Physionomies végétales
Portraits d’arbres et de fleurs,
d’herbes et de mousse
Elie Reclus
C’est là une livre fort curieux écrit par Jean – Pierre – Michel Reclus qui naquit le 11 juin 1827, toujours connu sous le nom d’Elie, dû à son parrain un parent éloigné.
A l’âge de deux ans Elie a eu un accident assez grave. Au-dessus de la maison familiale aux grandes et rares fenêtres à demi-fermées par des volets rouges, un grenier formait un deuxième étage. Par un de ces trous, où se glissaient les chats et les rats, le petit garçon eut le malheur de s’insinuer à son tour, et c’est de là qu’il tomba, le front en avant, d’une dizaine de mètres, sur le pavé disjoint. On le crut mort : crâne fendu, sang ruisselant entre les pierres. Elie survécut, ne gardant qu’une cicatrice au côté gauche du front.
Cette aventure permit plus tard aux professeurs plus ou moins facétieux de plaindre Elie « d’être timbré » quand ses questions paraissaient trop intelligentes !
Elie était un enfant très doux, silencieux et rêveur. Pendant un de ses séjours chez ses grands-parents maternels, un beau soir d’été alors que la pleine lune montait au levant, Elie, sur sa petite chaise ne disait mot. On l’appela pour le coucher, l’enfant ne bougea pas.
- Es-tu sourd ? A quoi penses-tu ?
- C’est que je voudrais tant être assis sur la lune, et me promener dans le ciel comme les étoiles !
Désormais pour une bonne partie de la famille, Elie fut un songe-creux, un chevaucheur de nuées.
C’est là un livre très curieux, oui… qui parle entre autre de la dualité de la Douce – Amère, une plante qui abonde dans les lieux humides.
Elie Reclus un amoureux des plantes, des fleurs , des arbres… trop peu connu de son vivant pour ses écrits là !
« La Douce – Amère, c’est la Proserpine, c’est Vénus Libitina, charmante et redoutable. De la fleur de cette Solané part une effluve bleu, une effluve jaune. Tout ce qui est doux devient amer et tout ce qui est amer devient doux. C’est la grande contradiction qui est dans les choses et fait le fond de la morale de la vie.
Ce dualisme universel est exprimé par la Douce – Amère qui a revêtue deux couleurs qui se haïssent : le violet et le jaune.
C’est une dissonance chromatique et, en fait une beauté et une harmonie supérieure.
J’aime le nom de la Douce – Amère parce qu’il me fait rêver. Elle est ceci, elle est cela. J’aime la Douce – Amère, car elle rappelle ceci ou cela. J’aime la Douce – Amère. Elle me dit de belles choses et je me souviens de beaucoup par les visions qu’elle évoque. Car cette fleur est ceci, elle est aussi cela.
Il est impossible d’aimer sans mélange. L’amour est le concentré de la douceur et de l’amertume. »
C’en fut assez pour m’enthousiasmer. J’aime autant la botanique que je la méconnais. C’en fut assez pour que prise d’engouement pour ce livre, je me sois mise à écrire ce billet, assez pour décider de le dédier à un Enchanteur qui m’emporte aux nue avec ses ciels, ses fleurs et ses oiseaux et ses histoires égrenées comme le vent sème ses rêveries au soir quand dorment les grues !
« Vous rappelez-vous dans « Faust » la double scène d’amour ? Vont et viennent dans les allées du jardin fleuri le beau Faust et la belle Marguerite, Méphisto et Marthe, l’impudique créature ? Vont et viennent les deux couples ; ici l’extase et la tendresse, là, la gaillardise de l’impudicité. Là il roucoule, là il ricane… tout se joue sur le même air, la même mélodie exprime les douceurs et les malpropretés, le même clair de lune, le même parfum des œillets et des cytises, des iris et des tubéreuses sont chargés ici de volupté, allume ici de tendres flammes, là des feux impurs. Ce n’est qu’une différence de degré.
Le savoir est l’eau-de-vie et l’ignorance est de l’eau fraîche.
J’aime la Douce – Amère… »
Quelqu’autre s’il vient à me lire, peut-être sera intrigué par les pages qu’Elie Reclus a consacré au pissenlit.
« Le pissenlit roi de la prairie, évoque l’idée de radiation : cette Composée est l’image d’état harmonique. Ses feuilles sont radiantes ; le pissenlit radie, il va du centre à la circonférence et revient de la circonférence au centre.
Cette fleur qui est un soleil, devient une voie lactée, un monde d’astres après la floraison. Elle passe de vert en jaune et en gris-bleu.
La fleur est simple ; chaque fleur est si tranquille, est tout à fait chez soi et veut sa part de lumière, de chaleur, du monde entier dans le minimum d’espace.
La splendeur du pissenlit, son moment de beauté suprême, est avant son complet développement. Les pétales du pissenlit sont jaunes, mais les étamines sont oranges. Quand le rouge s’y met, on pense à la chaleur, à la passion. L’orange enthousiaste évoque l’admirable élan des idéalistes. »
Elie Reclus a treize ans, a été placé dans un collège des Moraves, à trois cent lieues de pays et de frontières des siens, Neuwied sa nouvelle demeure ; il savait que la barrière de séparation serait très effective, son exil réel. Ses parents étaient pauvres, les missives postales coûtaient alors trente-huit sous de port, somme trop élevée pour que sa mère pût écrire plus d’une fois tous les deux mois.
Loin de sa Dordogne natale, une grande dépense cérébrale fut pour lui l’occasion de doubler sa force. En peu de semaines, il comprenait les leçons, devinait le sens des vers. La différence subtile de tout mot germanique lui fut bientôt révélée, il sut pénétrer mieux que la plupart de ses condisciples allemands le fond même de la langue et en découvrir le mystère.
Un autre avantage de ces deux années de séjour chez les Frères Moraves fut de pouvoir étendre son amour instinctif pour la nature, grâce à de fréquentes promenades, la vallée du Rhin n’était pas ce qu’elle est devenue de nos jours… explique Elisée Reclus en 1904 à propos de son frère dans des pages destinées aux amis qui avaient connu Elie.
« Elie Reclus avait l’orgueil de se considérer comme un travailleur anonyme dans le champ de ses recherches où d’autres depuis se sont fait un nom. Je fis sa connaissance en 1898, incidemment nous parlâmes de folklore et spécialement de folklore botanique. Le jeune homme que j’étais fut frappé de constater que ce vieillard, tout en gratifiant son jeune visiteur des richesses de son savoir universel, prenait l’air d’apprendre du disciple. Vaguement, en passant il mentionna des histoires sur les fleurs qu’il avait écrites autrefois, avant 1870.
- Prenez tout cela et étayer ces notes par des investigations sérieuses. Vous y trouverez quelque chose et vous serez capable d’étendre à l’infini ces recherches. Tâchez d’en faire usage.
C’est parmi ces dossiers que je découvris la plupart des « Physionomies végétales ». (B.P. Vandervoo)
De la Stramoine, Elie Reclus nous conte les pérégrinations et les noms multiples qui furent siens, « Trompette du jugement dernier dans le midi, Tatorrha en arabe, dont on a fait Datura et comment les mécréants l’expédiaient secrètement à quelque nécromant de Séville ou de Cordoue qui à grand’peine et à travers mille hasards la faisait parvenir aux adeptes de Paris, Prague, Cologne ou Regensbourg.
D’origine patricienne – n’est elle pas fille de l’enfer ? – ayant pour chef de famille la Datura fastueuse, elle a su accepter la pauvreté et l’indigence.
Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, il faut la respecter et compter avec elle, qui se prête à son milieu pour le dominer.
Que désire le sage ? Être toujours soi, et toujours en harmonie avec le monde ambiant. »
Il serait trop long et trop imprudent d’éventer les méandres où nous entrainent ces « Physionomies végétales», l’émerveillement de la Drosère, la rosée du soleil qui n’a d’existence que pour ceux qui savent regarder à leurs pieds...
« La vieille école ne veut voir dans les plantes que des tissus, à peine plus vivant que les cotonnades de Mulhouse et de Manchester…
Les feuilles de la Drosère, qu’on râcle et gratte, qu’on écorche, frémissent et se tordent, changeant de position pour échapper à la torture. Racontez cela à un mandarin de l’Académie : il niera le fait d’abord…il vous expliquera que l’irritation de la plantiole sous le couteau est causé simplement par un phénomène d’irritabilité végétale.
Haïssez-la si vous pouvez ; aimez-la si vous l’osez ! »
Je choisis d’achever cette chronique avec la Rose ou le Secret de la Beauté parce que Elie Reclus avait voulu se révolter contre elle.
« C’était au moment où certains jeunes garçons peuvent être bêtes et si désagréables, de onze à treize ans, dans la période que les Allemands ont appelée celle des Flegeljahre.
Sans doute je trouvais alors que la rose était réellement jolie… J’étais révolutionnaire alors, et révolutionnaire je suis resté ; mais comme un petit niais, je débutais par m’insurger contre la Reine des fleurs… Et cependant je fais plus aujourd’hui qu’admirer la rose, je l’aime. Elle plait par modération des couleurs, parce qu’elle est rose et non pas rouge. Entre parenthèses, ceux qui cherchent la rose bleue sont des insensés…
La Rose préférée de tous, sera toujours une rose relativement simple, ce sera la plus belle dans une variété spéciale.
Pourquoi est-elle la fleur préférée de tous ?
C’est qu’elle a toutes les qualités, de manière à rallier la majorité des suffrages et faire plaisir à tous.
Le vulgaire adore ce qui n’est pas pour le vulgaire. Cela suffit pour que tout le vulgaire profane se pâme d’admiration pour la Rose… Il lui faut se parer d’une rose. Pourquoi ? Pour que la Rose le méprise du fond de son âme !
Nous voulons la résistance. La Rose nous plaît parce qu’elle est belle, parce qu’elle nous défend de l’approcher, et parce que nonobstant, nous mettons la main sur elle, et grâce à son impuissante résistance, nous jouissons d’un triomphe facile.
C’est qu’enfin elle a des épines…
L’enfant ne désire si fort la lune que parce qu’on ne peut la lui donner.
Noli me tangere est le grand secret de la Beauté. »
En conclusion, un extrait des « Fragments » où Elie Reclus s’interroge sur la vie végétale, l’âme végétale. « Qui nous en révélera les mystères ? Qui a pu les deviner ? Qui a pu les sonder ?...
Vaut-il mieux mourir ou ne pas mourir ? Vaut-il mieux être chêne ou cyprès, if ou hêtre, un arbre à feuilles qui tombent ou bien un arbre à feuillage persistant ?
L’amour passe sans passer. L’amour est une sensation intime et profonde dans les organes mêmes de la vie ; c’est une volupté avec le maximum de bonheur et le minimum de conscience. On s’y perd, on s’y égare.
Parfois, et même souvent, la livrée d’automne est plus éclatante que ne fut la livrée de printemps… la feuille est satisfaite… Elle se fait belle pour mourir, meurt avec grâce, meurt avec le plus beau des sourires. »
(Zurich 1876)
Editions Héros-Limite
géographie(s)
Dessins de Marfa Indoukaeva (à l'encre noire )
2012.
Hécate