
J'ai découvert tout à fait par hasard son premier roman « La robe » totalement captivant et singulier.
« La véranda » est le plus troublant, le plus subtil, le plus délicat de ses romans. L’auteur a dit lui-même dans « le matricule des anges » que son lecteur idéal ne s'arrête pas au récit.
« -j'aimerais que chacune de mes phrases soient pour lui un point de départ... le roman développe des intuitions ». « La véranda » est son roman le plus marginal. Il ne s'y passe presque rien... mais quel rien !!!
Le liseur se demande s'il s'est assoupi, s’il a manqué quelque chose par ... distraction? Non, il s’est laissé hypnotiser par la magie d'une écriture arachnéenne.
La première approche de ce livre n'est que l'effleurement indicible de l'irréel dont l'auteur dans l'ombre de son narrateur est un guide discret « -Il fallait seulement apprendre à changer de point de vue ».
Par de petites phrases presque anodines, il conduit vers l'indiscernable qui devient
proche, presque palpable. Il échafaude une histoire dont l'architecture semble composée d'abstraction : « -L'imminence de la mort génère paraît-il cette singulière archéologie ».
S'aventurer dans « la véranda » c'est s'ouvrir à la perception de la terrible beauté d'un songe lancinant, c'est aussi consentir à une immersion dans la liquidité insondable dont est fait le regard du Destin. « -La métaphore du lac gelé m'amusa un instant. Nombreux étaient ceux qui ne vivaient qu'à la surface des choses ».
La frontière entre la vie et la mort est la charnière où se greffe « la transgression des limites ». Un thème cher à Robert Alexis.
Dans ce roman le sortilège opère comme les charmes d'antan. Une rencontre va être dont le déploiement sera sans équivalent: « -Je me souviens de ce moment comme l'un des plus forts de ma vie ». Ce livre s'articule autour d'un livre d'Hofmannsthal qui va accroître « le lien d'ombre » prêt à précipiter l'irruption de l'irréel dans la réalité.
Une fantastique évasion, une emprise terrible qui poursuit longtemps. La vie serait-elle un songe oublié ?
Un voyage en train, une halte à Linz, une villa entrevue, avec une véranda attire le narrateur. « - Je prends ce train peut-être pour la dernière fois ».
C’est bien d’un voyage dont il s’agit. Réel, symbolique. Revenir, renouer le fil d’un rêve interrompu. Illusion ? Mémoire ? Transparence des apparences… images nébuleuses d’une époque révolue… « la volonté d’en finir avec mes pressentiments… »
La villa aux abords d’un lac contient le passé prestigieux des Hohenhels. Le narrateur va acheter la demeure à vendre.
Deux femmes entrevues ajoutent au sortilège du paysage. « Très proches l’une de l’autre, on les voyait souvent réunies, vêtues de noir portant le deuil d’une dynastie parvenue à sa fin, s’aidant mutuellement à supporter la charge trop lourde des siècles. »
Edulcorer la puissance romantique du roman, la réduire à une énigme dont le mystère ne cesse de grandir est impossible car elle repose toute entière sur le velours d’un style à savourer comme une pipe d’opium dans le boudoir du Songe.
« Je réalisais aussi pourquoi rien jusque là ne m’avait retenu à la vie. Mon caractère refusait l’attachement aux personnes et aux lieux afin, du moins m’en persuadais –je, de demeurer disponible. »
La torpeur pernicieuse de la réalisation idéalisée de son fantasme suscite un brusque effroi dans l’âme du narrateur : « Le monde reprit ses droits, ouvert comme une blessure, forcement vide loin de celle que j’aimais… Dont les appels, cependant demeuraient irrésistibles ».
La seconde partie du roman n’est plus qu’une fuite éperdue, peut-être frustrante pour le lecteur aussi égaré que le narrateur et dont toutes les perceptions exacerbées sous les effets des drogues glissent en dérives fiévreuses vers un érotisme délétère à Istanbul, après une halte brève en Roumanie.
En de somptueux tableaux dignes des peintres orientalistes les plus audacieux, Robert Alexis par la fulgurance de son écriture restitue toutes les impudeurs des pulsions. « Le Bosphore ressemblait au Léthé qui efface toute mémoire… », « Durant des nuits entières l’alcool emplissait le petit verre ciselé des diplomates, on fumait paresseusement le houka, on mâchait je ne sais quel mastic de pavot… »
L’égarement semble définitif.
… « une fillette apparût, un doigt sur ses lèvres pour imposer notre silence. Nous montâmes sous les combles dans une pièce meublée d’un seul lit rose. De la minuscule lucarne, un rayon de lune venait envelopper les visages d’une soie immatérielle. »
Mais le souvenir de la villa délaissée devient lancinant…
J'ai lu ce roman trois fois. Pas une de trop, bien au contraire... jamais lassée de l’envoûtante errance, de l’incessante quête identitaire, obsession qui plane dans tous les romans de l’auteur.
Hécate janvier 2009.
Edition José Corti 2007.