Hécate
de
Frédéric Jaccaud
«Le fait divers déverse, divertit, met en branle l’imagination mauvaise de tout un chacun. Sa nécessité ne fait pourtant aucun doute, parce qu’il agite les sentiments de pitié et de mépris sans aucune implication morale ; on ne ressent aucun remords en s’y projetant. Il commence et se termine dans l’impersonnel. Les acteurs de ces petites pièces décadentes n’incarnent personne en particulier ; ils évoluent à l’état brut de caractères théâtraux.»
Le 2 février 2010, Sacha X., médecin de Ljubljana, est retrouvé sans vie à son domicile, le corps déchiqueté par ses trois bullmastiffs. Là s’arrêtent les faits chroniqués en leur temps par la presse internationale. Entre alors en scène un jeune flic, Anton Pavlov, témoin imaginaire de cette scène indescriptible. Cet amoureux secret de littérature se laisse dès lors entraîner dans une quête du sens qui le mènera au-delà de l’obscène : comprendre l’histoire de cette mort étrange, trancher le voile et découvrir derrière celui-ci la beauté, la vérité ou la folie.
Frédéric Jaccaud a dédié son roman à Paul Morand l'auteur de Hécate et ses chiens.
Evidemment ! Deuxième élément irrésistible. Je ne pouvais pas passer devant le présentoir sans être accrochée par ce titre flamboyant ! Je savais déjà que j'allais l'emporter ; quelques lignes parcourues rapidement, l'intuition que je tiens là un texte puissant écrit avec maîtrise et talent.
C'est un roman noir. Un roman dévorant. Un polar très noir qui va au-delà du sordide fait divers et qui est une descende dans l'origine de l'obscène et de la violence, de la limite entre la raison et la folie.
" Un excès d'informations, un excès de réalité rendrait fou n'importe qui..."
Somptueusement écrit, un roman qui par-delà l'intolérable touche la conscience de la transgression.
"D'une certaine manière, l'ignorance est plus obscène que la démonstration de l'ordure."
Un homme s'est fait bouffer par ses chiens. Un godemiché attaché autour de la taille.
"Il ne s'agit pas ici d'un homme assassiné, d'un homme torturé, mais d'un corps meurtri par des dents et des griffes, un cadavre primal, premier, non pas mangé, mais déchiqueté, tel qu'on pourrait en rencontrer dans les forêts obscures de cette humanité qui tremblait en entendant hurler les loups, grogner les meutes affamées des chiens, effrayée de pouvoir être pourchassée."
"La présence du cadavre rappelle la nécessaire carnation de l'âme, sa fragilité."
Un carnage intolérable...Une descente dans l'origine de l'obscène, de la souffrance...Une petite fille pleure de désespoir...
"Ne regarde pas...C'est trop loin pour toi ."
Par-delà les trames incompréhensibles des lumières qui tapissent le drap nocturne...la petite fille voit "cette lune rouge qui n'a pas de nom mais que les Anciens surnommaient Hécate."
Dans la pièce où est retrouvé le corps déchiqueté de Sacha X, un tableau de William Blake : Hécate ou La Nuit de joie d'Enitharmon.
"Hécate ou les trois destins, surveille le Tartare région infernale où se terrent les plus grands criminels de la mythologie. Deux femmes tournent la tête et se cachent, la troisième se tient à côté d'un livre ouvert, c'est celle qui sait alors que les autres se voilent la face. Elle est brune, cheveux de nuit, les deux autres blondes, cheveux de jour."
Hécate, déesse de la lune rouge et des chiens errants est la force virile dans les mains de la femme.
Les chiens n'étaient pas dans le tableau de Blake...Ils étaient dans la chambre du médecin Sacha X.
Mais pour Anton toute l'histoire de Sacha X est contenue dans le carnage de son corps. C'est une mise en scène qui raconte une histoire oubliée. La mémoire du corps est terrible. Elle n'oublie rien des sévices. Elle dévore la raison et la chair...
"On pense ne jamais oublier tout à fait un fait divers et pourtant le lendemain déjà, il a disparu des mémoires...Les questions disparaissent au moment où l'on referme les pages du journal."
Anton n'a pas pu oublier ce qu'il a vu. Ni les vidéos des scènes ultimes visionnées ensuite. Il cherche un sens à toute cette tragique horreur.
La grande force du livre ( qui se dévore en une soirée) est dans la réflexion qui habite les pages.
"Dans un grain de sable voir un monde." ( William Blake )
Et cette petite fille qui pleurait et, qui devenue femme a quitté le territoire d'Europe de l'Est de son enfance " on ne vit pas sur un territoire, on subsiste entre deux eaux...lieu de nulle part qui offre un cadre parfait pour y concevoir un conte inversé noir, un terreau suffisamment boueux pour y planter une graine de souffrance" a-t-elle réussi à oublier ses affreuses terreurs ?...
Hécate.
Né en 1977, Frédéric Jaccaud est l'auteur de deux romans noirs, Monstre (une enfance) et La nuit. Avec Hécate, il continue d'explorer la cruauté tapie derrière les mots.