Le Chant, d'Achille
de
Madeline Miller
"Ce ne sont encore que des enfants : Patrocle est aussi chétif et maladroit qu'Achille est solaire, puissant, promis par da déesse de mère à la gloire des immortels. En grandissant côte à côte, l'amitié surgit entre ces deux êtres si dissemblables.
Indéfectible.
Quand à l'appel du roi Agamemnon, les deux jeunes princes se joignent au siège de Troie, la sagesse de l'un et la colère de l'autre pourraient bien faire dévier le cours de la guerre... Au risque de faire mentir l'Olympe et ses oracles."
"On dirait que toute ma vie n'a été qu'un travail de recherche en vue de ce livre " dit Madeline Miller jointe par Le Monde des livres au téléphone dans le Massachusetts où elle vit.
Elle avait cinq ans lorsque sa mère commença à lui lire L'Iliade et l'Odyssée . "Je trouvais ça absolument fascinant et ne pouvais pas m'en lasser."
Et, moi, dans mon enfance j'ai souvent rêvé sur les héros de l'Antiquité en regardant les pages illustrées du dictionnaire de mes parents... Au fil des jours et des ans mon attrait pour la Mythologie à continué au hasard des lectures, poésies, films, tableaux...
J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre où c'est Patrocle qui raconte son enfance, puis son exil et la naissance de son amitié pour Achille. Ayant provoqué la mort d'un garçon sans le vouloir, Patrocle fut condamné à quitter son pays afin d'être élevé dans le royaume d'un autre.
" En échange de mon poids en or, on m'y éduquerait jusqu'à l'âge adulte. Je n'aurais ni parents, ni nom de famille, ni héritage. A notre époque, la mort était préférable, mais mon père était pragmatique. Cette solution représentait une dépense moindre en comparaison aux somptueuses funérailles que ma disparition aurait nécessitées.
Voilà comment je me retrouvai orphelin à dix ans. Voilà comment j'arrivai à Pthie. Pélée son roi, était l'un de ces hommes aimé des dieux : sans être divin, il était intelligent, courageux, beau, et aucun de ses pairs ne pouvait égaler sa piété. En guise de récompense, nos divinités lui avait offert une nymphe des mers pour épouse, une marque d'honneur suprême."
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Chaque apparition de Thétis est saisissante, longs cheveux noirs, peau brillante et lumineuse d'une pâleur improbable comme si elle absorbait les rayons de la lune, une odeur d'eau de mer et de miel brun, une voix rauque et râpeuse...Une bouche comme une entaille rouge, pareil à un estomac éventré pour un sacrifice, sanguinolent et prophétique, des dents aussi pointues et blanches que l'os.
"Ce sera un dieu , proclama-t-elle. A court de mots, je gardais le silence. Elle se pencha en avant, et je crus presque qu'elle allait me toucher. Evidemment, elle n'en fit rien.
-Comprends-tu ? "
Achille avait prévenu Patrocle que sa mère détestait devoir attendre.
"- Oui.
- Parfait.
Comme pour elle-même, elle ajouta avec désinvolture.
- De toute façon, tu seras mort bien assez tôt.
Sur ce, elle se retourna pour plonger dans les flots sans laisser la moindre vague derrière elle.
Tu seras mort bien assez tôt. Elle avait prononcé cette phrase froidement, d'un ton factuel. Elle ne voulait pas que je sois le compagnon de son fils, mais je ne valais pas la peine d'être tué. Pour une déesse, quelques décennies de vie humaine représentaient à peine un inconvénient. Elle souhaitait qu'il devienne un dieu. Pour elle, c'était simple, une évidence. Un dieu. Je ne pouvais pas imaginer Achille ainsi. Les dieux étaient insensibles et distants, aussi lointain que la lune. Ils n'avaient rien à voir avec ses yeux vifs, la chaleur malicieuse de ses sourires.
Pélée avait souvent encouragé Achille à choisir des compagnons. Or durant des années, son fils n'avait pas manifesté d'intérêt particulier pour un seul d'entre eux. Et voilà qu'il avait octroyé cet honneur à celui d'entre nous qui avait le moins de chance de le recevoir, tout petit, ingrat, et probablement maudit qu'il était .

Notre amitié s'épanouit tout à coup à la manière des inondations printanières qui dévalent des montagnes...Un jour nous allions nager ; le lendemain nous grimpions aux arbres. Nous nous inventions des jeux où nous faisions des culbutes, ou bien nous nous allongions sur le sable chaud en disant : devine à quoi je pense !...
Avec Achille c'était différent...je n'avais pas à craindre d'être trop bavard. Ni trop fluet, ni trop lent...Il jouait de la lyre de ma mère et je l'écoutais...Il continuait jusqu'à ce que je ne distingue plus ses doigts dans l'obscurité. Je compris à quel point j'avais changé. Car qui peut avoir honte de s'incliner face à tant de beauté ? Cela me suffisait de le regarder gagner, de voir ses talons envoyer voler le sable, d'admirer ses épaules qui se soulevaient et s'abaissaient alors qu'il fendait l'eau salée. Oui, cela me suffisait."
Heures heureuses de l'adolescence de Patrocle et d'Achille où leur affection ne fera que croître, ne se quittant plus ils iront s'instruire avec le Centaure Chiron qui vit dans une grotte de quartz rose.
Bien trop vite viendra la nouvelle qui décidera de leur sort : la reine Hélène, la femme de Ménélas enlevée du palais de Sparte !
"Chiron et la grotte rose me parurent soudain incroyablement loin : une idylle enfantine...Tout le monde disait qu'Achille était destiné à la guerre. Que ses pieds et ses mains si rapides avaient été crées dans le seul but de forcer les imposants murs de Troie.
- Si tu vas à Troie, tu n'en reviendras jamais. Tu mourras là-bas alors que tu ne seras encore qu'un jeune homme avait dit Thétis à Achille qui avait pâli.
- C'est certain ?
Voilà ce que tous les mortels commencent toujours par demander avec une incrédulité empreinte d'émotion et de terreur.
- Oui.
S'il m'avait regardé à ce moment-là, je me serais effondré en larmes incoercibles... Le chagrin enfla en moi au point de m'étouffer. Sa mort. Rien qu'à cette pensée j'avais l'impression d'être en train de mourir moi aussi et de tomber comme une pierre dans un ciel aveugle et noir.
Il ne faut pas que tu y ailles! Même si j'étais sur le point de le dire et de le redire des milliers de fois, je me contentai de prendre ses mains glacées dans les miennes... Il savait ce que je ressentais, mais ce n'était pas suffisant. Ma peine était si immense qu'elle menaçait de crever ma peau.
A sa mort, tout ce qu'il y avait de rapide, de beau et de lumineux dans le monde serait enterré avec lui. Quand je voulus prendre la parole, il était trop tard.
- J'irai, décida-t-il. J'irai à Troie.
Il incarnait le printemps, doré et éclatant. Lorsqu'elle boirait son sang, la Mort envieuse redeviendrait jeune.
Il me fixait d'un regard aussi profond que la terre elle-même.
- Est-ce que tu viendras avec moi ?
Ah! l'éternelle souffrance de l'amour et du chagrin ! Dans une autre vie, j'aurais peut-être pu refuser, m'arracher les cheveux, hurler, et l'envoyer affronter son choix seul. Pas dans celle-ci. Il prendrait la mer et je le suivrais, même dans la mort. Oui, murmurai-je, oui.
Clairement soulagé, il me tendit les bras. Je le laissai m'enlacer, nous presser l'un contre l'autre de tout notre long, si près qu'il était impossible de glisser quoi que ce soit entre nous."
Même connaissant l'issue de cette longue guerre de Troie et les noms légendaires d'Ulysse, d'Hector, d'Ajax et de tant d'autres, les pages se tournent dans la hâte passionnée de redécouvrir ce qui est advenu, comment Patrocle trouva la mort plongeant Achille dans une terrible douleur...
"Dans l'obscurité, deux ombres tendent les bras à travers le crépuscule pesant et sans espoir. Leurs mains se rencontrent, et quand la lumière les inonde subitement, on dirait que cent urnes dorées déversent soudain leur contenu ensoleillé."
Editions Rue Fromentin.
Pocket avril 2015
Hécate