Manderley
for ever
de
Tatiana de Rosnay
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" J'ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley". C'est par cette phrase que commence Rebecca, le roman de Daphné du Maurier porté à l'écran par Alfred Hitchcock.
Depuis l'âge de douze ans, Tatiana de Rosnay, passionnée par la célèbre romancière anglaise, fait de Daphné du Maurier un véritable personnage de roman. Loin de la vie lisse d'une mère de famille qu'elle adorait pourtant, elle fut une femme secrète dont l'œuvre torturée reflétait les tourments.
Tatiana de Rosnay met ses pas dans ceux de Daphné du Maurier le long des côtes escarpées de Cornouailles, s'aventure dans ses vieux manoirs chargés d'Histoire qu'elle aimait tant, partage ses moments de tristesse, ses coups de cœur, ses amours secrètes.
Le livre refermé, le lecteur reste ébloui par le portrait de cette femme libre, bien certaine que le bonheur n'est pas un objet à posséder mais un état d'âme."
C'est ce livre dont je voulais vous parler plus tôt, mais les circonstances que vous savez m'en ont empêchée .J'ai beaucoup apprécié l'ampleur de la narration qui explore la vie de Daphné du Maurier, et d'autant plus que j'avais lu plusieurs de ses romans dès l'adolescence, et j'étais curieuse de l'auteur dont je ne savais rien ou presque, sinon qu'elle était l'une des filles de l'acteur de théâtre Gerald du Maurier. J'ignorais que son oncle J.M. Barrie était le créateur de Peter Pan et que son grand-père paternel n'était autre que George du Maurier, caricaturiste célèbre et romancier ; pourtant son roman Peter Ibbetson m'avait particulièrement fascinée par le climat onirique dans lequel il baigne où la toute puissance de l'amour permet aux amants séparés, à travers le rêve de se retrouver "dans une unité d'espace et de temps qui est celle de leur désir."(Raoul Vaneigem)
Daphné du Maurier est née à Londres en 1907, et très vite son imagination vive la porte à écrire poussée par une dualité instinctive qu'elle tient secrète. Elle est alors ce garçon qu'elle nomme Eric Avon.
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Daphné aura une liaison avec une directrice d'études, Fernande Yvon qui tiendra une grande place dans sa vie avant son mariage avec le futur général de division Frederick Browning. Le couple partage la passion de la voile.
Mais la grande passion de Daphné, c'est l'écriture où elle peut laisser entrevoir sa part sombre et noire qui ne transparait pas dans sa vie quotidienne.
Peut-être est-ce pour cela que ses romans m'attiraient, ils avaient quelque chose que je n'aurais su expliquer. Je me souviens des cytises dans Ma cousine Rachel, d'une ambiance dans Le bouc émissaire, et celui qui m'a vraiment captivée est un essai biographique intitulé Le monde infernal de Branwell Brontë tant j'étais depuis longtemps sous l'emprise des Brontë !
Et si je ne vais point citer tout ce que j'ai lu de Daphné du Maurier je ne peux pas ne pas mentionner Rebecca qui lui apporta une grande célébrité d'autant qu'en 1940 il fut porté à l'écran par Hitchcock. Faut-il en rappeler le thème ? Une jeune fille, simple demoiselle de compagnie rencontre Maxime de Winter riche veuf qui très vite l'épouse et l'emmène dans sa demeure, un château ancestral, Manderley...hanté en quelque sorte par la première épouse vénérée par l'inquiétante gouvernante Mrs. Danvers !
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Manderley, c'est Menabilly, la demeure d'une famille cornouaillaise installée à Fowey depuis le XIIIème siècle. Un manoir construit du vivant de la Reine Vierge, une maison ancienne aux murs chargés d' Histoire. Daphné en se promenant a découvert ce lieu. Elle ne peut l'oublier, elle essayera d'en savoir plus. On lui raconte qu'on murmure depuis longtemps que Menabilly est hanté, que lors de la construction d'une nouvelle aile au siècle dernier, le squelette d'un cavalier a été découvert dans une pièce secrète emmurée et que l'on aperçoit une dame en bleu à la même fenêtre d'une des chambres du manoir.
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Daphné veut savoir si la demeure est encore habitée. Non, le dernier propriétaire des lieux n'y vient plus. Il vit dans le Devonshire sans descendance. La maison n'a pas été habitée depuis des années. Pour y aller il faut traverser des bois, des forêts, tout a été envahi par la nature. Personne n'entretient la propriété.
Daphné entraîne sa sœur à la recherche de Menabilly. Elle a étudié une carte des environs dans un guide. Parties avec leurs chiens en début d'après-midi, la nuit descend, tout n'est qu'enchevêtrement de ronces, Angela la sœur de Daphné refuse d'aller plus loin. Une humidité monte du sol moussu. Une lune timide éclaire à peine le sentier semé d'ombres, des formes maléfiques semblent attendre là, tapies dans le noir.
Le lendemain Daphné emprunte une voiture, roule sur une route qui contourne la forêt et se gare devant une autre grille, aussi rouillée que celle d'hier. Les deux sœurs marchent à travers des espaces boisés.
"Peut-être Menabilly ne veut-elle pas être découverte, peut-être veut-elle restée cachée " dit Daphné à voix basse. Elle parle de cette maison comme d'un être de chair et d'os.
Enfin c'est avec ferveur que Daphné regarde cette vieille bâtisse haute de deux étages, aux volets fermés, à la façade grise mangée par un épais lierre. Un des volets est ouvert au rez-de-chaussée. Par les vitres poussiéreuses, elles aperçoivent des tableaux aux murs, des meubles recouverts de draps, un cheval à bascule à la peinture écaillée. Dans son journal le soir même Daphné écrit jusque tard dans la nuit :
"Je suis complètement sous l'emprise de Menabilly."
En1929 elle revient à Fowey avec sa famille et des invités. Elle n'aura de cesse d'entraîner les jeunes filles sur les chemins de la forêt. L'appel de Menabilly est toujours aussi envoûtante. Des heures de marche avant d'atteindre la maison. Une lucarne est mal fermée. Et si elles pénétraient dans le manoir ? Daphné ne peut résister à l'idée de voir l'intérieur et c'est elle qui ouvre le passage et saute la première.
Un silence sépulcral, des murs tapissés de toiles d'araignées, des plaques de fongus brunâtres dans chaque recoin, des sols poussiéreux, des couloirs sombres et humides. Le cheval à bascule est toujours là. A côté, une grande salle à manger, plus loin une bibliothèque avec des centaines de livres.
Quels sont les secrets de Menabilly ? Que s'est-il passé entre ces murs ? Pourquoi Daphné est-elle autant touchée ? Les autres jeunes filles n'apprécient pas l'impression d'abandon, ni le silence, ni les ombres. Daphné voudrait rester encore, monter le long escalier de bois, toucher les vestiges du papier peint écarlate qui se décolle et rappelle les rhododendrons.
Tandis qu'elle s'éloigne après avoir attaché soigneusement la petite fenêtre, un énorme hibou blanc s'échappe de l'étage supérieur et la fait sursauter.
Tout au long de la soirée, Daphné ne parvient pas à chasser de son esprit les images de la maison. Pourquoi est-elle possédée par un passé qui n'est pas le sien, hantée par la mémoire des murs d'un manoir abandonné ?
En un mois son roman Rebecca se vend à 40 000 exemplaire ! En 1943, Daphné a trente six ans. Les droits d'auteur affluent. Il n'y a qu'une seule chose qu'elle voudrait s'offrir : Menabilly.
Puisque la demeure n'est pas à vendre, elle demande à la louer. Le propriétaire accepte. Le notaire la met en garde, la toiture menace de s'effondrer, pas d'eau courante, pas d'électricité, pas de chauffage.
Qu'importe ! Six mois de travaux et Menabilly va revivre. Daphné vibre d'un amour déraisonnable. Est-ce mal d'aimer la pierre comme si c'était une personne ?
Une maison qui n'est même pas la sienne. Qu'importe, c'est elle qui vivra ici à présent et cela pendant vingt ans.
Cela fait maintenant dix-sept ans qu'elle vit sous ce toit, comme si le manoir lui appartenait. Mais le propriétaire vient de mourir, il a légué le domaine à son neveu. Que faire, si Philip Rashleigh qui n'a que la trentaine souhaite s'y installer plus tôt que prévu ? Daphné sait qu'elle doit s'y préparer.
La mort de son mari en mars 1965 lui fait gagner quatre ans avant de quitter Menabilly. C'était ici, elle le savait qu'elle avait été la plus heureuse. Quitter "Mena" c'était mourir un peu.
Elle s'installera au manoir de Kilmarth au bord de la mer, et ce sera sa dernière demeure.
Elle avait écrit pour la revue Marie-France dans le numéro d'avril 1966 :
"J'aimerais dire à ceux qui subissent un deuil ( je parle en mon nom, de ma propre expérience) qu'il faut envisager chaque jour comme un défi, une épreuve de courage. La douleur viendra par vagues, pour une raison inconnue, et certains matins seront pires que d'autres. Acceptez cette douleur. Ne luttez pas contre elle. Ne la dissimulez pas, surtout à vous-même."
Ce livre de 400 pages fourmille de détails de l'ensemble de la vie de Daphné du Maurier jusqu'à sa mort. Tatania de Rosnay a eu accès à de nombreux documents et a remis ses pas dans ceux de cette femme étonnante, et l'ouvrage contient plusieurs photographies en couleurs très intéressantes. Un livre que l'on prend plaisir à reprendre pour relire certaines pages et qui donne envie de se replonger dans la lecture des romans de Daphné du Maurier.
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Rebecca a été de nouveau édité avec pour la première fois la quarantaine de pages jusqu'ici censurées.
Hécate.