Sage comme une image
de
Tan Hagmann
Erik Jorgensen, Consul du Danemark à Paris, reçoit chez lui Joren Hässel, un auteur compatriote, qui vient de recevoir un important prix littéraire français.
Le fils du consul, Kristian, un lycéen déluré, tombe sous le charme de cet auteur dont il a lu le dernier roman.
Joren Hässel n'est pas insensible aux provocations de ce dernier. Il devient l'amant du jeune homme et devra gérer au mieux, une relation qu'il juge gênante, si ce n'est coupable, et un adolescent difficile à tenir.
Le 3 décembre 2011 j'avais chroniqué "L'Agneau Chaste" de Franck Varjac, un roman qui abordait l'amour d'un adolescent de treize ans pour un adulte.
Aujourd'hui, je reviens vous parler d'un fort et joli livre qui narre l'attirance d'un garçon de seize ans pour un homme de lettres d'une quarantaine d'années.
Dans la préface, l'éditeur Pédro Torres a tenu à mentionner ceci : " Il est possible que le thème de ce roman puisse choquer certaines personnes. J'ai voulu publier cette histoire parce que c'est un beau roman bien écrit, mais aussi parce qu'il sonne très vrai. De nombreux jeunes hommes testent leur capacité de séduction auprès de personnes plus âgées. Ils savent qu'on ne jugera pas leur inexpérience et qu'ils gagnent du temps dans cet art du savoir faire l'amour...Des questions de l'ordre de la morale se posent donc et cette dernière évolue..."
En épigraphe, Tan Hagmann pose un extrait de La Mort à Venise de Thomas Mann.
"Tadzio restait, et il semblait parfois à Aschenbach, pris dans son rêve que la fuite et la mort feraient disparaître à la ronde toute vie qui le gênait, qu'il pourrait demeurer seul en cette île avec le bel adolescent ; le matin sur la plage quand il posait sur la figure désirée un regard lourd, fixe, irresponsable, quand à la nuit tombante, perdant toute retenue, il le suivait dans les ruelles où se dissimulait la mort écœurante, il allait jusqu'à trouver pleins d'espoir des horizons monstrueux, et caduque la loi morale."
Si Tadzio préfigurait l'Ange de la mort, le jeune Kristian de ce roman-ci est bien celui de l'Ange de l'amour aux yeux de Joren Hässel. Kristian sort tout juste de l'onde de choc de son enfance !
" Encore, enfant, une fois contraint par sa mère à porter des robes que n'auraient pas désavouer les jeunes héroïnes de la Comtesse de Ségur, il avait aisément passé pour la fillette gracieuse et bien élevée dont Corinne avait toujours rêvé. Le petit garçon au début pleurait un peu. Mais sa mère paraissait si heureuse que ses larmes ne duraient qu'un instant."
Joren Hässel que provoque l'audacieux garçon en jean légèrement déchiré éprouve autant de méfiance que d'attirance. Il vient d'être embrassé sensuellement et, surpris, pris de vertige, il a tenté de repousser cet irrésistible assaut.
"Ces cheveux couleurs de nuit, qui lui tombaient sur l'épaule, encadrant un visage d'ange. Ces longs cils de fille. Cette bouche licencieuse, parfaitement ourlée, aux lèvres rouges sang. Un trop bel enfant pour ne pas le mettre en danger.
Il veut s'en aller.
"- Parce que tu es trop jeune. Et qu'il est tard, Kristian, il est temps que tu ailles dormir et moi aussi.
L'adolescent hésita un instant. " Trop jeune, disaient-ils toujours. Trop jeune pour aimer. Et plus encore pour être aimé. En revanche pour souffrir et être maltraité, il avait toujours été assez vieux. Assez mûr."
Kristian ne va pas se laisser faire comme un gamin obéissant et renoncer. Il va décrocher le manteau de l'écrivain, comme celui-ci le lui a demandé.
"Cela fleurait bon un mélange de cuir et de vétiver. Avec en sourdine, ce que devait être l'odeur corporelle du propriétaire du vêtement.
Le désir brutalement lui noua le ventre. Il éprouva dans sa chair le regret de ne pouvoir se faire aimer, ce soir même, de cet homme. Kristian avait la certitude que ce n'était que partie remise. Il fila dans sa chambre et, prenant un livre dans sa bibliothèque, en arracha la page de garde. En dessous du titre Ma Part d'éternité, il griffonna au feutre rouge son nom, suivi d'un numéro de téléphone. Le sien. Il revint ensuite dans l'entrée et, sans hésiter, plongea la main dans la poche intérieure de la veste en cuir pour y enfouir son bout de papier."
Au fil des pages, on découvre la vie quotidienne de Kristian, de son frère Eddi, de leurs parents, un père trop pris pour s'occuper de sa famille, dépassé par un fils qu'il ne comprends guère et qu'il a des difficultés à aimer. Sous l'apparente simplicité de ce roman, l'auteur nous fait ressentir les manques affectifs, la solitude intime, la fragilité et les fêlures secrètes des êtres...Celle de Joren Hâssel qui enviait à son jeune amant sa force de caractère dont la sexualité flamboyante et débridée le fascinait et l'inquiétait "lui qui, prétendument adulte, avait tant de mal à s'atteler à ses tâches quotidiennes. Ses responsabilités de grande personne."
Il ne m'appartient pas d'en dire plus, sinon que je n'ai pas pu m'arracher des pages de ce livre avant de l'avoir lu jusqu'à la fin. Une heureuse découverte, où l'émotion affleure à fleur d'âme et de peau.
Tan Hagmann est un auteur de langue française née en 1962 à Madagascar. Passionnée de littérature, d'opéras allemands, elle vit à Paris et travaille dans une école de jazz. "Sage comme une image" est son premier roman.
Vous pouvez trouver ce livre à la librairie "Les mots à la bouche", 6 rue Sainte-Croix de la Bretonnerie 75004 Paris, ou le commander sur leur boutique en ligne :
http://motsbouche.com/fr/content/4-qui-sommes-nous-
http://motsbouche.com/fr/livres/24863-sage-comme-une-image-9791029400087.html
Hécate