QUE TAL
de
Daniel Arsand
« Que l’on soit en janvier ou en juillet n’a aucune importance, que ce soit le printemps ou l’automne m’indiffère. Je ne sais pas ce qu’il pense, lui, des saisons, du passage de l’une à l’autre, j’ignore tout de ses songes et de ce que son regard retient, pourtant il m’est si proche, si proche et si indéchiffrable.
Qu’importe le froid ou le chaud, le dedans ou le dehors, puisque nous sommes ensemble, lui et moi, parce que nous sommes vivants au point d’oublier qu’un des deux puisse fausser compagnie à son presque double, à son presque semblable, à son compagnon, fausser compagnie, mourir, crever, au choix, noria, tout ce qu’on veut. Nous sommes dans notre histoire et nous croyons qu’elle n’est que du présent, à jamais, toujours, un aujourd’hui infini, d’une éblouissante monotonie. »
Que Tal, la beauté féline, le corps souple, chat magnifique, fut l’amour de son maître. C’est une histoire peu commune et c’est aussi un questionnement troublant sur la part animale présente en chacun de nous.
"Les chats ne meurent que dans l'esprit de celles et de ceux qui n'osent pas aimer ou s'aiment trop pour savoir écouter un silence." (Yves Navarre. Une vie de chat.)
Sous la plume de Daniel Arsand le silence s'écoute, mots, phrases, ne sont que bruissements, chuchotements ou clameurs. Des pages de ses livres, blanches comme des linceuls, surgissent les absents, les disparus. Il suffit d'une odeur évoquée, de l'incandescence d'un souffle pour que dieux, lieux, héros et bestiaire qui hantent toute l'œuvre semblent franchir les frontières de l'invisible, rassemblés en une unique corolle.
Cette fois plus que jamais il nous parle de son intime, de sa vie tissée d'absence et de mélancolie.
"J'écris sur Que Tal aujourd'hui et je m'aperçois que dans mon journal je notais rarement ses humeurs, ses petits ennuis de santé, que je ne décrivais que par entrefilets sa beauté, notre vie en commun. Il m'habitait et ne résidait guère entre mes mots. Sans doute parce qu'il s'était magnifiquement incorporé à mon quotidien. Le contempler me suffisait amplement... Je n'avais nul besoin de mots pour me rapprocher de lui. Il n'y avait pas de conflit. Nous n'avions donc pas à nous balancer d'atroces vérités. La haine, la frustration, le ressentiment, l'envie ne nous concernaient pas."
"Un jour, une amie déposa au creux de mes bras un roi.
Ce fut Que Tal.
Bonjour, et comment ça va ?"
Il y a bien plus dans ce récit confidentiel, que les douze années vécues avec le chat Que Tal, l'ombre de brume, la crémeuse présence, l'animal couleur de neige et d'argent, le compagnon de nuit à chaque fois si longuement contemplé plus qu'aucun autre.
" Nous sommes dans la réalité et l'illusion, tout en même temps, ritournelle essentielle, fleuve, îles à la dérive, chant tordu par un vent sans naissance ni fin, nuit qui est presque du jour, nous sommes jetés dans un unique mouvement, épousailles si communes, si heureuses souvent, un peu de bonheur, comme des flocons de neige, de l'écume, quelques épis de blé. Il n'y aura pas de séparation. Il n'y a pas eu d'agonie, mais que sais-je de l'agonie, qu'en sait-on, vous comme moi ? J'ai vu mourir mon père et ma mère, j'ai vu mourir des amis du sida, j'ai vu mourir des inconnus dans la rue, sans rien savoir, sans pouvoir concevoir ce qui les a étreints à l'instant dernier."
La mort de Que Tal est un chagrin absolu, le plus immense de tous "car les résumant tous, les chagrins d'une vie, les illustrant tous, monstrueux chagrin, me laissant dans l'incompréhension de la mort, ravagé et de plomb."
"Quel mot donner à ce qui interrompit à jamais les battements de son cœur de chat ? Dites-le moi !
On m'a asséné le mot juste, le mot clinique.
L'embolie.
Embolie. Presque un nom de fleur. Ou de femme. De déesse antique, de nymphe.
Où es-tu ?
Et qu'ai-je saisi de toi, Que Tal, et je suis animal moi aussi, griffes, terreur et sensations.
Tu n'étais pas fait que de beauté, mais de riens et de mort. Comme moi.
J'étais bête aux abois, je miaulais à mort, j'étais chat, j'étais animal...je miaulais mon désespoir, ton absence, entendais-tu cette toute petite part de toi feuler en moi ? "
Quand j'ai commencé à lire ce livre j'étais encore debout, je venais de rentrer chez moi, j'avais oublié de m'asseoir, de quitter mon manteau ; j'ai interrompu ma lecture le temps de le jeter sur le fauteuil, je me suis assise, et, j'ai lu sans m'arrêter.
Cette écriture, cette voix qui déjà m'avait empoignée en découvrant "Des Amants" m'emportait et me rappelait "Ivresse du fils", un récit qui ouvrait les cachots de la mémoire, disait les heures où terre et ciel s'abreuvent, aux ténèbres naissantes où les roses qu'elles soient jaunes ou roses paraissent d'ivoire...Des mots de peintre pour dire les couleurs de l'adolescence "gris ciment pour mes chagrins, couleur de la rouille pour mes amours impossibles, le vert d'eau d'une mare pour les humiliations...le bleu maculé de boue pour mes rêves sinistrement torrides " ; comme si chaque douleur était un cri qui s'écrit dans une soif inépuisable...
Pas de photos de Que Tal dans ce livre. Daniel Arsand en a faites plus de trois cents. Trois albums !... Grande serait la tentation de les voir... C'est peut-être mieux ainsi... Je ne sais pas.
Que Tal est vivant dans ces pages... Mieux qu'un tombeau, un mausolée, c'est une ode élégiaque ardente.
"Que Tal et l'adieu à Que Tal.
Comment ça va, mon amour? "
J'aimerais demander à Daniel Arsand qui avoue sa répulsion des cendres, pourquoi il y a tant de feu, de flammes, d'incendies dans ses livres?...
Et comment se disant intouché par la plupart des êtres, il parvient à toucher les déchirures et les emportements de l'âme, à bouleverser si intensément avec ses romans traversés des fulgurances de l'amour?...
Hécate.
"Libraire, éditeur, romancier, lauréat du prix Femina du premier roman 1998 pour La Province des ténèbres, prix du jury Jean-Giono 2000 pour En silence, Daniel Arsand a également publié Un certain mois d'avril à Adana, prix Chapitre du roman européen 2011. Ses livres ont été traduits dans une dizaine de pays dont les Etats - Unis."
Bibliographie :
Mireille Balin ou la beauté foudroyée, Editions de La Manufacture 1989.
Nocturnes, HB Éditeur, 1996.
La Province des ténèbres, Phébus, 1998, Prix Femina du premier roman
En silence, Phébus, 2000, Grand Prix Jean Giono du deuxième roman
La Ville assiégée, Le Rocher, 2000.
Lily, Phébus, 2002.
Ivresses du fils, Stock, 2004.
Des chevaux noirs, Stock, 2006.
Des amants, Stock, 2008, Grand Prix Thyde-Monnier de la Société des Gens de Lettres
Alberto, Editions du Chemin de fer 2008
Un certain mois d'avril à Adana, Flammarion, 2011 prix Chapitre du roman européen 2011.