

             Loin de sa Dordogne natale, une grande dépense cérébrale fut pour lui l’occasion de doubler sa force. En peu de semaines, il comprenait les leçons, devinait le sens des vers. La différence subtile de tout mot germanique lui fut bientôt révélée, il sut pénétrer mieux que la plupart de ses condisciples allemands le fond même de la langue et en découvrir le mystère.

             Un autre avantage de ces deux années de séjour chez les Frères Moraves fut de pouvoir étendre son amour instinctif pour la nature, grâce à de fréquentes promenades, la vallée du Rhin n’était pas ce qu’elle est devenue de nos jours… explique Elisée Reclus en 1904 à propos de son frère dans des pages destinées aux amis qui avaient connu Elie. 

 

         ElieReclus par Nadar    « Elie Reclus avait l’orgueil de se considérer comme un travailleur anonyme dans le champ de ses recherches où d’autres depuis se sont fait un nom. Je fis sa connaissance en 1898, incidemment nous parlâmes de folklore et spécialement de folklore botanique. Le jeune homme que j’étais fut frappé de constater que ce vieillard, tout en gratifiant son jeune visiteur des richesses de son savoir universel, prenait l’air d’apprendre du disciple.  Vaguement, en passant il mentionna des histoires sur les fleurs qu’il avait écrites autrefois, avant 1870.

 

             -  Prenez tout cela et étayer ces notes par des investigations sérieuses. Vous y trouverez quelque chose et vous serez capable d’étendre à l’infini ces recherches. Tâchez d’en faire usage. 

            C’est parmi ces dossiers que je découvris la plupart des « Physionomies végétales ». (B.P. Vandervoo)

 

          stramoine   De la Stramoine, Elie Reclus nous conte les pérégrinations et les noms multiples qui furent siens, « Trompette du jugement dernier dans le midi, Tatorrha en arabe, dont on a fait Datura et comment les mécréants l’expédiaient secrètement à quelque nécromant de Séville ou de Cordoue qui à grand’peine et à travers mille hasards la faisait parvenir aux adeptes de Paris, Prague, Cologne ou  Regensbourg. 

 

 

             D’origine patricienne – n’est elle paDaturas fille de l’enfer ? – ayant pour chef de famille la Datura fastueuse, elle a su accepter la pauvreté et l’indigence.

 

              Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, il faut la respecter et compter avec elle, qui se prête à son milieu pour le dominer.

 

Que désire le sage ? Être toujours soi, et toujours en harmonie avec le monde ambiant. »

  

 

 

             Il serait trop long et trop imprudent d’éventer les méandres où nous entrainent ces « Physionomies végétales», l’émerveillement de la Drosère, la rosée du soleil qui n’a d’existence que pour ceux qui savent regarder à leurs pieds...

 

drosera              

 

 

            « La vieille école ne veut voir dans les plantes que des tissus, à peine plus vivant que les cotonnades de Mulhouse et de Manchester…

             Les feuilles de la Drosère, qu’on râcle et gratte, qu’on écorche, frémissent et se tordent, changeant de position pour échapper à la torture. Racontez cela à un mandarin de l’Académie : il niera le fait d’abord…il vous expliquera que l’irritation de la plantiole sous le couteau est causé simplement par un phénomène d’irritabilité végétale.


             Haïssez-la si vous pouvez ; aimez-la si vous l’osez ! »


             Je choisis d’achever cette chronique avec la Rose ou le Secret de la Beauté parce que Elie Reclus avait voulu se révolter contre elle.

 

             « C’était au moment où certains jeunes garçons peuvent être bêtes et si désagréables, de onze à treize ans, dans la période que les Allemands ont appelée celle des Flegeljahre.

             Sans doute je trouvais alors que la rose était réellement jolie… J’étais révolutionnaire alors, et révolutionnaire je suis resté ; mais comme un petit niais, je débutais par m’insurger contre la Reine des fleurs… Et cependant je fais plus aujourd’hui qu’admirer la rose, je l’aime. Elle plait par modération des couleurs, parce qu’elle est rose et non pas rouge. Entre parenthèses, ceux qui cherchent la rose bleue sont des insensés…

             La Rose préférée de tous, sera toujours une rose relativement simple, ce sera la plus belle dans une variété spéciale.

 

             Pourquoi est-elle la fleur préférée de tous ?rose

 

             C’est qu’elle a toutes les qualités, de manière à rallier la majorité des suffrages et faire plaisir à tous.

             Le vulgaire adore ce qui n’est pas pour le vulgaire. Cela suffit pour que tout le vulgaire profane se pâme d’admiration pour la Rose… Il lui faut se parer d’une rose. Pourquoi ? Pour que la Rose le méprise du fond de son âme !

             Nous voulons la résistance. La Rose nous plaît parce qu’elle est belle, parce qu’elle nous défend de l’approcher, et parce que nonobstant, nous mettons la main sur elle, et grâce à son impuissante résistance, nous jouissons d’un triomphe facile.


             C’est qu’enfin elle a des épines…


            L’enfant ne désire si fort la lune que parce qu’on ne peut la lui donner.

Noli me tangere est le grand secret de la Beauté. »

 

             En conclusion, un extrait des «  Fragments » où Elie Reclus s’interroge sur la vie végétale, l’âme végétale. « Qui nous en révélera les mystères ? Qui a pu les deviner ? Qui a pu les sonder ?...

             Vaut-il mieux mourir ou ne pas mourir ? Vaut-il mieux être chêne ou cyprès, if ou hêtre, un arbre à feuilles qui tombent ou bien un arbre à feuillage persistant ?

 

             L’amour passe sans passer. L’amour est une sensation intime et profonde dans les arbre automneorganes mêmes de la vie ; c’est une volupté avec le maximum de bonheur et le minimum de conscience. On s’y perd, on s’y égare.


             Parfois, et même souvent, la livrée d’automne est plus éclatante que ne fut la livrée de printemps… la feuille est satisfaite… Elle  se fait belle pour mourir, meurt avec grâce, meurt avec le plus beau des sourires. »

             (Zurich 1876)

 

 

 

 

Editions Héros-Limite

géographie(s)

Dessins de Marfa Indoukaeva (à l'encre noire )

2012.

 

                                                                                                   Hécate

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1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 12:56

cover-alcool et nostalgie

 

 

 

L’alcool et la nostalgie

de

Mathias Énard

 

 

            Il y a quelque mois maintenant que je voulais écrire une chronique sur ce livre. Le temps voyage et nous laisse sur des quais de partance. C’est là que je suis restée… avec ce goût de l’Alcool et de la Nostalgie qui m’est descendu là, quelque part où le feu brûle encore comme un souvenir qui ne veut pas mourir.

 

            Et pourtant c’est bien de mort dont il est question dans cet ouvrage qui se lit comme on vide un verre sans y penser, en songeant à autre chose… Quatre vingt dix pages pour dire l’amour, l’amitié, pour accompagner le cercueil de Vladimir jusqu’en Sibérie. Quatre vint dix pages pour se rappeler, pour monologuer.

 transsiberien

           

            « Volodia, je crois que je ne suis pas fait pour voyager, même avec toi. Seule m’intéresse la perspective de l’amitié, de la rencontre, mais je sais par ailleurs que c’est une chose qui n’est pas facilement offerte au voyageur. Il n’y a que la Patagonie, la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse. Mensonge que tout cela. Tu sais ce que c’est tout cela la solitude et l’ennui d’une chambre d’hôtel, où l’on a rien à faire, où l’on ne fait pas ce qu’on devrait faire, dormir, boire, lire, lire où écrire des œuvres inoubliables. Rien de tout cela…. 

 

            On voyage toujours avec des morts…

 

            Je te ramène à ton village Vladimir, je te ramène chez toi à deux cent vingt trois kilomètres de Novossibirsk, à deux mille huit cent quatorze de Moscou, et cinq mille trois cent quarante de Paris soit une bonne centaine de jours à cheval, de troïka ou de traineau en hiver…

            Moi qui hais les voyages, me voila servi, des heures et des heures devant moi, seul avec Vladimir qui ne parle pas, seul avec les souvenirs, l’alcool et la nostalgie voilà tout ce qui me reste, comme disait Tchekhov le médecin mort en buvant du champagne, seul avec des phrases, des vers, des souvenirs… »

 

            Bien souvent, lorsque je décide d’une chronique il y a, penché sur mon épaule, un visage, celui d’un être vivant, ou mort, ou les deux, ou dans mes pensées quelqu’un croisé dans la vie ou sur la toile ce voyage immobile, autant de voies et de voix entrecroisées qui sont là dans l’ombre de mes pensées. Et je sais, que, avec un peu de chance, qu’il y aura en me lisant, une petite émotion, un battement de cœur peut-être, ou seulement un sourire, ou un questionnement « Est-ce à moi que ?... » Oui, peut-être bien…

 

            J’écris toujours pour quelqu’un. Quelqu’un que je connais un peu, ou que je ne connais pas encore. C’est cela, voyager avec les mots, voyager avec les livres on conjugue le hasard… au fil des phrases…

 

            « Cette fameuse âme russe, n’existe pas » écrivait Tchekhov… A savoir… L’âme russe est de tous les ciels, de tous les cœurs, ceux qui sont à vif, ou égarés dans la tendresse… des ivresses impossibles !

            Il n’est d’ivresse impossible que dans la déchirure de ce qui ne peut s’oublier.

 

            « Qu’est-ce qu’on cherche dans les déplacements, que veut-on dans les voyages, rien ne me rendra jamais Vladimir… »

 

            « Je me souviens que lorsque nous avions visité la maison de Gorki Vlado m’avait expliqué que chez lui cela ressemblait un peu à ça, des pièces minuscules, une remise, un poêle en faïence ; on avait peur du feu, plus d’un ivrogne avait brûlé vif dans sa baraque en oubliant de retirer les braises le soir… »

 

            Je ne vais pas raconter tout le voyage, ni toute l’histoire… Lorsque j’ai acheté ce livre là, on m’a demandé : 

            « Il faudra que vous me disiez ce que vous en pensez, je l’ai lu… mais… ce livre… il est… ah !... il laisse une impression terrible… et cette femme, suspendue par des crochets… qui veut souffrir, les crochets et le sang… et ces relations entre ces trois là… Mathias, Vladimir et Jeanne… » J’ai répondu oui.

 

            Je suis bien retournée dans cette librairie, mais je n’ai rien dit. On ne m’a rien redemandé. L’alcool et la nostalgie… On n’en parle guère… C’est passé de mode. On fait semblant d’être joyeux, on détourne les yeux…l’amour, l’amitié… Voyager jusqu’au bout des choses et des sentiments… Qui veut accomplir ce périple ?...

 

            Des crochets de boucher dans les boites de nuits moscovites… pour donner plus de raison aux larmes, pour rendre plus physique la douleur…

 

            Il y a du sang sur la neige en Russie, il y a des morts, des écrivains, des poètes, Essenine, Maïakovski, Gogol, « Les âmes mortes »,  Tolstoï, Nabokov amoureux des coléoptères, Dostoïevski, « Souvenirs de la maison des morts », le tzarevitch Alexis, mort sur le coup d’une balle derrière l’oreille… Une terrible histoire d’ogres révolutionnaires.

            Il y a Mandelstam mort d’épuisement sur le chemin de la Kolyma, mort de faim et de froid…

 

            Dans le vacarme de la mémoire, la nostalgie est aussi innocence et adolescence, pétales multicolores, pivoines et roses dans la procession des jours.

 

            « Les Tzars buvaient du vin portugais, du vin venu des Açores… Ils importaient à grand frais du Vinho do Pico…

 transsiberien neige

 

 

            Une vie plus tard me voilà dans ce train qui se traîne maintenant avant d’affronter l’Oural…ces mélèzes, ces bouleaux, cette taïga, et le permafrost, cet incroyable sol perpétuellement gelé où dorment toujours les mammouths et les corps oubliés des déportés… »

 

            « Nous rêvions d’une toute autre mort, je sais, nous rêvions d’un sacrifice, d’une noblesse, d’un courage…

 

            Jeanne m’avait bien prévenu, ça ne sert à rien ce voyage, c’était peine perdue, je suis venu pour te ressusciter, pour mourir moi-même, pour te rejoindre je crois…

 

            On ne va jamais au bout des voyages, on s’arrête toujours avant… »

 

Hécate

 

L'alcool et la nostalgie de Mathias Enard Babel 

 

 

 

 

Œuvres de Mathias Énard:

 

La perfection du tir 2003

Remonter l'Orénoque 2005

Bréviaire des artificiers 2007

Zone 2008

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants 2010

L'alcool et la nostalgie 2011

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16 avril 2012 1 16 /04 /avril /2012 09:44

chandelleAdonis

 

 

 

 

« Quelle est douce cette bougie !

Elle ne consent à faire ses adieux à la nuit

qu’en essuyant ses larmes. »

 

« Chaque jour, le soleil laisse des lettres

au bord de ma fenêtre.

La nuit seule sait les lire. »

 

 

 

 

 

            Né en 1930 près du port syrien de Lattaquié, Ali Ahmed Saïd Esher a grandi à l’écart du monde moderne. Pas d’électricité, pas de cinéma, pas de voiture.

          Une destinée aussi étonnante qu’un conte oriental. A douze ans, désobéissant à ses parents, il participe aux joutes rimées dans la ville voisine où le premier président de la République syrienne se trouve en visite officielle. Arrivé pieds nus, couvert de la poussière de la route, il est écarté, il insiste. Impressionné par la déclamation de son poème qui subjugue l’assistance, le président veut récompenser Ali Ahmed. Il demande seulement à entrer dans une école secondaire.

 

«Ce fut pour moi comme une révélation, une épiphanie que je ne cesse de questionner et que je ne comprends toujours pas. » (Adonis)

 

« Le dieu de l’amour est né en même temps que moi que sera donc l’amour lorsque je serai mort ? »

 

Lassé de ses poèmes refusés dans les revues arabes, il a dix sept ans, il prend le nom d’Adonis. Ce mythe d’un dieu né d’une fleur rouge, d’un dieu né de la mort et de la résurrection va porter sa poésie au monde.  

 adonis

Adonis le païen mystique !

 

    « J’ai mes secrets pour marcher

    sur la toile de l’araignée

    J’ai mes secrets pour vivre

    sous les cils d’un dieu qui ne meurt jamais. »

 

« Sans attache, parce que déraciné ; sans repos parce que fils de l’inquiétude et d’une histoire massacrée ; sans illusion parce que voué à la vision lucide, âpre et nue ; sans faiblesse parce que revenu des au-delà de l’enfer, Adonis s’abreuve aux étoiles excessives qui égarent plus qu’elles ne mènent aux lieux saints. Sa poésie, hors de toute obédience doctrinale, continue d’interroger et de décaper. Elle aborde, par accélérations successives et sursauts incantatoires le thème d’une identité poétique et humaine, thème inexploré depuis la mise en garde coranique. Ici se cherche l’être même de la parole, entre ruines et enfance, éloignements et sang, amour et légendes. » (André Velter)

 

Adonis est Mémoire du vent, Charmeur de poussière, Refuge dans l’éclair, Chants pour la mort, Chants pour l’amour, Miroir, Rose, Perle, Orient et Occident…

 

          « Un temps s’écoule, un temps s’enfuit

                    comme l’eau

          Et moi aussi je cours…

 

          Je suis venu

          Encre était le monde sur ma route

          Phrase tout frémissement

          J’ignorais qu’entre nous

                    un pont était jeté – foulées

                    de flammes et prophéties

          Un pont de fraternité…

 

          Me voila pareil au fleuve

          et je ne sais comment en tenir les rivages

          moi qui ne sait rien excepté la source

          l’errance où vient le soleil comme magique herbe noire…

 

          « Mon corps est mon pays. »

 

Adonis l’exilé, s’installe à Paris en 1986.

          « Ô ami, ô fatigue…

 

          Ô jasmin des destructions, ô rose de sang !

 

          Oui

          mon rêve a le droit de délaisser mon corps

          et mon corps a le droit de trahir l’insomnie,

                    l’insomnie qui le hante. »

 

CD Adonis« Le chant traverse tous les canaux de l’esprit et de la chair avant de se poser sur les lèvres et partir pour demeurer chez les autres. La poésie a toujours été dans les anciens temps déclamé, chantée ou dite. » (Abed Azrié)

 

Abed Azrié, voix de chair et de vent sculpte les mots, la langue du chant, la plus vielle langue du monde.

Il a chanté Omar Khayyam, Ibn Arabi, Samih Al Quassam… d’«Aromates » à « Lapis Lazuli » il a chanté « Fleur d’alchimie » et « Pont de larmes » d’Adonis.

 

Une profonde amitié au long fleuve des années.

Abed Azrié chante à nouveau Adonis.

Un aboutissement de toute beauté en rupture avec  tout archaïsme.

 

Un CD et le DVD du récital donné le 14 mai 2011 à l’Institut du Monde Arabe.

Harmonia mundi distribution.

A regarder et à écouter ici un extrait :

 

« Commencement du chemin ».

 

          La nuit était papier et nous étions encreAdonis Commencement du chemin

          (Tu m’as demandé)

          « As-tu dessiné un visage ou une pierre ? »

          (Je t’ai demandé)

          « As-tu dessiné un visage ou une pierre ? »

          Je n’ai pas répondu

          Tu n’as pas répondu

          Nous nous sommes épris de notre silence

          Qui n’a pas de chemin

          Comme notre amour qui n’a pas de chemin.

 

 

                                                                                   Hécate.

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31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 21:18

à ARIAGA

 

GothicGothic

Les Amants de Mory

de

Laure Fardoulis

 

La poésie, inaltérable, prédispose  le mystère. L'errance des êtres, leurs ombres portées, tracent l'énigme de leurs existences, lors les instants évanouis et soudain immortels s'inscrivent  spontanés dans nos consciences tels des météores incandescents.

 

" Jamais une œuvre gothique, prétendument hermétique et obscure, n’a jeté autant de lumière sur la passion, les sentiments et, plus précisément, sur la solitude, ainsi que sur l'idée culte que nous nous faisons de ces simples énigmes qui sont le moteur de la vie et de la mort ".

Zoé Valdès

 

 

Il y a certains livres qui me hantent comme hante l'irréalité d'un rêve, qui me captivent et me capturent. Devenue leur proie il m'est impossible de résister à leur appel.

Celui-ci vampirise comme l'amour inattendu au détour d'une nuit !

 Il est tel un songe drapé du suaire de la transparence, tissé d'ébauches qui débauchent l'esprit et égarent sens et raison.

 

« Le village picard de Mory, à flanc de coteau .Un manoir, une belle propriété, quelques fermes…une église élancée, passablement abimée par le vent du nord…

La fille du maître du manoir, Pandora, si bien nommée par l’esprit fantaisiste de son père, est une belle jeune fille de dix-neuf ans, grands cheveux noirs et petit visage triangulaire, idéaliste et sauvageonne.

…Benito est un jeune homme brun au visage pâle, solitaire et voué à des tâches qu’il n’a pas choisies.

 

L’histoire commença en l’an MMXI, lorsque Pandora se demanda quel était ce bruit profond et sourd qui habitait ses nuits et la maintenait éveillée.

…ce qui vient des entrailles de la terre vous semble à jamais familier, tel le mouvement perpétuel du magma des tous premiers temps. En ces nuit d’été si douces, Pandora se relevait et quittait sa chambre pour rejoindre les grandes étendues éclairées, taches lunaires presque fluorescentes : il lui semblait alors que l’histoire du monde avait laissé quelques anciens vestiges de vie qui, ainsi accumulés, constituaient la texture d’un temps fluide, légèrement tremblante… habitée. »

 

lune aiolosSous la lune, de l’ombre gothique de l’église, un étranger va se lever, et aborder la jeune fille.

 

« Ai-je donc tant d’intensité sans espoir en moi pour penser qu’un acte aussi anodin qu’une telle rencontre pût émaner d’une prophétie et que j’en sois l’héroïne ? » 

 

« -  Benito, dit-il en se présentant…  Content que vous ne soyez pas une ombre. »

 

« Chaque nuit, à des heures différentes, se levait Pandora, mais son nouvel ami restait invisible…

Et la deuxième rencontre ne renversa d’aucune manière les données romanesques précédemment immergées de la nuit picarde. »

 

Sur la troisième marche d’un petit escalier de la porte de l’église, Benito assis attendra Pandora.

 

« Les mots n’existaient plus, raccourcis d’instants ; en un laps de temps vraiment immoral… ils s’étreignirent. Parole déjà vaine. Et la longue chevelure se répandit sur la peau de Benito. »

 

Dans la réalité du jour appréhendé, s’écoule la vie quotidienne dans une  maison vouée à la fantaisie d’un père monologuant Shakespeare.

 

« Où est mon fou ? Holà ! Tout le monde dort ici ! »

 

Pandora retrouvera Benito…

 

« Exactement assis sur la troisième marche du petit escalier de la porte latérale de l’église… »

 

« Ils entrèrent dans l’église.

                              Je suis sans antécédent.

Ma nudité n’appartient qu’à la nuit

                              dont tu es le gardien.

J’ai froid et mon cœur est démesuré.

                              Ce qui me déchire ? L’absence de Toi…

Rien n’est immoral. Rien n’est amoral.

-        nous sommes sans antécédent. »

 

 

L’alternance des nuits, des jours, des attentes tandis que le père de Pandora majestueux Roi Lear invectivait le vent du nord.

Alternance de la présence. Alternance de l’absence. Attente de l’aimé.

 

« La nuit suivante il était là.

                                        Nulle retenue, pour les véritables amants.

 

Encore en elle

                                        Confondus.

 

église nocturne aiolosEn pleine lumière, l’église semblait s’adresser à ces amants de contrebande qui la hantaient nuitamment sans scrupules. »

 

Pandora perdu en conjectures, interrogeait, dévêtue, le miroir du salon, s’évaluant.

 

«  Comment garder une apparence intacte dans le mouvement irréversible du temps ?

Benito rêvait que son sang à elle était aussi le sien, un sang chaud, l’irradiant entièrement : sœur incestueuse ; ils accéderaient ainsi ensemble à une identité comme indéfectible, née de cet instant de chaleur charnelle, contre cette vieille cloche, au milieu des plumes, des débris d’ailes éparpillées dans la poussière, sous le regard fixe d’un hibou lové dans l’ogive de l’une des deux fenêtres frontales de l’église, immobile. »

 

                    « Je la rejoindrai, ne serait-ce que dans la luxure.

Puissé-je me dissoudre en elle en murmurant ce vœu

Je la rejoindrai, puisqu’à son égal, je suis l’immature.

Ainsi tous mes actes demeureront purs.

                    Je suis enterré depuis si longtemps. »

 

Benito qui n’était ni jeune, ni vieux, ni beau, ni laid, était au-delà. Et s’il lui fallait prendre un confesseur, à l’avenir, ce serait celui qui parlerait le mieux de l’enfer !

 

« Dans le silence, il vint s’étendre lentement sur elle et posa ses bras sur les siens, en croix : ironie, jeu, provocation ou sens inné du sacré ? Il resta ainsi immobile sous la voûte en bois peinte, blanc usé. Au loin, une vierge en pierre posée à leur niveau sur les dalles pourrait témoigner, bien que son regard inexpressif se perdit au-delà. »

 

Univers de dédales, de terre, d’appel des profondeurs, de géographie, de lieux de temps autres dans la marge de l’Histoire, comment ne pas songer au terroir nervalien, ici à Mory modeste hameau aux six puits, aux trois fontaines, aux deux moulins à vent… Quand le songe s’épanche et répond à tous les songes sortis de la terre et non ensevelis… notion abstraite de l’avenir. Ramifications veineuses des mains, petite porte rouge d’un hangar en brique dont la clé ouvre sur une trappe et… sur l’amour absolu !

 

« Pandora se sentait délicieusement diluée… » Un seul des filets bleutés à fleur de peau en s’ouvrant, et « le rouge se répandrait et descendant le long des marches, s’enfoncerait dans la terre jusqu’à lui… »

 

Athéna Aiolos« Entourés d’un mur, les cimetières de Picardie sont presque toujours en dehors du village.

Et Pandora, ce jour-là, en poussa la grille.

Dans la plaine lunaire, l’ombre des grands arbres formait des taches noires… ils marchaient tous deux vers les cyprès et l’enclos du petit cimetière…

Une sorte de gaité éphémère les emportait vers le point mystérieux de leur histoire… Derrière eux, les lumières du manoir situaient le village. »

 

« Quel effet la vision de notre propre tombe pourrait-elle produire sur nous même ?...

 

La splendeur passée d’un pays et d’autant plus pathétique lorsque des vestiges en témoignent encore. »

 

                    Escales baroques de haute nuit et de sacralité abolies de toutes frontières… fusion alchimique du rêve et de la vie.

 

 

EST- Samuel Tastet Editeur.

 

Hécate.

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 13:37

blesse, ronce noire coverBlesse, ronce noire

de

Claude Louis-Combet

 

 


« Blesse, ronce noire. Ce sont les derniers mots que Georg Trakl fait prononcer à sa sœur, Gretl, dans le poème Révélation et anéantissement, écrit peu avant la bataille de Grodek (1914) d’où, la drogue aidant, il ne devait pas revenir.

Lorsqu’on considère les photographies conjointes du frère et de la sœur, on peut se demander qui fut le premier à dire les mots de la douleur, de l’amour et de la faute et dans quelle secrète complicité naquirent les poèmes. Dans l’espace de la proximité ouvert entre ces deux faces d’amants et d’artistes, on peut rêver abondamment sur le sens de la dilection, de l’écriture et de la déréliction. »

 

Automne 1897 

            « Le garçon a tout juste dix ans et sa sœur vient d’en avoir cinq. De tous les êtres qui peuplent la maison, cette petite fille a été reconnue par son frère, depuis le commencement, comme celle par qui la ténèbre arrive. »

 

            Dans un soir d’un songe ardent, tourné vers le miroir, multitude d’apparences et de reflets, les enfants pouvaient se découvrir tels qu’en feu et se regarder agir sans perdre de vue la languissante exténuation du crépuscule.

 

            « La petite fille s’empara de la plus grande des poupées, l’unijambiste, et l’étala comme une étoile sur un coussin de velours sombre… Cependant le grand frère avait dégainé le sabre et celui-ci, qu’il tenait à deux mains, luisait doucement dans l’espace profond du miroir. Assurément, une exécution – un sacrifice allait s’accomplir…

            La lame était légèrement recourbée, mais la pointe acérée. Ce sabre était un bel ornement de flibustier, une pièce de panoplie de pirate fornicateur…

Le garçon engagea son arme sous la robe qu’il souleva et rabattit. Le pantalon de poupée fut alors exposé clairement et, à son enfourchure la lame put pénétrer, sectionner. La petite fille regardait… elle adhérait, de tout son désir d’enfant, à la volonté de son frère. Il était le maître…  Voir – voir et regarder, contempler un instant – suffisait largement au désir…

            Elle n’avait que cinq ans mais elle avait beaucoup pensé et s’était aventurée loin en elle-même. Elle se laissa donc dépouiller le bas du corps et, tout le temps, regarda dans le miroir son frère qui la regardait.

            Il n’y eut rien de plus…

            Un regard seulement, un long regard tandis que le jour s’absentait, juste le temps nécessaire pour que s’éveille l’adoration. Le corps était à la fois clos et ouvert, offert et réservé. Il n’était ni indécent ni outragé mais singulier, en vérité. Le dessin du sexe paraissait ici, dans l’insolite complicité des enfants… Ils éprouvaient, comme une morsure du cœur, à quel point ils se trouvaient interdits de désir entre eux et contre quoi il leur faudrait se dresser s’ils voulaient se retrouver un jour au seul miroir de leur destin. »

 

            Ni roman, ni biographie « Blesse, ronce noire » est une plongée hallucinée dans le passage de l’enfance à l’adolescence jusqu’à la finalité fatidique.

            Une langue de toute beauté où le classicisme est une force plus que jamais qui porte haut les ténébreuses amours incestueuses et le paysage intérieur du poète Georg Trakl tout de silence et de stupeur stupéfiante.

            Imprégné de Novalis, d’Hölderlin, de Rimbaud, Nietzschéen dans le nihilisme et l’exigence des aboutissements des pulsions, se débattant dans la douloureuse hantise du mal et de l’idéalisation sans limite, comme de la conscience dans le mal, l’œuvre de Trakl est toute entière traversée d’écorchures, d’écartèlements, de désolations dans la neutralité hivernal de l’engloutissement blanc de la mort, dans la descente aux profondeurs.

 

 «… se dressa sur des ailes de lune par-delà les cimes verdoyantes et les récifs de cristal la face blanche de la sœur. 

            Sur des semelles d’argent je descendis les degrés envahis par les ronces et pénétrai dans le réduit chaulé. » (Georg Trakl) 

 

Eté 1905 

            « C’est l’été des treize ans, une nuit de canicule. La jeune fille a le ventre lourd… Le sang de lune se prépare à couler pour la première fois et la jeune fille veut le voir sourdre de son sexe. Elle l’a promis à son frère. Elle lui a écrit : Cela se passera une nuit et moi, je veillerai… Et mon sang ne sera pas chrétien. Il ne viendra pas d’en haut, provoqué par un rais de lumière, mais d’en bas et du fond, là où la terre est plus noire que la terre et où il se trouve que je suis ta sœur par-dessus toute femme, ta sœur qui t’aime et qui t’attend.

            Elle écrivait chaque jour à son frère mais ne lui envoyait pas ses lettres.

            Tu es parti mais tu ne m’as pas quittée. Tu es toujours ici. Tu me regardes. Regarde-moi encore. Je voudrais passer toute ma vie à être regardée par toi… »

 

1905 – 1909 

            « Il aurait voulu être chimiste pour connaître et pharmacien pour soigner…

            Composer des pommades et des pilules, cueillir et conserver des simples, exécuter des ordonnances, c’était autant de tâches dont le seul horizon se voulait la santé, le bien-être, le secours et la consolation. »

 

           800px-Engel-Apotheke Linzer Gasse Georg Trakl commença un stage à Salzbourg à la pharmacie de l’Ange Blanc, bien qu’associant dans ces rêveries sa quête de l’élémentaire à l’obscur préparation du péché. Il considérait que ses études étaient une faillite. La pensée idéaliste ne lui paraissait pas animer la recherche scientifique.

 

            « Il fallait que l’homme connût la chair de l’être qui lui était, par l’esprit, le plus proche, la chair du Double, la chair de l’Ombre que deux êtres fussent entre eux comme le Même : nécessairement ils devaient s’aimer, jouir ensemble, au-delà de toute jouissance commune…

 

            Nous serons la flamme – écrivit-il à sa sœur, dans l’ivresse de sa vision. »

           

            « Il buvait dans la solitude, sans jamais sombrer dans le tangage des ivresses communes. Il accédait par l’alcool à la transparence, à la netteté de la sensation…

            C’était une difficile entreprise de création de soi-même, un opiniâtre dévoilement de l’être et du monde, à distance de toute effusion romantique comme de tout formalisme d’écriture…

            Etre, écrire, aimer – les termes s’interchangeaient dans l’unité d’un même mouvement de raréfaction du verbe et de retour en soi. »

 

            Dans son rapport avec les femmes, il avait éludé son désir et différé le moment. Eloigné de sa famille, il ne caracola pas dans les multiples cercles de la réalité féminine. Souci de ne pas se lier, timidité, concentration sur lui-même.

 

            « Cependant, il lui fallait affronter l’épreuve du sexe. Un désir épuisant le tenaillait. Céder alors…

schiele            Les oripeaux de ces dames se ramenaient à peu de chose : une paire de bas noir, des froufrous avachis… vaste corps bouffis… seins ballottants, pubis exubérants, cuisses veinulées et cireuses couvrant de leurs replis la fondrière du sexe… et le grand moment de solitude du désir impartageable…

 

            Il était, à présent une béance et une loque, rien moins qu’un petit mâle au zénith…

 

             Et tout comme il affectionnait les boissons incendiaires qui torturent le goût sans le remplir, il se soumit à des vulves excessives qui le malaxèrent tout entier et l’épuisèrent sans jamais entamer ce noyau de virginité autour duquel son cœur s’était construit et qui s’exprimait plus lumineusement que jamais dans les poèmes de rêve et de folie qu’il écrivait pour sa sœur…

            Cependant quelque chose en lui résistait à cette fascination du néant sexuel et de la petite mort. »

 

Eté 1909 

            « Comme ce jour-là était un dimanche, ils étaient allés à la messe en famille, le matin. Ni l’un ni l’autre n’avait prié. Ils rejetaient Dieu violement. Cependant ils croyaient en Dieu, ils croyaient en la Présence réelle…

            La sœur avait beaucoup grandi, s’était développée, épanouie… Elle marche devant. Elle porte une jupe claire et un corsage léger.

            Elle avait écrit déjà : Je t’emmènerai hors du regard, là où Dieu seul pourra nous juger.

            La sœur le précède comme une ombre blanche. Mais lui, dans la tension de sa pensée, la perçoit plus noire, plus attirante et dangereuse qu’un puits ouvert soudain dans l’espace de son cœur…

            Il peut se considérer lui-même aussi vierge que sa sœur. »

 

            Sous un ciel insupportable d’intensité, la montée d’un élan exalté, avec la barrière des sapins, dessin d’une ligne noire, paysage d’autres confins vont s’accomplir vers l’autel des orties et des ronces, les noces sacrées.

            «  Il ne tenait qu’à elle de s’arrêter sur le chemin, elle le ferait bientôt, de se retourner vers son frère, d’ouvrir sa robe et de dire, ainsi qu’elle l’avait écrit : Prend, je t’appartiens, prend cette sœur qui t’est réservée, et blesse, blesse-moi, ronce noire. »

 

prunus spinosa 1             « ...le frère, que l’angoisse du désir accablait, avait brisé de ses mains une tige épineuse, une tige feuillue et fleurie en son bout – une branche d’églantier. Sa main saignait…

 

            Sa tige à lui était dure et cruelle, obstinée et implacable. Elle avait poussé aux premiers temps dans le désert, là où le cœur est calciné avant d’avoir battu. Elle portait des griffes et des crochets et avait fleuri dans la famine…

            Cette fleur était virginale, mais à quel prix ?

            …de sa verge d’églantier, il l’agaçait dans le cou, entre les épaules, contre la joue, la caressant de sa fleur, la griffant de ses épines…

… Et la sœur, dans la tourmente des parfums et le fouaillement incessant des épines sur sa peau, sentait ses flancs s’élargir et son âme monter avec son souffle. Sa main blessée d’épines brûlait. Il avait dans sa gorge le goût du sang… Il agitait sa branche d’églantier. C’était une torche.

            Il était après elle comme après sa propre ombre lorsque, enfant, il cherchait à y poser le pied. »

 

Mars 1913 

            « Aucun acte ne pourrait jamais contrebalancer le poids de plaisir et de joie qu’ils avaient partagé. Aucune pensée, leur appétit de faim. Aucun mot, aucun poème, leur part de silence dans l’absolu de l’amour accompli.

 

            Il ne s’était jamais pris ni pour un grand chimiste ni pour un grand métaphysicien. Les quelques amis qu’il avait et qui l’aidaient matériellement, à se produire en de rares publication, ne saisissaient que l’étrange beauté des associations de mots sans accéder au secret…

 

            Il ne s’était jamais reconnu comme une intelligence plus cultivée et pénétrante qu’une autre. C’est pourquoi il faisait sienne cette idée vieille comme le monde que tout bonheur se paie de peine.

            Blesse, ronce noire. Qui avait écrit cela le premier ? il ne savait plus ce qui était d’elle, ce qui était de lui. »

 

Octobre – Novembre 1914 

            « Il ne comptait plus les jours depuis qu’il avait rejoint le front. Il avait pour tâche de repérer les blessés qui pouvait être soignés, de leur administrer les premiers secours, de les charger dans les ambulances, sortes de roulottes de romanichels devenues fourgons d’agonie. Les obus éclataient de partout…

 

            Que tout se taise au-dehors et que cette voix lui revienne dans le souffle et le chant : Blesse, blesse encore, ronce noire, encore et toujours.

 

            Il n’avait qu’une mince provision de cocaïne entre les étoffes de son uniforme. Plus d’une fois, il avait été sur le point de l’offrir à un grand blessé dont la souffrance lui brisait les nerfs. Mais c’était sans fin comme les aumônes. A présent c’était lui qui avait besoin d’un suspens dans cet abrutissement de fatigue et d’angoisse où il coulait. Hier, c’était la Toussaint. Aujourd’hui le jour des Morts. Demain, s’il se pouvait le jour des Survivants… »

 

                                             ABANDON A LA NUIT

 Georg Trakl

    Prend-moi, moniale, en tes ténèbres,

    Vous montagnes froides et bleues !

    Saigne la rosée de ténèbres ;

    Croix dressée dans l’éclat des astres.

 

    Brisés pourpres bouche et mensonge

    Dans la froide chambre vétuste ;

    Brille encore un rire, jeu d’or,

    Dernière sonnerie de cloches.

 

    Nuage lunaire ! Noirâtres tombent

    Des fruits sauvages dans la nuit

    Et notre espace devient tombe

    Et notre vie terrestre, rêve.

 

Georg Trakl

1887 – 1914

 

            Ma première rencontre avec la poésie de Trakl s’est faite par le biais d’une pièce pour orchestre de chambre et voix d’hommes du compositeur Philippe Hersant « Der Wanderer » poème choisi pour ses deux derniers vers :

            «Et lui s’en revient, le long des berges vertes,

Bercé sur une noire gondole, à travers la ville écroulée »

 

            Deux extraits d’un entretien avec Claude Louis-Combet né en 1932 :

 

            « La lecture de Freud m’a permis de comprendre l’importanceLouis-Combet Claude essentielle des expériences de la petite enfance dans l’histoire de l’être individuel. Jung m’a ouvert aux sources de l’imaginaire par l’approche de l’inconscient collectif et des mythes. Rank m’a éclairé sur la dialectique de la névrose et de la création. »  

           

            « Je n’attache aucune importance à la critique, c’est peut-être la raison pour laquelle beaucoup de mes  livres sont passés complètement inaperçus. La presse m’a fait la grâce de m’ignorer. Je n’en ai été que plus libre d’écrire ce que j’ai écrit… »

 

 

 

Editions Corti.

Les Massicotés.

                                                                                                                                                     Hécate.

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30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 20:22

coverL’amour au jardin

de

Jean-Pierre Otte

 

 

 

 

            « ….Mille pariades, appariements, noces et épousailles tour à tour somptueuses et sanguinaires se déroulent en ce livre, véritable et odorant bréviaire des alcôves ! C’est qu’il est écrit par quelqu’un qui à l’instar de J. H. Fabre, a pendant des années observé de près, de très près même, la vie des fleurs, des insectes et des animaux de son jardin et qui a su aller au-delà des simples descriptions, si précieuses et minutieuses soient-elles, quelqu’un qui, comme l’Alice de Lewis Carroll, put franchir l’invisible miroir qui nous sépare de nos compagnons d’existence floraux et animaux. »

 

               Conviés par la préface de Jacques Lacarrière à un voyage au cœur des calices et des corolles, dans l’intimité des rêves et des herbes nous découvrons après L’ETONNANTE TROMPERIE DE L’ORCHIDEE – ABEILLE, la SECRETE VIOLETTE et LES INTERDITS DE LA PRIMEVERE… D’AUTRES VISITES INTIMES… en passant par LA STRATEGIE DE L’ARUM, sans oublier UNE REINE DE LA MAUVAISE GRAINE…ce voyage nous mène en voyeur d’abord étonné, puis ravi, enchanté, parfois horrifié…

 faux-bourdon

               Etre un bourdon ou même un faux bourdon, corseté de velours fauve, cerclé de cuivre et de cinabre avec de magnifiques yeux noirs… Une expérience qui réserve bien des surprises…

 

               « Au-delà de la pluie, dans les lacs bleus de l’embellie, c’est un espace inconnu qu’il affronte, un pays pourtant déjà parcouru mais redevenu étranger sous un subit resplendissement. Des vapeurs voyagent et une brillance d’eau s’est ajouté aux couleurs… Au hasard de l’air, il décèle tout à coup les molécules d’un parfum fort, qui lui rappelle celui d’une femelle de son espèce… Le message lui soulève les sens, marque une direction, la voie la plus courte… Sans plus avoir l’humeur du flâneur mais celle de l’amant empressé, il s’introduit dans l’espace du jardin. Au détour d’un massif serré de romarin, il aperçoit enfin, cette femelle au parfum impudique… »

               Amant frustré, fébrile et s’épuisant sans jamais obtenir son plaisir il est la proie d’un leurre, il perce la pilosité à l’endroit convenu, sans trouver d’orifice. « Cette fille présenterait-elle un vice de conformation ? »

            orchidée-abeilleL’Orchidée-Abeille déguisée grimée, avec un cynisme parfait, une indifférence efficace au fil des âges est parvenue à obtenir une étonnante ressemblance avec l’abdomen d’une abeille…

Le seul risque mais majeur pour la fleur, c’est quelle ne fasse l’objet d’aucune convoitise amoureuse. Je ne dévoilerai pas ses raisons secrètes…

 

               « Il faudrait, écrit J.P. Otte, parvenir à pénétrer les replis parfois tortueux de l’intelligence des fleurs. Cette superbe supercherie cache peut-être des imaginations féminines fort complexes, un dessein mystérieux, une perversité qui pèse ici entre l’attrait parfait et la frustration indispensable de l’amant. »

 iris violet

               L’Iris pointe d’abondance, dès février, des feuilles étroites en baïonnettes. « L’architecture est d’une découpe extravagante. Elle semble un éclatement délicat, aérien, fragile. C’est un envol figé avec ses foulards, un temple éthéré aux entrées trop nombreuses pour ne pas être dérobées… On dirait que la fleur sur sa tige est le résultat excentrique d’un soufflage à la canne. »

 

               Se faire abeille, s’aventurer dans une alcôve de l’inconnu, sans bruit, sans ombre…

La fleur qui reçoit en privé s’ingénie à offrir ses alcools. « N’est-elle pas à l’écoute d’elle-même, du moindre tressaillement dans sa chair ? »

 

               « La Primevère est certaine de ses attraits. Une timide ? Ce n’est pas sûr. Mais une vierge disponible, qui a fixé ses règles, ses interdits, ses limites à ne pas franchir primevèretout en ayant l’ingéniosité et les moyens de sa rigueur morale.

               Les primevères, à première vue toutes pareilles, sont en réalité de deux espèces. »

               Sous sa fragilité angélique, si un squelette était à imaginer à la primevère, il ne pourrait être constitué finement que de fils étirés de verre. Mais il y a deux clans chez les primevères…

               « Aucun désir peut-être qui ne soit réalisable s’il est intense car toujours le don l’accompagne »…

 

               « Loin de cette amour culpabilisant  « où l’on meurt pour nous en rémission de nos péchés », il nous appartient de lire dans la Passiflore la figure de passions plus exaltantes. D’y voir peut-être l’emblème intime et richement doté du corps féminin ou passiflore bleuede son sexe-écrin. Mais ne serait-ce pas encore trahir la fleur, l’enfouir sous une autre projection ?... N’en a-t-on pas fini de fixer des symboles ou de quérir des signes de reconnaissance, quand c’est au réel et au rêve qu’il s’agit vraiment d’accéder… L’on dirait une émigrée créole, qui reste bariolée dans ses appâts pleine de luxuriance et d’humeurs, riche de couleurs éclatantes, ouverte dans l’ombre, au soleil, au bleu conjugué du ciel et de la mer, dans d’anciennes mémoires suspendues par des astrolabes et des nombres d’or. »

               Assiégée par les oiseaux, de toute les fleurs qui s’offrent à eux dans le jardin celle de la Passion est la seule à les attirer, les captiver vraiment. « Ils s’enfoncent dans l’exotisme, fouillent du bec l’étrangeté colorée. C’est comme s’ils voltigeaient autour d’un conte des îles ou d’un coffre de pirate, d’où on leur sort des merveilles. »

         violette     

               « De ces scènes d’amour, surprises autour d’elle, la Violette nourrirait-elle ses fantasmes, ses rêves les plus osés ?

               Ces fleurs semblent des yeux. Des yeux-fleurs fragiles et froids, d’une couleur qui s’obtient par un juste mélange du rouge et du bleu. Comme si il y avait en elle un équilibre libre et passionné entre l’esprit et les sens, entre le désordre amoureux et une sorte de sagesse réservée. » De la violette sobre, jolie, coquette sans complexité inutile au parfum entêtant et subtil destiné à signaler sa présence, je ne diffuserai pas non plus ses secrets… ni comment ces fleurs, aux premiers jours d’août en leur seconde floraison ne s’ouvriront au monde. C’est là son intimité enclose dans les pages de ce livre. 

  sabot-de-venus

 

 

               C’est dans un songe oriental que se hasarde le bourdon, en pénétrant dans le Sabot de Vénus. Lieu, tout à la fois grandiose et confiné, dilaté d’un silence luxueux.

 

 

 arum

 

                La mouche aux prises avec la stratégie de l’Arum, à peine dans le corps du logis, elle s’émerveille de la clarté glauque où la chaleur croît et lui engourdit un peu les membres… « Dans l’intimité silencieuse, elle découvre un trésor de sécrétion, dont elle commence a se nourrir avidement… Son amour propre refuse encore de croire à un piège après une si belle réception…»

 

               « Au milieu du chiendent, du rumex, du séneçon, de la garance, des vesces à vrilles ou des chardons, l’Euphorbe fait figure de reine païenne. Elle grandit entourée d’une peuplade disséminée et maudite, à laquelle on interdit de jeter l’ancre. Le lait du diable dit-on, brûle dans sa tige et ses feuilles glauques-pruineuses rendent les chats aveugles...

euphorbe sauvage            Quand on est reine de quelque chose ou de quelque part on a les caprices de son rang, la liberté de ses fièvres et une gloire accordée à tous les remous imprévisibles du monde. En matière amoureuse, on s’attend à ce qu’elle se montre d’une passion sauvage et rebelle, d’une fougue secrète, inventive et indomptable, ayant recours aux philtres, aux drogues ou à d’autres artifices, si besoin est. »

               Je laisse le lecteur ou la lectrice marcher vers ces marges que la culture n’a pas atteinte et corrompue, parmi ces bandes bohémiennes qui apparaissent de toute part dans le jardin…

 

               «Du cannibalisme amoureux du carabe doré expéditif, sans curiosités timides, ni approches ni attouchement, voyons la Mante, merveille d’esthétique d’un mystère confiant et fier qui se dresse d’évidence à la lumière. Elle a de la grâce, de l’élégance. On la découvre plutôt portée à l’extase lente. Ses ailes ne sont jamais les organes d’aucun vol, mais comme les parures reçues en héritage d’une ancienne et haute royauté. »

              mante « L’œil est exorbité, d’un vert de jade sans transparence étonné gravement de tout, et qui semble englober le monde ou le recueillir dans sa rondeur. La mante regarde : là est sa grandeur.

La mante possède le sens de l’observation, les meilleures dispositions à la contemplation. »

 

               Les agapes de la mante se font aux hasards nombreux et aux imprudences du gibier de saison…mouches à reflets bleus en amuse-gueule ; tripes de carabe ou cuisses de sauterelle en hors d’œuvre ; enfin, un criquet cendré ou une belle épeire diadème en plat de consistance.

               « Comme boisson, l’eau-de-vie brûlante de quelques gouttes de rosée.» Le mâle de taille moindre l’a repérée…il s’approche au ralenti… Il la contourne… Il est entré dans le champ hermétique des attirances irrésistibles et des dernières prudences.

 

               Sur un signe d’assentiment il la rejoint. Près de deux heures d’accouplement sans préliminaires, ni baisers ni attouchements ni mordillements délicieux… Tandis qu’il l’étreint, la mante relève ses pinces et les applique savamment au cou de son partenaire. Le mâle qui s’attend à une spécialité ou une caresse insistante perd la tête : d’un coup de couteau-scie son amante vient de la lui sectionner…l’accouplement n’en continue pas moins… De ses ripailles amoureuses, elle ne laisse de son partenaire que les ailes.

 

               « Plus que d’une passion, il s’agit d’une véritable assimilation de l’autre offert à une digestion lente. »

 araignée

 

               « A quoi rêve une Araignée si elle rêve ? Son attente s’emplit tour à tour des couleurs fluides de l’enchantement, de la craie noire du désespoir ou de la dérision, puis des élans rougeâtre du délire. Sans cesse, à partir de sa capacité d’aimer, elle crée, recrée la figure indéfinie de l’être attendu. » Son baiser est venimeux…

 

 

 

               Les vers luisants sont des ETINCELLES DANS LA NUIT, dans l’ombre ébène du escargotsjardin… NOCES D’ECUME des Escargots, les sexes se mêlent, les sexes s’unissent. « Et comme chacun d’eux est à la fois mâle et femelle, ils sont en même temps pénétrant et pénétrée… A chaque fois qu’ils se rétractent puis s’étirent, l’écume s’exprime en réponse à d’autres stimuli. Ils se découvrent l’un pour l’autre voluptueusement visqueux, volubiles et souples dans l’euphorie musculaire qui s’empare d’eux jusqu’à l’absolu ravissement. »

 

               « …Prés de l’auge boueuse gorgée par les pluies, c’est en gros plan que l’on voit réapparaître le Crapaud. Il sort d’une tombe peu profonde et provisoire, d’une obscurité basse et serrée, de l’engourdissement d’une vie léthargique et ralentie, sans doute privée d’étoiles…

 

 Crapaud              Il est apparu comme un dieu avorté et difforme, une créature innommable sortie des imaginations morbides…

L’expérience apprend qu’il est avantageux d’apprivoiser ses aversions et, mieux, de se les allier… Ainsi, sous la loupe pour autant que le crapaud se laisse observer un peu longuement, sa peau « criblée de verrues » se révèle une plage sélénite, recourbée sur elle-même avec des cratères et des brillances étranges. C’est comme la face cachée de la lune que personne n’a jamais vue mais dont tout le monde a auguré. Mais peut-être cette apparence que l’on trouve d’abord monstrueuse emprisonne-t-elle, comme dans les contes, un Prince charmant pour celle qui réussirait à conjurer le mauvais sort. Un baiser de colombe dans la bave du crapaud ressusciterait peut-être le Prince de ce corps ramassé sur lui-même et qui paraît d’une consistance de boue et de bronze.

 

               Dans la nuit, il lance sa note métallique et brève. A le mieux écouter, ce chant a ses harmonies, ses modulations, ses fréquences différentes, des sonorités liquides dans des emportements de contralto. Le coassement lui-même produit un choc, une fracture dans la coalition musicale… »

 

               A la période des amours, si son chant demeure sans réponse, sans écho à travers les innombrables couloirs de la nuit, le crapaud va dépasser ses habitudes familières. Il s’aventure dans l’ailleurs, conduit par un instinct qui relève de la radiesthésie.

               LES FECONDATIONS EXTERIEURES sont de longues et singulières noces qui durent au moins le tour complet d’une horloge. Que sait-on du plaisir de leur accouplement, alliance de liens qui ne nous sont pas perceptibles ?...

« Un chant sonore, limpide, liquide même, par notes détachées et presque semblables, comme le son concentrique et lointain d’une clochette dans un temple englouti.

Le sortilège n’est pas loin. »

 Jean-Pierre Otte

            Né en 1949 et établi dans le Lot dans un immense jardin, amoureux des mystères de la femme, de la terre et du vin, Jean-Pierre Otte est poète, entomologiste et chroniqueur invétéré de la beauté des mondes qui nous échappent.

  

 

Hécate.

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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 15:32

Mélancolie des corbeauxMélancolie des corbeaux

de

Sébastien Rutés

 

 

 

 

« Sur les hauteurs du parc Montsouris, des féviers d’Amérique poussent le long des pentes de la voie ferrée désaffectée… Certaines nuits, l’entrée du tunnel abandonnée avale des ombres en maraude le long des rails. Paris les digère sans jamais rien recracher. Seul le souffle du vent qui s’engouffre au soir dans son mufle affole le silence…

C’est là que je vis, sur la quatrième branche du plus haut févier… Mes voisins connaissent mon goût de la solitude. Que je les inquiète n’explique pas peu qu’ils le respectent. Il faut admettre que je fais rien pour améliorer la réputation des Corbeaux, sans en rajouter : nous n’avons tout bonnement pas de contacts. Je concède d’ailleurs volontiers que ce sont des animaux discrets et de bons voisins. Le couple de Pies de la première branche n’est pas bavard, c’est une chance. La femelle fait en sorte que ses petits ne s’approchent pas. Qui sait ce qu’elle leur raconte sur moi ? »

 

          Par les Corbeaux des Trois Croix ! Ce livre de la collection « Actes noirs » ne pouvait qu’à un moment ou à un autre m’échoir !... Ma plume en est toute frémissante !...

          Des lecteurs et lectrices familiers de mes chroniques j’imagine les sourires amusés…

 

          Irrésistible histoire que celle de Karka le Corbeau freux qui vit en ermite, depuis que son aile fut brisée par un Epervier jusqu’au jour où les Mouettes colportent une rumeur singulière : les bêtes du bois de Boulogne disparaissent et le Grand Corbeau du Conseil des animaux de Paris le fait mander après bien des années.

 

          « Par pudeur, j’essaie de ne pas jouer les vieux de la vieille. Je n’invente rien. Je n’hésite pas à avouer que je ne comprends pas pourquoi la banquise recule, pourquoi la forêt brûle, pourquoi les humains se battent entre eux.

          Statue du lion mort parc MontsourisEn échange de mes conseils, les jeunes Mouettes m’informent…

          La statue autour de laquelle la colonie des Mouettes s’est installée représente quatre Humains qui transportent la dépouille d’un Lion. Il ne faut voir aucun allégorisme : l’ensemble fait un toit où s’abriter des intempéries et, perché sur la crinière du fauve, on domine le bassin.

          Ierk m’y attend chaque soir. Elle est la Mouette rieuse la moins drôle que j’ai connue… »

 

 

          Entre polar et conte philosophique, drôle de roman qui revisite Paris avec un autre regard :

 

corbeau en vol« D’un coup d’aile je gagnai la Ménagerie du Jardin des Plantes. Les animaux enfermés ici purgent de longues peines. Souvent, ils n’en sortent que dans un sac en plastique noir ou empaillés pour le Muséum d’Histoire naturelle, les moins chanceux sont emmenés au laboratoire pour y subir des expériences dont la simple mention hérisse mon plumage. Les détenus ne se font guère d’illusions : condamnés à mort, ils finiront, sur une table de vivisection lorsqu’il faudra désengorger les cellules pour accueillir d’autres pensionnaires. Exécution par bistouri, au mieux par injection. Direction la décharge ou la crémation dans le meilleur des cas, sans la moindre chance que le vent porte leurs cendres jusqu’à la savane natale. »

 

 

          Karka d’un élan zélé retrouvant ses ailes vient visiter la plus ancien détenu de cette sinistre prison, répondant au sobriquet de Léon.lion en cage

 

          « Conséquence de son passé glorieux autant que de sa déchéance ce Lion autrefois majestueux avait développé, au fil des années un complexe de supériorité à la limite de la mythomanie, coutumier chez qui ne se résignent pas à la perte du pouvoir…

          La cage de Léon avait changé depuis ma dernière visite, son goût de l’apparat devait s’en trouver flatté. On avait rajouté des plantes, le sol de béton était recouvert d’écorce, il y avait un bassin d’eau propre. Ainsi vont les mentalités : une couche de peinture sur les désespoirs épargne un ménage de fond aux bonnes consciences… »

 

          « Nous te saluons Karka !

          Pauvre Léon ! Il n’allait pas mieux, voila qu’il se donnait du vous. On aspire d’autant plus au respect que l’on se sent déchoir… Néanmoins il avait de la mémoire pour son âge…

          Majesté, quel honneur ! ramageai-je du miel dans le bec…

          A sa place, j’aurais préféré l’oubli dans la folie à la folie dans le souvenir…

          Notre destin s’appelle l’Humain : nous avons peur !

 

          Progressivement, plus que l’inverse, Paris m’a apprivoisé. La solitude que je prisai dans mes forêts m’est apparue ici décuplée… Il me fallut du temps pour prendre possession de mon nouveau territoire et domestiquer ma solitude. Trop d’animaux se côtoient à Paris pour s’intéresser les uns aux autres. Avec le Temps, la contrainte s’était changée en habitude, et l’habitude en plaisir. »

 

Corbeautière« Les Freux sont grégaires. Je n’y peux rien, la Nature est ainsi faite : j’appartiens à une espèce grégaire. Mes semblables se plaisent en communauté. C’est beau, une corbeautière !

          J’ai vu des nuées, dans le Nord, obscurcir le ciel d’un matin d’hiver comme une éclipse de plumes et, un crépuscule d’été dans le Sud faire sur le soleil couchant une nuit incendiée d’étoiles filantes…

          Ah, n’être qu’un Corbeau parmi les Corbeaux ! La curiosité, l’orgueil, l’ingénuité, la vanité, la colère, l’impulsivité… Nombreux étaient les chemins pour me perdre.

 

          Un Corbeau parmi les Corbeaux…

          Rien qu’un Corbeau…

 

          Nous, Corbeaux, voyons dans l’Histoire une succession de cycles de durée inégale. Dans la purification de la Nature qui les achève, les espèces animales disparaissent pour être remplacées par de nouvelles. Toutes à l’exception des Corbeaux, qui traversent les ères car ils sont la mémoire.  Nous sommes à l’ère de l’Humain, qui tôt ou tard prendra fin, comme les autres. »

   Füsli Le cauchemar détail (1790-91)

          Karka le freux avec une blanche Tourterelle est chargé d’enquêter. Un Toucan aussi. Le Conseil a décidé de négocier. L’intrigue se complique… les animaux de Paris s’inquiètent…

 

          « La faim n’expliquait pas tout, Paris avait connu des hivers plus rudes, on aurait dit que la présence des Lions dans les bois rappelait les animaux à la vie sauvage. Chassez le naturel, il revient au galop, disent les Chevaux. A bride abattue, l’œil fou de terreur, le naturel remontait sans frein une piste de sang vers le cœur palpitant de la Capitale ! »

 

 

          Krarok le Grand Corbeau qui tenait audience dans la charpente de Notre – Dame sous l’Aigle mystique de Saint – Jean, Krarok se meurt…

          « C’était donc fini, aussi simplement que la mort succède à la vie. Pas de râle, de sang ni de cri. Le silence et la présence nouvelle d’une absence. »

 

          « Mélancolie des corbeaux » est trop foisonnant pour en réduire en une poignée de mots le charme curieux et insolite…

          Sébastien Rutés a-t-il écrit avec une plume empruntée au plumage d’un Freux, d’une Corneille Mantelée ?…

 

          « Je ne te connaissais pas poète, Karka. Oublies – tu la couleur de ton plumage ?

          Noir est mon aile mais mon esprit n’est pas un oiseau de nuit, même si parfois mes humeurs empruntent leur couleur à mes plumes. »

 

          Inoubliables pages que celles où le freux Karka accompagne le vieux Lion. C’est l’aube, il a neigé… « La cathédrale disparaissait dans la réalité, de l’autre côté du songe de neige. »

 

          Dans Paris ensablé de neige, le Sacré – Cœur était-il le Kilimandjaro qui se noie là-bas dans son sommet neigeux dans les nuages ?

 

          « Quoi d’étonnant à ce que les contraires s’alliassent si un Corbeau cheminait à côté d’un Lion ?

Paris Pont Alexandre III le lionSous le pont Alexandre III, Léon tomba en arrêt devant des Varans dorés qui ornent les piles… Levant la tête, il aperçut le groupe de Lions de bronze conduits par des enfants humains et, plus haut, au sommet des colonnes, les Chevaux de la Renommée qui perdaient leurs dorures dans l’oubli de la nuit. Dressés fièrement sur leurs pattes, les Lions majestueux semblaient garder l’entrée du pont comme si la rive droite était leur territoire de chasse.

          Etrange habitude qu’ont les Humains de représenter partout des animaux, rauqua Léon. Il ne leur suffit pas de nous mettre en cage, il faut encore qu’ils nous peignent et qu’ils nous sculptent. »

 

La curiosité te perdra Karka !

 

                    Et vous, Humains ?...

 

                          Pourquoi tant de questions ?... Pourquoi la Tour Eiffel ?… A quoi rêvent-ils les Corbeaux quand ils rêvent ?...

 

 

Hécate.

 

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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 09:56

VARJAC l'agneau-chasteL'agneau chaste

de

Franck Varjac

 

            "De toute mon existence, je n'ai embrassé qu'une seule bouche, caressé qu'un seul corps. Pourquoi un garçon de treize ans s'abandonna - t - il si facilement entre les bras d'un homme de trente deux ? Je l'ignore. Mais je sais aujourd'hui que j'ai vécu des moments de bonheur infini, et rien, ni l'exil, ni l'oubli assassin de mes proches, rien ne me fera regretter ces moments d'amour pur. Que connaît - on de la pureté ? Il faut avoir treize ans pour le comprendre."

 

 

            C'est par cette page que s'ouvre le récit de David. Trente ans après il se souvient de l'été de l'anniversaire de ses treize ans.

            "Treize ans ce n'est pas un âge important. Je suis le même que l'année dernière. Enfin je crois."

            "Aujourd'hui tout particulièrement, je devine qu'il faut profiter pleinement de ces jambes, douces et tendres. Je sais que la jeunesse ne dure pas, quelques mois, quelques années qui passent très vite, on n'y pense pas, on n'a pas le temps, et puis viennent les métamorphoses. Peut - être que je penserai à tout cela dans très longtemps et que je comprendrai plus fort encore que j'avais raison de le rouler dans le sable, ce corps d'enfant."

 

            Cet été là n'est pas tout à fait semblable aux autres étés.

 

            "Pour la première fois de ma vie, la perspective de n'avoir que la plage et ses plaisirs pour occuper mes journées m'angoisse. Je tourne et retourne cette découverte dans tous les sens."

 

            Il y a la famille, Elise la sœur aînée et Marc le frère impatient de devenir adulte. Hélène la mère et Jean le père. Il y a Brigitte et Pierre amis d'Elise. Depuis quatre ans environ Marc s'est inscrit aux cours de judo donné par Fabrice.

            "Il y a longtemps que je n'avais pas vu l'enfant de Martine et de Fabrice. Elle est jolie maintenant, et drôle."

 

            L'histoire d'amour entre David et Fabrice est narrée très simplement. Elle va naître lors d'une partie de pêche par une brûlante journée de juillet où la nudité des corps n'a presque rien d'insolite. Fabrice est beau. David est fasciné par ce qu'il voit pour la première fois: "un sexe d'homme en érection, une queue brune, deux testicules enflés entre des cuisses ouvertes. Juste une seconde, de façon si nette que je reste figé, le cœur battant."

            En quittant Fabrice, j'avais pensé "quelle journée formidable"...

 

            "Dans la maison silencieuse et endormie je lutte contre les images qui me submergent, contre un visage et un prénom qui me harcèle: Fabrice. Jusqu'au lever du jour pendant cette longue traversée nocturne, je regarde en face mon trouble, mon désir et ma peur."

 

            Comment se défendre de sensations et de sentiments inconnus ? Comment à treize ans vivre un tel amour quand on pense à la réaction des autres s'ils venaient à savoir ? " Les coups de téléphone, la dénonciation, un procès pour détournement de mineur. Ou alors le silence. Plus terrible encore: le rejet définitif. Je vois déjà mon père outré. L'indignation comme une écharpe, derrière laquelle on se dissimule, et le fils à jamais oublié."

            Toute la difficulté du quotidien de cette ardente liaison est dite dans ce récit de quatre vingt dix pages. L'obligation douloureuse de taire ce qui rend heureux.

 

            La prise de conscience de l'intolérance, incontournable, devient un tourment insurmontable.

            "Pour l'instant je ne peux pas contrôler en même temps le bonheur et la terreur. Je ne peux pas. C'est au - dessus de mes forces... Fabrice est le prénom qui coule dans mes veines nuit et jour. Je ne savais pas qu'on pouvait aimer aussi fort."

 

            La quatrième de couverture mentionne le silence d'une presse tétanisée par le sujet, à l'exception, notable, du Monde, lors de la parution de ce premier roman de Franck Varjac.

       vitexagnus-castus agneau chaste    

            "L'agneau chaste ou gattilier est un arbrisseau méditerranéen appartenant à une espèce protégée dont la récolte est interdite aujourd'hui. Dans le passé, cette plante était consommée par les moines afin de tempérer une libido bien naturel mais incompatible avec les vœux de chasteté."

 

 

 

Editions Minos La Différence.

                                                                                                                   Hécate.

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