L'agneau chaste
de
Franck Varjac
"De toute mon existence, je n'ai embrassé qu'une seule bouche, caressé qu'un seul corps. Pourquoi un garçon de treize ans s'abandonna - t - il si facilement entre les bras d'un homme de trente deux ? Je l'ignore. Mais je sais aujourd'hui que j'ai vécu des moments de bonheur infini, et rien, ni l'exil, ni l'oubli assassin de mes proches, rien ne me fera regretter ces moments d'amour pur. Que connaît - on de la pureté ? Il faut avoir treize ans pour le comprendre."
C'est par cette page que s'ouvre le récit de David. Trente ans après il se souvient de l'été de l'anniversaire de ses treize ans.
"Treize ans ce n'est pas un âge important. Je suis le même que l'année dernière. Enfin je crois."
"Aujourd'hui tout particulièrement, je devine qu'il faut profiter pleinement de ces jambes, douces et tendres. Je sais que la jeunesse ne dure pas, quelques mois, quelques années qui passent très vite, on n'y pense pas, on n'a pas le temps, et puis viennent les métamorphoses. Peut - être que je penserai à tout cela dans très longtemps et que je comprendrai plus fort encore que j'avais raison de le rouler dans le sable, ce corps d'enfant."
Cet été là n'est pas tout à fait semblable aux autres étés.
"Pour la première fois de ma vie, la perspective de n'avoir que la plage et ses plaisirs pour occuper mes journées m'angoisse. Je tourne et retourne cette découverte dans tous les sens."
Il y a la famille, Elise la sœur aînée et Marc le frère impatient de devenir adulte. Hélène la mère et Jean le père. Il y a Brigitte et Pierre amis d'Elise. Depuis quatre ans environ Marc s'est inscrit aux cours de judo donné par Fabrice.
"Il y a longtemps que je n'avais pas vu l'enfant de Martine et de Fabrice. Elle est jolie maintenant, et drôle."
L'histoire d'amour entre David et Fabrice est narrée très simplement. Elle va naître lors d'une partie de pêche par une brûlante journée de juillet où la nudité des corps n'a presque rien d'insolite. Fabrice est beau. David est fasciné par ce qu'il voit pour la première fois: "un sexe d'homme en érection, une queue brune, deux testicules enflés entre des cuisses ouvertes. Juste une seconde, de façon si nette que je reste figé, le cœur battant."
En quittant Fabrice, j'avais pensé "quelle journée formidable"...
"Dans la maison silencieuse et endormie je lutte contre les images qui me submergent, contre un visage et un prénom qui me harcèle: Fabrice. Jusqu'au lever du jour pendant cette longue traversée nocturne, je regarde en face mon trouble, mon désir et ma peur."
Comment se défendre de sensations et de sentiments inconnus ? Comment à treize ans vivre un tel amour quand on pense à la réaction des autres s'ils venaient à savoir ? " Les coups de téléphone, la dénonciation, un procès pour détournement de mineur. Ou alors le silence. Plus terrible encore: le rejet définitif. Je vois déjà mon père outré. L'indignation comme une écharpe, derrière laquelle on se dissimule, et le fils à jamais oublié."
Toute la difficulté du quotidien de cette ardente liaison est dite dans ce récit de quatre vingt dix pages. L'obligation douloureuse de taire ce qui rend heureux.
La prise de conscience de l'intolérance, incontournable, devient un tourment insurmontable.
"Pour l'instant je ne peux pas contrôler en même temps le bonheur et la terreur. Je ne peux pas. C'est au - dessus de mes forces... Fabrice est le prénom qui coule dans mes veines nuit et jour. Je ne savais pas qu'on pouvait aimer aussi fort."
La quatrième de couverture mentionne le silence d'une presse tétanisée par le sujet, à l'exception, notable, du Monde, lors de la parution de ce premier roman de Franck Varjac.
"L'agneau chaste ou gattilier est un arbrisseau méditerranéen appartenant à une espèce protégée dont la récolte est interdite aujourd'hui. Dans le passé, cette plante était consommée par les moines afin de tempérer une libido bien naturel mais incompatible avec les vœux de chasteté."
Editions Minos La Différence.
Hécate.