202, Champs – Elysées
(A cidade e as serras)
de
Eça de Queiroz
Ma rencontre avec ce livre est tout un roman !
Je passais dans une petite rue quand mon attention se trouva attirée par une affiche sur la porte d’un restaurant. Elle annonçait une soirée de Fados. Des artistes totalement inconnus, un numéro de téléphone pour la réservation. Rien de plus. Renseignement pris, me voici donc à traverser la ville, à déambuler dans les couloirs d’une mairie d’une commune voisine.
La conversation s’engage très naturellement. Etais-je une habituée des soirées autour du Portugal ? Ebahie, j’avoue mon ignorance quand à ces réunions, et, effarée plus encore quand j’apprends que la précédente avait été consacrée à l’un des plus grands écrivains de ce pays.
- Lequel ?
La personne m’avoue que ce nom bien connu se refuse soudain à sa mémoire. Je cite au hasard quelques poètes et auteurs, en premiers ceux dont j’avais réussi à grand peine à me procurer partiellement les œuvres, puis celui dont je commençais à désespérer de les lire : Eça de Queiroz.
- Ah ! celui-là même !...
Ma curiosité ne se tient plus.
- Vous n’avez pas lu « 202, Champs – Elysées » ?
- Non…
Et là, en quelques mots, on me vante le charme irrésistible de ce roman. Et même l’adresse d’une librairie où dénicher ce bijou.
Je tiens à préciser que je n’étais pas encore initiée à la cyber navigation, et que j’avais renoncé à lire un jour Eça de Queiroz !
Ce qu’en dit la quatrième de couverture :
« Dans le Paris de la fin du XIXème siècle, peuplé d’anarchistes, de poètes symbolistes, de dandies, de gros financiers boursicoteurs et de buveurs d’absinthe, se dresse 202, avenue des Champs Elysées l’hôtel particulier d’un jeune aristocrate portugais, Jacinto prosélyte acharné de la modernité.
Télégraphe, téléphone, gramophone, phonographe, cave d’eaux minérales, ascenseur et autre « gadgets » meublent cet hôtel, mais Jacinto en est devenu l’esclave et sombre dans la mélancolie…
Eça de Queiroz, dans ce roman incisif, enjoué, où la décadence a du charme et de l’esprit, se livre à une dénonciation du danger du progrès d’une science au service de la puissance et du profit ».
Le narrateur, Zé Fernandez est un ami de Jacinto. Les deux jeunes gens s’étaient rencontrés à Paris, aux écoles du Quartier latin.
« A cette époque, Jacinto avait conçu une Idée…que l’homme n’est supérieurement heureux que lorsqu’il est supérieurement civilisé. »
Sept ans plus tard ils se retrouvent, très émus. Rien n’avait changé dans le jardin, mais Zé Fernandez va d’étonnement en étonnement…
« A l’intérieur, dans la galerie, j’eus la surprise de découvrir l’ascenseur, que Jacinto avait fait installer bien que le 202 n’eût que deux étages, reliés par un escalier si facile à monter qu’il n’aurait jamais porté atteinte à l’asthme de Dona Angelina ! Spacieux, tapissé, il proposait, pour ce voyage de sept secondes, de nombreuses commodités : un divan, une peau d’ours, un guide des rues de Paris, des étagères superposées avec des cigares et des livres… »
Une fois à l’étage, en dépit d’un mois de février frissonnant un calorifère répand la douce température d’une après-midi de mai…
« Je murmurai alors, du plus profond de mon être stupéfait :
- Voila la civilisation !... »
Mais il n’a pas encore vu la bibliothèque monstrueuse de livres neufs et le feston de lumière qui jaillit d’un effleurement du doigt. Invité à dîner par son ami, Zé Fernandez dit :
« - Ecoute, Jacinto, non, vraiment… Tu sais j’arrive de Guiães, des montagnes j’ai besoin de m’imprégner lentement précautionneusement, de toute cette civilisation, sinon je vais en crever. Dans la même après-midi, l’électricité, le conférençophone, les espaces hyper – magiques, ton spécialiste de la femme, ton peintre éthéré, la dévastation symbolique, trop, c’est trop, je reviendrai demain. »
La grande aventure de Zé Fernandez au cœur de la Civilisation va commencer dès son installation au 202 ; son ami Jacinto, le Prince de grande Fortune le presse de quitter son modeste hôtel, au 202 il aura le téléphone, le théâtrophone, des livres…
Eça de Queiroz de sa plume aussi drôle que tendre, égratigne tout ce monde qu’il nous dépeint, mais sans jamais se départir d’une grande compassion pour l’humanité.
Le progrès trahit sa fonction première qui est de libérer l’homme, et, il est pris d’une discrète mélancolie à voir l’homme en devenir l’esclave.
La seconde partie du roman, un retour à la nature se déroule au Portugal.
Jacinto a reçu un courrier. Les vénérables restes de ses illustres aïeux vont être transférés dans la nouvelle chapelle de Tormès.
« - Je pense que tu sais, mon bon Jacinto, que la maison de Tormès est inhabitable ?
Il fixa sur moi des yeux épouvantés.
- Affreuse, hein ?
- Affreuse, affreuse, non… C’est une belle maison, en belle pierre. Mais les fermiers qui vivent là depuis trente ans, dorment sur des paillasses, mangent leur soupe devant la cheminée et se servent des pièces pour faire sécher le maïs…
… … …
Et jamais mon Prince (que je contemplais en train de tirer sur ses bretelles) ne m’était apparu aussi voûté, aussi amoindri, comme usé par une lime qui depuis longtemps l’aurait limé jusqu’à la corde. C’est ainsi que s’éteignait, épuisé par la Civilisation, sous la forme de ce maigrichon hyper – raffiné, sans muscle et sans énergie, la si robuste race des Jacintos… »
Et voilà les deux amis lancés dans d’extravagants préparatifs de départ pour Tormès dans le Douro !... Le 202 devient le théâtre du colossal déménagement de toutes les commodités nécessaires…
« Jacinto, songeant tout à coup aux orages en montagne, acheta un immense paratonnerre… Et la colonne des bagages franchissant le porche du 202 me rappelait une page d’Hérodote évoquant la marche de l’armée des Perses. »
Zé Fernandez, en vieil habitué des montagnes ne succombe pas aux mêmes transports qui soulèvent l’âme novice de son ami.
« Mon Prince poussait des rugissements, avec l’indignation d’un poète qui découvre un épicier baillant à Shakespeare ou à Musset.
Alors je riais.
- Pense à ce que dit la Bible « Tu travailleras la terre à la sueur de ton front ! Elle ne dit pas : Tu contempleras la terre dans l’extase de ton imagination ! »
José Maria Eça de Queiroz est né le 25 novembre 1845 dans le nord du Portugal, quatre ans avant le mariage de son père et de sa mère qui ne le reconnaîtront que quarante ans plus tard !
Il en a souffert profondément.
« Positivement raconter des histoires est l’une des plus belles occupations humaines… écrit-il dans une lettre. Toutes les autres occupations humaines tendent plus ou moins à exploiter l’homme ; seule celle de raconter des histoires a pour but agréable de le distraire, ce qui le plus souvent équivaut à le consoler. »
Avocat, journaliste, puis Consul du Portugal en Angleterre, c’est dans son appartement de Neuilly qu’il va écrire 202, Champs Elysées qui ne sera publié qu’après sa mort en 1900.
Hécate.
Œuvres :
- Le Mystère de la route de Sintra (Titre original: O mistério da estrada de Sintra) 1870, La Différence, 1991.
- La Relique (Titre original: A relíquia) 1870, Nouvelles éditions latines, 1996.
- Le crime du Padre Amaro (O crime do Padre Amaro’') 1875, Collection: Littérature étrangère, Éditions de la Différence, Paris, 2007
- Son Excellence. Le Comte d'Abranhos (Sua Excelência. O Conde de Abranhos), 1879, Editeur La Différence, 1998.
- Alves & Cie, La Différence, 2000.
- Les Maia (titre original : Os Maias) 1888, 5° ed. 2003.
- Le Cousin Bazilio (O primo Basílio) 1878, Collection : Littérature étrangère, Éditions de la Différence, Paris, 2001.
- Le Mandarin (O Mandarim) Collection : Littérature étrangère, Éditions de la Différence, Paris, 2002.
- 202 Champs-Elysées (A cidade e as serras), Gallimard, Folio, 2000.
- La Capitale (A Capital), Actes Sud, 2000.
- L'Illustre Maison de Ramires (A ilustre casa de Ramires), La Différence, 1999.
- Contes et nouvelles (Contos e novelas), Éditions de La Différence, 2008.
- "Lettres de Paris " ("Cartas de Paris"), présentation, La Différence, 2007