
Barcelone sous la plume de Daniel Arsand est un visage. Celui d’un garçon. De Barcelone nous ne saurons presque rien si ce n’est la « hautaine placidité affichée » de cet Alberto dont la blondeur vénitienne va être fatale à l’or pur d’un amour torturé. « Un œil gris bleuté » répond à la description de la Plaza Réal : « elle est de mica et de pierre dans la nuit ».
Tout est en place. La nuit. L’arrivée du narrateur à Barcelone. La rencontre bouleversante dont il se souvient et qu’il décrit avec une encre trempée à même la déchirure d’aimer.
L’auteur du magnifique roman « Des amants » se livre ici, à ses lecteurs avec l’audace de ceux que la pudeur a étouffés trop longtemps.
Avec un lyrisme sans concession, il avait usé de l’envoûtante somptuosité de son verbe pour peindre les pulsions, les violences, les passions irrépressibles dans « La province des ténèbres ».
Avec « Alberto » il n’est plus qu’une voix confidentielle avec des aveux très intimes. Cette « voix » touche tout être qui, un jour, s’est confronté avec le désir d’aimer et d’être aimé. Ou celui qui en rêve. Ou qui en a rêvé.
Cette voix déjà dans « Le petit étang qui sent le suicide » préludait Barcelone, effleurait le mal-être, ces « troublants mouvements intérieurs sous l’écorce de l’être », elle annonçait « L’ivresse du fils », celle qui fouille ses plaies, qui les offre toutes vives au lecteur avec une sincérité toute en délicatesse où la révolte cède en de brusques dérobades au détour d’une phrase.
Avec « Alberto » elle revient cette voix, nous faire entendre les battements d’un cœur dévoré d’un romantisme latent, difficile à porter, un cœur aux prises avec les tumultes de la chair, les balbutiements éblouis d’un premier amour, la fragilité d’être tout à coup bien vulnérablement exposé.
Tout chavire. Le doute de tout ce qui a été chéri, même les livres préférés sont remis en cause. Les certitudes deviennent incertitudes. Qui sait mieux exprimer cela que la voix de l’auteur qui se souvient avec une lucidité encore dans l’émotion de sa jeunesse ?
« Pendant deux heures je dialoguai avec mon reflet dans la vitre » écrit-il au début, dans un train qui l’emporte vers tous les possibles de ses rêves. Il a vingt six ans : « A quel garçon dirai-je enfin des mots d’amour ? »
Daniel Arsand ne cesse de dialoguer avec lui-même, avec ses lecteurs. Il a cette voix qui nous prend à la gorge. La simplicité de ses mots, atteint les zones mystérieuses, celles dérobées aux non-dits de l’être. Daniel Arsand déshabille ses phrases de tout ornement superflu. On approche au plus près de lui-même, de nous-même. Avec lui, la solitude n’est plus. On n’est plus tout à fait seul quand on l’écoute ; Un homme se regarde et regarde celui qu’il était et qu’il est encore.
Petit livre. Grand livre. Lecture brève. Forte et ardente.
Illustré par José Maria Gonzalez en quelques traits, ils sont là les garçons des nuits de Barcelone. Esquisses de silhouettes, traînées de rouge ici et là, répondent à la phrase… comme du sang, celui de Lorca. « Un cœur en écharpe enseveli sous des roses et du jasmin ».
Non, Alberto, n’a pas entamé la fidélité de Daniel Arsand à tout ce qu’il aime. « Je songe à ce garçon qui fut moi et je songe à l’homme que je suis, ils diffèrent peu l’un de l’autre. »
Il faut lire ce livre, il faut découvrir cet écrivain si on ne le connaît pas encore, car il est la voix qui sait nous parler de ce qu’on attend sans oser se l’avouer.
Hécate
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Les éditions du Chemin de fer. 2008.