L’amour au jardin
de
Jean-Pierre Otte
« ….Mille pariades, appariements, noces et épousailles tour à tour somptueuses et sanguinaires se déroulent en ce livre, véritable et odorant bréviaire des alcôves ! C’est qu’il est écrit par quelqu’un qui à l’instar de J. H. Fabre, a pendant des années observé de près, de très près même, la vie des fleurs, des insectes et des animaux de son jardin et qui a su aller au-delà des simples descriptions, si précieuses et minutieuses soient-elles, quelqu’un qui, comme l’Alice de Lewis Carroll, put franchir l’invisible miroir qui nous sépare de nos compagnons d’existence floraux et animaux. »
Conviés par la préface de Jacques Lacarrière à un voyage au cœur des calices et des corolles, dans l’intimité des rêves et des herbes nous découvrons après L’ETONNANTE TROMPERIE DE L’ORCHIDEE – ABEILLE, la SECRETE VIOLETTE et LES INTERDITS DE LA PRIMEVERE… D’AUTRES VISITES INTIMES… en passant par LA STRATEGIE DE L’ARUM, sans oublier UNE REINE DE LA MAUVAISE GRAINE…ce voyage nous mène en voyeur d’abord étonné, puis ravi, enchanté, parfois horrifié…
Etre un bourdon ou même un faux bourdon, corseté de velours fauve, cerclé de cuivre et de cinabre avec de magnifiques yeux noirs… Une expérience qui réserve bien des surprises…
« Au-delà de la pluie, dans les lacs bleus de l’embellie, c’est un espace inconnu qu’il affronte, un pays pourtant déjà parcouru mais redevenu étranger sous un subit resplendissement. Des vapeurs voyagent et une brillance d’eau s’est ajouté aux couleurs… Au hasard de l’air, il décèle tout à coup les molécules d’un parfum fort, qui lui rappelle celui d’une femelle de son espèce… Le message lui soulève les sens, marque une direction, la voie la plus courte… Sans plus avoir l’humeur du flâneur mais celle de l’amant empressé, il s’introduit dans l’espace du jardin. Au détour d’un massif serré de romarin, il aperçoit enfin, cette femelle au parfum impudique… »
Amant frustré, fébrile et s’épuisant sans jamais obtenir son plaisir il est la proie d’un leurre, il perce la pilosité à l’endroit convenu, sans trouver d’orifice. « Cette fille présenterait-elle un vice de conformation ? »
L’Orchidée-Abeille déguisée grimée, avec un cynisme parfait, une indifférence efficace au fil des âges est parvenue à obtenir une étonnante ressemblance avec l’abdomen d’une abeille…
Le seul risque mais majeur pour la fleur, c’est quelle ne fasse l’objet d’aucune convoitise amoureuse. Je ne dévoilerai pas ses raisons secrètes…
« Il faudrait, écrit J.P. Otte, parvenir à pénétrer les replis parfois tortueux de l’intelligence des fleurs. Cette superbe supercherie cache peut-être des imaginations féminines fort complexes, un dessein mystérieux, une perversité qui pèse ici entre l’attrait parfait et la frustration indispensable de l’amant. »
L’Iris pointe d’abondance, dès février, des feuilles étroites en baïonnettes. « L’architecture est d’une découpe extravagante. Elle semble un éclatement délicat, aérien, fragile. C’est un envol figé avec ses foulards, un temple éthéré aux entrées trop nombreuses pour ne pas être dérobées… On dirait que la fleur sur sa tige est le résultat excentrique d’un soufflage à la canne. »
Se faire abeille, s’aventurer dans une alcôve de l’inconnu, sans bruit, sans ombre…
La fleur qui reçoit en privé s’ingénie à offrir ses alcools. « N’est-elle pas à l’écoute d’elle-même, du moindre tressaillement dans sa chair ? »
« La Primevère est certaine de ses attraits. Une timide ? Ce n’est pas sûr. Mais une vierge disponible, qui a fixé ses règles, ses interdits, ses limites à ne pas franchir tout en ayant l’ingéniosité et les moyens de sa rigueur morale.
Les primevères, à première vue toutes pareilles, sont en réalité de deux espèces. »
Sous sa fragilité angélique, si un squelette était à imaginer à la primevère, il ne pourrait être constitué finement que de fils étirés de verre. Mais il y a deux clans chez les primevères…
« Aucun désir peut-être qui ne soit réalisable s’il est intense car toujours le don l’accompagne »…
« Loin de cette amour culpabilisant « où l’on meurt pour nous en rémission de nos péchés », il nous appartient de lire dans la Passiflore la figure de passions plus exaltantes. D’y voir peut-être l’emblème intime et richement doté du corps féminin ou de son sexe-écrin. Mais ne serait-ce pas encore trahir la fleur, l’enfouir sous une autre projection ?... N’en a-t-on pas fini de fixer des symboles ou de quérir des signes de reconnaissance, quand c’est au réel et au rêve qu’il s’agit vraiment d’accéder… L’on dirait une émigrée créole, qui reste bariolée dans ses appâts pleine de luxuriance et d’humeurs, riche de couleurs éclatantes, ouverte dans l’ombre, au soleil, au bleu conjugué du ciel et de la mer, dans d’anciennes mémoires suspendues par des astrolabes et des nombres d’or. »
Assiégée par les oiseaux, de toute les fleurs qui s’offrent à eux dans le jardin celle de la Passion est la seule à les attirer, les captiver vraiment. « Ils s’enfoncent dans l’exotisme, fouillent du bec l’étrangeté colorée. C’est comme s’ils voltigeaient autour d’un conte des îles ou d’un coffre de pirate, d’où on leur sort des merveilles. »
« De ces scènes d’amour, surprises autour d’elle, la Violette nourrirait-elle ses fantasmes, ses rêves les plus osés ?
Ces fleurs semblent des yeux. Des yeux-fleurs fragiles et froids, d’une couleur qui s’obtient par un juste mélange du rouge et du bleu. Comme si il y avait en elle un équilibre libre et passionné entre l’esprit et les sens, entre le désordre amoureux et une sorte de sagesse réservée. » De la violette sobre, jolie, coquette sans complexité inutile au parfum entêtant et subtil destiné à signaler sa présence, je ne diffuserai pas non plus ses secrets… ni comment ces fleurs, aux premiers jours d’août en leur seconde floraison ne s’ouvriront au monde. C’est là son intimité enclose dans les pages de ce livre.
C’est dans un songe oriental que se hasarde le bourdon, en pénétrant dans le Sabot de Vénus. Lieu, tout à la fois grandiose et confiné, dilaté d’un silence luxueux.
La mouche aux prises avec la stratégie de l’Arum, à peine dans le corps du logis, elle s’émerveille de la clarté glauque où la chaleur croît et lui engourdit un peu les membres… « Dans l’intimité silencieuse, elle découvre un trésor de sécrétion, dont elle commence a se nourrir avidement… Son amour propre refuse encore de croire à un piège après une si belle réception…»
« Au milieu du chiendent, du rumex, du séneçon, de la garance, des vesces à vrilles ou des chardons, l’Euphorbe fait figure de reine païenne. Elle grandit entourée d’une peuplade disséminée et maudite, à laquelle on interdit de jeter l’ancre. Le lait du diable dit-on, brûle dans sa tige et ses feuilles glauques-pruineuses rendent les chats aveugles...
Quand on est reine de quelque chose ou de quelque part on a les caprices de son rang, la liberté de ses fièvres et une gloire accordée à tous les remous imprévisibles du monde. En matière amoureuse, on s’attend à ce qu’elle se montre d’une passion sauvage et rebelle, d’une fougue secrète, inventive et indomptable, ayant recours aux philtres, aux drogues ou à d’autres artifices, si besoin est. »
Je laisse le lecteur ou la lectrice marcher vers ces marges que la culture n’a pas atteinte et corrompue, parmi ces bandes bohémiennes qui apparaissent de toute part dans le jardin…
«Du cannibalisme amoureux du carabe doré expéditif, sans curiosités timides, ni approches ni attouchement, voyons la Mante, merveille d’esthétique d’un mystère confiant et fier qui se dresse d’évidence à la lumière. Elle a de la grâce, de l’élégance. On la découvre plutôt portée à l’extase lente. Ses ailes ne sont jamais les organes d’aucun vol, mais comme les parures reçues en héritage d’une ancienne et haute royauté. »
« L’œil est exorbité, d’un vert de jade sans transparence étonné gravement de tout, et qui semble englober le monde ou le recueillir dans sa rondeur. La mante regarde : là est sa grandeur.
La mante possède le sens de l’observation, les meilleures dispositions à la contemplation. »
Les agapes de la mante se font aux hasards nombreux et aux imprudences du gibier de saison…mouches à reflets bleus en amuse-gueule ; tripes de carabe ou cuisses de sauterelle en hors d’œuvre ; enfin, un criquet cendré ou une belle épeire diadème en plat de consistance.
« Comme boisson, l’eau-de-vie brûlante de quelques gouttes de rosée.» Le mâle de taille moindre l’a repérée…il s’approche au ralenti… Il la contourne… Il est entré dans le champ hermétique des attirances irrésistibles et des dernières prudences.
Sur un signe d’assentiment il la rejoint. Près de deux heures d’accouplement sans préliminaires, ni baisers ni attouchements ni mordillements délicieux… Tandis qu’il l’étreint, la mante relève ses pinces et les applique savamment au cou de son partenaire. Le mâle qui s’attend à une spécialité ou une caresse insistante perd la tête : d’un coup de couteau-scie son amante vient de la lui sectionner…l’accouplement n’en continue pas moins… De ses ripailles amoureuses, elle ne laisse de son partenaire que les ailes.
« Plus que d’une passion, il s’agit d’une véritable assimilation de l’autre offert à une digestion lente. »
« A quoi rêve une Araignée si elle rêve ? Son attente s’emplit tour à tour des couleurs fluides de l’enchantement, de la craie noire du désespoir ou de la dérision, puis des élans rougeâtre du délire. Sans cesse, à partir de sa capacité d’aimer, elle crée, recrée la figure indéfinie de l’être attendu. » Son baiser est venimeux…
Les vers luisants sont des ETINCELLES DANS LA NUIT, dans l’ombre ébène du jardin… NOCES D’ECUME des Escargots, les sexes se mêlent, les sexes s’unissent. « Et comme chacun d’eux est à la fois mâle et femelle, ils sont en même temps pénétrant et pénétrée… A chaque fois qu’ils se rétractent puis s’étirent, l’écume s’exprime en réponse à d’autres stimuli. Ils se découvrent l’un pour l’autre voluptueusement visqueux, volubiles et souples dans l’euphorie musculaire qui s’empare d’eux jusqu’à l’absolu ravissement. »
« …Prés de l’auge boueuse gorgée par les pluies, c’est en gros plan que l’on voit réapparaître le Crapaud. Il sort d’une tombe peu profonde et provisoire, d’une obscurité basse et serrée, de l’engourdissement d’une vie léthargique et ralentie, sans doute privée d’étoiles…
Il est apparu comme un dieu avorté et difforme, une créature innommable sortie des imaginations morbides…
L’expérience apprend qu’il est avantageux d’apprivoiser ses aversions et, mieux, de se les allier… Ainsi, sous la loupe pour autant que le crapaud se laisse observer un peu longuement, sa peau « criblée de verrues » se révèle une plage sélénite, recourbée sur elle-même avec des cratères et des brillances étranges. C’est comme la face cachée de la lune que personne n’a jamais vue mais dont tout le monde a auguré. Mais peut-être cette apparence que l’on trouve d’abord monstrueuse emprisonne-t-elle, comme dans les contes, un Prince charmant pour celle qui réussirait à conjurer le mauvais sort. Un baiser de colombe dans la bave du crapaud ressusciterait peut-être le Prince de ce corps ramassé sur lui-même et qui paraît d’une consistance de boue et de bronze.
Dans la nuit, il lance sa note métallique et brève. A le mieux écouter, ce chant a ses harmonies, ses modulations, ses fréquences différentes, des sonorités liquides dans des emportements de contralto. Le coassement lui-même produit un choc, une fracture dans la coalition musicale… »
A la période des amours, si son chant demeure sans réponse, sans écho à travers les innombrables couloirs de la nuit, le crapaud va dépasser ses habitudes familières. Il s’aventure dans l’ailleurs, conduit par un instinct qui relève de la radiesthésie.
LES FECONDATIONS EXTERIEURES sont de longues et singulières noces qui durent au moins le tour complet d’une horloge. Que sait-on du plaisir de leur accouplement, alliance de liens qui ne nous sont pas perceptibles ?...
« Un chant sonore, limpide, liquide même, par notes détachées et presque semblables, comme le son concentrique et lointain d’une clochette dans un temple englouti.
Le sortilège n’est pas loin. »
Né en 1949 et établi dans le Lot dans un immense jardin, amoureux des mystères de la femme, de la terre et du vin, Jean-Pierre Otte est poète, entomologiste et chroniqueur invétéré de la beauté des mondes qui nous échappent.
Hécate.