L'Homme qui s'aime
de
Robert Alexis
Depuis son premier roman ( La Robe, éd. Corti, 2006), Robert Alexis explore dans ses livres les infinis du désir : "Nul espoir à celui qui se contente de ce qu'il est, ou de ce qu'il estime pouvoir désirer. La lumière vient de ce qui nous déchire, de ce qui est à l'opposé de ce que l'on estime être "soi" ".
Début des années 1890, à Paris. Au cours d'une soirée mondaine, un jeune dandy fait une expérience qui le révèle à ses désirs les plus secrets. Décidé à rester fidèle à ce qu'il comprend alors de lui-même, il va entrer pleinement dans la vie."
Dans La Robe chatoyait déjà l'incarnat des fantasmes, la transgression révélée par une obsédante parure défiant les interdits imposés à l'homme.
Robert Alexis depuis ce premier roman n'a jamais cessé de sonder les profondeurs de l'être. Archéologue de l'intime, il fouille sans répit l'identité froissée toute entière dans l'étroitesse du corps.
"L'homme qui s'aime " commence un soir d'été dans un de ces salons fin de siècle où l'on imagine entendre un orchestre jouant une valse languissante.
"Mon amie se savait l'une des plus belles femmes de Paris et s'amusait, sans donner suite, de la cohorte de soupirants qui, où qu'elle allât, se battaient pour une danse ou une conversation privée. Nous n'avions tous les deux guère plus de vingt ans. Elle préférait, je dois le dire avec orgueil, ma présence à toute les autres... Je devais sans doute une telle faveur au fait que je ne me mêlais pas aux nombres des courtisans, que l'insoutenable beauté dont la nature m'avait gratifié (j'ose répéter un qualificatif fréquemment employé lorsqu'on me désignait) ne me donnait aucun droit à chercher auprès d'elle une préférence que tant de belles m'avaient accordée et que détail , qui s'expliquera par la suite, je montrais auprès de mon amie un peu de cette froideur dont les femmes raffolent, une réserve que je manifestais sans même y prêter attention."
"M'étais-je déjà réellement vu ?
Un miroir n'avait jamais été utile pour moi que pour arranger une coiffure ou le nœud d'une cravate. Je fuyais d'ordinaire le visage qui voulait s'y graver, ne retenant que ce qui lui était nécessaire à la toilette.
Je craignais ce que les autres estimaient en moi comme si mon âme, saisie par une apparence qui la dépassait, avait couru quelque danger à se savoir ainsi parée de perfection."
L'époque où se déroule la première partie de ce roman est celle où dans la littérature l'androgynie liée à la transgression bousculait le conformisme.
"Aucun voile ne cache tant la chair que la beauté ; être beau c'est appartenir à un troisième sexe, impossible, intangible." ( Péladan .Lyon, 1859-Neuilly, 1918 )
Dans son essai "Masculin singulier" Marylène Delbourg-Delphis écrit : " Aussi arrogant soit-il, le dandy ne laisse pas de sentir sa fragilité, sa solitude en face des normes- et son narcissisme se double toujours d'une inquiétude sur son identité...Ces miroirs qui racontent aux femmes qu'elles seront belles éternellement, regardent les hommes comme une menace."
Entraîné à l'étage dans une chambre par la Comtesse maîtresse des lieux, le narrateur se voit placé et obligé de se regarder dans le haut miroir d'une chambre. Ce miroir sera le révélateur.
"-Vous vous aimez c'est incontestable...Vous vous aimez furieusement, aveuglément... Vous cherchez chez les autres ce que vous ne pouvez trouver seul, la confirmation que vous êtes la seule figure aimable, le seul être capable d'embraser votre cœur, chose tellement impossible, n'est-ce pas ?... Vous êtes enfermé dans vos délicieuses limites... Les femmes, non vous ne les aimez pas. Vous n'en aimez qu'une et vous savez laquelle."
"Le soleil se couchait à l'horizon de mon être et je savais qu'il ne reviendrait pas, qu'il n' y aurait plus d'aube lumineuse pour moi."
Il ne s'agit pas de raconter ce roman, il s'agit de découvrir l'expérience du narrateur à travers les étapes de sa vie. L'élégance de l'écriture de Robert Alexis plonge dans les abîmes de l'être, descend dans les trivialités humaines, interroge l'univers aux confins du déséquilibre tout comme dans un de ses autres romans "Les figures".
"On me dirigeait là où je savais qui j'allais rencontrer, car les rêves ont cela en commun avec la folie que le plaisir de les vivre ne tient pas à ce qu'ils révèlent mais au fait de leur absolue présence."
"En dehors du projet que le rêve de soi adresse au monde, les choses demeurent étrangères, insondables, trompeuses dans l'existence qu'on leur accorde à défaut de se les approprier.
Je parvenais à ce paradoxe : il n'est d'existence distincte de la nôtre que dans la négation de ce qu'elle pourrait être sans nous et, sans en être parfaitement conscients, nous manœuvrons des fils que nous savons être tendus par nos désirs."
"Il n'est d'humanité qu'en marge du bon sens. Le bon sens nous aveugle, les connaissances nous égarent. Vous-même ne pourrez être que ce que vous devez-être qu'après avoir plongé dans l'excès où se tissent toutes choses."
De Paris aux Pouilles, Naples, son volcan et ses quartiers infâmes, du 19ème siècle au 18ème siècle les pages tournent..
"Plus tard, toi aussi je te retrouverai. Rien ne disparaît. Le cœur peut aimer tant de gens, nos vies peuvent comprendre tant d'êtres ! Est-ce bien vrai ce que disaient mes songes ? Est-ce vrai que tu m'as bien aimée? Je me suis aimée aussi, plus que tout. En t'écrivant, j'adore cette main qui porte la plume. Un quart de tour sur le côté, je vois mon visage dans un miroir. Des ombres l'entourent que je crois reconnaître, qui me ramènent à moi. Vraiment, vraiment ! Qui d'autre que moi aurait pu me faire autant souffrir ?"
La couverture de L'homme qui s'aime reproduit une œuvre de l'artiste néerlandaise Desiree Dolron extraite de la série Xteriors.
Editions Le Tripode.
A paraître le 4 septembre 2014 .
Œuvres de Robert Alexis:
La robe
La véranda
Flowerbone
Les Figures
U-Boot
Nora
Mammon
Les Contes d'Orsanne