Federico Garcia Lorca
Ma rencontre avec la poésie de Lorca, je n’en sais plus ni l’année ni la saison… mais jamais je n’ai oublié cette voix obsédante qui scandait…
Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verde ramas
El barco sobre la mar
y el caballo en la montaña.
Verde, verde… comme un refrain toujours, verde…
"Romance Somnambule"
Vert comme je t’aime vert.
Vert le vent. Vertes les branches.
Le bateau sur la mer
et le cheval dans la montagne.
L’ombre lui barrant la taille
elle rêve à sa balustrade,
verte la chair, chevelure verte,
avec des yeux d’argent froid.
Vert comme je t’aime vert.
Sous la lune gitane,
les choses la regardent
et elle ne peut les regarder.
Traversée de couleurs, de parfums, de fièvres de fleurs et de vent est la poésie de Lorca assassiné à trente huit ans par les franquistes.
« Les émotions de l’enfance sont en moi. Je n’en suis pas sorti. »
Ne vois-tu pas ma blessure
de la poitrine à la gorge ?
trois cents roses brunes
à ton plastron blanc.
Ton sang s’égoutte et s’exhale
tout autour de ta taille.
Mais déjà je ne suis plus moi,
et ma maison n’est plus ma maison.
Laissez-moi monter au moins
jusqu’aux hautes balustrades,
laissez-moi monter ! laissez-moi
jusqu’aux vertes balustrades.
Balustrade de la lune
par où l’eau retentit.
Mille petits tambours de cristal
blessaient le petit matin
… …
Le grand vent laissait
dans leur bouche un étrange goût
de miel, de menthe et de basilic.
Lorca tombé sous les balles franquistes à la « Fontaine aux larmes ».
Né à Fuente Vaqueros, petit village silencieux et odorant de la Vega de Grenade : « C’est dans ce village que je serai terre et fleurs. » écrit-il à dix sept ans se voyant déjà devenu poussière donnant naissance à une profusion de fleurs dont déborde sa poésie, de l’œillet viril à la giroflée, la peau est d’olive et de
jasmin, et le sombre magnolia est au ventre de plâtre ou de neige.
Moins d’un an avant sa mort, alors qu’on lui pose cette insolente question : qu’est-ce que la poésie ?
Lorca répond :
« L’homme approche le plus rapidement par la grâce de la poésie du bord où le philosophe et la mathématicien tournent le dos au silence. »
Lorca emploie le mot « grâce » et non pas « force » ou « mystère » par exemple. La grâce ! est-il écrit dans la préface de Yves Vequaud. Editions Orphée La Différence, deuxième édition parue en mai 2012 consacrée à Lorca. (1899 – 1936.)
« Sa conversation étincelait comme un diamant fou. » (Dali)
« Sa clarté était enrichissante. » (Jorge Guillen)
Paré de talents, il est marionnettiste, dramaturge, dessinateur, pianiste et guitariste.
Telle fut sa destinée et d’entrer sans purgatoire, dans la légende.
Noces de sang, son entrée dans la mort. Il avait écrit le chant funèbre pour Ignatio Sanchez Mejias.
A cinq heures du soir
Il était juste cinq heures du soir
Un enfant apporta le drap blanc.
a las cinco de las tarde…
« Cinq heures du soir est-il plus heureux que cinq heures de l’après-midi ? Nous nous sommes prononcés, en tenant compte aussi de l’euphonie ou du rythme. Choisir, c’est renoncer, n’est-ce pas ? C’est se priver d’un double sens, d’une allusion ou d’une musique. Nous en demandons merci. Lorca est mort sans avoir pu revoir ses manuscrits. Nous avons décidé pour lui. Et priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! » (Yves Véquaud)
C’est à cinq heures du matin, que Lorca va mourir… Son corps jeté dans la fosse sera mêlé à d’autres corps, à la terre, à la poussière… dans le murmure ininterrompu des sanglots de la « Source des larmes. »
Le jour n’est pas encore levé…
"Mort d’amour"
Mère quand je mourrai,
qu’on informe les messieurs.
Envoie des télégrammes bleus
qui aillent du sud au nord.
Sept cris, sept sangs
sept pavots doubles
brisèrent des vitres opaques
dans les salons obscurs.
Pleines de mains coupées
et de petites couronnes de fleurs,
la mer des serments
résonnait, je ne sais où…
Et mon front est place baigné de lune, et mon cœur un tambour de nacre, quand les mille petits chevaux perses de Lorca galopent dans ma chevelure, son Romancero gitan me traverse de mille parfums de fleurs de couteaux encore et ce, depuis le premier jour.
Des émeraudes lyriques pour des questions au ciel suspendu :
« Combien d’enfants la mort a-t-elle ?
Ils sont tous en mon sein ! »
« Les roses du soir seront
Comme celles du matin. »
La griffe des années n’a pas desserré son étreinte de mon amour pour les chansons de Lorca l’andalou.
« Le soir a dit : Je suis altéré d’ombre !
La lune a dit : Moi, d’étoiles brillantes.
La source cristalline veut des lèvres
Et des soupirs le vent. »
« Vent du Sud
brun, ardent,
ton souffle sur ma chair
apporte un semis
de brillants
regards et le parfum
des orangers. »
D’une sensualité à fleur de peau, le vent dans son œuvre est un personnage violent et érotique; Lorca est un être traversé de frôlements et d’effluves, la nature le trouble et il veut en traduire les sortilèges.
« Je voudrais faire une œuvre mystérieuse et claire, qui serait comme une fleur : tout en parfum… je ferai une œuvre populaire et tout à fait andalouse. »
« Je compte construire plusieurs romances avec étangs, romances avec montagnes, romances avec étoiles.
Evocation de bruits d’ongles sur le tissu, de chuchotis de lèvres amoureuses. »
« Je suis un pauvre garçon passionné et silencieux qui, à peu près comme le merveilleux Verlaine porte en lui un lys impossible à arroser, et j’offre aux yeux stupides de ceux qui me regardent une rose très rouge à la nuance sexuelle de pivoine d’avril qui n’est pas la vérité de mon cœur. » (Lorca)
Déjà, lorsque j’écoutais « L’amour sorcier » et « Nuit dans les jardin d’Espagne » de Manuel de Falla, mon cœur s’emplissait d’indicible nostalgie ardente. Je ne savais pas que Federico Garcia Lorca était un ami du compositeur, ni qu’il jouait aussi du piano. Pas davantage que les quatrains d’Omar Khayyâm enchantaient la sensualité de Lorca qui lisait aussi Hâfez de Chiraz, les deux poètes persans célébraient les belles femmes, le vin, les roses, les pierres mystérieuses, la nuit bleue infinie et les échansons. « Gacelas » et « Casidas » leur empreintent beaucoup… parfums, nard, et se vêtent d’amour obscur, d’amour désespéré ou imprévu. Casida de la main impossible...
...Casida de la rose…
La rose
ne cherchait pas l’aurore :
presque éternelle sur sa branche
elle cherchait autre chose.
La rose
ne cherchait ni science ni ombre :
confins de chair et de songe,
elle cherchait autre chose.
« Lorca se définissait non comme homme, ou même poète, mais comme pulsation blessée qui sonde les choses de l’autre côté » (A. Bensoussan)
"Thamar y Amnon"
Thamar rêvait,
des oiseaux dans la gorge,
au son de froids tambourins
et de cithares baignées de lune.
Sa nudité dessous l’auvent,
nard coupant de palme,
appelle des flocons pour son ventre
et de la grêle pour ses épaules.
Thamar chantait
dénudée sur la terrasse.
Autour de ses pieds,
cinq colombes de glace.
Amnon, mince déterminé,
de la tour la regardait,
l’aine pleine d’écume
et la barbe d’oscillations.
… …
La lymphe d’un puits, oppressée
fait naître le silence des jarres.
Dans la mousse des troncs
chante étendu le cobra.
Amnon gémit sur la toile
très fraîche du lit.
… …
Thamar, efface-moi les yeux
avec ton aube immuable.
Mes fils de sang tissent
des volants sur ta jupe.
Laisse-moi tranquille, frère.
Tes baisers sur mon épaule
sont des guêpes et des brises
en un double essaim de flûtes.
Déjà, il lui saisit les cheveux
déjà, il lui déchire la chemise.
Ah ! quels cris on entendait
par-dessus les maisons !
Quelle épaisseur de poignards
et de tuniques déchirées !
Autour de Thamar
crient des vierges gitanes
et d’autres recueillent les gouttes
de sa fleur martyrisée.
Des linges blancs s’empourprent
dans les alcôves fermées.
Le Duende est en Federico Garcia Lorca, force mystérieuse qui s’empare de l’être en certaines circonstances, dans les ultimes demeures du sang. Il en fait la condition même de l’émotion. Avec le Duende le corps est habité par les dieux, - Dionysos ou Méduse -, et parcouru de frissons.
« Un mort en Espagne est plus vivant en tant que mort que nulle part au monde : son profil blesse comme le fil d’un rasoir. » (Lorca)
« L’annonce de sa mort fut un choc terrible. De tous les êtres vivants que j’ai rencontrés, Federico est le premier. Le chef d’œuvre c’était lui, il me semble même difficile d’imaginer quelqu’un de comparable. Il pouvait lire n’importe quoi, la beauté jaillissait toujours entre ses lèvres. Il avait la passion, la joie, la jeunesse. Il était comme une flamme. » (Luis Buñuel)
« Qui a fauché la tige
de la lune ?
(Mais l’eau
nous laisse ses racines)
Comme il nous serait facile de couper les fleurs
de l’éternel acacia ! »
Tous mes chaleureux remerciements à la générosité d’Aiolos dont le regard de photographe inspiré s’est fait complice de cette chronique poétique.
Hécate