Jehan - Rictus
Jehan - Rictus est connu pour être le chantre de l’argot, le virtuose de la gouaille où la tendresse trinque avec l’ironie.
Enfant de l’amour né le 23 septembre 1867 non reconnu ni par son père, ni par sa mère, sa vie ressemble à un roman misérabiliste.
Obligé de quitter l’école à treize ans pour gagner sa vie il exerce mille petits métiers aussi pittoresques que poignants.
Dès l’âge de dix huit ans il connaît les jours colorés de la misère et s’encanaille dans les faubourgs populaires ; se mêle aux poètes de la bohème Montmartroise. La poésie le tenaille. En ses jours les plus noirs, sans logement, ou hébergés par des amis, il dort dans la rue, où il est ramassé en février 1889 a moitié mort et transporté à l’hôpital Lariboisière. *
« Les soliloques du pauvre » en disent long. Une tranche de vie des crèves la faim qu’il a goûté.
Remy de Gourmont, le poète des « Oraisons Mauvaises » a écrit :
« Il y avait une rumeur du côté de Montmartre, quelque chose de nouveau surgissait d’entre la foule des diseurs de gaudrioles et de bonne aventure, quelqu’un pour la première fois faisait parler avec un abandon original et capricieux, le pauvre des grandes villes, le trimardeur parisien, le loqueteux en qui il reste du bohème, le vagabond qui n’a pas perdu tout sentimentalisme, le rôdeur en lequel il y a du poète, le misérable capable d’ironie, le déchu dont la colère s’évapore en malédiction blagueuse…
Le Socialiste en paletot et le Républicain en redingote lui inspirent un identique mépris et il ne conçoit guère comment les malheureux, doucement leurrés par les politiciens gras peuvent encore écouter sans rire la honteuse promesse d’un bonheur illusoire autant que futur… »
« Ainsi, r'gardez les empoyés
(Ceux d' l'Assistance évidemment)
Qui n'assist'nt qu'aux enterr'ments
Des Pauvr's qui paient pas leur loyer !
Et pis contemplons les Artistes,
Peint's, poèt's ou écrivains,
Car ceuss qui font des sujets trisses
Nag'nt dans la gloire et les bons vins !
Pour euss, les Pauvr's, c'est eun' bath chose,
Un filon, eun' mine à boulots;
Ça s' met en dram's, en vers, en prose,
Et ça fait faire’ de chouett's tableaux »
……
Et Jehan Rictus n’épargne personne.
Ainsi, t'nez, en littérature
Nous avons not' Victor Hugo
Qui a tiré des mendigots
D' quoi caser sa progéniture
Oh !c'Iui.là, vrai, à lui l'pompon !
Quand pens' que, malgré ses meillons,
Y s' fit ballader les rognons
Du bois d' Boulogn' au Panthéon
Dans l' corbillard des « Misérables »
Enguirlandé d' Beni-bouff.Tout
Et d' vieux birb's à barb's vénérables.
J'ai idée qu'y s'a foutu d' nous
Et gn'a pas qu' lui; t'nez, Jean Rich'pin
En plaignant les « Gueux » fit fortune
………….
Ben, pis Mirbeau et pis Zola
Y z'ont « plaint les Pauves » dans des livres,
Aussi c' que ça les aide à vivre
De l'une à l'aute Saint-Nicolas!
Mêm' qu'Emile avait eun' bedaine
A décourager les cochons,
Et qu' lui, son ventre et ses nichons
N' passaient pus par l'av'nue Trudaine
Alorss, honteux, qu'a fait Zola ?
Pour continuer à plaind' not' sort ·
Y s'a changé en hareng saur
Et déguisé en échalas
Jehan - Rictus prend soin de noter non sans humour que Zola affligé d’obésité avait du suivre un traitement qui l’avait réduit à rien !
J’avais écrit un article précédemment sur Jean Richepin et ses poèmes sur les gueux, et il m’a semblé savoureux de mettre en lumière ici, le règlement de compte de ces deux gavroches, bien dans l’humeur de l’hiver !
La virulence de Jehan - Rictus est amère, percutante, mais sans haine. Lui-même tente de sortir de sa misère en publiant ses poèmes, il les scande dans les cabarets, aux Quat’z-art, au Chat Noir…
Décoré de la légion d’honneur en juillet 1933, comme Max Jacob ; le 6 novembre de cette même année il meurt sans aucun héritier.
Il avait dit : « Le vers alexandrin est un cercueil dans lequel on a couché la poésie française ».
Remy de Gourmont qui mêlait provocation et mysticisme, succombait à l’odeur de l’encens et des fleurs, a reconnu le talent très particulier de Jehan Rictus qui usait de la forme octosyllabique musicale et dolente.
« Il a créé un genre et un type, il a voulu hausser l’expression littéraire, le parler commun du peuple et il a réussi autant que cela se pouvait. »
Et quand Jehan Rictus se glisse dans la peau d’une fille de joie, d’une fille perdue, cela donne :
La Charlotte
prie Notre Dame
durant la nuit du Réveillon.
* (Je vous invite à lire le commentaire n°12 posté par Christian qui cite des extraits du journal de Jehan - Rictus)
Hécate