Lieutenant Darmancour
Eric Jourdan
Pierre Perrault Darmancour à dix neuf ans est célèbre par la publication de ses « Contes de ma mère l’Oye », précédés d’une dédicace à Mademoiselle, la petite nièce de Louis XIV.
« On ne trouvera pas étrange qu’un Enfant ait pris plaisir à composer les Contes de ce Recueil mais on s’étonnera qu’il ait eu la hardiesse de vous les présenter…
… …
Pouvais-je mieux choisir pour rendre vraisemblable
Ce que la Fable a d’incroyable ?
Et jamais Fée au temps jadis
Fît-elle à jeune Créature,
Plus tard de dons, et de dons exquis,
Que vous en a fait la Nature ?
Je suis avec un très profond respect,
MADEMOISELLE,
De Votre Altesse Royale,
Le très humble et
très obéissant serviteur,
P. Darmancour. »
Mademoiselle une jeune pimbêche, l’aînée de trois ans de Pierre Darmancour, jettera un œil sur lui comme sur un insecte. « Sa coiffure l’accablait tant elle se compliquait de friselis. »
Les Contes enchantèrent tout Paris.
Eric Jourdan fait revivre dans ce livre la courte vie de leur auteur, hélas oublié.
Qui ne connaît ces Contes la plupart du temps publiés sous le seul non de Charles Perrault, les éditions ne mentionnant plus guère celui de Pierre Darmancour !
Dans la pièce qu’assombrit le jour qui tombe, incarcéré au Châtelet, dans l’inquiétude de son sort et de la réaction de son père le jeune homme vient d’écrire sa déposition, sachant que s’il dit la vérité il sera perdu.
« Le pire des châtiments est la lapidation morale. Ce siècle est un siècle de pierres qu’on jette sur tout ce qu’on ne comprend pas, n’accepte pas, qui ne ressemble pas à ce qu’un homme doit être selon les conventions et les règles qui ne sont que des meurtres cachés .»
« C’est à seize ans que mon père m’avait acheté le nom Darmancour, dans son optique de ma réussite à venir. »
« Tout a commencé comme un conte de fées. Je fais bien de dire ça, car ce fut exactement comme ce que j’écrivais après que mon père m’eut demandé de noter les histoires du temps passé… »
« En réalité, il brodait à sa façon qui était la plus simple du monde et qui venait de l’intérieur de lui-même. D’où ? De partout, la cervelle, le cœur, le sexe, le vrai moi de chaque être, ne ressemblant à aucun autre et dans son cas l’essence même d’un garçon jeune décidé à vivre sans contraintes et sans ordres. »
Charles Perrault est enchanté de ce que Pierre a écrit « Son petit dernier serait bien le nouvel Orphée de la famille selon le langage des dames exquises du Marais. »
Charles Perrault marié tardivement est veuf. Pierre vénère son père, mais regrette les tendresses absentes de cet homme âgé préoccupé de choses d’importances.
« Il se souvenait de ses deux premières histoires que son père avaient arrangées à sa façon.
Le Petit Chaperon rouge d’abord. Un chaperon, pour lui, c’était au masculin le couvre chef des hommes et de quelques veuves aussi (c'est-à-dire des presque hommes) et des garçons. L’histoire du gamin (son père en avait fait une fille) qui musait dans les bois (est-ce qu’on laisse une fille aller seule par les bois ?), écoutait le premier beau parleur venu alors qu’on le lui avait défendu, devait se finir le plus mal possible. Au fond le petit chaperon avait le secret désir d’être dévoré par la part sombre de lui-même. Et n’était-ce pas lui Pierre Perrault, lui en face du loup dévorateur ?...
Pendant plus d’une année il fit mine de récolter des contes qu’il arrangeait à sa guise avec simplicité. Le cœur d’un jeune garçon est rempli de pièges, de meurtres, de dévouements secrets où le pire est toujours sûr. »
« Le cœur de l’homme, disait Monseigneur Bossuet, encore un ami de son père, est un lieu plein d’ordures. »
Charles Perrault s’empare des contes de Pierre, les ponce jusqu’à les rendre inoffensifs, du moins en surface et revêt le tout des oripeaux de la Cour.
« Chaque fois je compliquais les péripéties pour que toute modification ne fut pas simple ni naturelle. Pour le change je donnais parfois mains à des bienséances voulues, mais si on lisait de près mon Petit Poucet, Barbe – Bleue ou l’histoire du Maître Chat, la subversion souterraine faisait irruption dans les détails. J’ai fait des Contes à double fond. Je ne voulais pas de fille pour héroïne, mais quelqu’un à part comme moi, prêt à se sacrifier pour quelqu’un comme lui.
Les Contes faisaient leur chemin, même dans l’état où mon père les avait corrigés… je le ressentais comme s’il m’avait corrigé moi.»
La narration d’Eric Jourdan dose l’intime et esquisse l’univers de la Cour, du Bain des Pages aux feux d’artifice Royaux. On entrevoit personnages et décors, la Palatine dans une robe bleu acide, les oreilles brinquebalantes de bijoux ; le vieil abbé de Choisy avec ses robes couvertes de dentelles, ses coiffures à étages, l’éventail en bataille, les mains embijoutées. « Il avait écrit une histoire de marquis – marquise, ambiguë comme lui dont le Mercure parla l’année même des Contes. »
«… des antichambres de crépuscule succédaient à des pièces qu’on traversait sans voir le jour. Détour après détour nous arrivâmes enfin, moi le cœur levé par ces relents de parfum et de foutre dans une pièce dont la fenêtre se trouvait à moitié bouchée d’un immense paravent.
Le frère du Roi glapissait au milieu de sa petite cour, surveillé par son sigisbée qu’on disait beau et qui avait dû jadis profiter d’un visage de poupée aux joues rondes, la méchanceté coincée aux plis de la bouche. »
Pierre Perrault Darmancour déteste les chapeaux autant que les perruques, il est vêtu simplement sans tous les colifichets à la mode ; justaucorps, culottes sans canon, des bottes courtes, la cravate nouée à la diable.
« Ainsi je vivais les jours magnifiques et désespérés de la jeunesse. Le désespoir, c’est le bonheur qui vous échappe toujours, comme si vous refermiez votre main sur de l’air. »
Pierre Darmancour ne sera sauvé que grâce à la protection de François de Conti, qui lors de circonstances particulières lui avait donné un anneau qu’il porte au doigt et, aux démarches de son père. La seule issue pour lui est de s’enrôler dans le régiment du Dauphin. Charles Perrault achètera une lieutenance à son fils.
Va commencer pour le jeune homme une vie de garnison…
« Il ne doutait pas de l’avenir qui s’avançait à grand pas vers son double uniforme, celui de lieutenant au Royal Dauphin et celui de peau du jeune être sensuel. »
Parmi les pages les plus poignantes, celles de ses adieux à son ancienne vie. Celui que Ninon de Lenclos appelait le garçon des contes de fées, avant de partir pour l’armée du Nord va lui remettre le dernier conte qu’il a écrit et que personne ne connaît. Ninon, fait allumer un chandelier, cache son visage derrière son éventail et lui en demande lecture.
« Darmancour avait une voix claire, il lisait vite, jouait l’histoire et en un instant ils se trouvèrent tous deux, la femme de nuit et le petit lieutenant, loin de Paris dans un monde enchanté : …. Il était une fois… »
Eric Jourdan, auteur des « Mauvais anges » longtemps censuré, fils adoptif de l’immense écrivain Julien Green rend un superbe hommage à Pierre Perrault Darmancour.
Une histoire individuelle en filigrane de l’Histoire écrite avec ferveur et sensualité, celle d’un jeune homme impétueux épris des plaisirs inavouables à la recherche de l’amour et qui trouvera la mort le 2 mars 1700.
Hécate.