Rafael Alberti
Si ma voix à terre mourait
Portez-là au bord de la mer
Et sur la rive laissez-là
Rafael Alberti poète de l’exil, des tribulations de l’aventure sociale politique et littéraire né le 16 décembre 1902 au port de Santa Maria fut très tôt arraché à l’arc bleuté de la baie de Cadix, par les vicissitudes familiales. Lors de son exil sans retour, lorsqu’il quitta la vie à l’âge de 96 ans, c’est à quelques encablures de sa petite ville natale que ses cendres furent dispersées.
Petit fils d’émigrés italiens venus cultiver la vigne andalouse, adolescent madrilène il pensait devenir peintre. Ami de Salvator Dali, au musée du Prado, il apprit à copier les tableaux de Goya, de Zurbaran.
Mais un soir d’automne 1920, son mouchoir se teignit de sang. Le début d’un mauvais mal. Une radiographie et une analyse de salive précisèrent ce dont il souffrait : adénopathie hilaire avec infiltration dans le lobe supérieur du poumon droit.
Exilé encore par plusieurs mois de réclusion, de silence, de crainte, d’ennui. Et comme la fièvre montait à la moindre conversation, il refusa tout contact et élimina les visites amicales.
Pour se distraire il lisait. Beaucoup. Il n’avait pu finir ses études secondaires. Et il se mit à écrire :
« Mon terrible, mon féroce et angoissant combat pour être poète avait commencé. Je constatais à chaque instant avec plus d’évidence, que la peinture en tant que moyen d’expression me laissait complètement insatisfait, car je n’arrivais pas à faire entrer dans mon tableau tout ce qui bouillonnait dans mon imagination. En revanche, sur le papier j’y parvenais. Je voulais seulement être poète. Et je le voulais avec ferveur. »
De sa chambre de malade, il envoya quelques vers à la revue Ultra qui ne les publia pas. Déception de Rafael Alberti mais non découragement.
« Mes nostalgies maritimes du Port commencèrent à se présenter à moi sous une forme différente, je les voyais en lignes et en couleurs, mais estompées par une multitude de sensations désormais impossible à rendre avec des pinceaux. Je voulais être poète. Et je le voulais avec fureur… »
Rêve de marin
« Mon rêve arborant médailles des mers
va sur son vaisseau, ferme et assuré,
tout amour pour une verte sirène,
coquille des fonds de l’eau ténébreuse.
Matelot, rends-moi au creux des ondes :
- Sirène jolie, ah ! je t’en supplie !
De ta grotte sors, je veux t’adorer,
de ta grotte sors, viens vierge semeuse,
semer sur mon cœur ton étoile vive.
…. … …
Laisse le cristal de ta main se fondre
dans la nivéenne urne de mon front,
algue de nacre qui chante en vain
Sous le verger indigo du courant.
Noces glaciales noces sous-marines
avec pour témoins la lune et l’eau
et l’ange nautonier de la rosée !
Mer et terre et vent je vais sillonner,
ma sirène, noué à tes cheveux fins,
lié à tes cheveux algides et verts… »
En mai 1921, allongé sur une chaise longue, il passa l’été dans la Sierra de San Rafael. Parmi les pins et les peupliers, il écrivit comme un fou des poèmes.
Dans une chambre mortuaire, celle de son père il avait écrit son premier poème.
« …ton corps
long et drapé
comme les statues de la Renaissance
et quelques fleurs tristes
d’une maladive blancheur. »
Chaque année, dès le printemps, Rafael Alberti dont la convalescence s’éternisait repartait vers la Sierra de San Rafael où il séjournait jusqu’à l’automne.
Lectures et promenades. Sa poésie s’envolait. La nostalgie d’une enfance encore proche emplie d’océan, de châteaux de salines, de parfum d’orangers. Obsédante nostalgie ! et puis il y eut la lecture du premier recueil d’un jeune poète dont on commençait beaucoup à parler à Madrid. Federico Garcia Lorca. En automne 1924, il écrivit ce poème.
A Federico Garcia Lorca
Poète de Grenade.
Cette nuit où le vent et son stylet
poignardent le cadavre de l’été,
j’ai vu, dans ma chambre, se dessiner
ton visage brun au profil gitan.
La vega fleurie. Les fleuves, alfanges
rougies par le sang virginal des fleurs.
Lauriers-roses. Chaumines et prairies.
Et dans la sierra, quarante voleurs.
Tu t’es réveillé sous un olivier,
avec près de toi la fleur des comptines.
Ton âme de terre et brise, captive…
Lors abandonnant, très doux, ses autels,
l’ange des chansons est venu brûler
devant toi une anémone votive.
Une amitié que l’assassinat de Lorca par les franquistes interrompra !
« Je m’imaginais pirate, voleur d’aurores boréales sur des mers inconnues… la fiancée à peine entrevue du haut d’une terrasse de ma lointaine enfance au Port se métamorphosa peu à peu en sirène jardinière, en fiancée cultivant des vergers et des potagers sous-marins… je pavoisai les mâts frêles de mes chansons de flammes et de fanions aux couleurs les plus variées. Mon livre commençait à être une fête, une régate scintillante poussée par les soleils du Sud. »
« Mon cœur écartelé
entre ville et campagne.
Luminaires nocturnes !
Mes verts saules pleureurs ! »
« Hier promise du pin vert,
promise aujourd’hui du pin mort.
Cheveux fous hier pour le vent,
pour l’air aujourd’hui solitude. »
Rafael Alberti avaient vingt trois ans quand il publia son premier livre : Marin à terre. La poésie n’était pas rentable. Il avait sur les conseils d’un ami envoyé son œuvre naissante au Concours Nationale de Poésie. Du jour au lendemain il devint célèbre en remportant le premier prix. Il ne commencera à être vraiment considéré que quelques années plus tard avec le recueil de poèmes « Sur les anges ».
« Ange mort, réveille-toi
Où te tiens-tu ? Illumine
de ton regard le retour.
… …
Habillé comme ici-bas,
mes ailes, on ne les voit plus.
On ne me reconnait pas
Dans les rues qui se souvient ?
Alberti a perdu son paradis de l’innocence et de l’amour. Une intensité visionnaire d’un esprit imaginatif des sombres états de l’âme, la confiance et le soutien des choses de l’existence qui l’avaient jusqu’alors guidé et gardé chavirent.
A la même époque Neruda écrit « Résidence sur terre ». Le poète chilien sera son ami jusqu’à la mort. Tous deux pressentent le délitement à venir d’une société ou plane la menace de la guerre.
« Rafael et moi nous sommes ce que j’appellerai simplement des frères. La vie a enchevêtré nos existences, bouleversés nos poésies et nos destinées. » (Neruda)
Le lyrisme optimiste n’est plus, la poésie le consume et l’histoire va l’embraser.
Mais avant il écrivit « L’aube de la giroflée ».
Tout ce que j’ai vu grâce à toi
- l’étoile sur la bergerie,
le charriot de foin en été
et l’aube de la giroflée –
si tu me regardes est à toi.
Tout ce qui t’a plu grâce à moi
- le sucre doux de la guimauve,
la menthe de la mer sereine
et la fumée bleue du benjoin –
si tu me regardes est à toi »
Dans la Giroflée Blanche, l’ange est confiseur, il y a un orfèvre, un savetier, un pécheur…et une bohémienne.
« Toi si propre, si bien coiffée,
avec sur tes temps plantés
deux petits peignes assassins,
dis-moi, dis-moi : d’où viens-tu donc ?
Avec cette jupe carmin
et là, ces deux roses de lin
sur tes deux petits souliers verts,
dis-moi, dis-moi : d’où viens-tu donc ?
Il y a des estampes, des annonces publiques, des fleurs, des chansonnettes… et même l’Allumeur de Lune et sa fiancée.
- Tu peux bien me chérir ici :
N’ai-je pas allumé la lune
pour toi, mais oui, pour toi, mais oui !
- oui, pour moi, oui
- tu peux bien m’embrasser ici,
phare, farouche fanal, femme
algide comme autre ne vis.
- Allons, c’est oui.
- Et tu peux bien me tuer ici,
lunaire et froide fiancée
du phare fari-faribole.
- Tiens. Voila. Oui.
Dans la Giroflée Noire, le chant poétique d’Alberti s’assombrit…
… « Et puisque tu voles mes yeux
et que mes lèvres assassines,
redeviens donc lézard noir
sur lequel crachent les crapauds !
Et puisque mon cœur tu piétines
et puisque tu suces mon sang,
redeviens donc rouge vipère
ou corbeau tout noir dans le vent !
Et puis tu t’es faite clou
et que tu es marteau et dague,
Redeviens donc crabe tout noir
et que l’eau t’avale d’un coup ! »
De la Maudite à la Séquestrés, des accents douloureux…
« Seul à mourir, sur cette marche
me voici pour la nuit entière.
Je sais que tu es printanière
Des ombres venues de la rue
grimpent, maintenant silencieuses,
à l’escalier vert de ton lierre.
… … …
Et c’est pourquoi, sur cette marche,
seul à mourir, veillant sur toi,
Me voici pour la nuit entière. »
La Giroflée Verte c’est à nouveau la poésie des ritournelles andalouses et le retour à la mer.
« Le soleil dans les dunes.
Et le sable brûlant.
Je cherche sur la plage
un coquillage vert.
Sur les vagues, la lune,
Et le sable, mouillé.
je cherche sur la rive
Un coquillage blanc. »
… … …
Je suis capable de me tuer.
si vivant, je ne peux te voir,
t’avoir enfin pour épousée.
Je suis capable de me tuer,
sirène, pour t’avoir à moi. »
Rafael Alberti rencontra Maria Teresa León, celle sans qui « il se serait tu ». Ils se marièrent en 1930. Et puis commença le long exil…
Trente huit années d’exil !
Il ne retrouva son pays qu’à l’âge de soixante quinze ans. Rafael Alberti avait eu pour arme de combat la poésie et la dramaturgie. Il écrivait pour dénoncer une société hostile, mécanisée et aliénante et avait été le secrétaire des intellectuels antifascistes.
« Je suis parti le poing fermé car c’était le temps de la guerre, et je reviens la main ouverte, tendue à l’amitié de tous. »
Il renonça à son poste de député de Cadix, fidèle à sa poésie inspirée et chatoyante. Celui à qui l’Espagne fut longtemps interdite n’a cessé de chanter son pays, même dans ses poèmes d’exil à la dimension de sa nostalgie.
En 1983, le prix Cervantès lui a été décerné, la plus haute distinction couronnant un écrivain de langue espagnole.
Quelques mots encore pour expliquer comment j’ai découvert celui qui a côtoyé les plus grandes figures du XXème siècle, Picasso, Buñuel, Aragon, Elsa Triolet, Boris Pasternak…Dali…
En écoutant Miguel Poveda chanter « Poemas Del Exilio », un récital en 2003, je n’ai alors eu qu’un désir en savoir, en comprendre d’avantage…
María Asunción Mateo, seconde épouse de Rafael Alberti à propos de cette création a écrit :
« Dans cet enregistrement d’Enric Palomar et de Miguel Poveda, accompagnés par de magnifiques musiciens, la force créatrice de leur jeunesse s’y trouve mise en évidence, capable de s’approprier les sentiments d’un poète universel et de les transmettre aux autres. La sobriété et la passion que ces deux artistes impriment à des poèmes écrits pour nous accompagner toujours, pour ne mourir jamais, ainsi que le désirait leur auteur. »