Remy de Gourmont
ou l’ « Herpes Trimégiste ».
1858 / 1915
Ainsi Apollinaire surnommait cet écrivain poète et littérateur, fin esprit, insolent, délicieux, odieux, lyrique.
Il fuyait les photographes, bégayait.
Remy de Gourmont c’est l’humour et le symbolisme.
Ce « cher vieux daim » comme l’appelait Léautaud écrivait :
« Un imbécile ne s’ennuie jamais ».
Mais il suffit de lire Charles Dantzig qui a sorti dans « les Infréquentables » les saveurs du poète.
« Mettez un cochon dans un palais, il en fera une étable ».
« L’intelligence de l’homme n’a pas progressé depuis son apparition sur terre ».
« L’irreligion est une religion ».
Remy de Gourmont cultivait les idées dans les serres de sa pensée caustique.
Michel Houellebecq dans sa préface intitulée « Renoncer à l’intelligence » a superbement présenté la poésie de Gourmont dans la collection « Orphée » et dit comment il y avait en lui l’étoffe d’un sentimental et d’un lyrique, ce qu’il dissimulait bien.
« A trente trois ans il est atteint d’un lupus tuberculeux, qui le laissera défiguré. Il grossit, se met à bégayer. Mais il écrira encore de beaux poèmes d’amour, terrestres et éthérés, sensuels et sensibles. »
« Autre mystérieuse vérité », que Gourmont accepte : « à l’égard de l’amour, la seule attitude possible est d’y succomber totalement, corps et âme ».
« Il est frappant de voir à quel point l’ambiance particulière aux églises, cette pénombre, cette odeur d’encens, cette richesse des ornements liturgiques semblent exacerber sa sensualité ».
Sensualité d’un moine ardent et claustré a dit Léautaud.
J’avoue avoir découvert Remy de Gourmont par un poème « Les oraisons mauvaises » dont il est écrit que c’est là, un blasphème réussi.
Remy de Gourmont poète de la sensation des fleurs…des feuilles…des rivières et des crépuscules dans le brouillard.
« Pense aux timides qui ont peur de leurs désirs, et qui tremblent de peur autant que de volupté, aux naïves qui ne soupçonnent pas d’autres plaisirs, aux chastes dont les corps tombent dans le sommeil comme une belle eau pure glisse entre deux rives fleuries ».
« Car on n’emporte rien, on meurt. Laisse-moi donc regarder les yeux que j’ai découverts, les yeux qui me survivront, pour que j’y grave l’image que je fus en rêvant ceci ».
(Elle a un corps) - Sonnets en prose - extrait VIIème.
Et maintenant, je demande : Aimez-vous respirer un peu « l’Odeur des jacynthes » avec Remy de Gourmont ?
Hécate.
coll. Les Infréquentables, Éditions du Rocher, 1990 & Grasset, 2008
Oraisons mauvaises
I
Que tes mains soient bénies, car elles sont impures !
Elles ont des péchés cachés à toutes les jointures ;
Leur peau blanche s'est trempée dans l'odeur âpre des caresses
Secrètes, parmi l'ombre blanche où rampent les caresses,
Et l'opale prisonnière qui se meurt à ton doigt,
C'est le dernier soupir de Jésus sur la croix.
II
Que tes yeux soient bénis, car ils sont homicides !
Ils sont pleins de fantômes et pleins de chrysalides,
Comme dans l'eau fanée, bleue au fond des grottes vertes,
On voit dormir des fleurs qui sont des bêtes vertes,
Et ce douloureux saphir d'amertume et d'effroi,
C'est le dernier regard de Jésus sur la croix.
III
Que tes seins soient bénis, car ils sont sacrilèges !
Ils se sont mis tout nus, comme un printanier florilège,
Fleuri pour la caresse et la moisson des lèvres et des mains,
Fleurs du bord de la route, bonnes à toutes les mains,
Et l'hyacinthe qui rêve là, avec un air triste de roi,
C'est le dernier amour de Jésus sur la croix.
IV
Que ton ventre soit béni, car il est infertile !
Il est beau comme une terre de désolation ; le style
De la herse n'y hersa qu'une glèbe rouge et rebelle,
La fleur mûre n'y sema qu'une graine rebelle,
Et la topaze ardente qui frissonne sur ce palais de joie,
C'est le dernier désir de Jésus sur la croix.
V
Que ta bouche soit bénie, car elle est adultère !
Elle a le goût des roses nouvelles et le goût de la vieille terre,
Elle a sucé les sucs obscurs des fleurs et des roseaux ;
Quand elle parle on entend comme un bruit perfide de roseaux,
Et ce rubis cruel tout sanglant et tout froid,
C'est la dernière blessure de Jésus sur la croix.
VI
Que tes pieds soient bénis, car ils sont déshonnêtes !
Ils ont chaussé les mules des lupanars et des temples en fête,
Ils ont mis leurs talons sourds sur l'épaule des pauvres,
Ils ont marché sur les plus purs, sur les plus doux, sur les plus pauvres,
Et la boucle d'améthyste qui tend ta jarretière de soie,
C'est le dernier frisson de Jésus sur la croix.
VII
Que ton âme soit bénie, car elle est corrompue !
Fière émeraude tombée sur le pavé des rues,
Son orgueil s'est mêlé aux odeurs de la boue,
Et je viens d'écraser dans la glorieuse boue,
Sur le pavé des rues, qui est un chemin de croix,
La dernière pensée de Jésus sur la croix.