LES POËTES
Ils sont là rassemblés, siècles confondus, vaguement irrités
Ceux qui trempèrent autrefois une plume infatigable
Dans l'encre embaumée d'une nuit délétère et inspirée
Hagards et défaits, somptueusement misérables.
L'église vertueuse accueille en son désert ces spectres.
En cette heure mauvaise où l'ombre pèse sur le jour
Baudelaire rêva d'être pape, ne fut que fils de prêtre,
Il dépose sur l'autel, l'infâme charogne de son poème d'amour.
Satan qui depuis ce temps prit pitié de sa longue misère
Ailes déchiquetées, offre la fiole réclamée, de ses doigts crochus
Au poète maniaque qui traque d'une main évanescente la poussière
Dandy parfaitement austère qui soigne avant tout sa tenue.
Derrière un pilier, aussi noir que les ténèbres et plus irréel
Nerval, veuf inconsolé contemple tristement son étoile morte,
Invoquant cet épanchement du songe dans la vie réelle
Avec Aurélia, Pandora, Sylvie, Artémis pour ultime escorte.
De longs souffles plaintifs se glissent, battant les cartes
Arcanes du tarot que l'ombre enveloppe comme une nuit d'octobre
Le château du Diable l'attend : Espagne, Bohème ou Karpathes
Qu'importe les chemins à ce voyageur devant qui le destin se dérobe.
Qui donc rôde par ici en compagnie de chers corbeaux délicieux
Ayant délaissé l'orgie parisienne, le front de blondeur illuminé
Et le pauvre Lélian tombé dans la fange des garnis peu glorieux
Il tire de l'enfer son regard de voyant au mystique condamné.
Fuyant l'hallucination des mots sur un bateau ivre remontant
Vers un ailleurs qui tourne le dos à sa jeunesse brûlée
Rimbaud s'est achevé sous l'exil des soleils ardents
Il erre hanté d'ombre, de lumière et de douleur à son corps arrachées.
Dehors la pluie déverse ses ruisseaux de larmes gargouillantes
Des soupirs s'exhalent, une touche de piano tinte assourdie
Les nerfs aux lèvres, le ténébreux Lautréamont et sa voix déclamante
A la nuit profane ressuscite son hermaphrodite assoupi.
L'église est comme une tombe, cimetière d'où il s'éveille
Couché trop tôt en sa jeunesse fauchée, lui qui rêvait de naître
Un peu chacal, un peu vautour, scande avec ses chants vermeils,
L'histoire de Maldoror appelant les anges dans son sommeil.
Ce bouillonnement de sang se fige sur Edgar Poe et son entrée
Le bruit des cercueils dont les couvercles claquent ou s'ouvrent
Accompagne son exquise beauté de pâle malade, singulière étrangeté
Chantre de la femme lumineuse promise aux affres du gouffre.
La blancheur d'une dentition entrevue le renvoie aux pâleurs des linceuls
Lui que la mort poursuit et confond dans l'étreinte malheureuse
Renouvelle la volupté dans cette horreur où il est seul
Avide d'une lueur dans le regard éteint de ses amoureuses.
Hécate