Les reliques
de Jeanne Benameur
Un jour de neige, Hésior, le magicien, Zeppo, le clown, et Nabaltar, le soigneur de fauves sont débarqués par un camion de cirque au bord d’une route.
« Aucun des trois n’avaient regardé le camion s’éloigner.
Et ils avaient marché. »
Dans une cabane de chantier abandonnée ils vont vivre. Combien de temps ?...
« Ils ne comptent pas. Les calendriers, c’est bon pour ceux qui ont encore à faire avec les autres.
Eux, c’est fini.
Ils font entre eux.
On n’invente pas de calendrier juste pour trois. Même le jour où ils sont nés, ça n’a plus d’importance. C’est écrit quelque part, là-bas où les dates sont sûres. Loin. Ici, ce n’est plus la peine.
Hésior a juste gardé sa montre. Elle ne donne pas l’heure des autres montres, celle que sonne l’église du village, de l’autre côté du bois. Non, non, elle donne son heure à elle, fixe pour toujours, et lui en fait ce qu’il veut.
Pas de retard. Pas d’avance.
C’est juste un désaccord.
Un désaccord avec le temps. »
En marge des autres, la vie des trois hommes liés pour toujours, se déroule au fil des jours, des saisons. Mira, la trapéziste qu’ils aimaient est morte. « Trois cœurs pour une seule, Mira. »
Les cheveux blonds du magicien n’ont pas résisté une seule nuit à sa mort.
« Est-ce d’avoir partagé Mira vivante ? Ils peuvent la partager maintenant, même avec la mort.
Le cirque ne continue jamais à aimer ce qui est mort.
Eux trois, ils ont continué.
On ajuste la mâchoire des morts. On serre la vie entre les dents.
Les simples ne distraient pas. Ils font frémir. Hésior avait arrêté sa montre à l’instant où le souffle de Mira cessait de pouvoir être partagé sur terre.
Il savait qu’on ne leur pardonnerait pas.
On les a laissés.
C’était inévitable. Et après tout.
Liberté de vivre et de mourir laisse le cœur en plein vent. »
Le magicien, le clown, le soigneur de fauves dans la connivence de leur amour fou pour celle qu’ils aimaient et ne peuvent cesser d’aimer vont inventer un rituel pour qu’elle ne soit jamais perdue.
« Une relique est une chose qui demeure bien après que tout a disparu. Derrière le verre, protégée, la relique est là. On la révère.
Eux trois ne possédaient que des restes. Des ballerines usées, un costume qui deviendrait guenille avec le temps. Des riens…
Un reste n’est pas relique. »
Ils vont se faire fabricants de reliques. « Pour chaque relique, il faut un os… »
Une narration incantatoire qui arrache au silence, à la neige, au vent, au sang, à l’écorce du malheur, la plainte et son chant, la mémoire et son murmure, le drame et son mystère.
« Attention Mesdames et Messieurs. C’est le numéro du risque et du péril. Total.
Sans musique. Sans filet.
Sans roulement de tambour.
Vous êtes prêt ?... »
Hécate