
Pierre Combescot
"Pour mon plaisir
et ma délectation
charnelle. "
Certains lieux nous marquent. Certains livres nous interpellent, nous renvoient vers le passé. Tel celui-ci de Pierre Combescot, écrivain dont je n’avais lu aucun livre, qui vient de publier « Pour mon plaisir et ma délectation charnelle ». Tout un programme !
Si ce n’avait été le bandeau rouge sang ceinturant le livre avec la mention
« GILLES DE RAIS »
serai-je entrée acheter ce roman ? Pas si sûr !
Et si je n’avais, dans ma très petite enfance fréquenté au hasard d’un été lors d’une tournée familiale de visites de châteaux de Touraine et d’Anjou, l’un des fiefs de ce maréchal de France me serai-je penchée sur ce « Barbe Bleue » popularisé par la plume de Charles Perrault pour le plaisir des enfants et des psychanalystes ?
Autant de questions qui resteront ici sans réponse.
Comment parler de ce court roman ? Difficile en effet…
D’abord quelques lignes sur l’écrivain dont Jérôme Garcin prétend que « les bons sentiments l’assomment et la cruauté l’excite, et qu’il est normal que l’homme en vînt à s’acoquiner avec le plus noir des barons, le plus pervers des Maréchaux de France ».
Je reviens donc à mon domicile le livre sous le bras et découvre qu’un hebdomadaire non lu encore commentait la sortie du dit roman !
Donc là encore, nulle influence, si ce n’est celle du souvenir de cette enfance dont la fraîcheur n’a guère d’égal que la noirceur des ruines de Champtocé où se posèrent mes innocents pieds enfantins ! Excès de bleu dans le ciel, excès de broussailles, de ronces, de lierre dévorant des pans de murailles, une tour éventrée comme ouverte par une épée rageuse, une herbe raréfiée…
Ce n’était pas la fébrilité du tourisme actuel. Champtocé était comme hors du temps. Un gamin dépenaillé pour quelque monnaie conduisait les curieux par un sentier étroit jusqu’aux ruines.
Dès les premières pages Pierre Combescot narre la conduite au supplice de Gilles de Montmorency-Laval, comte de Brienne, baron de Rais, maréchal de France par un matin du 26 octobre 1440.
« Il assume crânement son destin. De la foule qui l’accompagne en procession monte des chants et des prières. Nul cri de haine mais une compassion générale. Chacun prie pour l’âme du maréchal. L’admirable vertu de la mort commence à opérer. « Pardonnez-lui, Seigneur, frappez-nous plutôt ». Ce fut un tueur d’enfant, un pédéraste, un sodomite, une bête enragée ; il eut de grands vices mais n’en n’appartient que d’avantage à notre pauvre humanité. »
Pages élégiaques d’où s’élèvent les brumes du matin qui errent sur les domaines du condamné. « Et derrière les épaisses roselières le Grand Lac où enfant il allait se baigner l’été à l’heure où les vapeurs du soir rendent les choses indistinctes, entraînant à sa suite des pages pour leur apprendre des jeux impudiques. Il avait joui d’un grand prestige, grâce à une virilité bien au-dessus de son âge qu’il exhibait avec cynisme.
Il hume les embruns iodés qui lui arrivent de l’ouest et, lentement, il se réveille de son mauvais rêve. De l’envoûtement qui l’a poussé dans le crime.
Quand cela prit-il son monstrueux essor ? Tout ce sang répandu pourquoi ? Il n’eut su le dire. Cela lui paraît à présent si loin, d’une autre vie. Celle d’un monstre, disent-ils. »
Il est facile de fracasser un souvenir, plus difficile de faire surgir cet étrange Gilles de Rais, quand l’imaginaire a devancé depuis longtemps la plume d’un auteur.
Hors, s’il y a fort fracas dans ce roman, c’est celui des armes, des armures. Un tourbillon de couleurs, celui des étendards. Des piétinements de chevaux. Des cris. Des odeurs. En trois lignes, un coursier tombe, une jugulaire s’ouvre. Le sang coule et puis cinq mille chevaliers jonchant déjà le sol.
On est étourdi.
Les pages blanches sont devenues l’écran noir d’un film qui se déroule à une cadence haletante. A peine si la mémoire retient tant de noms tant ils pleuvent en avalanche.
Né à Champtocé Gilles de Rais grandit dans toute cette fureur d’alors. Le rythme du roman est effréné. Puis une phrase retient, haute, puissante. Une image, un tableau : « Et la Reine Isabeau continue à se farder telle la Grande Prostituée. Ce soir comme tous les soir, elle attend un page à qui elle donnera une pièce d’or et qui s’en ira tout fier se vanter auprès de ses camarades : j’ai baisé la vieille et je l’ai fait rugir de plaisir. La Reine rugit de plaisir et la France de douleur. » Phrase reprise, comme une complainte d’antan.
Puis la mêlée reprend. Quelques poses, ici et là, qui arrêtent le temps, l’espace s’entrouvre… l’art, en quelques phrases de placer les personnages. « Le Roi s’est dissimulé derrière ses courtisans. Troupe de rapaces lugubres voletant autour de lui comme autour d’un mort avec leurs jupons godronnés, leurs manches interminables leurs poulaines aux pointes menaçantes.
Gilles est dans l’assistance. Est-ce là une femme ? Non c’est un garçon ? Il est captivé. Le désire-t-il ? Il y a peu de distance entre l’érotisme et la Sainteté ! De ce qui est béni à ce qui est maudit. Il est ébloui. Il est troublé. »
Gilles a vu Jeanne la Pucelle. C’est le 6 mars 1429 à Chinon.
Des couleurs à la nuit. De la guerre à la musique. De la musique à la chasse. « Il passe comme l’éclair à travers les landes et les bosquets. Les épines ensanglantent son front. Il chasse à l’épieu. Il poursuit la bête aux torches jusqu’au creux de la nuit. Ce n’est plus le gibier qu’il traque ; il veut sa vengeance contre l’injustice contre le monde entier qui l’a fait comme il est.
Au matin il visite sa chapelle et fait chanter sa chorale d’enfants. Il a une prédilection pour ces voix d’anges qui viennent atténuer les cris qui montent des cachots des hautes galeries de Machecoul, de Tiffauges, de Champtocé… Ses battues infernales deviennent légendaires. Ses valets d’écurie, les gardes chasses sont regardés comme des diables. C’est une horde de loups qui passe ».
Oui, Pierre Combescot fait revivre tout de sa plume magistrale. Champtocé… et le reste… Champtocé, cette tour à l’escalier éboulé, où sans rien connaître de Gilles de Rais, l’enfant que j’étais fut saisie par la noirceur des pierres. Les pluies n’avaient point lavé la suie des flammes. On murmurait que Champtocé avait été brûlé sitôt la condamnation du maréchal de France. Je ne sais ce qu’il en fut. Pierre Combescot se tait là-dessus. Je sens encore cette odeur étrange de fumée s’exhaler des pierres… un poids fut sur moi, indicible. Pas la peur. Une gravité, une ombre funeste… Cette odeur de fumée fut-elle inventée ?... Il me semble la respirer encore…
Pierre Combescot raconte avec une tranquillité naturelle l’inquiétante ambiance, les cadavres jetés dans les oubliettes que ses hommes de mains doivent retirer quand on vient sans crier gare visiter Champtocé. Combien de cadavres ? Une quarantaine, une cinquantaine le maréchal ne sait plus bien. Un amas de squelettes et de chair putréfiés. On entasse les restes. A Machecoul ou ailleurs on brûle les enfants éventrés, violés, sodomisés.
Incandescence et ombre. Sang et flamme. Suie et enfer. Un destin. Champtocé, quoi donc a noirci tes pierres ?
Le garnement qui guidait les rares visiteurs devait charmer le spectre de celui qui hantait peut-être encore ces murailles dans l’insolence du jour.
Je ne le saurais jamais… Sinon qu’il m’en reste des empreintes profondes.
Pierre Combescot est le magiste qui évoque la démesure d’un homme dont le temps était déjà dans la démesure des crimes, des pillages, des possessions. Alors de là, à devenir possédé par le démon, par le désir…
« Gilles a beaucoup bu. Le vin est l’un des moyens de dissiper l’idée du néant qui le trouble depuis longtemps. Il se sent vieux. L’ennui de l’âme, au lieu d’apaiser ses passions, ne fait qu’irriter son imagination et ses désirs…
Le décor de la terreur est planté. Le garçon recule d’effroi. Mais non, cela n’est rien. Et Gilles de le caresser encore… Le garçon s’apeure. Il voudrait fuir. Gilles le retient et lui déchire ses vêtements. Dans un coin de la pièce, tapi dans l’ombre Poitou regarde. Il affûte les couteaux. Il a deviné tout de suite qu’on en viendrait là… » Plus loin, après ce que je ne cite pas la narration se poursuit : « Le garçon est à ses pieds, sans vie. Le sexe de Gilles est toujours en érection. Poitou est sorti de l’ombre. Il lui tend un énorme couteau ».
Pourquoi en ajouter ? Il faut lire le roman. Voir comment ce même Gilles de Rais était un causeur spirituel, un hôte attentif, le raffinement en personne…Il a su faire de Tiffauges, de Machecoul sombres forteresses, des lieux uniques. Les essences de ses jardins sont rares. Les roses y ont un parfum exquis. C’est un délicat notre Maréchal.
Tiffauges
188 pages d’effarements, de monstruosités, de Diableries, d’évocations dans les brumes de la nuit. L’or, l’alchimie…
Et pour apothéose :
« Eclatent alors des requiems et des glorias. Vient-il à l’esprit de Gilles à cet instant que lui, l’assassin, est conduit comme un saint à son supplice alors que Jeanne, la Pucelle, fut menée au bûcher en butte aux injures et aux crachats comme une criminelle.
…Pour mon plaisir et ma délectation charnelle ! »
A quoi il ajouta en sautant du tombereau devant trois gibets dressés :
« O vous, surtout, dont j’ai fait mourir les enfants ! Par la Passion de Notre Seigneur, je vous en supplie, priez Dieu pour moi. De bon cœur, pardonnez-moi le mal que je vous ai fait, ainsi que vous désirez vous-même de Dieu merci et pardon… »
Edition Bernard Grasset
Février 2009.
Hécate.
Œuvres de Pierre Combescot :
- Louis II de Bavière, Lattès, 1974
- Les Chevaliers du crépuscule, Lattès, 1975
- Les funérailles de la Sardine, Grasset, 1986 - Prix Médicis 1986
- Les Petites Mazarines, Grasset, 1990
- Les Filles du Calvaire, Grasset, 1991 - Prix Goncourt 1991
- La Sainte famille, Grasset, 1996
- Le Songe du Pharaon, Grasset, 1998
- Lansquenet, Grasset, 2002
- Les Diamants de la guillotine, Robert Laffont, 2003
- Ce soir on soupe chez Pétrone, Grasset, 2004
- Pour mon plaisir et ma délectation charnelle, Grasset, 2009