Gothic
Les Amants de Mory
de
Laure Fardoulis
La poésie, inaltérable, prédispose le mystère. L'errance des êtres, leurs ombres portées, tracent l'énigme de leurs existences, lors les instants évanouis et soudain immortels s'inscrivent spontanés dans nos consciences tels des météores incandescents.
" Jamais une œuvre gothique, prétendument hermétique et obscure, n’a jeté autant de lumière sur la passion, les sentiments et, plus précisément, sur la solitude, ainsi que sur l'idée culte que nous nous faisons de ces simples énigmes qui sont le moteur de la vie et de la mort ".
Zoé Valdès
Il y a certains livres qui me hantent comme hante l'irréalité d'un rêve, qui me captivent et me capturent. Devenue leur proie il m'est impossible de résister à leur appel.
Celui-ci vampirise comme l'amour inattendu au détour d'une nuit !
Il est tel un songe drapé du suaire de la transparence, tissé d'ébauches qui débauchent l'esprit et égarent sens et raison.
« Le village picard de Mory, à flanc de coteau .Un manoir, une belle propriété, quelques fermes…une église élancée, passablement abimée par le vent du nord…
La fille du maître du manoir, Pandora, si bien nommée par l’esprit fantaisiste de son père, est une belle jeune fille de dix-neuf ans, grands cheveux noirs et petit visage triangulaire, idéaliste et sauvageonne.
…Benito est un jeune homme brun au visage pâle, solitaire et voué à des tâches qu’il n’a pas choisies.
L’histoire commença en l’an MMXI, lorsque Pandora se demanda quel était ce bruit profond et sourd qui habitait ses nuits et la maintenait éveillée.
…ce qui vient des entrailles de la terre vous semble à jamais familier, tel le mouvement perpétuel du magma des tous premiers temps. En ces nuit d’été si douces, Pandora se relevait et quittait sa chambre pour rejoindre les grandes étendues éclairées, taches lunaires presque fluorescentes : il lui semblait alors que l’histoire du monde avait laissé quelques anciens vestiges de vie qui, ainsi accumulés, constituaient la texture d’un temps fluide, légèrement tremblante… habitée. »
Sous la lune, de l’ombre gothique de l’église, un étranger va se lever, et aborder la jeune fille.
« Ai-je donc tant d’intensité sans espoir en moi pour penser qu’un acte aussi anodin qu’une telle rencontre pût émaner d’une prophétie et que j’en sois l’héroïne ? »
« - Benito, dit-il en se présentant… Content que vous ne soyez pas une ombre. »
« Chaque nuit, à des heures différentes, se levait Pandora, mais son nouvel ami restait invisible…
Et la deuxième rencontre ne renversa d’aucune manière les données romanesques précédemment immergées de la nuit picarde. »
Sur la troisième marche d’un petit escalier de la porte de l’église, Benito assis attendra Pandora.
« Les mots n’existaient plus, raccourcis d’instants ; en un laps de temps vraiment immoral… ils s’étreignirent. Parole déjà vaine. Et la longue chevelure se répandit sur la peau de Benito. »
Dans la réalité du jour appréhendé, s’écoule la vie quotidienne dans une maison vouée à la fantaisie d’un père monologuant Shakespeare.
« Où est mon fou ? Holà ! Tout le monde dort ici ! »
Pandora retrouvera Benito…
« Exactement assis sur la troisième marche du petit escalier de la porte latérale de l’église… »
« Ils entrèrent dans l’église.
Je suis sans antécédent.
Ma nudité n’appartient qu’à la nuit
dont tu es le gardien.
J’ai froid et mon cœur est démesuré.
Ce qui me déchire ? L’absence de Toi…
Rien n’est immoral. Rien n’est amoral.
- nous sommes sans antécédent. »
L’alternance des nuits, des jours, des attentes tandis que le père de Pandora majestueux Roi Lear invectivait le vent du nord.
Alternance de la présence. Alternance de l’absence. Attente de l’aimé.
« La nuit suivante il était là.
Nulle retenue, pour les véritables amants.
Encore en elle
Confondus.
En pleine lumière, l’église semblait s’adresser à ces amants de contrebande qui la hantaient nuitamment sans scrupules. »
Pandora perdu en conjectures, interrogeait, dévêtue, le miroir du salon, s’évaluant.
« Comment garder une apparence intacte dans le mouvement irréversible du temps ?
Benito rêvait que son sang à elle était aussi le sien, un sang chaud, l’irradiant entièrement : sœur incestueuse ; ils accéderaient ainsi ensemble à une identité comme indéfectible, née de cet instant de chaleur charnelle, contre cette vieille cloche, au milieu des plumes, des débris d’ailes éparpillées dans la poussière, sous le regard fixe d’un hibou lové dans l’ogive de l’une des deux fenêtres frontales de l’église, immobile. »
« Je la rejoindrai, ne serait-ce que dans la luxure.
Puissé-je me dissoudre en elle en murmurant ce vœu
Je la rejoindrai, puisqu’à son égal, je suis l’immature.
Ainsi tous mes actes demeureront purs.
Je suis enterré depuis si longtemps. »
Benito qui n’était ni jeune, ni vieux, ni beau, ni laid, était au-delà. Et s’il lui fallait prendre un confesseur, à l’avenir, ce serait celui qui parlerait le mieux de l’enfer !
« Dans le silence, il vint s’étendre lentement sur elle et posa ses bras sur les siens, en croix : ironie, jeu, provocation ou sens inné du sacré ? Il resta ainsi immobile sous la voûte en bois peinte, blanc usé. Au loin, une vierge en pierre posée à leur niveau sur les dalles pourrait témoigner, bien que son regard inexpressif se perdit au-delà. »
Univers de dédales, de terre, d’appel des profondeurs, de géographie, de lieux de temps autres dans la marge de l’Histoire, comment ne pas songer au terroir nervalien, ici à Mory modeste hameau aux six puits, aux trois fontaines, aux deux moulins à vent… Quand le songe s’épanche et répond à tous les songes sortis de la terre et non ensevelis… notion abstraite de l’avenir. Ramifications veineuses des mains, petite porte rouge d’un hangar en brique dont la clé ouvre sur une trappe et… sur l’amour absolu !
« Pandora se sentait délicieusement diluée… » Un seul des filets bleutés à fleur de peau en s’ouvrant, et « le rouge se répandrait et descendant le long des marches, s’enfoncerait dans la terre jusqu’à lui… »
« Entourés d’un mur, les cimetières de Picardie sont presque toujours en dehors du village.
Et Pandora, ce jour-là, en poussa la grille.
Dans la plaine lunaire, l’ombre des grands arbres formait des taches noires… ils marchaient tous deux vers les cyprès et l’enclos du petit cimetière…
Une sorte de gaité éphémère les emportait vers le point mystérieux de leur histoire… Derrière eux, les lumières du manoir situaient le village. »
« Quel effet la vision de notre propre tombe pourrait-elle produire sur nous même ?...
La splendeur passée d’un pays et d’autant plus pathétique lorsque des vestiges en témoignent encore. »
Escales baroques de haute nuit et de sacralité abolies de toutes frontières… fusion alchimique du rêve et de la vie.
EST- Samuel Tastet Editeur.
Hécate.