Prière
Parle-moi de ce temps-là
Où j’étais l’orpheline d’un enfer
Traversé comme on traverse les ronces
Sans voir les déchirures sur la peau
Parce que les yeux aveugles
Ne guident plus que vers l’intérieur d’un passé perdu.
Parle-moi de ce temps-là
Ou bien d’un autre encore
Ce temps d’avant les cimetières
Décors de mes consolations amères
Où j’allais nourrir mes chimères, mes espérances
Dans ces jardins d’acclimatations.
Les brûlures de juin ou de juillet
Ne chauffaient jamais assez mon corps
Habité sans cesse de ce froid mortel
Où mon âme hurlante, enterrée cataleptique,
Réveillée chaque jour à la vie terrible
Attendait, tout en n’attendant plus !
Est-ce que la durée existe pour la douleur d’être ?
Parle-moi de ce temps-là
Où j’avais contracté si fort la haine et la peur,
Cet envers de l’amour désespéré et trahi,
Que mes rêves se ponctuaient de couteaux
Qui déchiraient, lacéraient, tuaient des fantômes
Plus incarnés que les vivants,
Ennemis debout dans la marge où je me tenais
Fuyant les ordinaires, les insipides, les normaux
Ceux qui ne connaissent de la beauté
Que la force du canon
Le reçu des idées, les rangements forcés
Des sentiments dans les bons casiers
La naphtaline des armoires lingères
La convention des trousseaux de mariées.
Je portais le voile de tulle de mes noces
Avec la mort qui m’avait tout pris
Avec la vie qui ne voulait rien me donner.
Entre serpents et chiens qui parlaient,
Entre le corbeau mort qui se taisait
Et le ciel noir de ma mélancolie contagieuse,
Entre folies et visions atroces
De la somptueuse réalité
Nue, malgré ses artifices
Sous ma langue qui la crachait, la dénonçait…
Parle-moi de ce temps-là
Où je n’étais pas encore cette misérable égarée
Malvenue dans un monde carcéral
Avec les mots au bout des doigts
Qui ne savaient même pas
Si la page se ferait oiseau voyageur
Pour envoler le pressant message,
Indécrypté de moi-même…
Parle-moi de ce temps-là …
C’était un temps de violent soleil sauvage,
De bougies dans les nuits
Dont j’étais la cire avec pour support de la flamme, le chagrin.
Mes pleurs n’éteignaient rien.
Acide rongeur de ma vie écorchée
Tombée dans des lits de fièvres,
La maladie me prenait dans ses bras
Et penchait sur mon front en sueur
Sa bouche qui me dictait les délires,
Désirs atroces de ce temps d’avant…
Appel du baume guérisseur…
Parle-moi de ce temps d’avant !
Hécate