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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 18:05

Sans titre 4

 

 

MALDITO TANGO

 

 

 

 

 

 

« Le tango est plaintif et nostalgique. Pour chaque situation de la vie, il est un tango qui la représente avec un incomparable pouvoir évocateur, pouvoir mythique ».( Saul Yurkievich)

 

 

 

 

 

 

 

            Après l’Alcool et la Nostalgie, la nostalgie étant un pays sans frontière, je continue le voyage, même si je suis descendue du transsibérien, je n’ai pas cessé d’être en exil. D’un climat à un autre, on se retrouve enlacées étroitement, moi et la nostalgie.

 

« Nue elle s’est donnée

lorsque ma voix

a cherché sa peau

sous la lune…

 

Sombre conjonction de soif et de solitude,

bouches qui boivent une eau de paix.

Mais l’amour est un combat sans merci,

une lutte de fièvre, de feu et de fiel.

 

Tes lèvres

Me cherchent, me brûlent,

Nue je t’ai prise

sous cette lune

qui nous a donné son miel… »

(Julio Cortazar/ Edgardo Cantõn)

Lune du 03 07 2012 015

 

            Le tango c’est une musique, c’est une danse, c’est une confidence, une bruine dans la nuit des faubourgs de Buenos – Aires. Trottoirs de là-bas, ou d’ici. Trottoirs de Pigalle…

 

"Solo en la noche, cruzando voy

por una calle del vieux Paris.trottoir

Porteño y rante, tanguero soy

y anclé muy lejos de mi pais…"

 

 

chante Melingo dans un tango écrit en « lunfardo » (l’argot d’Argentine) où un argentin qui parcourt le vieux Paris évoque les tangos anciens de sa jeunesse.

 

            Les poètes du tango utilisent la gouaille pour dire la souffrance, la misère, la maladie, empruntent tous les labyrinthes du désespoir, du désir, de l’amour et s’expriment dans le langage populaire.

Le sens de la fête et du pathétique sont là.

 

            « Quelqu’un a dit que la poésie était le concentré de la douleur universelle. Si, tout comme l’amour non partagé, les injustices donnent naissance à des vers, ici les vers donnent naissance à des tangos. Des tangos qui ne sont pas le reflet de la vie de leurs auteurs, mais des symboles de leurs vies et de leurs expériences. » (Luis Alposta)

 

            Il y a des tangos maudits, comme il y a des poètes maudits. François Villon, Baudelaire, Rimbaud…

 

« Les blessures et les rêves

se sont rassemblés une nuit

Personne ne connaissait l’heure,

personne ne savait l’endroit…

Les larmes se sont cachées

par honneur et par mensonge

et dans les rides du passé

leur cœur a fleuri… »

 

            chante Cuarteto Cedron, ma première véritable rencontre profonde avec le tango il y a bien longtemps « Le lunfardo » est né du jargon carcéral, mais le premier dictionnaire lunfardo aurait été écrit par un commissaire de police à l’usage de son personnel !... Langues et dialectes italiens, espagnols, portugais, français, polonais et de tout être humain émigré en quête de pain, de paix, de travail et de liberté… (Juan Cedron)

 

            Le tango aux origines obscures est porté par la légende qui domine son histoire. Valses, habaneras, milongas, candombé. Le tango est devenu avant tout une fleur de pavé urbain.

 

                        « Le tango une pensée triste qui se danse.

 

tango

 

                        Le tango un univers où tout est posthume. »

 

            Toute la philosophie du tango se tient dans l’écart parfois douloureux entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore.

Astor Piazzolla a baptisé l’une de ses plus belles pièces : Lo que Vendra / Ce qui viendra.

 

« Terrible élégance : l’effroi et l’attirance. La peur et la beauté. Ce pourrait-être une bonne définition du tango. » (Gilles Tordjman)

 

« Quelle nuit pleine de froid et de dégout.

Le vent porte une étrange plainte…

Bruine, tristesse, même le ciel s’est mis à pleurer !

 

Les gouttes tombent jusqu’au fond de mon âme,

jusqu’aux os, nus et gelés

et cette torture, humiliée, passe

comme le vent,

en me poussant. »

(Domingo Enrique Cadimo 1943)

 sur01

« Comment t’oublier, bistrot de Buenos – Aires,

dans ma douleur,

tu es le seul dans cette vie

qui ressemble à ma vieille.

Mélange miraculeux

de crâneurs et de suicidés,

par toi, j’ai connu la philosophie

les dés, les tripots…

 

Tout petit je te regardais de l’extérieur

comme ces choses qu’on n’atteint jamais :

le nez sur la vitre…

J’ai pleuré le soir de ma première déception

sur tes tables qui ne posent jamais de questions

J’ai connu mes premières peines, j’ai bu mes années… »

          (Enrique Santos 1947)

 

 

« Où donc était Dieu quand tu es partie ?

Où était le soleil qui ne t’a pas vue ?

.................

Pourquoi une femme ne comprend-elle jamais

qu’un homme donne tout en donnant son amour ?

Je suis une chanson obsédante

qui crie sa douleur et sa trahison. »

(Enrique Santos / Discépolo 1945)

 

« Qu’est-ce qu’ils en savent,

ceux du gratin, les pomponnés, les petits maîtres ?

Qu’est-ce qu’ils en savent 

de ce qu’est le tango ?

Et que savent-ils de la cadence,

c’est ça, l’allure, la silhouette et l’élégance !

Et le maintien, et l’arrogance, et pour la danse

quelle classe !

 

Sentir au visage

le sang qui monte

à chaque cadence

pendant que le bras

comme un serpent

s’enroule à la taille

qu’il va briser.

Le tango se danse comme ça ! »

(Marril / Elias Raudal 1942)

 

            Rituel de sombre luxure, une couleur aussi, la couleur tango... couleur orange. Il a mauvais genre le tango… C’était ce que l’on me disait, quand adolescente, j’avançais que j’aimais cette danse, ces voix âpres, cette musique de cordes et de bandonéon.

 

            Comme un duel à la dague il se danse.

 

            On dit que le tango aurait surgi vers 1880 dans les  "Vieilles écuries" sur le sol de quelque épicerie pour garçons d’abattoirs, entre deux parties de cartes, dans une cour de terre battue…

 

            Tango de tavernes et de lupanars… « dont l’origine serait une danse mauresque adoptée par les gitans d’Espagne et transportée dans la République d’Argentine. D’Amérique, où elle prospéra dans les milieux nègres, cette danse revient en Europe en 1912, dépouillée en partie de sa mimique inconvenante pour devenir une sorte d’ondulation compliquée, avec marche cadencée, à deux temps, et chassée sur le côté. » (Larousse du XXème siècle)

 

« Me voila. Je suis le Corbeau,

Passionné de bastringue,

Et même si ça fait mal je continue,

Je fais l’imbécile, et danse le tango

avec encore plus de figures… »

(Florencio Iriarte 1918)

 

Te souviens-tu, frère de ce temps-là ?

C’étaient d’autres hommes, les nôtres plus hommes encore

on ignorait la coco, la morphine,

les jeunes d’alors ne se servaient pas de gomina…

 

Où sont passés les jeunes gars d’alors ?

Ancienne bande d’hier où es-tu ?

Moi et toi, seuls nous restons, frères

moi et toi, pour nous souvenir… »

(Manuel Romero 1926)

 

            La désillusion et les peines tel le chiendent qui s’accroche à l’âme sont dures à tuer.

            Comme un œillet sur l’oreille, elle se glisse la nostalgie…oeillet rouge

 

« Je veux saouler mon cœur,

pour éteindre un amour fou

qui plus qu’amour est une douleur ;

je viens ici pour ça,

pour effacer de vieux baisers

sous les baisers d’une autre bouche…

 

Je veux lever mon verre pour nous deux,

pour oublier mon obsession ;

mais elle revient encore et toujours.

 

Nostalgies : écouter son rire fou,

et sentir contre ma bouche,

comme un feu, sa respiration ;

et l’angoisse : me sentir abandonné,

et penser qu’un autre, près d’elle,

vite, très vite, lui parlera d’amour…

 

De ma triste solitude, je verrai tomber

les roses mortes de ma jeunesse.

 

Gémis, toi bandonéon, le tango gris,

peut-être souffriras-tu, toi aussi,

d’un amour sentimental

 

Pleure mon âme de pître,

seule et triste dans cette nuit,

nuit sombre et sans étoile… »

(Domingo Enrique Cadicamo 1936)

 

Ciel 014

 

            Entré dans la légende avec la mort de Carlos Gardel, le tango devient un opéra surréaliste. Astor Piazzola en compose la musique sur un livret de Horacio Ferrer.

 

« Je suis Maria, Maria du faubourg, Maria nuit, Maria passion fatale, Maria de l’amour de Buenos – Aires je suis, moi ! »

Maria, la rose d’un je-ne-t’aime-pas, c’est le tango de la fugue et du mystère, c’est le pressentiment du bandonéon qui d’une balle dans l’haleine devine sa mort. Mais son ombre doit revenir, torturée par la lumière du soleil. Corps enseveli de nuit, sans identité, sans souvenir, appelée par le Duende, Maria prédit aux hommes qu’ils entendront son tango la première et la dernière fois « qu’un certain vent-asthme du Sud, saveur d’Amen, mâle exilé - commencera son Tango…»

 

             Le Duende, Esprit ivre-mort dans le magique bistrot talismanier, Pauvre Esprit qui appelle et pleure désespérément.

 

« Et de moi où que tu sois, avec une force folle, comme un hymne saugrenu… un vieux violoniste aveugle jouera pour toi sur la tierce crasseuse de son stradivari…

Et dans un silence de croche arrivera ton jour : ton dimanche alezan te donna le jour et des plus laides feuilles d’un laurier-rose, l’étrange et angélique beauté de son bouquet.

 

C’est Dimanche : laurier et hasard…

C’est Dimanche : laurier Tortueux

Etrange semailles de ce Dimanche…

c’est Dimanche, et ils fainéantent

jusqu’aux septièmes tangos.

 

UNE VOIX DE CE DIMANCHE-LA

 

Fin et commencement veulent être

des gouttes des mêmes pleurs. »

 

Maria de Buenos-Aires

 

 

 

 

 

«En Maria s’unissent le Bien et le Mal, ce qui séduit, ce qui inspire. Il y a une tension dans le récit, dans la musique, dans le rapport entre la musique et les mots, dans l’idée qui est à la base de l’histoire et qu’on peut rapporter à n’importe quelle destinée humaine. » (Gidon Kremer)

 

            Le passé revient s’affronter à la vie, réverbère de la nostalgie, où errent les souvenirs qui enchaînent la rêverie, âme du tango.

 

 

 

 

 

« Mais le voyageur en fuite

tôt ou tard s’arrête en chemin.

Même si l’oubli qui détruit tant

a tué ma vieille illusion,

humble je garde une espérance cachée

pour toute fortune de mon cœur. »

(Alfredo Le Pera / Carlos Gardel)

 

En complétude de cet autre voyage au bout de la nostalgie, un de mes poèmes écrit en 1980 qui parle de ...

 

TANGO

 

Le soir est lourd comme un tango d’Argentine

Le vent s’est pendu dans les hautes branches

La glycine sur le mur s’est faite câline

Et ta caresse glisse doucement sur ma manche...

 

Musique tu es comme une grappe de raisin noir

Ecrasée sur ma bouche pour étouffer le silence,

Ta plainte lascive réchauffe la mémoire

Des cris de ton pays dressés comme des lances.

 

Le soleil est en deuil sur les oripeaux des rues

Et la voix âpre qui se plaint comme on danse

Résonne comme un appel vers les nues

Sur un rythme de circonstance,

 

Le jour tenant dans ses bras enlacée

La mélancolie fardée de sourires

Danse la vie et la mort fortement embrassées:

Ni le sang, ni les fleurs ne veulent mourir !

 

Hécate

 

 couverture livre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 12:56

cover-alcool et nostalgie

 

 

 

L’alcool et la nostalgie

de

Mathias Énard

 

 

            Il y a quelque mois maintenant que je voulais écrire une chronique sur ce livre. Le temps voyage et nous laisse sur des quais de partance. C’est là que je suis restée… avec ce goût de l’Alcool et de la Nostalgie qui m’est descendu là, quelque part où le feu brûle encore comme un souvenir qui ne veut pas mourir.

 

            Et pourtant c’est bien de mort dont il est question dans cet ouvrage qui se lit comme on vide un verre sans y penser, en songeant à autre chose… Quatre vingt dix pages pour dire l’amour, l’amitié, pour accompagner le cercueil de Vladimir jusqu’en Sibérie. Quatre vint dix pages pour se rappeler, pour monologuer.

 transsiberien

           

            « Volodia, je crois que je ne suis pas fait pour voyager, même avec toi. Seule m’intéresse la perspective de l’amitié, de la rencontre, mais je sais par ailleurs que c’est une chose qui n’est pas facilement offerte au voyageur. Il n’y a que la Patagonie, la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse. Mensonge que tout cela. Tu sais ce que c’est tout cela la solitude et l’ennui d’une chambre d’hôtel, où l’on a rien à faire, où l’on ne fait pas ce qu’on devrait faire, dormir, boire, lire, lire où écrire des œuvres inoubliables. Rien de tout cela…. 

 

            On voyage toujours avec des morts…

 

            Je te ramène à ton village Vladimir, je te ramène chez toi à deux cent vingt trois kilomètres de Novossibirsk, à deux mille huit cent quatorze de Moscou, et cinq mille trois cent quarante de Paris soit une bonne centaine de jours à cheval, de troïka ou de traineau en hiver…

            Moi qui hais les voyages, me voila servi, des heures et des heures devant moi, seul avec Vladimir qui ne parle pas, seul avec les souvenirs, l’alcool et la nostalgie voilà tout ce qui me reste, comme disait Tchekhov le médecin mort en buvant du champagne, seul avec des phrases, des vers, des souvenirs… »

 

            Bien souvent, lorsque je décide d’une chronique il y a, penché sur mon épaule, un visage, celui d’un être vivant, ou mort, ou les deux, ou dans mes pensées quelqu’un croisé dans la vie ou sur la toile ce voyage immobile, autant de voies et de voix entrecroisées qui sont là dans l’ombre de mes pensées. Et je sais, que, avec un peu de chance, qu’il y aura en me lisant, une petite émotion, un battement de cœur peut-être, ou seulement un sourire, ou un questionnement « Est-ce à moi que ?... » Oui, peut-être bien…

 

            J’écris toujours pour quelqu’un. Quelqu’un que je connais un peu, ou que je ne connais pas encore. C’est cela, voyager avec les mots, voyager avec les livres on conjugue le hasard… au fil des phrases…

 

            « Cette fameuse âme russe, n’existe pas » écrivait Tchekhov… A savoir… L’âme russe est de tous les ciels, de tous les cœurs, ceux qui sont à vif, ou égarés dans la tendresse… des ivresses impossibles !

            Il n’est d’ivresse impossible que dans la déchirure de ce qui ne peut s’oublier.

 

            « Qu’est-ce qu’on cherche dans les déplacements, que veut-on dans les voyages, rien ne me rendra jamais Vladimir… »

 

            « Je me souviens que lorsque nous avions visité la maison de Gorki Vlado m’avait expliqué que chez lui cela ressemblait un peu à ça, des pièces minuscules, une remise, un poêle en faïence ; on avait peur du feu, plus d’un ivrogne avait brûlé vif dans sa baraque en oubliant de retirer les braises le soir… »

 

            Je ne vais pas raconter tout le voyage, ni toute l’histoire… Lorsque j’ai acheté ce livre là, on m’a demandé : 

            « Il faudra que vous me disiez ce que vous en pensez, je l’ai lu… mais… ce livre… il est… ah !... il laisse une impression terrible… et cette femme, suspendue par des crochets… qui veut souffrir, les crochets et le sang… et ces relations entre ces trois là… Mathias, Vladimir et Jeanne… » J’ai répondu oui.

 

            Je suis bien retournée dans cette librairie, mais je n’ai rien dit. On ne m’a rien redemandé. L’alcool et la nostalgie… On n’en parle guère… C’est passé de mode. On fait semblant d’être joyeux, on détourne les yeux…l’amour, l’amitié… Voyager jusqu’au bout des choses et des sentiments… Qui veut accomplir ce périple ?...

 

            Des crochets de boucher dans les boites de nuits moscovites… pour donner plus de raison aux larmes, pour rendre plus physique la douleur…

 

            Il y a du sang sur la neige en Russie, il y a des morts, des écrivains, des poètes, Essenine, Maïakovski, Gogol, « Les âmes mortes »,  Tolstoï, Nabokov amoureux des coléoptères, Dostoïevski, « Souvenirs de la maison des morts », le tzarevitch Alexis, mort sur le coup d’une balle derrière l’oreille… Une terrible histoire d’ogres révolutionnaires.

            Il y a Mandelstam mort d’épuisement sur le chemin de la Kolyma, mort de faim et de froid…

 

            Dans le vacarme de la mémoire, la nostalgie est aussi innocence et adolescence, pétales multicolores, pivoines et roses dans la procession des jours.

 

            « Les Tzars buvaient du vin portugais, du vin venu des Açores… Ils importaient à grand frais du Vinho do Pico…

 transsiberien neige

 

 

            Une vie plus tard me voilà dans ce train qui se traîne maintenant avant d’affronter l’Oural…ces mélèzes, ces bouleaux, cette taïga, et le permafrost, cet incroyable sol perpétuellement gelé où dorment toujours les mammouths et les corps oubliés des déportés… »

 

            « Nous rêvions d’une toute autre mort, je sais, nous rêvions d’un sacrifice, d’une noblesse, d’un courage…

 

            Jeanne m’avait bien prévenu, ça ne sert à rien ce voyage, c’était peine perdue, je suis venu pour te ressusciter, pour mourir moi-même, pour te rejoindre je crois…

 

            On ne va jamais au bout des voyages, on s’arrête toujours avant… »

 

Hécate

 

L'alcool et la nostalgie de Mathias Enard Babel 

 

 

 

 

Œuvres de Mathias Énard:

 

La perfection du tir 2003

Remonter l'Orénoque 2005

Bréviaire des artificiers 2007

Zone 2008

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants 2010

L'alcool et la nostalgie 2011

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19 juin 2012 2 19 /06 /juin /2012 21:58
Ô mon corbeau

 

Ô mon corbeau

Pousse ton cri déchiré

Pour ma bouche

Qui ne peut même pas murmurer

 

Ô mon corbeau

Ma nuit de jais emmurée

Apprends-moi la patience

Du vol entravé

 

Noire apparence jeu de reflets sauvages

Entre fragilité et violence

Ô mon corbeau…

 

Cœur de neige

Tombé dans la suie des hommes

Faite de douleur et d’ignorance

Tu sais le prix de la peur

 

Toi qui connais la parole

Sa vérité et son envers

Pour l’avoir apprise avec le cœur

Ô mon corbeau…

 

Pousse ton cri déchirant

Apprends-moi le chant

De l’infinie beauté

Ô mon corbeau…

 

                                                                                                       Hécate

 

 

 

 

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3 juin 2012 7 03 /06 /juin /2012 11:10

lorca

  

 

 

   

Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ma rencontre avec la poésie de Lorca, je n’en sais plus ni l’année ni la saison… mais jamais je n’ai oublié cette voix obsédante qui scandait…

 

 

arbre et branchage vert 1

 

Verde que te quiero verde.

Verde viento. Verde ramas

El barco sobre la mar

y el caballo en la montaña.

 

Verde, verde… comme un refrain toujours, verde…

  feuillage 1

 

"Romance Somnambule"

 

Vert comme je t’aime vert.

Vert le vent. Vertes les branches.

Le bateau sur la mer

et le cheval dans la montagne.

L’ombre lui barrant la taille

elle rêve à sa balustrade,

verte la chair, chevelure verte,

avec des yeux d’argent froid.

Vert comme je t’aime vert.

Sous la lune gitane,

les choses la regardent

et elle ne peut les regarder.

 

Traversée de couleurs, de parfums, de fièvres de fleurs et de vent est la poésie de Lorca assassiné à trente huit ans par les franquistes.

 

« Les émotions de l’enfance sont en moi. Je n’en suis pas sorti. »

 

Ne vois-tu pas ma blessure

de la poitrine à la gorge ?

trois cents roses brunes

à ton plastron blanc.

Ton sang s’égoutte et s’exhale

tout autour de ta taille.

 

Mais déjà je ne suis plus moi,

et ma maison n’est plus ma maison.

Laissez-moi monter au moins

jusqu’aux hautes balustrades,

laissez-moi monter ! laissez-moi

jusqu’aux vertes balustrades.

Balustrade de la lune

par où l’eau retentit.

lune gros plan 

Mille petits tambours de cristal

blessaient le petit matin

… …

 

Le grand vent laissait

dans leur bouche un étrange goût

de miel, de menthe et de basilic.

 

Lorca tombé sous les balles franquistes à la « Fontaine aux larmes ».

 

casa natal de LorcaNé à Fuente Vaqueros, petit village silencieux et odorant de la Vega de Grenade : « C’est dans ce village que je serai terre et fleurs. » écrit-il à dix sept ans se voyant déjà devenu poussière donnant naissance à une profusion de fleurs dont déborde sa poésie, de l’œillet viril à la giroflée, la peau est d’olive et degiroflée jasmin, et le sombre magnolia est au ventre de plâtre ou de neige.

 

Moins d’un an avant sa mort, alors qu’on lui pose cette insolente question : qu’est-ce que la poésie ?

 

Lorca répond :

 

« L’homme approche le plus rapidement par la grâce de la poésie du bord où le philosophe et la mathématicien tournent le dos au silence. »

 

cover LorcaLorca emploie le mot « grâce » et non pas «  force » ou « mystère » par exemple. La grâce ! est-il écrit dans la préface de Yves Vequaud. Editions Orphée La Différence, deuxième édition parue en mai 2012 consacrée à Lorca. (1899 – 1936.)

 

            « Sa conversation étincelait comme un diamant fou. » (Dali)

 

            « Sa clarté était enrichissante. » (Jorge Guillen)

 

            Paré de talents, il est marionnettiste, dramaturge, dessinateur, pianiste et guitariste.

            Telle fut sa destinée et d’entrer sans purgatoire, dans la légende.

 

            Noces de sang, son entrée dans la mort. Il avait écrit le chant funèbre pour Ignatio Sanchez Mejias.

 

A cinq heures du soir

Il était juste cinq heures du soir

Un enfant apporta le drap blanc.

a las cinco de las tarde…

 

« Cinq heures du soir est-il plus heureux que cinq heures de l’après-midi ? Nous nous sommes prononcés, en tenant compte aussi de l’euphonie ou du rythme. Choisir, c’est renoncer, n’est-ce pas ? C’est se priver d’un double sens, d’une allusion ou d’une musique. Nous en demandons merci. Lorca est mort sans avoir pu revoir ses manuscrits. Nous avons décidé pour lui. Et priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! » (Yves Véquaud)

                                                

            C’est  à cinq heures du matin, que Lorca va mourir… Son corps jeté dans la fosse sera mêlé à d’autres corps, à la terre, à la poussière… dans le murmure ininterrompu des sanglots de la « Source des larmes. »

            Le jour n’est pas encore levé…

  mare verte sous-bois

"Mort d’amour"

 

Mère quand je mourrai,

qu’on informe les messieurs.

Envoie des télégrammes bleus

qui aillent du sud au nord.

Sept cris, sept sangs

sept pavots doubles

brisèrent des vitres opaques

dans les salons obscurs.

Pleines de mains coupées

et de petites couronnes de fleurs,

la mer des serments

résonnait, je ne sais où…

 

Et mon front est place baigné de lune, et mon cœur un tambour de nacre, quand les mille petits chevaux perses de Lorca galopent dans ma chevelure, son Romancero gitan me traverse de mille parfums de fleurs de couteaux encore et ce, depuis le premier jour.

Des émeraudes lyriques pour des questions au ciel suspendu :

 

« Combien d’enfants la mort a-t-elle ?

Ils sont tous en mon sein ! »

 

« Les roses du soir seront

Comme celles du matin. »

  5

            La griffe des années n’a pas desserré son étreinte de mon amour pour les chansons de Lorca l’andalou.

 

« Le soir a dit : Je suis altéré d’ombre !

La lune a dit : Moi, d’étoiles brillantes.

La source cristalline veut des lèvres

Et des soupirs le vent. »

 

« Vent du Sud

brun, ardent,

ton souffle sur ma chair

apporte un semis

de brillants

regards et le parfum

des orangers. »

 

D’une sensualité à fleur de peau, le vent dans son œuvre est un personnage violent et érotique; Lorca est un être traversé de frôlements et d’effluves, la nature le trouble  et il veut en traduire les sortilèges.

 

« Je voudrais faire une œuvre mystérieuse et claire, qui serait comme une fleur : tout en parfum… je ferai une œuvre populaire et tout à fait andalouse. »

« Je compte construire plusieurs romances avec étangs, romances avec montagnes, romances avec étoiles.

Evocation de bruits d’ongles sur le tissu, de chuchotis de lèvres amoureuses. »

rose dragon et noeud 

« Je suis un pauvre garçon passionné et silencieux qui, à peu près comme le merveilleux Verlaine porte en lui un lys impossible à arroser, et j’offre aux yeux stupides de ceux qui me regardent une rose très rouge à la nuance sexuelle de pivoine d’avril qui n’est pas la vérité de mon cœur. » (Lorca)

 

Déjà, lorsque j’écoutais « L’amour sorcier » et « Nuit dans les jardin d’Espagne » de Manuel de Falla, mon cœur s’emplissait d’indicible nostalgie ardente. Je ne savais pas que Federico Garcia Lorca était un ami du compositeur, ni qu’il jouait aussi du piano. Pas davantage que les quatrains d’Omar Khayyâm enchantaient la sensualité de Lorca qui lisait aussi Hâfez de Chiraz, les deux poètes persans célébraient les belles femmes, le vin, les roses, les pierres mystérieuses, la nuit bleue infinie et les échansons. « Gacelas » et « Casidas » leur empreintent beaucoup… parfums, nard, et se vêtent d’amour obscur, d’amour désespéré ou imprévu. Casida de la main impossible...  

...Casida de la rose…   rose eternelle

La rose

ne cherchait pas l’aurore :

presque éternelle sur sa branche

elle cherchait autre chose.

 

La rose

ne cherchait ni science ni ombre :

confins de chair et de songe,

elle cherchait autre chose.

 

            « Lorca se définissait non comme homme, ou même poète, mais comme pulsation blessée qui sonde les choses de l’autre côté » (A. Bensoussan)

 

"Thamar y Amnon"

 

Thamar rêvait,

des oiseaux dans la gorge,

au son de froids tambourins

et de cithares baignées de lune.

Sa nudité dessous l’auvent,

nard coupant de palme,

appelle des flocons pour son ventre

et de la grêle pour ses épaules.

Thamar chantait

dénudée sur la terrasse.

 

Autour de ses pieds,

cinq colombes de glace.

Amnon, mince déterminé,

de la tour la regardait,

l’aine pleine d’écume

et la barbe d’oscillations.  

… …

La lymphe d’un puits, oppressée

fait naître le silence des jarres.

Dans la mousse des troncs

chante étendu le cobra.

Amnon gémit sur la toile

très fraîche du lit.  

… …

Thamar, efface-moi les yeux

avec ton aube immuable.

Mes fils de sang tissent

des volants sur ta jupe.

Laisse-moi tranquille, frère.

Tes baisers sur mon épaule

sont des guêpes et des brises

en un double essaim de flûtes.

 

Déjà, il lui saisit les cheveux

déjà, il lui déchire la chemise.

 

Ah ! quels cris on entendait

par-dessus les maisons !

Quelle épaisseur de poignards

et de tuniques déchirées !   7

Autour de Thamar

crient des vierges gitanes

et d’autres recueillent les gouttes

de sa fleur martyrisée.

Des linges blancs s’empourprent

dans les alcôves fermées.

  Duende Lorca[1]

 

 

 

 

            Le Duende est en Federico Garcia Lorca, force mystérieuse qui s’empare de l’être en certaines circonstances, dans les ultimes demeures du sang. Il en fait la condition même de l’émotion. Avec le Duende le corps est habité par les dieux, - Dionysos ou Méduse -, et parcouru de frissons.

 

            « Un mort en Espagne est plus vivant en tant que mort que nulle part au monde : son profil blesse comme le fil d’un rasoir. » (Lorca)

 

 

 

            « L’annonce de sa mort fut un choc terrible. De tous les êtres vivants que j’ai rencontrés, Federico est le premier. Le chef d’œuvre c’était lui, il me semble même difficile d’imaginer quelqu’un de comparable. Il pouvait lire n’importe quoi, la beauté jaillissait toujours entre ses lèvres. Il avait la passion, la joie, la jeunesse. Il était comme une flamme. » (Luis Buñuel)

 

« Qui a fauché la tige

de la lune ?

(Mais l’eau

nous laisse ses racines)

Comme il nous serait facile de couper les fleurs

de l’éternel acacia ! »

  clair de lune

 

            Tous mes chaleureux remerciements à la générosité d’Aiolos dont le regard de photographe inspiré s’est fait complice de cette chronique poétique.

 

 

 

                                                                                                                                                            Hécate

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17 mai 2012 4 17 /05 /mai /2012 09:53

Eaux pâles, Opale, encre d'Hécate

 

Les Eaux Pâles de l’Existence

  

 

L'esprit tourne comme une mystérieuse opale noire

Au doigt aminci d’un tourmenté fébrile

A son chevet, les Parques vêtues de fatidique moire

Consument leurs feux, tisseuses habiles

 

Nourries par l’astre topaze du vaste ciel

Aussi pur et antique qu’une turquoise persane,

Préparant la vie, mêlant l’amertume au miel

Accroupies et chuchotantes comme de rusées gitanes,

 

Elles offrent dans le cristal de la coupe précieuse

Le vin d’améthyste que Bacchus prépare pour elles,

Cette pourpre impériale enivrante et audacieuse,

La bouche, joyau éphémère aussitôt étincelle

 

Et mêle ses lèvres de chair à leurs lèvres de vent,

Au lapis-lazuli du ciel, cette blessure abstraite

Qui dispense un goût d’infini sans mouvement ;

Sans force à présent, il n’est plus de possible retraite

 

Pour la parfaite image de la vie, vérité scientifique,

Perle, goutte pleurant à l’oreille des mignons,

Que tu viennes d’un lointain golfe Persique

Nacre protectrice des irritantes frictions,

 

Ou bleuie par les nuits des longs chemins d’Australie,

Perle, beauté évadée de la pluie et du coquillage,

Ambrée par la fumée des encens de Birmanie,

Beauté évadée, tu es l’éternelle vie sans âge.

 

Un jour étendue, cherchant le repos dans des lits froissés

D’amour ou de solitude, déesse parant l’écrin,

Un autre, jouant le rôle d’être jusque dans la mort terrassée,

Coquetterie, afin de reposer au cercueil tapissé de satin.

 

Cassettes de velours embaumées par le santal

Coffres lourds, prisons où l’on enclos ton miracle

Vie, perle, sautoirs des reines, parures du mal

Farouches pensées, brutalisés et pâleurs fatales.

 

Les perles ont vu le sang couler, rouge comme rubis

Faire valoir de la fragilité de l’essence subtile,

Combien de carats, le poids d’une vie sur le tapis ?

Tient-il compte de la douleur, le lapidaire habile ?

 

Marchand qui compulse froidement de ses doigts calculateurs

Le diamant et le béryl médiéval, le saphir de Ceylan,

Soupçonneux des opales qui brillèrent de tant d’ardeur

Aux temps des pestes de Venise, sur ceux promis au néant.

 

Opale des Indes d’où naquit la grande sagesse

Opale de Hongrie, Orphanus, nom de l’opale unique,

Tel un orphelin glorieux de sa sublime détresse

Tu ornas la couronne du saint empire Germanique.

 

L’homme qui ne te possédait pas perdait toute chance

D’accéder à sa valeur, à son sceptre, à ses  cimes ;

Opale, esprit dirigeant tout pouvoir, toute arrogance

Vineuse et blanche, pure, tu inspiras complots et crimes.

 

Opale de feu du Mexique, seule à pouvoir être taillée

Comme la pensée qui se torture, un jour tu devins maudite

Opale bleu, pourpre où  tous les verts sont travaillés

Mosaïques de lumière déconcertante, tu tombas proscrite.

 

Pensée, ta chance tourne et danse comme un arlequin,

L’opale évincée par l’émeraude, est semblable à toi, elle est ta sœur,

Desséchées, l’une et l’autre par indifférence et mépris assassin

Vous dépérissez perdant brillance, dissipées dans la non couleur.

bague opale d'Australie Hécate.

 

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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 14:44

Rafael Alberti

        

Plage de Santa Maria

    

           

    

Si ma voix à terre mourait

Portez-là au bord de la mer            

Et sur la rive laissez-là

 

 

 

 

 

            Rafael Alberti poète de l’exil, des tribulations de l’aventure sociale politique et littéraire né le 16 décembre 1902 au port de Santa Maria fut très tôt arraché à l’arc bleuté de la baie de Cadix, par les vicissitudes familiales. Lors de son exil sans retour, lorsqu’il quitta la vie à l’âge de 96 ans, c’est à quelques encablures de sa petite ville natale que ses cendres furent dispersées.

 

            Petit fils d’émigrés italiens venus cultiver la vigne andalouse, adolescent madrilène il pensait devenir peintre. Ami de Salvator Dali, au musée du Prado, il apprit à copier les tableaux de Goya, de Zurbaran.

 

            Mais un soir d’automne 1920, son mouchoir se teignit de sang. Le début d’un mauvais mal. Une radiographie et une analyse de salive précisèrent ce dont il souffrait : adénopathie hilaire avec infiltration dans le lobe supérieur du poumon droit.

 

            Exilé encore par plusieurs mois de réclusion, de silence, de crainte, d’ennui. Et comme la fièvre montait à la moindre conversation, il refusa tout contact et élimina les visites amicales.

 

            Pour se distraire il lisait. Beaucoup. Il n’avait pu finir ses études secondaires. Et il se mit à écrire :

RafaelAlberti« Mon terrible, mon féroce et angoissant combat pour être poète avait commencé. Je constatais à chaque instant avec plus d’évidence, que la peinture en tant que moyen d’expression me laissait complètement insatisfait, car je n’arrivais pas à faire entrer dans mon tableau tout ce qui bouillonnait dans mon imagination. En revanche, sur le papier j’y parvenais. Je voulais seulement être poète. Et je le voulais avec ferveur. »

 

            De sa chambre de malade, il envoya quelques vers à la revue Ultra qui ne les publia pas. Déception de Rafael Alberti mais non découragement.

« Mes nostalgies maritimes du Port commencèrent à se présenter à moi sous une forme différente, je les voyais en lignes et en couleurs, mais estompées par une multitude de sensations désormais impossible à rendre avec des pinceaux. Je voulais être poète. Et je le voulais avec fureur… »

 

Rêve de marin 

 

 « Mon rêve arborant médailles des mers

va sur son vaisseau, ferme et assuré,

tout amour pour une verte sirène,

 

coquille des fonds de l’eau ténébreuse.

Matelot, rends-moi au creux des ondes :

- Sirène jolie, ah ! je t’en supplie !

 

De ta grotte sors, je veux t’adorer,

de ta grotte sors, viens vierge semeuse,

semer sur mon cœur ton étoile vive.

                                      

…. … … lune-sur-l-ocean 2

 

Laisse le cristal de ta main se fondre

dans la nivéenne urne de mon front,

algue de nacre qui chante en vain

 

Sous le verger indigo du courant.

Noces glaciales noces sous-marines

avec pour témoins la lune et l’eau

 

et l’ange nautonier de la rosée !

Mer et terre et vent je vais sillonner,

ma sirène, noué à tes cheveux fins,

 

lié à tes cheveux algides et verts… »

 

            En mai 1921, allongé sur une chaise longue, il passa l’été dans la Sierra de San Rafael. Parmi les pins et les peupliers, il écrivit comme un fou des poèmes.

            Dans une chambre mortuaire, celle de son père il avait écrit son premier poème.

 

                        « …ton corps

                        long et drapé

                        comme les statues de la Renaissance

                        et quelques fleurs tristes

                        d’une maladive blancheur. »

 

            Chaque année, dès le printemps, Rafael Alberti dont la convalescence s’éternisait repartait vers la Sierra de San Rafael où il séjournait jusqu’à l’automne.

            Lectures et promenades. Sa poésie s’envolait. La nostalgie d’une enfance encore proche emplie d’océan, de châteaux de salines, de parfum d’orangers. Obsédante nostalgie ! et puis il y eut la lecture du premier recueil d’un jeune poète dont on commençait beaucoup à parler à Madrid. Federico Garcia Lorca. En automne 1924, il écrivit ce poème.

 

A Federico Garcia Lorca

Poète de Grenade.

  

Cette nuit où le vent et son styletFederico-Garcia-Lorca  

poignardent le cadavre de l’été,

j’ai vu, dans ma chambre, se dessiner

ton visage brun au profil gitan.

 

La vega fleurie. Les fleuves, alfanges

rougies par le sang virginal des fleurs.

Lauriers-roses. Chaumines et prairies.

 

Et dans la sierra, quarante voleurs.

 

Tu t’es réveillé sous un olivier,

avec près de toi la fleur des comptines.

Ton âme de terre et brise, captive…

 

Lors abandonnant, très doux, ses autels,

l’ange des chansons est venu brûler

devant toi une anémone votive.

 

            Une amitié que l’assassinat de Lorca par les franquistes interrompra !

 

            « Je m’imaginais pirate, voleur d’aurores boréales sur des mers inconnues… la fiancée à peine entrevue du haut d’une terrasse de ma lointaine enfance au Port se métamorphosa peu à peu en sirène jardinière, en fiancée cultivant des vergers et des potagers sous-marins… je pavoisai les mâts frêles de mes chansons de flammes et de fanions aux couleurs les plus variées. Mon livre commençait à être une fête, une régate scintillante poussée par les soleils du Sud. »

 

                        « Mon cœur écartelé

                        entre ville et campagne.

 

                        Luminaires nocturnes !

                        Mes verts saules pleureurs ! »

 

                        « Hier promise du pin vert,

                        promise aujourd’hui du pin mort.

                        Cheveux fous hier pour le vent,

                        pour l’air aujourd’hui solitude. »

 

            Rafael Alberti avaient vingt trois ans quand il publia son premier livre : Marin à terre. La poésie n’était pas rentable. Il avait sur les conseils d’un ami envoyé son œuvre naissante au Concours Nationale de Poésie. Du jour au lendemain il devint célèbre en remportant le premier prix. Il ne commencera à être vraiment considéré que quelques années plus tard avec le recueil de poèmes « Sur les anges ».

  ange

                        « Ange mort, réveille-toi

                        Où te tiens-tu ? Illumine

                        de ton regard le retour.

                        … …

                        Habillé comme ici-bas,

                        mes ailes, on ne les voit plus.

                        On ne me reconnait pas

 

                        Dans les rues qui se souvient ?

 

 

 

 

  

            Alberti a perdu son paradis de l’innocence et de l’amour. Une intensité visionnaire d’un esprit imaginatif des sombres états de l’âme, la confiance et le soutien des choses de l’existence qui l’avaient jusqu’alors guidé et gardé chavirent.

            A la même époque Neruda écrit « Résidence sur terre ». Le poète chilien sera son ami jusqu’à la mort. Tous deux pressentent le délitement à venir d’une société ou plane la menace de la guerre.

 

            « Rafael et moi nous sommes ce que j’appellerai simplement des frères. La vie a enchevêtré nos existences, bouleversés nos poésies et nos destinées. » (Neruda)

 

            Le lyrisme optimiste n’est plus, la poésie le consume et l’histoire va l’embraser.

            Mais avant il écrivit « L’aube de la giroflée ».

  giroflée blanche

                      Tout ce que j’ai vu grâce à toi

-   l’étoile sur la bergerie,

le charriot de foin en été

et l’aube de la giroflée –

si tu me regardes est à toi.

 

     Tout ce qui t’a plu grâce à moi

-    le sucre doux de la guimauve,

la menthe de la mer sereine

et la fumée bleue du benjoin –

si tu me regardes est à toi »

 

           

  

  

            Dans la Giroflée Blanche, l’ange est confiseur, il y a un orfèvre, un savetier, un pécheur…et une bohémienne.

                                                                           Femme à l'oeillet                  

« Toi si propre, si bien coiffée,

avec sur tes temps plantés

deux petits peignes assassins,

dis-moi, dis-moi : d’où viens-tu donc ?

 

Avec cette jupe carmin

et là, ces deux roses de lin

sur tes deux petits souliers verts,

dis-moi, dis-moi : d’où viens-tu donc ?

 

 

            Il y a des estampes, des annonces publiques, des fleurs, des chansonnettes… et même l’Allumeur de Lune et sa fiancée.

 

- Tu peux bien me chérir ici : Lune Aiolos

N’ai-je pas allumé la lune

pour toi, mais oui, pour toi, mais oui !

-  oui, pour moi, oui

-  tu peux bien m’embrasser ici,

 phare, farouche fanal, femme

 algide comme autre ne vis.

-  Allons, c’est oui.

-  Et tu peux bien me tuer ici,

 lunaire et froide fiancée

 du phare fari-faribole.

-  Tiens. Voila. Oui.

 

Dans la Giroflée Noire, le chant poétique d’Alberti s’assombrit… 

 

Dessin-plante-du-jardin-giroflee…  «   Et puisque tu voles mes yeux

et que mes lèvres assassines,

redeviens donc lézard noir

sur lequel crachent les crapauds !

 

Et puisque mon cœur tu piétines

et puisque tu suces mon sang,

redeviens donc rouge vipère

ou corbeau tout noir dans le vent !

 

Et puis tu t’es faite clou

et que tu es marteau et dague,

Redeviens donc crabe tout noir

et que l’eau t’avale d’un coup ! »

    

 

 

 

De la Maudite à la Séquestrés, des accents douloureux…

 

         « Seul à mourir, sur cette marche

            me voici pour la nuit entière.

            Je sais que tu es printanière

 

            Des ombres venues de la rue

            grimpent, maintenant silencieuses,

            à l’escalier vert de ton lierre.

            … … …

            Et c’est pourquoi, sur cette marche,

            seul à mourir, veillant sur toi,

            Me voici pour la nuit entière. »

 

            La Giroflée Verte c’est à nouveau la poésie des ritournelles andalouses et le retour à la mer.

 

 « Le soleil dans les dunes.sirene par alberti

Et le sable brûlant.

Je  cherche sur la plage

un coquillage vert.

 

Sur les vagues, la lune,

Et le sable, mouillé.

je cherche sur la rive

Un coquillage blanc. » 

… … …

 

Je suis capable de me tuer.

si vivant, je ne peux te voir,

t’avoir enfin pour épousée.

 

Je suis capable de me tuer,

sirène, pour t’avoir à moi. »

 

                

            Rafael Alberti rencontra Maria Teresa León, celle sans qui « il se serait tu ». Ils se marièrent en 1930. Et puis commença le long exil…

 

Trente huit années d’exil !

 

alberti âgéIl ne retrouva son pays qu’à l’âge de  soixante quinze ans. Rafael Alberti avait eu pour arme de combat la poésie et la dramaturgie. Il écrivait pour dénoncer une société hostile, mécanisée et aliénante et avait été le secrétaire des intellectuels antifascistes.

 

            « Je suis parti le poing fermé car c’était le temps de la guerre, et je reviens la main ouverte, tendue à l’amitié de tous. »

 

            Il renonça à son poste de député de Cadix, fidèle à sa poésie inspirée et chatoyante. Celui à qui l’Espagne fut longtemps interdite n’a cessé de chanter son pays, même dans ses poèmes d’exil à la dimension de sa nostalgie.

            En 1983, le prix Cervantès lui a été décerné, la plus haute distinction couronnant un écrivain de langue espagnole.

 

            Quelques mots encore pour expliquer comment j’ai découvert celui qui a côtoyé les plus grandes figures du XXème siècle, Picasso, Buñuel, Aragon, Elsa Triolet, Boris Pasternak…Dali…

 

           poveda En écoutant Miguel Poveda chanter « Poemas Del Exilio », un récital en 2003, je n’ai alors eu qu’un désir en savoir, en comprendre d’avantage…

 

             María Asunción Mateo, seconde épouse de Rafael Alberti à propos de cette création a écrit :

            « Dans cet enregistrement d’Enric Palomar et de Miguel Poveda, accompagnés par de magnifiques musiciens, la force créatrice de leur jeunesse s’y trouve mise en évidence, capable de s’approprier les sentiments d’un poète universel et de les transmettre aux autres. La sobriété et la passion que ces deux artistes impriment à des poèmes écrits pour nous accompagner toujours, pour ne mourir jamais, ainsi que le désirait leur auteur. »

 

 

 

NANA DE LA CIGÜEÑA
 
Que no me digan a mi
que el canto de la cigüeña
no es bueno para dormir.
 
Si la cigüeña canta
arriba en el campanario,
que no me digan a mi
que no es del cielo su canto.
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16 avril 2012 1 16 /04 /avril /2012 09:44

chandelleAdonis

 

 

 

 

« Quelle est douce cette bougie !

Elle ne consent à faire ses adieux à la nuit

qu’en essuyant ses larmes. »

 

« Chaque jour, le soleil laisse des lettres

au bord de ma fenêtre.

La nuit seule sait les lire. »

 

 

 

 

 

            Né en 1930 près du port syrien de Lattaquié, Ali Ahmed Saïd Esher a grandi à l’écart du monde moderne. Pas d’électricité, pas de cinéma, pas de voiture.

          Une destinée aussi étonnante qu’un conte oriental. A douze ans, désobéissant à ses parents, il participe aux joutes rimées dans la ville voisine où le premier président de la République syrienne se trouve en visite officielle. Arrivé pieds nus, couvert de la poussière de la route, il est écarté, il insiste. Impressionné par la déclamation de son poème qui subjugue l’assistance, le président veut récompenser Ali Ahmed. Il demande seulement à entrer dans une école secondaire.

 

«Ce fut pour moi comme une révélation, une épiphanie que je ne cesse de questionner et que je ne comprends toujours pas. » (Adonis)

 

« Le dieu de l’amour est né en même temps que moi que sera donc l’amour lorsque je serai mort ? »

 

Lassé de ses poèmes refusés dans les revues arabes, il a dix sept ans, il prend le nom d’Adonis. Ce mythe d’un dieu né d’une fleur rouge, d’un dieu né de la mort et de la résurrection va porter sa poésie au monde.  

 adonis

Adonis le païen mystique !

 

    « J’ai mes secrets pour marcher

    sur la toile de l’araignée

    J’ai mes secrets pour vivre

    sous les cils d’un dieu qui ne meurt jamais. »

 

« Sans attache, parce que déraciné ; sans repos parce que fils de l’inquiétude et d’une histoire massacrée ; sans illusion parce que voué à la vision lucide, âpre et nue ; sans faiblesse parce que revenu des au-delà de l’enfer, Adonis s’abreuve aux étoiles excessives qui égarent plus qu’elles ne mènent aux lieux saints. Sa poésie, hors de toute obédience doctrinale, continue d’interroger et de décaper. Elle aborde, par accélérations successives et sursauts incantatoires le thème d’une identité poétique et humaine, thème inexploré depuis la mise en garde coranique. Ici se cherche l’être même de la parole, entre ruines et enfance, éloignements et sang, amour et légendes. » (André Velter)

 

Adonis est Mémoire du vent, Charmeur de poussière, Refuge dans l’éclair, Chants pour la mort, Chants pour l’amour, Miroir, Rose, Perle, Orient et Occident…

 

          « Un temps s’écoule, un temps s’enfuit

                    comme l’eau

          Et moi aussi je cours…

 

          Je suis venu

          Encre était le monde sur ma route

          Phrase tout frémissement

          J’ignorais qu’entre nous

                    un pont était jeté – foulées

                    de flammes et prophéties

          Un pont de fraternité…

 

          Me voila pareil au fleuve

          et je ne sais comment en tenir les rivages

          moi qui ne sait rien excepté la source

          l’errance où vient le soleil comme magique herbe noire…

 

          « Mon corps est mon pays. »

 

Adonis l’exilé, s’installe à Paris en 1986.

          « Ô ami, ô fatigue…

 

          Ô jasmin des destructions, ô rose de sang !

 

          Oui

          mon rêve a le droit de délaisser mon corps

          et mon corps a le droit de trahir l’insomnie,

                    l’insomnie qui le hante. »

 

CD Adonis« Le chant traverse tous les canaux de l’esprit et de la chair avant de se poser sur les lèvres et partir pour demeurer chez les autres. La poésie a toujours été dans les anciens temps déclamé, chantée ou dite. » (Abed Azrié)

 

Abed Azrié, voix de chair et de vent sculpte les mots, la langue du chant, la plus vielle langue du monde.

Il a chanté Omar Khayyam, Ibn Arabi, Samih Al Quassam… d’«Aromates » à « Lapis Lazuli » il a chanté « Fleur d’alchimie » et « Pont de larmes » d’Adonis.

 

Une profonde amitié au long fleuve des années.

Abed Azrié chante à nouveau Adonis.

Un aboutissement de toute beauté en rupture avec  tout archaïsme.

 

Un CD et le DVD du récital donné le 14 mai 2011 à l’Institut du Monde Arabe.

Harmonia mundi distribution.

A regarder et à écouter ici un extrait :

 

« Commencement du chemin ».

 

          La nuit était papier et nous étions encreAdonis Commencement du chemin

          (Tu m’as demandé)

          « As-tu dessiné un visage ou une pierre ? »

          (Je t’ai demandé)

          « As-tu dessiné un visage ou une pierre ? »

          Je n’ai pas répondu

          Tu n’as pas répondu

          Nous nous sommes épris de notre silence

          Qui n’a pas de chemin

          Comme notre amour qui n’a pas de chemin.

 

 

                                                                                   Hécate.

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31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 21:18

à ARIAGA

 

GothicGothic

Les Amants de Mory

de

Laure Fardoulis

 

La poésie, inaltérable, prédispose  le mystère. L'errance des êtres, leurs ombres portées, tracent l'énigme de leurs existences, lors les instants évanouis et soudain immortels s'inscrivent  spontanés dans nos consciences tels des météores incandescents.

 

" Jamais une œuvre gothique, prétendument hermétique et obscure, n’a jeté autant de lumière sur la passion, les sentiments et, plus précisément, sur la solitude, ainsi que sur l'idée culte que nous nous faisons de ces simples énigmes qui sont le moteur de la vie et de la mort ".

Zoé Valdès

 

 

Il y a certains livres qui me hantent comme hante l'irréalité d'un rêve, qui me captivent et me capturent. Devenue leur proie il m'est impossible de résister à leur appel.

Celui-ci vampirise comme l'amour inattendu au détour d'une nuit !

 Il est tel un songe drapé du suaire de la transparence, tissé d'ébauches qui débauchent l'esprit et égarent sens et raison.

 

« Le village picard de Mory, à flanc de coteau .Un manoir, une belle propriété, quelques fermes…une église élancée, passablement abimée par le vent du nord…

La fille du maître du manoir, Pandora, si bien nommée par l’esprit fantaisiste de son père, est une belle jeune fille de dix-neuf ans, grands cheveux noirs et petit visage triangulaire, idéaliste et sauvageonne.

…Benito est un jeune homme brun au visage pâle, solitaire et voué à des tâches qu’il n’a pas choisies.

 

L’histoire commença en l’an MMXI, lorsque Pandora se demanda quel était ce bruit profond et sourd qui habitait ses nuits et la maintenait éveillée.

…ce qui vient des entrailles de la terre vous semble à jamais familier, tel le mouvement perpétuel du magma des tous premiers temps. En ces nuit d’été si douces, Pandora se relevait et quittait sa chambre pour rejoindre les grandes étendues éclairées, taches lunaires presque fluorescentes : il lui semblait alors que l’histoire du monde avait laissé quelques anciens vestiges de vie qui, ainsi accumulés, constituaient la texture d’un temps fluide, légèrement tremblante… habitée. »

 

lune aiolosSous la lune, de l’ombre gothique de l’église, un étranger va se lever, et aborder la jeune fille.

 

« Ai-je donc tant d’intensité sans espoir en moi pour penser qu’un acte aussi anodin qu’une telle rencontre pût émaner d’une prophétie et que j’en sois l’héroïne ? » 

 

« -  Benito, dit-il en se présentant…  Content que vous ne soyez pas une ombre. »

 

« Chaque nuit, à des heures différentes, se levait Pandora, mais son nouvel ami restait invisible…

Et la deuxième rencontre ne renversa d’aucune manière les données romanesques précédemment immergées de la nuit picarde. »

 

Sur la troisième marche d’un petit escalier de la porte de l’église, Benito assis attendra Pandora.

 

« Les mots n’existaient plus, raccourcis d’instants ; en un laps de temps vraiment immoral… ils s’étreignirent. Parole déjà vaine. Et la longue chevelure se répandit sur la peau de Benito. »

 

Dans la réalité du jour appréhendé, s’écoule la vie quotidienne dans une  maison vouée à la fantaisie d’un père monologuant Shakespeare.

 

« Où est mon fou ? Holà ! Tout le monde dort ici ! »

 

Pandora retrouvera Benito…

 

« Exactement assis sur la troisième marche du petit escalier de la porte latérale de l’église… »

 

« Ils entrèrent dans l’église.

                              Je suis sans antécédent.

Ma nudité n’appartient qu’à la nuit

                              dont tu es le gardien.

J’ai froid et mon cœur est démesuré.

                              Ce qui me déchire ? L’absence de Toi…

Rien n’est immoral. Rien n’est amoral.

-        nous sommes sans antécédent. »

 

 

L’alternance des nuits, des jours, des attentes tandis que le père de Pandora majestueux Roi Lear invectivait le vent du nord.

Alternance de la présence. Alternance de l’absence. Attente de l’aimé.

 

« La nuit suivante il était là.

                                        Nulle retenue, pour les véritables amants.

 

Encore en elle

                                        Confondus.

 

église nocturne aiolosEn pleine lumière, l’église semblait s’adresser à ces amants de contrebande qui la hantaient nuitamment sans scrupules. »

 

Pandora perdu en conjectures, interrogeait, dévêtue, le miroir du salon, s’évaluant.

 

«  Comment garder une apparence intacte dans le mouvement irréversible du temps ?

Benito rêvait que son sang à elle était aussi le sien, un sang chaud, l’irradiant entièrement : sœur incestueuse ; ils accéderaient ainsi ensemble à une identité comme indéfectible, née de cet instant de chaleur charnelle, contre cette vieille cloche, au milieu des plumes, des débris d’ailes éparpillées dans la poussière, sous le regard fixe d’un hibou lové dans l’ogive de l’une des deux fenêtres frontales de l’église, immobile. »

 

                    « Je la rejoindrai, ne serait-ce que dans la luxure.

Puissé-je me dissoudre en elle en murmurant ce vœu

Je la rejoindrai, puisqu’à son égal, je suis l’immature.

Ainsi tous mes actes demeureront purs.

                    Je suis enterré depuis si longtemps. »

 

Benito qui n’était ni jeune, ni vieux, ni beau, ni laid, était au-delà. Et s’il lui fallait prendre un confesseur, à l’avenir, ce serait celui qui parlerait le mieux de l’enfer !

 

« Dans le silence, il vint s’étendre lentement sur elle et posa ses bras sur les siens, en croix : ironie, jeu, provocation ou sens inné du sacré ? Il resta ainsi immobile sous la voûte en bois peinte, blanc usé. Au loin, une vierge en pierre posée à leur niveau sur les dalles pourrait témoigner, bien que son regard inexpressif se perdit au-delà. »

 

Univers de dédales, de terre, d’appel des profondeurs, de géographie, de lieux de temps autres dans la marge de l’Histoire, comment ne pas songer au terroir nervalien, ici à Mory modeste hameau aux six puits, aux trois fontaines, aux deux moulins à vent… Quand le songe s’épanche et répond à tous les songes sortis de la terre et non ensevelis… notion abstraite de l’avenir. Ramifications veineuses des mains, petite porte rouge d’un hangar en brique dont la clé ouvre sur une trappe et… sur l’amour absolu !

 

« Pandora se sentait délicieusement diluée… » Un seul des filets bleutés à fleur de peau en s’ouvrant, et « le rouge se répandrait et descendant le long des marches, s’enfoncerait dans la terre jusqu’à lui… »

 

Athéna Aiolos« Entourés d’un mur, les cimetières de Picardie sont presque toujours en dehors du village.

Et Pandora, ce jour-là, en poussa la grille.

Dans la plaine lunaire, l’ombre des grands arbres formait des taches noires… ils marchaient tous deux vers les cyprès et l’enclos du petit cimetière…

Une sorte de gaité éphémère les emportait vers le point mystérieux de leur histoire… Derrière eux, les lumières du manoir situaient le village. »

 

« Quel effet la vision de notre propre tombe pourrait-elle produire sur nous même ?...

 

La splendeur passée d’un pays et d’autant plus pathétique lorsque des vestiges en témoignent encore. »

 

                    Escales baroques de haute nuit et de sacralité abolies de toutes frontières… fusion alchimique du rêve et de la vie.

 

 

EST- Samuel Tastet Editeur.

 

Hécate.

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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 16:19

Photo Aiolos pour poème

 Ilustration de Aiolos

 

 

FADO  D’UN  INCERTAIN  DESTIN

 

 

    Incertitude, intranquillité me vêtant

    En ce pays où je n’existe qu’en rêve

    Que suis-je sinon une ombre d’absence…

 

Vous joindre, vous, tous mes ailleurs

Qui n’êtes pas, sinon un peu d’encre

Où ancrer quelques bribes perdues

 

    Fantomale errance où je vais

    A me dissoudre de terrible rigueur

    Arbre de miséricorde, offrez-moi

    Quelque branche où me pendre.

 

Crochets qui m’arrachez le cœur

Reliques de moi-même, embaumez

Ce que je fus, ce que je ne suis plus.

 

    Nuit profonde, bandeau sur mes yeux

    Que mon sang soit cette trace effacée

    Où crucifier ma nostalgie fleurissante

    J’exhale un parfum qui n’est pas d’ici

    Qui saurait me respirer tel qu’alors ?

 

A vivre les jours sans les connaître

Et les nuits sans jamais les dormir…

 

    Cette soif, jamais assez étanchée

    Me poursuit dans ce désert d’être

    A me consumer sans être assez dévorée

    Holocauste de brûlures qui me marquez.

 

    Est-il assez grand ce sacrifice d’aujourd’hui

    Incertitude, mon habitude, ma constance ?

    Aveugles fidélités qui me sucez l’âme

 

Appels muets serez-vous un jour entendus

Par-delà le mur qui m’enterre d’impossible

 

Je n’ai plus de prières qu’en secret

Ne sachant où les porter, où les perdre.

 

    Dans cet infini qui m’attend peut-être…

    Ma lassitude sera-t-elle assez couronnée

    Pour qu’éclosent les pétales de l’oubli,

 

A mon front harcelé de pâle inquiétude

Sera-t-il enfin brisé ce cercueil  où je me meurs ?…

 

 

                                                                       Hécate

 

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 13:37

blesse, ronce noire coverBlesse, ronce noire

de

Claude Louis-Combet

 

 


« Blesse, ronce noire. Ce sont les derniers mots que Georg Trakl fait prononcer à sa sœur, Gretl, dans le poème Révélation et anéantissement, écrit peu avant la bataille de Grodek (1914) d’où, la drogue aidant, il ne devait pas revenir.

Lorsqu’on considère les photographies conjointes du frère et de la sœur, on peut se demander qui fut le premier à dire les mots de la douleur, de l’amour et de la faute et dans quelle secrète complicité naquirent les poèmes. Dans l’espace de la proximité ouvert entre ces deux faces d’amants et d’artistes, on peut rêver abondamment sur le sens de la dilection, de l’écriture et de la déréliction. »

 

Automne 1897 

            « Le garçon a tout juste dix ans et sa sœur vient d’en avoir cinq. De tous les êtres qui peuplent la maison, cette petite fille a été reconnue par son frère, depuis le commencement, comme celle par qui la ténèbre arrive. »

 

            Dans un soir d’un songe ardent, tourné vers le miroir, multitude d’apparences et de reflets, les enfants pouvaient se découvrir tels qu’en feu et se regarder agir sans perdre de vue la languissante exténuation du crépuscule.

 

            « La petite fille s’empara de la plus grande des poupées, l’unijambiste, et l’étala comme une étoile sur un coussin de velours sombre… Cependant le grand frère avait dégainé le sabre et celui-ci, qu’il tenait à deux mains, luisait doucement dans l’espace profond du miroir. Assurément, une exécution – un sacrifice allait s’accomplir…

            La lame était légèrement recourbée, mais la pointe acérée. Ce sabre était un bel ornement de flibustier, une pièce de panoplie de pirate fornicateur…

Le garçon engagea son arme sous la robe qu’il souleva et rabattit. Le pantalon de poupée fut alors exposé clairement et, à son enfourchure la lame put pénétrer, sectionner. La petite fille regardait… elle adhérait, de tout son désir d’enfant, à la volonté de son frère. Il était le maître…  Voir – voir et regarder, contempler un instant – suffisait largement au désir…

            Elle n’avait que cinq ans mais elle avait beaucoup pensé et s’était aventurée loin en elle-même. Elle se laissa donc dépouiller le bas du corps et, tout le temps, regarda dans le miroir son frère qui la regardait.

            Il n’y eut rien de plus…

            Un regard seulement, un long regard tandis que le jour s’absentait, juste le temps nécessaire pour que s’éveille l’adoration. Le corps était à la fois clos et ouvert, offert et réservé. Il n’était ni indécent ni outragé mais singulier, en vérité. Le dessin du sexe paraissait ici, dans l’insolite complicité des enfants… Ils éprouvaient, comme une morsure du cœur, à quel point ils se trouvaient interdits de désir entre eux et contre quoi il leur faudrait se dresser s’ils voulaient se retrouver un jour au seul miroir de leur destin. »

 

            Ni roman, ni biographie « Blesse, ronce noire » est une plongée hallucinée dans le passage de l’enfance à l’adolescence jusqu’à la finalité fatidique.

            Une langue de toute beauté où le classicisme est une force plus que jamais qui porte haut les ténébreuses amours incestueuses et le paysage intérieur du poète Georg Trakl tout de silence et de stupeur stupéfiante.

            Imprégné de Novalis, d’Hölderlin, de Rimbaud, Nietzschéen dans le nihilisme et l’exigence des aboutissements des pulsions, se débattant dans la douloureuse hantise du mal et de l’idéalisation sans limite, comme de la conscience dans le mal, l’œuvre de Trakl est toute entière traversée d’écorchures, d’écartèlements, de désolations dans la neutralité hivernal de l’engloutissement blanc de la mort, dans la descente aux profondeurs.

 

 «… se dressa sur des ailes de lune par-delà les cimes verdoyantes et les récifs de cristal la face blanche de la sœur. 

            Sur des semelles d’argent je descendis les degrés envahis par les ronces et pénétrai dans le réduit chaulé. » (Georg Trakl) 

 

Eté 1905 

            « C’est l’été des treize ans, une nuit de canicule. La jeune fille a le ventre lourd… Le sang de lune se prépare à couler pour la première fois et la jeune fille veut le voir sourdre de son sexe. Elle l’a promis à son frère. Elle lui a écrit : Cela se passera une nuit et moi, je veillerai… Et mon sang ne sera pas chrétien. Il ne viendra pas d’en haut, provoqué par un rais de lumière, mais d’en bas et du fond, là où la terre est plus noire que la terre et où il se trouve que je suis ta sœur par-dessus toute femme, ta sœur qui t’aime et qui t’attend.

            Elle écrivait chaque jour à son frère mais ne lui envoyait pas ses lettres.

            Tu es parti mais tu ne m’as pas quittée. Tu es toujours ici. Tu me regardes. Regarde-moi encore. Je voudrais passer toute ma vie à être regardée par toi… »

 

1905 – 1909 

            « Il aurait voulu être chimiste pour connaître et pharmacien pour soigner…

            Composer des pommades et des pilules, cueillir et conserver des simples, exécuter des ordonnances, c’était autant de tâches dont le seul horizon se voulait la santé, le bien-être, le secours et la consolation. »

 

           800px-Engel-Apotheke Linzer Gasse Georg Trakl commença un stage à Salzbourg à la pharmacie de l’Ange Blanc, bien qu’associant dans ces rêveries sa quête de l’élémentaire à l’obscur préparation du péché. Il considérait que ses études étaient une faillite. La pensée idéaliste ne lui paraissait pas animer la recherche scientifique.

 

            « Il fallait que l’homme connût la chair de l’être qui lui était, par l’esprit, le plus proche, la chair du Double, la chair de l’Ombre que deux êtres fussent entre eux comme le Même : nécessairement ils devaient s’aimer, jouir ensemble, au-delà de toute jouissance commune…

 

            Nous serons la flamme – écrivit-il à sa sœur, dans l’ivresse de sa vision. »

           

            « Il buvait dans la solitude, sans jamais sombrer dans le tangage des ivresses communes. Il accédait par l’alcool à la transparence, à la netteté de la sensation…

            C’était une difficile entreprise de création de soi-même, un opiniâtre dévoilement de l’être et du monde, à distance de toute effusion romantique comme de tout formalisme d’écriture…

            Etre, écrire, aimer – les termes s’interchangeaient dans l’unité d’un même mouvement de raréfaction du verbe et de retour en soi. »

 

            Dans son rapport avec les femmes, il avait éludé son désir et différé le moment. Eloigné de sa famille, il ne caracola pas dans les multiples cercles de la réalité féminine. Souci de ne pas se lier, timidité, concentration sur lui-même.

 

            « Cependant, il lui fallait affronter l’épreuve du sexe. Un désir épuisant le tenaillait. Céder alors…

schiele            Les oripeaux de ces dames se ramenaient à peu de chose : une paire de bas noir, des froufrous avachis… vaste corps bouffis… seins ballottants, pubis exubérants, cuisses veinulées et cireuses couvrant de leurs replis la fondrière du sexe… et le grand moment de solitude du désir impartageable…

 

            Il était, à présent une béance et une loque, rien moins qu’un petit mâle au zénith…

 

             Et tout comme il affectionnait les boissons incendiaires qui torturent le goût sans le remplir, il se soumit à des vulves excessives qui le malaxèrent tout entier et l’épuisèrent sans jamais entamer ce noyau de virginité autour duquel son cœur s’était construit et qui s’exprimait plus lumineusement que jamais dans les poèmes de rêve et de folie qu’il écrivait pour sa sœur…

            Cependant quelque chose en lui résistait à cette fascination du néant sexuel et de la petite mort. »

 

Eté 1909 

            « Comme ce jour-là était un dimanche, ils étaient allés à la messe en famille, le matin. Ni l’un ni l’autre n’avait prié. Ils rejetaient Dieu violement. Cependant ils croyaient en Dieu, ils croyaient en la Présence réelle…

            La sœur avait beaucoup grandi, s’était développée, épanouie… Elle marche devant. Elle porte une jupe claire et un corsage léger.

            Elle avait écrit déjà : Je t’emmènerai hors du regard, là où Dieu seul pourra nous juger.

            La sœur le précède comme une ombre blanche. Mais lui, dans la tension de sa pensée, la perçoit plus noire, plus attirante et dangereuse qu’un puits ouvert soudain dans l’espace de son cœur…

            Il peut se considérer lui-même aussi vierge que sa sœur. »

 

            Sous un ciel insupportable d’intensité, la montée d’un élan exalté, avec la barrière des sapins, dessin d’une ligne noire, paysage d’autres confins vont s’accomplir vers l’autel des orties et des ronces, les noces sacrées.

            «  Il ne tenait qu’à elle de s’arrêter sur le chemin, elle le ferait bientôt, de se retourner vers son frère, d’ouvrir sa robe et de dire, ainsi qu’elle l’avait écrit : Prend, je t’appartiens, prend cette sœur qui t’est réservée, et blesse, blesse-moi, ronce noire. »

 

prunus spinosa 1             « ...le frère, que l’angoisse du désir accablait, avait brisé de ses mains une tige épineuse, une tige feuillue et fleurie en son bout – une branche d’églantier. Sa main saignait…

 

            Sa tige à lui était dure et cruelle, obstinée et implacable. Elle avait poussé aux premiers temps dans le désert, là où le cœur est calciné avant d’avoir battu. Elle portait des griffes et des crochets et avait fleuri dans la famine…

            Cette fleur était virginale, mais à quel prix ?

            …de sa verge d’églantier, il l’agaçait dans le cou, entre les épaules, contre la joue, la caressant de sa fleur, la griffant de ses épines…

… Et la sœur, dans la tourmente des parfums et le fouaillement incessant des épines sur sa peau, sentait ses flancs s’élargir et son âme monter avec son souffle. Sa main blessée d’épines brûlait. Il avait dans sa gorge le goût du sang… Il agitait sa branche d’églantier. C’était une torche.

            Il était après elle comme après sa propre ombre lorsque, enfant, il cherchait à y poser le pied. »

 

Mars 1913 

            « Aucun acte ne pourrait jamais contrebalancer le poids de plaisir et de joie qu’ils avaient partagé. Aucune pensée, leur appétit de faim. Aucun mot, aucun poème, leur part de silence dans l’absolu de l’amour accompli.

 

            Il ne s’était jamais pris ni pour un grand chimiste ni pour un grand métaphysicien. Les quelques amis qu’il avait et qui l’aidaient matériellement, à se produire en de rares publication, ne saisissaient que l’étrange beauté des associations de mots sans accéder au secret…

 

            Il ne s’était jamais reconnu comme une intelligence plus cultivée et pénétrante qu’une autre. C’est pourquoi il faisait sienne cette idée vieille comme le monde que tout bonheur se paie de peine.

            Blesse, ronce noire. Qui avait écrit cela le premier ? il ne savait plus ce qui était d’elle, ce qui était de lui. »

 

Octobre – Novembre 1914 

            « Il ne comptait plus les jours depuis qu’il avait rejoint le front. Il avait pour tâche de repérer les blessés qui pouvait être soignés, de leur administrer les premiers secours, de les charger dans les ambulances, sortes de roulottes de romanichels devenues fourgons d’agonie. Les obus éclataient de partout…

 

            Que tout se taise au-dehors et que cette voix lui revienne dans le souffle et le chant : Blesse, blesse encore, ronce noire, encore et toujours.

 

            Il n’avait qu’une mince provision de cocaïne entre les étoffes de son uniforme. Plus d’une fois, il avait été sur le point de l’offrir à un grand blessé dont la souffrance lui brisait les nerfs. Mais c’était sans fin comme les aumônes. A présent c’était lui qui avait besoin d’un suspens dans cet abrutissement de fatigue et d’angoisse où il coulait. Hier, c’était la Toussaint. Aujourd’hui le jour des Morts. Demain, s’il se pouvait le jour des Survivants… »

 

                                             ABANDON A LA NUIT

 Georg Trakl

    Prend-moi, moniale, en tes ténèbres,

    Vous montagnes froides et bleues !

    Saigne la rosée de ténèbres ;

    Croix dressée dans l’éclat des astres.

 

    Brisés pourpres bouche et mensonge

    Dans la froide chambre vétuste ;

    Brille encore un rire, jeu d’or,

    Dernière sonnerie de cloches.

 

    Nuage lunaire ! Noirâtres tombent

    Des fruits sauvages dans la nuit

    Et notre espace devient tombe

    Et notre vie terrestre, rêve.

 

Georg Trakl

1887 – 1914

 

            Ma première rencontre avec la poésie de Trakl s’est faite par le biais d’une pièce pour orchestre de chambre et voix d’hommes du compositeur Philippe Hersant « Der Wanderer » poème choisi pour ses deux derniers vers :

            «Et lui s’en revient, le long des berges vertes,

Bercé sur une noire gondole, à travers la ville écroulée »

 

            Deux extraits d’un entretien avec Claude Louis-Combet né en 1932 :

 

            « La lecture de Freud m’a permis de comprendre l’importanceLouis-Combet Claude essentielle des expériences de la petite enfance dans l’histoire de l’être individuel. Jung m’a ouvert aux sources de l’imaginaire par l’approche de l’inconscient collectif et des mythes. Rank m’a éclairé sur la dialectique de la névrose et de la création. »  

           

            « Je n’attache aucune importance à la critique, c’est peut-être la raison pour laquelle beaucoup de mes  livres sont passés complètement inaperçus. La presse m’a fait la grâce de m’ignorer. Je n’en ai été que plus libre d’écrire ce que j’ai écrit… »

 

 

 

Editions Corti.

Les Massicotés.

                                                                                                                                                     Hécate.

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